Le sentimentalisme exarcerbé d'Emma Bovary lasse ses conquêtes masculines. Ses achats compulsifs d'étoffes et de colifichets la mettent en danger car le commerçant lui fait crédit et la menace de saisir ses biens. Tout s'effondre pour elle : "Le lendemain fut pour Emma, une journée funèbre. Tout lui parut enveloppé par une atmosphère noire qui flottait confusément sur l'extérieur des choses, et le chagrin s'engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme fait le vent d'hiver dans les châteaux abandonnés". Acculée à rembourser ses dettes, Emma comprend qu'elle ne peut plus faire face. Elle s'empoisonne par désespoir. Charles Bovary meurt de chagrin et la petite Berthe est confiée à une tante. Gustave Flaubert a élaboré avec ce personnage féminin le concept de "bovarysme", passé dans le langage courant. Ce sentiment d'insastifaction, de frustation procure une souffrance "psychique" chez l'héroïne qui désire une vie de passion, alimentée par les effets des lectures romantiques. Elle bute contre un réel qui la blesse sans cesse. Je pense à Clément Rosset et à sa théorie sur "Le réel et son double". J'aurais aimé que ce philosophe analyse le roman de Gustave Flaubert. Quand la réalité ne nous convient pas, chacun s'engouffre dans un double, un ailleurs et Emma se noie dans une idée du "grand amour" qu'aucun partenaire ne lui offre sauf son propre mari, Charles, le seul qui l'a véritablement aimée mais qu'elle néglige et méprise. Gustave Flaubert dénonce évidemment cette attitude mais il aime aussi cette femme quand il a déclaré : "Madame Bovary, c'est moi ! ". Le roman dans son ensemble décrypte aussi la "bêtise" : celle du pharmacien Homais, infatué de sa personne. Les amants d'Emma, Rodolphe et Léon, sont pétris d'égoïsme et de lâcheté. Ce classique intemporel demeure un puissant réquisitoire contre la médiocrité intellectuelle, le conformisme social, les illusions lyriques, la bêtise humaine. L'écrivain a subi un procès pour outrage à la morale et aux bonnes moeurs. Le roman, sous-titré, "Moeurs de province" en hommage à Honoré de Balzac, est inspiré d'un fait divers local, l'histoire d'une jeune épouse d'un officier de santé qui mourut à 26 ans. Et le style de Flaubert, un sommet de la langue française !