lundi 24 mars 2025

"Toutes les vies de Théo", Nathalie Azoulay

 Nathalie Azoulay a intégré dans son dernier roman, "Toutes les vies de Théo", publié chez P.O.L, la tragédie du 7 octobre en Israël. Ce pari risqué, celui d'aborder ce sujet sensible dans la littérature contemporaine, peut déranger car l'écrivaine porte un regard décalé et ironique sur les identités divergentes. Elle se saisit de ce drame atroce pour montrer l'irruption de l'Histoite dans le privé intime des individus.  Un couple uni va faire les frais d'une guerre fratricide pourtant loin de chez eux. A vingt cinq ans, Théo, le personnage masculin, tombe amoureux de Léa, d'origine juive, dans une séance d'initiation au tir. Ils vont se marier, ont une petite fille, Noémie. Léa appartient au clan familial très soudé autour de leur culture et de leur religion. Théo se sent très fier d'intégrer ce milieu si différent du sien. Lui-même, catholique breton, fils d'une mère allemande profondèment meurtrie par le nazisme de son pays, se sent investi d'une mission salutaire en soutenant la cause d'Israël et du judaïsme sans toutefois se convertir car Léa n'est pas pratiquante. Il devient critique d'art. Comment s'aimer dans ces différences culturelles et religieuses ? Théo sert de cobaye dans ce couple mixte pour répondre à cette question existentielle. Tout se passe relativement bien jusqu'à la date fatidique du 7 octobre. Ses beaux-parents adorent Théo et acceptent ce gendre enthousiaste pour leur culture. Le 7 octobre, date fatidique, Léa a préparé l'anniversaire de Théo pour ses cinquante ans mais, elle annule tout car l'attentat la choque au plus au point comme la majorité des citoyens. Au fil des jours, elle ne supporte pas l'antisémitisme "d'ambiance" dans ses relations professionnelles et amicales. Elle s'aperçoit que l'unanimité universelle pour condamner ce pogrom ne se produit pas. Léa se plaint de l'absence d'engagement de Théo et leur couple se délite peu à peu d'autant plus qu'il rencontre une jeune libanaise, Maya, artiste originale. Le couple se sépare et Théo succombe devant le charme de sa nouvelle compagne, plus jeune de vingt ans et l'inverse de Léa. Il se passionne pour la culture orientale et surtout pour la cause palestienne. Maya se servira de Théo pour sa célébrité artistique et le consommera à sa guise. Théo, dans ses aveuglements amoureux, ressemble à une girouette, une coquille vide. Nathalie a composé une comédie de moeurs sur un sujet grave. Qui est-il au fond, cet homme amoureux, en bradant sa propre identité ? Ce roman singulier, ultra contemporain sur les problématiques du moment reflète le malaise identitaire des uns et des autres, les dangers du communautarisme qui bouleversent les relations sociales. La politique, les conflits, les drames de l'Histoire peuvent provoquer des ravages, des séismes dans les couples, dans les amitiés, dans la société. Une fracture que l'écrivaine raconte avec ironie, causticité et efficacité. Un roman de qualité à découvrir.