Je cherchais une écrivaine française pour l'Atelier Littérature de décembre et j'ai hésité longtemps car aucun nom ne venait d'emblée à mon esprit. En dehors de nos aînées comme Yourcenar, Colette, Duras, je ne voyais pas une "classique" à venir. Pourtant, de nombreuses autrices possèdent un talent certain : Alice Ferney, Karine Tuil, Lydie Salvayre, Geneviève Brisac, Delphine Le Vigan, Camille Laurens, etc. Qui donc pouvait cocher les cases suivantes : création d'un univers singulier et l'élaboration d'un style remarquable ? Et, j'ai songé à Marie-Hélène Lafon, une écrivaine de terrain, son Cantal natal et une écrivaine du "terreau des mots" à la manière d'une artisane. J'avais lu aussi sa biographie romancée sur Cézanne, un régal de lecture sans oublier sa passion pour Gustave Flaubert, un géant de la littérature. J'ai relu "Les Pays" et j'ai mieux savouré la qualité de sa prose et sa lecture du monde paysan. Son roman, paru en 2012, raconte l'arrivée de Claire, un sosie de l'écrivaine, à Paris. Ses racines paysannes du Cantal n'ont pas ancré la jeune fille dans un destin prédeterminé car l'école et les études ont forgé sa personnalité nouvelle, loin des siens. De toutes façons, les filles n'héritaient pas des terres familiales. La réalité de cette terre revient sans cesse dans son esprit quand elle rencontre un magasinier dans la bibliothèque de la Sorbonne : "Chaque fois la mince chronique de là-bas ferait tout leur entretien, les rigueurs de l'hiver, les fluctuations du cours du lait ou de la viande, les élections locales". Elle a laissé ce monde ancien, rythmé par les saisons et par le labeur perpétuel. Et dans cette ville capitale, la narratrice doit trouver sa place, comprendre les codes sociaux et culturels pour s'adapter à ce nouveau monde urbain. Sa description de Paris dans ces années-là m'a touchée car j'ai vécu dans la capitale dans les années 80 en vivant aussi la nostalgie de ma région natale, la Côte basque, mon Cantal marin. Elle ne renie en aucun cas ce lien charnel, viscéral avec ses origines même si elle se sent une "transfuge" de classe. Paris l'exalte aussi : "Elle respire la ville animée, sa seconde peau, elle hume le fumet familier qu'elle ne parvient pas tout à fait à démêler ; c'est, tout entassé, machine et chair, rouages et sueurs, haleines suries et parfums fatigués sur poussière grasse, c'est animal et minéral à la fois ; c'est du côté du sale et elle se coule dans cette glu, elle prend place s'insère dans le flot". Terroir d'un côté, terre d'accueil de l'autre, Marie-Hélène Lafon possède un esprit géographique sensuel avec les saisons et avec les paysages. (La suite, lundi)
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