"Les Derniers indiens" de Marie-Hélène Lafon, publié en 2008 chez Buchet-Chastel, ressemble au pays natal de l'écrivaine pendant l'hiver : âpre et rugueux. Les deux personnages du roman, un frère et une soeur, tous les deux célibataires esseulés, représentent les "derniers Indiens" : "Les Santoire vivaient sur une île, ils étaient les derniers Indiens, la mère le disait chaque fois que l'on passait en voiture devant les panneaux d'information touristique du Parc régional des volcans d'Auvergne, on est les derniers Indiens". La famille Santoire a vécu sa propre fin car il n'y a plus d'enfants pour prendre la relève. Marie raconte leur vie quotidienne, morose et triste, sans surprise et sans projet. Par contre, elle observe les voisins qui forment une tribu bruyante, joyeuse, arrogante aux yeux de la narratrice. Marie au fond les envie et les jalouse. Cette vie tonitruante de ces voisins la nourrit et la fascine. Isolés et solitaires, la fratrie vit dans une attente sans espoir. La tribu "Lavigne" s'adapte aux temps nouveaux, se modernise, entreprend, suit la mode du jour, "tous sur le même modèle". Ils finiront par engloutir les terres des Santoire. Sur ces "plateaux mangés de vent vide sous le ciel énorme", la narratrice décrit avec son regard scalpel leur réel, tissé d'ennui et de silence. Marie revient sur sa mère, impériale et castatrice qui "empêchait tout". Le fils aîné, Pierre, a quitté la ferme pour travailler en ville mais il est revenu au pays pour mourir d'un cancer. Un autre drame a surgi dans le passé de Marie. Une jeune fille, Alice, leur voisine, a été retrouvée morte dans les bois des environs. Sa mort reste un mystère. Marie, à force de ruminer ses pensées, se rapproche de sa mère : "Ses propres ruminations répondaient à celles de la mère, étaient du même sang, faisaient pendant, muettes, gratuites, incongrues". Quand Marie va ranger les armoires de la maison, elle va découvrir un objet qui va bouleverser sa vie. Et les voisins, à ses yeux, poursuivent leur conquête de l'espace : "Les voisins auraient tout. Ils feraient fructifier. Le temps passait pour eux. Elle se sentait à côté d'eux comme un insecte". Ce roman évoque la fin d'un monde paysan, symbolisé par ce frère et cette soeur, démunis et absents à eux-mêmes. Le rôle mortifère de la mère a provoqué des ravages psychologiques sur ses enfants. Marie-Hélène Lafon décrit le déclin de cette famille paysanne, inadaptée et impuissante à vivre. Le texte, servi par un style ciselé et percutant, possède des aspects d'une tragédie grecque.
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