Marie-Hélène Lafon a déclaré dans un entretien : "Mes livres viennent du pays... de ce coin du monde de la vallée de la Santoire... des pays frappés, évidés, récurés... des lignées finissantes des miens... des attachés, des empêchés d'aller ailleurs, comme l'écrit Ramuz dans "Salutations". Je n'écrirais d'abord et avant tout que de ça, que de là-haut, pays perché, perdu, tondu". Le roman, "Joseph", publié en 2014 chez Buchet-Chastel, s'inscrit dans cet univers "lafonien" où les "invisibles" deviennent enfin visibles grâce à la littérature. Ouvrier agricole depuis l'âge de seize ans, il est employé dans diverses fermes. A 59 ans, il travaille dur avec compétence et vit avec ses employeurs. Il pressent que son métier va disparaître avec le machinisme triomphant. Il aime la ferme et les animaux avec lesquels il se sent complice : "Quand on rentre dans une étable bien tenue, l'odeur large des bêtes est bonne à respirer, elle vous remet les idées à l'endroit, on est à sa place". Sa vie va défiler dans ce texte : sa famille éclatée et perdue, sa mère préférant son frère, sa fiancée qui l'a quitté et sa chute dans l'alcool, un véritable fléau dans ce milieu agricole. Il s'est soigné avec des cures de désintoxication et a même rencontré une psychologue. Joseph, un éternel taiseux, un silencieux monacal se parle à lui-même en se remémorant tous les souvenirs de sa vie comme un ruminant. Son sens de l'observation se manifeste à tout moment : sa vie quotidienne routinière, son entourage immédiat, ses voisins, son passé toujours avec l'idée de "tenir sa place" sans jamais déranger. L'écrivaine admire Flaubert et son "Joseph" ressemble à la Félicité, l'héroïne de sa nouvelle, "Un coeur simple". Son style décortique avec précision les micro-événements d'une vie simple, une vie de travail épuisant sans qu'aucune plainte ne sorte de la bouche de Joseph. J'avais lu ce roman à sa sortie et ma deuxième lecture récente m'a bien confirmé le talent subtil d'une styliste hors pair. Marie-Hélène Lafon rend hommage à un homme simple, un homme du peuple paysan, un ouvrier de la terre et des bêtes. Et il s'appelle Joseph, ce n'est pas anodin à l'approche de Noël et des crèches.
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