J'ai lu récemment une nouveauté de l'année, "Je me retournerai souvent" de Jean-Paul Enthoven, publiée chez Grasset. Pour tous ceux et celles qui ont la passion de la littérature, cet ouvrage est un régal de lecture. L'auteur, dans son nid parisien, a accroché quelques portraits qui "composent depuis toujours mon Panthéon égotiste. Ils m'éclairent et montent ma garde en précieuses sentinelles". Albert Camus est passé dans cet immeuble et cette présence fantomatique, "ce voisin idéal par-delà le temps", le met en joie. Le titre de ce récit littéraire est emprunté à Apollinaire, une de ces "précieuses sentinelles". L'auteur veut montrer sa reconnaissance, ses multiples gratitudes, un hommage aux "siens", ceux "qui consolent des chagrins de la vie". Servi par un style élégant et plein de charme, cet hommage aux écrivains se lit avec délectation. Dans sa tour parisienne, à la façon d'un Montaigne dans sa bibliothèque, il s'isole du monde social et se retire pour mieux se retrouver avec ses compagnons et compagnes de papier : "Si le monde était bien fait, tout individu devrait avoir droit, fût-ce brièvement, à cette tranche de temps suspendu". Dans son Panthéon "égotiste", l'auteur a décoré son mur avec des images de Diderot, Montaigne, Stendhal, Pascal, Proust, Melville, Hemingway. Sa galerie de portraits ne se composera pas seulement de ces gloires exceptionnelles. Il évoquera aussi des écrivains détestables, "sauvés par leur talent", ou contestables, avec une seule exigence : ils ont tous disparu. Il commence sa "galerie désordonnée" par Cioran, le pessimiste "hilare", un Diogène de notre temps. Après le beau portrait de Cioran, il relate son amitié avec Philippe Sollers, un "prodigieux virtuose de lui-même". Cet écrivain bordelais, mort en 2023, a marqué son temps par son "goût de l'aérien, de l'ubiquité, de la mobilité romanesque, esthétique, idéologique, érotique". Au fond, Philippe Sollers incarnait l'esprit des Lumières, la liberté absolue, le bonheur d'être. Un libertin du XVIIIe siècle, égaré au XXe. Le chapitre consacré à Roland Barthes est particulièrement passionnant car cette "star" des Lettres, loin de ses théories structuralistes, était un intellectuel angoissé, doutant de sa réputation. Il admirait à la fin de sa vie Marcel Proust et Chateaubriand, un retour aux sources de la littérature. (la suite, demain)
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
mardi 1 juillet 2025
jeudi 26 juin 2025
"Le Goût de la nostalgie",
Je reviens sur le thème de la nostalgie avec cette anthologie, "Le Goût de la nostalgie", éditée au Mercure de France, en 2015. Cette collection, "Le goût de", propose des dizaines de titres avec un dominante sur les voyages sans oublier les loisirs et d'autres sujets parfois étonnants. Ces petits ouvrages adorables peuvent s'offrir avec plaisir. Que ce soit sur le thé ou la lenteur, les livres et les bibliothèques, les sports, les sentiments, les animaux, la cuisine, chacun trouvera sa passion commentée. J'en possède évidemment quelques uns dont celui de la lecture, d'Athènes, de Lisbonne, etc. L'introduction du volume présente la notion de nostalgie : "L'écriture peut retenir ce qui fut jadis le présent et raviver les couleurs du passé pour le ramener au devant de la scène". Elle cite Patrick Modiano, le chantre de la nostalgie, qui a déclaré lors de la remise du Prix Nobel de la Littérature en 2014 : "C'est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme des icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan". La nostalgie peut naître à tous moments de la vie : l'enfance perdue, pays perdu, amours perdus, années perdues. Ce sentiment de la perte est traité constamment par la littérature. Quel remède pour amortir ces moments de nostalgie ? Un grand philosophe, Vladimir Jankélévitch, a donné un conseil : "Ne ratez pas votre matinée de Printemps", seul antidote à la nostalgie. Dans cette anthologie, les textes sont organisés en cinq chapitres : temps perdu, pays perdu, perdre son pays, c'est perdre son passé, jouissance de la fugacité. Une trentaine d'écrivains évoquent ce sentiment : de Pessoa à Kundera, de Colette à Alain-Fournier, de Tchekhov à Georges Perec, etc. Ce petit livre sympathique donne de très bonnes idées de lecture. Ulysse, le grand nostalgique de son île et surtout de Pénélope, est bien revenu chez lui après vingt ans d'exil, entre la guerre de Troie et ses vagabondages d'île en île. La nostalgie selon Homère, une énergie vitale. Un sentiment universel sur la condition humaine.
mardi 24 juin 2025
Thomas Mann sur Arte
Je regarde de temps en temps Arte pour ses documentaires sur l'art et sur la littérature. J'avais remarqué que la chaîne culturelle franco-allemande proposait des émissions sur l'écrivain allemand, Thomas Mann pour célébrer les 150 ans de sa naissance. Né le 6 juin 1875 à Lübeck, il meurt à Zurich en 1955. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1929, il est considéré comme l'un des plus grands écrivains européens de la première moitié du XXe siècle. Son premier roman, "Les Buddenbrook", paru en 1901, lui apporte dès l'âge de 26 ans une notoriété solide et sa "Montagne magique", publiée en 1924, confirme son génie littéraire. J'avais lu ce grand livre trop jeune et je me fais un devoir et une joie de le rédécouvrir dans les mois prochains. Avant de relire "La Montagne magique" pour mieux comprendre ce chef d'oeuvre, je vais découvrir "Le Buddenbrook" cet été. Evidemment, comme j'adore Venise, j'ai lu et relu "Mort à Venise". Cet écrivain est aussi un grand intellectuel, farouche défenseur des valeurs démocratiques. Il fuit les nazis dès 1933, part en Suisse, puis aux Etats-Unis et retourne à Zurich à partir de 1952. Arte propose l'adaptation des Buddenbrook en deux parties. Je regarderai ce films après ma lecture du roman car je veux garder la primauté au livre. Ensuite, d'autres émissions concernent, en particulier, sa maison d'été à Nida en Lithuanie où il a passé trois étés avec sa grande famille. Une autre émission rappelle sa biographie : ''Thomas Mann forever". Pour aborder son oeuvre, regarder tous ces reportages de très grande qualité donne vraiment envie de le lire ou le relire. Pour saluer cet écrivain allemand, il faut absolument découvrir la biographie littéraire de Colm Toibin, "Le Magicien", paru récemment en Livre de Poche. Une magistrale biographie romancée comme celle du "Maître" sur Henry James. Dans "Mort à Venise", j'ai trouvé cette citation : "Car la beauté, elle est aimable et visible à la fois ; elle est la seule forme de l'immatériel que nous puissions percevoir par les sens et que nos sens puissent supporter". Je suis encore étonnée que Thomas Mann ne figure pas dans le "Panthéon de la Littérature mondiale", je veux parler de la Pléiade. Il semblerait que les droits d'auteur serait un obstacle à cette intégration.
lundi 23 juin 2025
"Café Excelsior", Philippe Claudel
Quand j'avais proposé le thème de la nostalgie pour l'Atelier Littérature du 26 mai, je ne me doutais pas que je vivrais un incident "amnésique", une irruption intempestive d'oubli dans ma mémoire immédiate heureusement bénine selon les médecins des urgences. Par contre, cet incident technique dans mes neurones a provoqué un oubli de cinq heures intégrant la totalité des commentaires durant les deux heures de l'Atelier. Malgré des notes prises, je ne peux malheureusement pas évoquer les lectures de la liste bibliographique et les coups de coeur. Mais, dans cette liste sur la nostalgie, j'ai découvert quelques titres dont "Le Café Excelsior" de Philippe Claudel, publié en 2007 dans le Livre de Poche. Dès les premières pages, le décor est planté : "Mon grand-père tenait le Café de l'Excelsior, un bistro étriqué dont les mauvaises chaises et les quatre tables de pin rongées par les coups d'éponge composaient un décor en demi-teintes violines". Plus loin, ce petit café de province "formait une enclave oubliée contre laquelle les rumeurs du monde et ses agitations, paraissaient se rompre à la façon des hautes vagues sur l'étrave d'un navire". Le narrateur, âgé de huit ans, est confié à son grand-père après la mort tragique de ses parents. Les quelques clients esseulés du café, "des astres mélancoliques" viennent se réchauffer le coeur loin des leurs soucis quotidiens. Ils forment une nouvelle famille et le petit garçon mènera une vie heureuse et comblée. L'enfant illumine le quotidien du grand-père et le vieil homme goûte à nouveau au plaisir de l'enfance retrouvée. Mais, l'administration ne l'entend pas ainsi et le petit-fils à l'âge de onze ans est placé dans une famille d'accueil. Ce roman court et servi par une belle écriture m'a d'autant plus intéressée que j'ai moi-même passé mon enfance dans un bar que tenait mes parents. Je conserve précieusement quelques souvenirs très attachants concerant des clients qui fréquentaient ce bar, des "astres mélancoliques" qui se réfugiaient dans ce bar pour trouver un peu de chaleur humaine en noyant leurs soucis permanents dans quelques verres de vin, des "chopines de blanc et de rouge". La plume poétique de Philippe Claudel m'a replongée dans cet univers si intime et la littérature ravive souvent les souvenirs enfouis dans la mémoire. Merci à Philippe Claudel pour ce bain nostalgique dans ma propre enfance. Ce bar au Boucau, près de Bayonne, se nommait "Chez Germain", le prénom de mon père... Ah, la nostalgie, une douce rêverie qui permet de revivre des moments heureux du passé.
jeudi 19 juin 2025
"Mémoires de Sabine, épouse d'Hadrien", Nynke Smits
Un de mes livres préférés, "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, m'a marquée à tout jamais dans ma vie de lectrice passionnée. Cette fascination m'a ouvert la porte magique de l'Antiquité, des Grecs anciens et des Romains. Ce chef d'oeuvre, publié en 1951, conserve une éternelle actualité. J'ai donc découvert un roman historique, "Mémoires de Sabine, épouse d'Hadrien", de Nynke Smits, traduit du néerlandais et publié l'année dernière. L'auteur est une grande spécialiste des langues anciennes et connaît évidemment à merveille le monde antique. Sabine (85-136 ap. J.-C.), impératrice, s'est mariée avec Hadrien à l'âge de quinze ans. L'Impératrice écrit son journal intime et relate sa vie bien singulière avec un époux hors-norme. Il n'a jamais voulu avotr d'enfant avec elle de crainte d'avoir un fils qui ne correspondait pas à son idéal. Elle accompagne Hadrien dans les contrées lointaines en Britannia, en Grèce, en Egypte et en Ibérie, le pays de son mari. Dans ces différentes escapades, elle rapporte des oeuvres d'art et des copies de manuscrits. Hadrien ne la voit guère mais, il la respecte et la protège. Alors qu'il est parti dans les marges de l'Empire, Sabine fuit Rome et se refugie dans une petite ferme de la Villa Hadriana. Le portrait d'Hadrien s'affine au fil des pages : c'est un homme brutal et autoritaire, loin de l'image de Marguerite Yourcenar. L'empereur tombe fou amoureux d'un jeune homme, Antinous, qu'il va déeifier à sa mort par noyade en Egypte. Des personnages historiques apparaissent dans ce roman historique : Suetone, des consuls, des neveux d'Hadrien. Sabine s'est liée à Julia, son amante et poétesse grecque. Pour mieux suivre l'identité des personnages, des pages à la fin du livre éclairent le lecteur-trice ainsi qu'un arbre généalogique. J'ai bien apprécié ce roman reportage, évidemment très documenté sur la vie à Rome entre les esclaves, le peuple et l'élite impériale. Un des neveux d'Hadrien fomentera un complot contre Hadrien qui sera déjoué. Marguerite Yourcenar écrivait le journal intime d'Hadrien, un homme à plusieurs facettes. Nynke Smits a choisi le point de vue féminin et à cette époque-là, c'était un malheur de naître femme ! Evidemment, je préfère mon Hadrien de Yourcenar surtout pour l'écriture somptueuse dans ce roman historique exceptionnel. Mais, j'ai lu avec intérêt le destin de Sabine, une femme courageuse et stoïque !
mercredi 18 juin 2025
"Ecouter les eaux vives", Emmanuelle Favier, 2
Au retour de sa mission, sa hiérarchie la convoque pour lui annoncer la mort de son père. Il s'est noyé mais, Adrian, soupçonne qu'il s'est suicidé. Elle est envoyée à Brest pour une visite diplomatique afin d'échanger des informations sur la guerre acoustique. Au seuil d'une nouvelle vie, hors d'un sous-marin protecteur, le personnage féminin change de registre. Au lieu d'observer la mer, de l'écouter, elle va se découvrir, explorer ses "eaux vives", ses envies et ses désirs enfouis en elle. La mort de son père la "libère" en quelque sorte. Elle quitte l'Ecosse pour la Bretagne et fait la connaissance d'un jeune homme, Arthur, qui va la présenter à Abel, un homme aveugle de naissance, et vivant dans une solitude volontaire avec son chat, Miel, comme un Robinson breton. Cet homme cultivé aime passionnément le poète espagnol, Antonio Machado et son ami, Arthur, lui lit des poèmes du poète espagnol. Il refuse de voir son père Paol, directeur de la station biologique de Roscoff, car il l'accuse de la mort de sa mère des suites d'un cancer. Adrian tombe follement amoureuse de cet homme singulier et mystérieux. Au fond, elle épouse l'obscurité d'Abel, homme torturé par son angoisse existentielle. La relation fusionelle qu'elle entretient avec Abel ressemble à une submersion dans les abysses du sexe. Elle entretient en même temps une relation amicale avec Arthur qui l'initie à la plongée, des moments de respiration pour elle. Je ne dévoilerai pas la fin de ce roman atypique, rempli d'embruns bretons, de paysages sauvages, de l'Ecosse à la Bretagne. Adrian a passé sa vie dans un sous-marin qui demande un contrôle total de son corps et de son esprit. Cette période de temps, voué à la maîtrise de soi, est suivie par un éclatement total de ses "pulsions" de vie, de l'éros selon Freud. Abel représente cette renaissance, un appel à la vie et à la liberté, mais cette relation va les précipiter dans un trou béant. Pour ma part, j'ai préféré la première partie du roman quand l'héroïne écoute la mer. L'écrivaine reconstitue avec une précision chirurgicale la vie à bord d'un sous-marin, surtout du côté d'une femme soldat. L'histoire d'amour entre Adrian et Abel m'a semblé excessive et trop passionnelle. Emmanuelle Favier possède un souffle romanesque évident et puissant. J'ai aussi apprécié son écriture ciselée et riche, un phénomène assez rare dans l'univers littéraire contemporain. A découvrir.
mardi 17 juin 2025
"Ecouter les eaux vives", Emmanuelle Favier, 1
J'avais lu quelques romans d'Emmanuelle Favier dont "Virginia", un hommage à Virginia Woolf, très intéressant à lire. J'ai remarqué son style très travaillé, les sujets originaux qu'elle aborde souvent et son dernier livre, "Ecouter les eaux vives", paru chez Albin Michel en janvier 2025, ne m'a pas déçue. Le personnage central, Adrian Ramsay, est une jeune femme écossaise d'une quarantaine d'années qui pratique un métier dit masculin, sous-marinière dans la Royal Navy. Plus précisèment, Oreille d'or : "Adrian écoutait les symptômes de la mer comme le médecin écoutait le coeur des marins, de sa capacité de concentration, de sa facilité à mobiliser les ressources de sa mémoire mais aussi de sa résistance à la pression psychologique, dépendait la sûreté de l'équipage. Elle avait acquis ces compétences au prix de nombreuses formations et d'innombrables tests, qui lui avaient permis d'obtenir son statut d'analyste en guerre acoustique". Son métier d'expert dans un sous-marin, porteur de missiles nucléaires, consiste à "écouter la mer", c'est à dire, analyser tous les bruits environnants, détecter des anomalies, deviner les cris des mammifères marins. Un métier vraiment très particulier où l'intuition et la mémoire auditive jouent un rôle majeur. L'héroïne se transforme en phare des abysses. Son père aveugle demeure sa seule relation humaine. Se lover dans ce ventre d'acier, se nicher dans ce mastodonte des mers. Ces deux phénomènes ressemblent au ventre d'une mère quand le bébé nage dans le liquide amniotique. L'écrivaine raconte avec son talent d'écriture la vie quotidienne dans un sous-marin, un quotidien rythmé par une cadence militaire où chacun reste à sa place. L'espace étriqué et restreint d'un sous-marin provoque une promiscuité difficile à vivre. Il faut savoir que les femmes n'évoluent presque jamais dans ce milieu masculin. Son rapport aux hommes se résume par quelques rencontres hasardeuses et sans lendemain entre deux missions. Au fond, sa vie de sous-marinière lui suffit et lui donne la sensation "d'une matrice dont la grande respiration métallique la ramenait à l'origine de tour". (la suite, demain)
lundi 16 juin 2025
"Son vrai nom est Elizabeth", Adèle Yon
Dans l'actualité littéraire du moment, un livre a retenu mon attention : "Son vrai nom est Elizabeth" d'Adèle Yon. Née en 1994, la jeune femme a déjà à son actif un parcours professionnel surprennant : normalienne, enseignante, écrivaine et même chef de cuisine ! Elle a entrepris un travail de recherche universitaire sur la question du "double féminin fantôme" au cinéma ("Rebecca" d'Alfred Hitchcock et "Obsession" de Brian De Palma). Ce travail déclenche une puissante réflexion sur la nécéssité de se confronter à ce double pour devenir elle-même. La jeune femme découvre que ce double féminin s'incarne dans sa propre famille : une aïeule, jugée "folle", a été hospitalisée pendant de nombreuses années. Ce drame de la "folie" inquiète la narratrice. Cette maladie peut-elle se manifester dans les gènes d'une filiation féminine ? Cette arrière-grand-mère, Elizabeth, dite Betsy, est née en 1916, fut diagnostiquée schizophrène et internée entre 1950 et 1967 à l'hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais dans le Loiret. Dans cet établissement, elle va subir des électrochocs et surtout, une effroyable lobotomie qui lui laissera deux trous dans la tête. Adèle Yon va mener une enquête exhaustive en recherchant des témoignages familiaux (une soeur, un frère, sa fille, sa petite-fille), élargissant sa quête autour de la correspondance entre Betsy et son mari. Elle va même intérroger des soignants de cet hôpital. Un portrait de Betsy se dégage au milieu de ce document d'archives administratives et de témoignages privés. Née dans une famille catholique, où le non-dit domine dans les relations familiales, elle rencontre un jeune homme sérieux mais, psycho-rigide. Il lui fera six enfants non désirés et la traitera comme un "rebut de la famille", une "non-personne". Cet homme, sûr de lui et autoritaire, ne ressentira aucune empathie ni aucune compassion pour son épouse. L'arrière-petite-fille dénonce dans son ouvrage la cruauté de cet homme, l'indifférence du clan, la mise à mort de cette femme, dite "folle", écartée de ses enfants sans la moindre interrogation. Ce livre "hybride", récit intime, enquête journalistique, essai, documentaire, ne se lit pas facilement. Il percute le lecteur, dérange, implique une attention parfois éprouvante sur cette femme si malheureuse et si émouvante. La vraie Betsy, le double de la Betsy malade, qui est-elle vraiment ? Adèle Yon tente l'impossible en recomposant le portrait de cette femme complexe, victime d'un silence assassin et d'un système patriarcal archaïque. Un récit de vie troublant, à lire avec précaution. De la part de la narratrice, un témoignage d'amour familial sur une aïeule incomprise et maltraitée par les siens et par la société de cette époque.
vendredi 13 juin 2025
"Journal, Les années d'exil : 1949-1967", Sandor Marai, 2
Sandor Marai déclarait que son journal intime "s'empare de tout, aspire tout (...) C'est ma seule planche de salut". Sa situation matérielle à New York s'améliore car il devient collaborateur de Radio Free Europe. Il vit ce deuxième exil avec un regret de son Naples, si attachant. Il monte dans un paquebot pour atteindre l'Amérique. Quand il découvre New York, il écrit : "New York m'a fait penser à Venise. Quand on y arrive un matin de printemps, c'est une autre Venise, non pas celle du Settecento, mais celle de l'ère nucléaire". Tout est gigantesque à ses yeux : les gratte-ciels, les arbres, la chaleur : "Il y a quelque chose d'insensé dans cette démesure". Il découvre cette ville "monstrueuse" avec fascination et commence à voyager dans le pays pour tâter sa réalité en notant le problème des afro-américains, du maccarthysme, de la misère dans les rues newyorkaises. Les événements politiques des années 50 surgissent au fil du récit autobiographique : la répression de 1956 en Hongrie, la guerre d'Indochine, Il lit des écrivains américains : Faulkner, Hemingway qu'il admire. Mais, il pense qu'il repartira en Italie. Sa force intérieure se mesure à un quotidien, nourri de livres et d'écriture : "Ecrire, lire, avec force, oui, écrire, lire avec persévérance". Malgré son isolement social, l'écrivain jouit de sa solitude et déclare : "Je vis chaque jour avec un grand bonheur et beaucoup de curiosité, même si je ne bouge pas de chez moi et ne fais rien". Il ne parvient pas à se sentir chez lui en Amérique, ce qu'il ressentait à Naples : "Toutefois, il est très difficile d'atteindre l'Amérique à cause des Américains". Il partage ses découvertes du bord de l'océan, des musées, des zoos avec son fils adoptif, Janos, qui, lui, devient un petit Américain modèle. Le journal fourmille d'anecdotes sur son quotidien, sur les romans qu'il compose, sur sa famille, sur la littérature mondiale. Une mosaîque d'impressions, de sensations, de commentaires. Un témoignage précieux, unique dans son genre. Un journal à lire pour bien connaître ce grand écrivain hongrois. Le tome 3 du journal m'attend cet été. Sandor Marai représente la quintessence d'un honnête homme littéraire comme Stefan Zweig et Thomas Mann. Ils ont offert à leurs lecteurs leurs mondes intérieurs, une attitude généreuse et parfois risquée. Un grand plaisir de lecture.
jeudi 12 juin 2025
"Journal : Les années d'exil, 1949-1967", Sandor Marai, 1
J'avais découvert le Journal de Sandor Marai, le premier tome, "Les années hongroises, 1943-1949", paru en Livre de Poche en 2021. Témoin d'une époque historique couvrant les années de la Guerre et de l'arrivée des Soviétiques à Budapest, l'écrivain racontait aussi sa vie quotidienne, ses lectures, son oeuvre littéraire, ses relations familiales. Un critique a écrit que ce journal lui permettait de confirmer que "sa seule façon d'être au monde était l'écriture". Le deuxième tome concerne les années 1949-1967 quand il a quitté Budapest après l'arrivée de l'Armée rouge. Il s'installe près de Naples, première et lumineuse étape de son exil. Ecrivain polyglotte, il parle français, allemand et apprend l'anglais. Dans ce journal patchwork, il évoque son quotidien à Naples mais aussi la matrice de ses romans, ses nombreuses lectures, les anecdotes familiales, son passé en Hongrie, ses escapades en Allemagne, en Suisse et en France. La marche du monde le passionne et il cite souvent des événements politiques de cet époque. Il se retrouve dans une situation financière précaire qui le tourmente dans son texte. Ses commentaires sur Naples sont particulièrement savoureux. En tant qu'amoureuse de l'histoire littéraire, j'apprécie ses diverses critiques sur les écrivains de prédilection : Gide, Valéry, Proust, Colette, etc. Il cite même Carson Mac Cullers, une écrivaine américaine peu connue. Son flair littéraire, son immense culture écléctique, sa curiosité insatiable forcent l'admiration tout autant que sa prose limpide et efficace. Ses réflexions sur la mer rejoignent son sentiment d'une patrie perdue : "La véritable patrie est là, dans la mer, dans le monde. L'autre est un bon souvenir dont on ne peut, ni ne doit se libérer. De patrie, il n'y a qu'une seule : l'infini". Il vit à Naples de 1948 à 1952 et il a adoré cette période, une parenthèse enchantée dans son parcours d'exilé. Il écrit dans son journal le 9 juillet 1950 : "J'ai décidé d'émigrer en Amérique". Il rend un hommage vibrant à l'Italie car son départ approche : "En Italie, j'aime tout. Il y a plus d'équilibre, plus d'humanité ici. C'est un foyer, un jardin féerique, un eden..."
mercredi 11 juin 2025
"Un air de famille", Alessandro Piperno
Alessandro Piperno, l'un des plus grands écrivains italiens de sa génération, vient d'écrire "Un air de famille", publié chez Liana Levi. Ce professeur enseigne la littérature française à l'université et il est l'auteur d'essais et de six romans, dont certains ont obtenu des prix littéraires prestigieux. Il dirige aussi l'équivalent de la Pléiade, "I Meridiani" et écrit des articles pour le Corriere delle Sera. La presse spécialisée le compare souvent à Philip Roth. Sa famille appartient depuis toujours à la communauté juive de Rome. Inlassablement, l'écrivain romain décrit les péripéties familiales : "Ah, la famille ! En effet, c'est mon refrain, mon idée fixe". Dans son dernier roman, il met en scène un professeur, Mr Sacerdoti, célibaire endurci, ne cachant pas sa détestation des enfants, "petites brutes égoïstes, bruyantes, cruelles et vulgaires". Or, ce professeur hérite, par un pur hasard du destin, d'un garçonnet de huit ans, Noah, orphelin et d'origine anglaise. Les parents sont morts dans un accident de montagne. Il se voit désigné comme tuteur de ce lointain petit-cousin alors qu'il ne l'a jamais rencontré. Les personnages dans les romans de cet écrivain ne sont jamais des héros car ils ont un tempérament du côté de la faiblesse, même de la lâcheté. Le professeur, avant la prise en charge de ce garçon, a traversé une tempête médiatique. Il a cité dans un cours des phrases de Flaubert, teintées de misogynie. Et voilà qu'une collègue ambitieuse et intolérante, d'un féminisme caricatural, le dénonce de véhiculer des idées rétrogrades. Alors, sa mise à mort dans les réseaux sociaux lui tombe dessus. Couvert d'opprobre, il est obligé de démissionner, de quitter son poste. Ce fait de société rappelle le roman de Philip Roth, "La Tâche". En plein marasme psychologique, le narrateur s'enferme dans une spirale infernale. Alessandro Piperno manie l'ironie et constate comme son héros négatif que les temps sont difficiles pour les écrivains politiquement "incorrects". Après cette déchéance sociale, le professeur voit sa vie complètement chamboulée par la venue de ce petit-cousin. Cette deuxième partie du livre, plus sérieuse et plus profonde que ses déboires à l'université, pose la question de la filiation, du lien avec un enfant, de la famille, du temps qui passe, de la solitude, de la responsabilté. Le professeur a connu aussi un drame familial et la disparition tragique de ses parents rappelle celle des parents de Noah. Une complicité affectueuse entre eux se révèle parfois compliquée, mais peu à peu naissante. Mais, un héritage va mettre fin à leur association familiale. Noah va rejoindre une deuxième famille intéressée à Londres. Un roman drôle, moderne, attachant. Un écrivain italien à découvrir.
lundi 9 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 5
J'ai réservé mon dernier billet sur une visite essentielle à ne surtout pas éviter malgré l'affluence excessive de ce lieu incontournable : le Musée des Offices. Mais comment visiter les dizaines de salles sans se bousculer, se gêner, se faufiler devant une dizaine de touristes squattant chaque tableau célèbre ? Mes conseils s'avèrent assez simples : prendre une réservation deux mois avant la date de la visite un jour de semaine et jamais le week-end, choisir le créneau matinal vers 9h du matin et arriver dès 8h devant le musée. A ces conditions, j'ai évité la foule car le musée attire plus de 5 millions de visiteurs par an après les musées du Vatican. J'ai mille fois mieux apprécié les collections extraordinaires des Offices. Par contre, j'ai préparé le parcours en notant le numéro des salles où se nichent les peintres que je voulais revoir. Munie de mon carnet de notes, j'ai effectué un parcours sans faute, un marathon esthétique de premier ordre. Ouverts au public en 1765, les 12 000 m2 offrent la plus belle collection au monde de la peinture italienne et européenne. Ces chefs d'oeuvre proviennent des collections Médicis, des dons du monde religieux, des legs, etc. Je me suis donnée des priorités, un menu pantagruélique : Raphaël, Botticelli, Caravage, Léonard de Vinci, Uccelo, Titien, Bronzino, Pontormo, Rubens, Dürer, Lippi, et tant d'autres génies. J'ai vécu un éblouissement permanent pendant les trois heures de déambulation dans les salles et les couloirs des Offices. Je ne peux pas citer tous les tableaux mais je vais en choisir cinq qui m'ont vraiment enchantée. Je me suis rendue compte que le thème de l'Annonciation était traité par de nombreux peintres de la Renaissance. J'ai donc retenu évidemment celle de Leonard de Vinci, d'une beauté renversante. Léonard avait à peine une vingtaine d'années quand il peint ce chef d'oeuvre. Mon deuxième coup de coeur, le sublime Raphaël et sa "Vierge au chardonneret", une représentation de l'amour maternel où la mélancolie de Marie se lit dans son regard. Troisième coup de coeur, le "Bacchus" du Caravage, un tableau sensuel, ironique de ce génie de la peinture italienne. Quatrième coup de coeur, un "Ange musicien" de Rosso Fiorentino, un adorable tableau, un hommage à la musique. Cinquième coup de coeur : une autre Annonciation, celle de Botticelli, d'une finesse et d'une délicatesse remplies d'émotion. Mon escapade toscane s'est donc terminée en beauté !
jeudi 5 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 4
J'ai terminé ma journée de lundi en visitant le Bargello, le Musée national de la Sculpture, à deux pas de l'appartement. Ce palais, construit en 1255, était le siège de la police, puis s'est transformé en tribunal (Conseil de Justice et des Juges de la Roue !) sous le règne des Médicis. On exécutait les condamnés dans ce lieu et pendant trois siècles, ce palais abritait une prison. Au XIXe siècle, le bâtiment restauré devient le premier musée national italien lorsque Florence est la capitale du pays. Reconnaissable avec sa tour crénelée de 60 mètres de haut qui surplombait la terrasse de l'appartement, j'ai eu la chance de parcourir cet immense édifice avec très peu de touristes. Dès que j'ai pénétré dans la cour, dotée de portiques et d'arcs en plein cintre sur des piliers spectaculaires, j'ai ressenti le poids de l'Histoire florentine. Armoiries sur les murs, fresques sur les banières, je plongeais directement dans la bulle temporelle du Moyen Age et j'apercevais quelques Médicis dans les salles... Dans cette forêt de marbre et de bronze, j'ai remarqué un adorable "Petit pêcheur" de Vincenzo Gemito, le célèbre "David" de Donatello, le "Bacchus ivre" de Michel Ange, et tant d'autres sculptures de la Renaissance. Il faut bien s'informer avant de visiter ce musée pour choisir quelques oeuvres essentielles. Sinon, ce genre de musée peut intimider les visiteurs néophytes ou lasser les plus motivés. Un musée labyrinthe à découvrir ne serait-ce que pour son architecture impressionnante. Un petit musée peu connu a attiré mon intérêt, le musee Horne, près de l'Arno, installé dans un palazzo du XVe. Un esthète anglais, Herbert Percy Horne, a racheté ce palais pour en faire un musée. Je me suis baladée dans les différentes salles, avec les meubles d'époque et les tableaux sur les murs. J'ai admiré une petite toile de Signorelli, un Giotto magnifique, un Lippi, et d'autres merveilles de la peinture italienne. Un musée vraiment passionnant à découvrir. Comme le dit le Routard, "une visite reposante, loin des foules".
mercredi 4 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 3
Après le Musée Archéologique, j'ai découvert un musée original que je ne connaissais pas. Il s'agit du Museo degli Innocenti, le musée des Innocents, ouvert en 2016, qui combine un bâtiment à l'architecture Renaissance (1415), une collection d'art incroyable et une place à part dans l'histoire de Florence. Cet ancien orphelinat, le premier en Europe, depuis le 15e siècle, a accueilli des milliers d'enfants. Quand je suis rentrée dans cet édifice patrimonial, j'ai été émue par une salle où sont conservés, dans des tiroirs sous verre, les objets que les mères ou les parents laissaient à leurs enfants abandonnés. Ces objets (bouts de tissu, croix, médailles) dont un médaillon coupé en deux parties devaient permettre de les reconnaître plus tard en cas de remords. Combien de destins brisés dès l'enfance ? Que sont devenus Alberto, Giuseppina, et tant d'autres enfants perdus ? Des adultes orphelins ou abondonnés ont apporté leurs témoignages dans des vidéos que l'on peut visionner. Un moment d'émotions dans ce musée original, pétri d'une humanité profonde. Au troisième étage, une galerie de peinture propose des tableaux de grands artistes de la Renaissance dont un "Vierge à l'enfant" de Sandro Botticelli, toujours aussi sublime et un "Adoration des mages" de Dominico Ghirlandaio. Après cette découverte émouvante, j'ai revu avec un grand plaisir une église magnifique, la Chiesa Santa Maria Novella, édifiée par les Dominicains à partir du XIIIe siècle. Deux cloîtres, des chapelles, un Christ en croix de Giotto, des fresques de Masaccio, de Filippino Lippi, une remarquable chapelle des Espagnols, en deux mots, un éblouissement permanent. Un lieu sacré et un musée incontournable de Florence. J'ai déjeuné dans une trattoria formidable, baptisée "100 poveri", populaire, loin du tourisme de masse où j'ai dégusté mon plat préféré en Italie, les linguine à la vongole ! J'ai aussi revu le musée Novecento, plus de 300 oeuvres de l'art italien moderne et contemporain. J'ai apprécié de revoir des Morandi et des Chirico qui dégagent une certaine mélancolie. Les Italiens ne sont pas toujours des "joyeux lurons méridoniaux". Je pense à Cesare Pavese en particulier. Encore une journée consacrée à l'art et à la beauté. Quel pays !
mardi 3 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 2
Le lundi, j'ai démarré ma journée en visitant un des joyaux de Florence : le Musée Archéologique National, installé dans un palais du XVIIe siècle. Même si ce n'était pas la première fois que je le visitais, j'ai retrouvé la magie de l'archéologie autour de "mes" Etrusques, qui au fil des jours, m'avaient complètement adoptée. Le musée a été inauguré en 1870 et fut transféré dans son emplacement actuel dix ans plus tard. La superbe collection des vases grecs est présentée dans les vitrines d'une grande salle et proviennent des tombes étrusques dont le vase François, découvert en 1844 à Chiusi. Ce grand cratère à figures noires impressionne avec sa série de récits mythologiques. Grâce aux écrans tactiles (une révolution dans un musée archéologique), les amoureux de cet art si singulier peuvent suivre les explications sur les images des vases. Kouroi, sculptures, fragments, mosaïques romaines, monnaies diverses, vaisselles, statuettes votives, bustes en marbre de quelques philosophes grecs, un paradis à mes yeux tant j'aime l'archéologie. J'ai remarqué une sculpture étrusque très réputée et très surprenante, la Chimère d'Arezzo en bronze assez imposante qui représente un animal mythique, un monstre à trois têtes avec une gueule de lion, une tête de serpent et une tête de chèvre. Une deuxième pièce m'a aussi fascinée : le Sarcophage des Amazones, d'inspiration hellénistique, du IVe siècle av. J.-C. découvert à Tarquinia en 1869. Restauré récemment, ce sarcophage en albâtre calcaire, venu de Grèce probablement, présente des scènes mythologiques sur les audacieuses Amazones, un sujet récurrent dans l'art grec. J'étais presque seule avec ma famille dans ce musée exceptionnel alors que des milliers de touristes se bousculaient devant le Duomo. Evidemment, je profite de cette situation mais j'avais envie d'aller les chercher pour leur suggérer que l'art antique mérite aussi toute leur attention admirative. Je suis partie avec une réserve d'images et de sensations dans ma tête et quand je revois dans les livres ou sur internet les trésors de ce musée, je me dis que je ne rêve pas, je les ai vus avec mes yeux et ce contact concret, réel, sans filtre et sans support, demeure une expérience irremplaçable. Un des plus beaux musées archéologiques d'Italie et d'Europe.
lundi 2 juin 2025
Escapade en Toscane, Florence, 1
A Florence, j'ai loué un appartement dans le centre historique, près du musée du Bargello, à trois rues du Duomo et de la Piazza della Signoria. Je connaissais la cité l'ayant visité à trois reprises depuis les années 80. J'ai toujours constaté que cette destination attirait un monde fou presque autant que sa soeur italienne, Venise. Il semblerait que 15 millions de touristes par an visitent Florence ! Comme j'ai parcouru la Toscance pendant cinq jours, il me semblait évident de finir mon escapade dans sa capitale car je voulais revoir un de mes musées préférés : les Offices. Quand je suis arrivée à Florence le dimanche, évidemment j'ai retrouvé l'ambiance survoltée des milliers de touristes tous agglutinés autour du Duomo avec une file d'attente très importante. Je pense qu'il fallait attendre deux bonnes heures et j'admire la patience incommensurable de ces touristes venus du monde entier. J'ai rejoint l'appartement que j'avais loué et j'ai vécu un moment de grâce quand j'ai profité de la terrasse avec, comme horizon sublime, le haut du Duomo, du Bargello et du Palazzo Vecchio. Pas un bruit, du silence à peine griffé des cris d'oiseaux, des hirondelles au-dessus de ma tête. Et le son des cloches, un son tellement familier , un souvenir d'enfance. Je suis ressortie pour me balader du côté de l'Arno pour revoir le Ponte Vecchio, aussi célèbre que le Rialto de Venise. Ce pont de pierre, le plus ancien d'Europe, date de 1345. Des inondations ont marqué la ville en mars dernier mais je n'ai vu aucune conséquence de ces crues inhabituelles. J'observais ce grand fleuve si majestueux sur lequel batifolaient quelques barques avec des rameurs. Quand on se retrouve dans un décor mille et mille fois photographié, filmé, louangé, le syndrome de Stendhal (trouble physique et mental devant trop de beauté en même temps) se déclenche devant une telle beauté architecturale harmonieuse et hors du temps contemporain. Plus tard, j'ai traversé la Piazza della Signoria, avec le Palazzo Vecchio, le palais du gouvernement de la ville pendant des siècles. La Loggia des Lanzi abrite une collection de sculptures, des chefs d'oeuvre de la Renaissance dont le Perseo de Cellini. J'aime tout particulièrement la Fontaine de Neptune, oeuvre de Bartolomeo Ammannatin, qui date de 1565. La statue de Neptune en marbre blanc de Carrare ressemble à Cosme Ier de Médicis pour honorer la puissance maritime de Florence. Chevaux marins, saryres, dieux fluviaux forment un ensemble "maniériste" flamboyant. Mes retrouvailles avec la cité des Médicis commençaient bien dès mon arrivée.
vendredi 30 mai 2025
Escapade en Toscane, Fiosole
Après Montepulciano, j'ai dormi dans un hôtel d'agriturismo, Le Vigne, près de Montevarchi. Le domaine produit des vins fins du Chianti et j'ai savouré un bon repas du soir avec quatre plats trop copieux ! Le lendemain matin, j'ai pris la direction de Florence et avant de rendre la voiture de location à l'aéroport, j'ai visité la petite ville de Fiesole, à quelques kilomètres de la cité des Médicis. J'avais la curiosité de découvrir cette petite ville au sommet d'une colline. Dans le guide du Routard, j'ai lu une anecdote concernant Marcel Proust rêvant du printemps qui "couvrait déjà de lys et d'anémones les champs de Fiosole et éblouissait Florence de fonds d'or pareils à ceux de l'Angélico". L'aire archéologique et son musée civique méritent amplement le détour. Les Etrusques ont occupé ce lieu magnifique et les Romains ont fait la conquête de Fiosole car l'air était plus salubre qu'à Florence. Les vestiges témoignent de leur présence et sont restés en très bon état. Le théâtre romain d'un diamètre de 34 mètres pouvait accueillir 3 000 personnes et les gradins du bas sont intacts. J'ai arpenté avec plaisir le théâtre en m'imaginant la foule des spectateurs écoutant avec dévotion les pièces de théâtre de l'époque. Plus loin, des thermes ont été découverts en 1891 dans le fond du site du théâtre et un portique à trois ouvertures a été reconstitué. La piscine rectangulaire à deux vasques de profondeurs différentes se dessine sur le sol. De nombreuses amphores destinées à filtrer l'eau furent découvertes sur ce site. Un troisième bâtiment surgit dans ce décor magique, les fondations d'un temple étrusque date des IVe et IIe siècles av. J.-C., constituant la zone sacrée. J'ai terminé ma visite dans le musée civique intégré dans l'aire archéologique. Ce beau musée présente des collections étrusque et romaine : morceaux de poteries, lampes à huile, monnaies, sarcophages, statuettes votives en bronze, flacons à parfum, vases, objets du quotidien. Visiter un site archéologique aussi vaste et assez bien conservé demeure pour moi une démarche "poétique et philosophique". Souvent, mon imagination me permet de retourner dans le passé profond de ces hommes et de ces femmes, de ressentir la même appartenance à la communauté humaine. Réflexion sur le vertige du temps, méditation sur nos anciens, très anciens ancêtres, ces premiers européens. Je pense à Hannah Arendt et à sa conception de la "continuité du monde". Fiosole, une belle étape dans mon escapade toscane.
jeudi 29 mai 2025
Escapade en Toscane, de Montepulciano à Cortone
J'ai choisi l'étape de Montepulciano pour deux raisons : un modèle idéal d'une petite cité toscane avec son architecture typique et sa vie culturelle avec un musée civique important. En effet, j'ai donc visité le musée-pinacothèque Crociani, installé dans le palais Neri Orselli depuis 1954. Le sous-sol et le rez de chaussée présentent des collections archéologiques étrusques où j'ai retrouvé les urnes funéraires trouvées dans les environs de la cité ainsi que des blasons épigraphiques qui racontent l'histoire de Montepulciano. La pinacothèque sur deux étages montrent des oeuvres des primitifs italiens avec des représentations de la Vierge Marie. J'aime voir dans ces tableaux des anges musiciens, espiègles et joyeux, apportant une notion de joie dans la peinture de la Renaissance. Quelle époque sublime, la Renaissance italienne dans toutes les formes de l'art : peinture, sculpture, littérature. Je ne m'en lasserai jamais. Les historiens évoquent souvent le miracle grec dans l'Antiquité mais je nommerai cette période de la Renaissance comme le miracle italien des XVIe au XVIe siècles. Après Montepulciano, j'ai pris la direction de Cortone, dans la province d'Arezzo, une petite ville de 22 000 habitants. Côté art, de grands peintres sont nés dans cette cité étrusque comme le délicieux Signorelli et le moderne Gino Severini. Parfois, je sélectionne une étape pour un seul tableau que je veux absolument voir et je n'ai pas été déçue quand je me suis retrouvée devant l'extraordinaire "Annonciation" de Fra Angelico. installée dans le musée diocésien. Un tableau unique, lumineux, d'une beauté émouvante. Dans une autre salle, Luca Signorelli, l'enfant du pays, a conquis mon admiration totale surtout pour son oeuvre "Lamentation sur le corps du Christ". Un deuxième musée, plus important, a capté mon intérêt : le MAEC ou le musée dell'Accademia etrusca et della cita di Cortona. La partie archéologique sur les Etrusques réunissait des pièces innombrables exposées dans des vitrines anciennes. Le côté vintage du musée conservant son identité première est une rareté dans le monde muséal. Une pièce étrusque a attiré mon attention : un lustre, un superbe plafonnier en bronze, pièce unique au monde. J'ai aussi contemplé des oeuvres de Signorelli dont "l'adoration des bergers". Le dernier étage était consacré au peintre fururiste Gino Severini, un ami de Picasso et de Braque, très intéressant. Je n'ai pas regretté cette étape malgré quelques escalades pour parvenir au centre historique. La beauté se mérite surtout dans tous ces lieux perchés qui diffusent une magie certaine quand on les découvre de loin ou de près.
lundi 26 mai 2025
Escapade en Toscane, Grosseto et Montepulciano
Traverser la Toscane en voiture permet tout de même de voir défiler de magnifiques paysages. Ces cyprès plantés sur les collines avec des pins maritimes et des enfilades de vignes sur un fond de ciel bleu, perlé de nuages blancs, formaient des tableaux de peinture que l'on trouve dans la Renaissance italienne. Ma mémoire enregistre avec bonheur ces images d'une nature préservée. Je m'arrêtais pour photographier ces panoramas remarquables, protégés miraculeusement d'une ultramodernité agressive et d'une laideur à pleurer comme tous ces espaces commerciaux qui cernent toutes les métropoles. A Grosseto, j'ai visité le centre ancien avec son Duomo incontournable car les églises en Italie ressemblent plus à des musées qu'à des édifices religieux. Quand j'ai préparé mon escapade, un musée de cette ville m'avait intéressée : le Musée archéologique et d'art de la Maremme, consacré largement aux Etrusques. J'ai retrouvé les urnes funéraires provenant de Volterra et de Chiusi et une section était dédiée à Roselle, une cité étrusque proche de la ville. Statuettes votives en bronze, beaux vases grecs, objets familiers du quotidien, bas-reliefs, vaisselle, tous ces vestiges montrent le degré sophistiqué et raffiné de la civilisation étrusque. En sortant du musée, j'ai découvert un nouveau musée, le Musée collection Gianfranci-Luzzeti ouvert en 2019 et le guide du Routard ne l'a pas mentionné. Situé dans l'ancien couvent des Clarisses, la collection présentée provient d'un don d'un antiquaire, Gianfranco Luzzeti. Les peintures datent des périodes Renaissance et Baroque. J'ai eu la surprise de me retrouver devant un Botticelli, "La Madonna et su bambino", d'une beauté à couper le souffle, et surtout un Bellini, ce peintre vénitien que j'aime beaucoup. Apres l'étape à Grosseto, je suis partie à Montepulciano, un petite ville de 15 000 habitants, haut perchée à 600 mètres d'altitude, connue pour son "vino Nobile" (à consommer modérément). Dans un décor Renaissance, j'ai arpenté les rues pentues et étroites dans cet écrin de la Toscane. Entourée de remparts et de fortification, cette cité est l'oeuvre d'Antonio da Sangallo, architecte, au service de Cosme Ier de Médicis. La Piazza Grande est un bijou architectural mais malheureusement, le Duomo était fermé pour travaux. Plus tard, j'ai été reçue par Roberto, un hôte charmant et d'une volubilité toute italienne qui proposait des chambres d'hôte des années 80 ! Peu de touristes dans cette petite ville, un archétype de l'urbanisation médiévale en Italie. Je me sentais au coeur de la Toscane !
jeudi 22 mai 2025
Escapade en Toscane, Populonia et Piombino
Ces deux petites villes, Populonia et Piombino, ne connaissent pas l'affluence touristique. Mais, j'aime bien débusquer dans les guides des lieux épargnés par une foule invasive. Populonia se situe sur un des promontoires du golfe de Baratti et conserve des fortifications du XVe. Seule cité étrusque au bord de la mer, elle était devenue le plus important centre métallurgique d'Etrurie, riche en métaux divers comme le fer, le cuivre, le plomb, l'argent. Il faut imaginer le commerce de ses mines à travers la Méditérranée en particulier avec la Grèce. L'île d'Elbe se profile à l'horizon et le golfe miroitait au soleil. Virgile a cité Populonia en évoquant le recrutement de 600 guerriers par Enée. J'ai donc visité la partie basse du parc archéologique de Populonia, la Nécropole de San Cerbone. Les tombes sont restées enfouies sous plusieurs mètres de scories de fer et ont été découvertes au début du XXe siècle. Ces tombes monumentales à tumulus appartenaient à des familles aristocratiques ou à des princes guerriers. Certaines mesurent plus de vingt mètres de diamètre. Tous les objets trouvés dans ces tombes ont souvent été pillés mais, heureusement, des milliers d'entre eux reposent dans les murs des musées archéologiques, gardiens précieux et inestimables du passé de l'humanité. J'ai remarqué l'une d'entre elles, dit tombe à édicule sous la forme d'un petit temple avec des statues décoratives. D'autres tombes à caisson ou à sarcophage parsèment le terrain. Ces traces matérielles d'une civilisation qui a duré six siècles me paraissent toujours émouvantes. Un petit musée privé de la famille Gasparri surplombe le golfe de Baratti. La collection provient de la nécropole ainsi que des objets trouvés en mer. Les vestiges sont présentés dans des vitrines : poteries, récipients en bronze, céramiques, sarcophages, amphores, etc. Après cette visite instructive et culturelle, j'ai terminé la journée dans un hôtel face à la mer tyrrhénienne où j'apercevais les lignes de l'île d'Elbe, un décor de rêve qui me rappelait la Grèce. Piombino conserve sa vocation industrielle, ce qui n'encourage guère le tourisme. Cette ville moyenne est le principal port d'embarquement pour l'île d'Elbe. Mais, je n'ai pas eu le temps de visiter l'île. J'étais sous le charme de la mer d'un bleu parfait avec des mouettes qui passaient devant mes yeux. Ah, la mer, un espace de tous les temps, inchangée, persévérante, magique et sublime. Comment ne pas admirer ce bleu mouvant, ce bleu profond ? Je pensaits à Rimbaud et à son poème : "Elle est retrouvée. Quoi ? L'Eternité, c'est la mer allée avec le soleil".
mercredi 21 mai 2025
Escapade en Toscane, Volterra
Mon escapade toscane a démarré à Volterra, une petite ville de 10 000 habitants que j'avais déjà visitée il y a quelques années. J'étais heureuse de retrouver cette impression de "magie du lieu". Perchée sur sa colline d'une altitude de 500 mètres, c'est l'une des plus anciennes cités de la grande fédération étrusque jusqu'à l'arrivée de Scipion en 298 av. J.-C. et elle tomba sous la tutelle de Florence vers 1360. Baptisée "la cité du vent", d'un aspect un peu sévère, Visconti a tourné un de ses films, "Sandra" dans ses murs. La piazza dei Priori, l'une des plus belles places médiévales d'Italie, concentre à elle seule, cette beauté architecturale si exceptionnelle en Italie. Comme j'étais à la recherche des Etrusques, j'ai visité le très beau musée Guarnacci, fondé en 1761 (l'un des plus anciens d'Europe) par un abbé qui a fait don à sa ville natale de sa passion archéologique. Un palazzo accueille des objets allant de la période préhistorique à la période étrusque. Les 600 urnes conservées au musée frappent l'imagination des visiteurs car les bas-reliefs étonnent par leurs motifs ornementaux avec des rosaces, des animaux, des personnages mythologiques comme Ulysse, Thésée, les Amazones, etc. Une urne émouvante, présentée dans une salle, représente deux époux agés lors d'un banquet, unis dans la vie comme dans l'au-delà, et révèle la place importante des femmes dans la civilisation étrusque. Un symbole du musée a influencé le sculpteur Giacometti. Il s'agit du bronze votif, baptisé "L'ombra della sera" ou "L'ombre du soir", un jeune homme à la forme allongée ressemblant à une ombre humaine dans "la lumière du coucher du soleil". Ce chef d'oeuvre de la sculpture étrusque date du IIIe siècle av. J.-C. et attire à lui seul les amateurs d'archéologie. J'ai arpenté avec un grand plaisir culturel ce musée très peu fréquenté par les touristes peu nombreux car ils vont tous à Florence, le nombril de la Toscane. Et Volterra mérite vraiment le détour. J'ai terminé ma journée à la pinacothèque, un musée communal, avec de beaux tableaux de peintres toscans dont une Annonciation magnifique de Luca Signorelli que j'ai admirée longuement. J'ai fini ma soirée dans un couvent hôtel, à l'architecture monastique remarquable. J'ai ressenti un sentiment de sérénité dans un lieu si sacré, transformé en hôtel respectueux de son passé, simple et soigné. La première étape de mon escapade m'a plongée dans un passé d'une richesse inouie et ce n'était que le début...
mardi 13 mai 2025
"Discours pour le prix de la paix des libraires et éditeurs allemands", Boualem Sansal
Les éditions Gallimard proposent une collection originale de textes courts, baptisée "Tracts". Dans cette série d'une centaine de titres, la diversité culturelle et le pluralisme politique se mêlent sans polémique stérile. J'ai donc lu le discours de Boualem Sansal lors de la remise pour le Prix de la Paix des libraires et éditeurs allemands en 2011. Des lauréats prestigieux ont obtenu cette récompense comme Jorge Semprun, Salman Rushdie, Claudio Magris, et tant d'autres intellectuels importants. Boualem Sansal déclare : "L'absence de liberté est une douleur qui rend fou à la longue. Elle réduit l'homme à son ombre et ses rêves à ses cauchemars". L''enfermement injuste et arbitraire de l'écrivain franco-algérien résonne tout au long de ce tract qui, une fois acheté, permettra de soutenir la société internationale qui milite pour sa libération. Le contexte politique des années 2010 du "Printemps arabe" pouvait donner un espoir à l'écrivain. Il évoque Assia Djebar, une écrivaine algérienne, académicienne qui a oeuvré pour la liberté des femmes : "Que, sans femmes en pleine possession de leur liberté, il n'y a de monde juste nulle part, il y a un monde malade, ridicule et hargneux". Il rappelle la décennie noire dans son pays dans les années 90 en parlant des "hordes islamistes" voulant imposer une dictature théocratique. Dans ce texte, il rend hommage à son épouse, Nahiza, en s'adressant ainsi : "Merci pour tout, pour ton amour, ton amitié, ta patience et ce courage tranquille dont tu as fait montre toutes ces années". Il évoque sa stupéfaction d'avoir été choisi, lui, un "écrivain modeste, un militant d'occasion, un scribouillard comme on dit de moi à Alger dans les milieux autorisés". En tant qu'algérien, l'écrivain n'a connu que la guerre, des guerres entre Arabes et Berbères, entre les religieux et les laïcs, entre le pouvoir dictarorial et le peuple otage. Pour Boualem Sansal, tout est à reconstruire : "Le plus dur reste à faire, se libérer et se reconstruire dans un état démocratique ouvert, accueillant, qui donne une place à chacun et n'impose rien à personne". Un beau programme utopique que les politiques devraient appliquer dans toutes les pays du monde. Et Boualem Sansal est toujours en prison. Un scandale d'état. Quand va-t-il retrouver la liberté et la paix ? Personne ne le sait sauf ses géoliers institutionnels de l'autre côté de la Méditerranée.
lundi 12 mai 2025
Sur les traces des Etrusques
Bientôt, je vais partir vers un horizon étrusque du côté de la Toscane, de Florence à Volterra, de Piombino à Grosseto, de Montepulciano à Cortone. J'ai découvert cette merveilleuse région italienne dans les années 80 et je conserve précieusement dans ma mémoire les paysages toscans avec ses collines, ponctuées de cyprès, de vignes et d'oliviers sans oublier les villages perchés. La terre toscane, une terre de rêve humaniste, se caractérise par une nature exceptionnellement belle et aussi par une culture patrimoniale d'une richesse inouie. J'ai relu tous mes guides traditionnels, du Routard au guide Hachette, sans oublier la consultation des sites spécialisés sur le net. Comme j'aime l'Antiquité et l'archéologie, je vais retrouver avec un grand bonheur la civilisation étrusque, ces "Italiens" des origines, en visitant les musées archéologiques et des sites antiques comme Populonia, Vetulonia, Roselle, Fiesole. J'ai repris mes livres d'histoire sur ce peuple mystérieux qui me fascine. L'ouvrage érudit, "La vie quotidienne des Etrusques" de Jacques Heurgon, publié en 1989 chez Hachette, révèle un peuple, "propagateurs fervents des modes grecques" et "éducateurs de Rome". J'aime savoir comment ils vivaient, du matin au soir, leurs rites funéraires, leurs croyances, leur ordre social. Cet ouvrage, une mine essentielle d'informations pour comprendre la civilisation étrusque. J'ai aussi lu un essai de H. D. Lawrence, "Promenades étrusques", publié en 1932. Cet écrivain anglais, connu pour son roman culte, "L'amant de Lady Chatterley", part en 1927 sur les terres étrusques pour visiter les sites les plus importants : Cerveteri, Volterra, Tarquinia, la côte de la Maremme. Lawrence développe dans ce texte une vision vitaliste, hédoniste, lumineuse de ce peuple premier avec leurs danses, leur musique, le culte des morts, le sens de la fête dans les banquets. Les tombes de Tarquinia que j'avais visitées montraient à travers leurs fresques des scènes festives et libertines. Je ne rentrerai pas dans les querelles entre historiens mais, j'avoue que l'ouvrage de Lawrence m'a fait bien sourire car à son époque, il fallait qu'il aille chercher des paysans du coin pour visiter les tombes qui avaient été pillées mais, heureusement, il restait les peintures sur les murs. L'écrivain a voulu donner une vision paradisiaque de ce monde de marchands et de navigateurs dont la langue est restée longtemps obscure. Je vais donc retourner sur ce terroir béni des dieux. Un voyage de trois mille ans, des Etrusques aux Romains, en passant par la Renaissance et l'Italie contemporaine. Ah, l'Italie, mon pays adoptif car si je devais quitter la France, je vivrais en Italie !
vendredi 9 mai 2025
"Arctique solaire", Sophie Van Der Linden
J'ai découvert le roman de Sophie Van Der Linden, "Arctique solaire" sur les conseils de Régine qui l'a présenté dans l'Atelier Littérature d'avril. L'autrice, lors d'une visite au Musée d'art moderne à Paris, a observé une toile de l'artiste suédoise Anna Boberg (1864-1935), un paysage peint aux îles Lofoten. De cette vision initiatique, ce roman biographique est né. L'aventure esthétique d'Anna Boberg a commencé en 1901 quand elle débarque seule dans ces confins glacés. Le récit prend la forme d'une longue lettre adressée à son mari où elle exprime toute sa sensibilité de peintre : elle veut "peindre du blanc qui ne soit pas l'absence, peindre une lumière qui ne soit pas matière". Son mari, un architecte célèbre, la soutient dans sa recherche picturale et lui construit une cabane qui lui sert d'atelier. L'artiste aimait tout particulièrement les îles Lofoten, un archipel de la mer de Norvège, un lieu privilégié pour observer les aurores boréales. Ses séjours se déroulaient dans des conditions rudes et hostiles, un "enfer givré". Elle doute d'elle, de son talent, mais elle affronte sa solitude créatrice pour l'amour de l'art. Les critiques ne reconnaissent pas tout à fait son talent alors qu'elle se sent plus audacieuse que ses collègues, Carl Larsson et Bruno Liljefors. Dans sa vie professionnelle, Anna Boberg aménageait des intérieurs comme décoratrice. Elle menait une vie mondaine en fréquentant la famille royale suédoise et a même rencontré Sarah Bernhardt. Autodidacte, l'artiste peintre choisit des paysages comme son modèle, Claude Monet. Elle veut capter les couleurs du fjord, les "vibrantes oscillations chromatiques", en traquant les aurores boréales, fugitives et imprévisibles. Ce roman biographique ressemble à un essai impressionniste sur les couleurs de la vie, de la nature. Des questions surgissent au fil du texte : comment un tableau peut jaillir dans les mains d'un artiste ? Pour quel motif ? Comment traduire la beauté d'un paysage sur une toile ? Ce roman biographique subtil et délicat apporte quelques réponses. Sophie Van Der Linden a suscité notre curiosité pour une femme peintre inconnue, Anna Boberg et pour des îles lointaines. l'archipel des Lofoten !
jeudi 8 mai 2025
"L'Ignorance", Milan Kundera, 2
Milan Kundera dévoile dans tous ses romans "l'irréductible mystère du déroulement de chaque existence et le poids déterminant des choix d'un instant sur l'ensemble d'une vie". En somme, il alerte sur le fait que les actes parfois insignifiants ont des conséquences lourdes. L'intitulé du roman, "L'ignorance" désigne le déni, la "cécité" qui empèche les hommes et les femmes de "maîtriser" vraiment leur destin. Ce comportement pourrait aussi dépendre tout simplement du hasard. D'autant plus que les personnages synthétisent cet aspect dans leurs vies. Leur passé leur appartient à peine, tellement la mémoire leur joue des tours. Quand Irena rencontre ses anciennes amies restées au pays, elle est amèrement déçue par cette rencontre : "C'était une conversation bizarre. Moi, j'avais oublié qui elles avaient été ; et elles ne s'intéressaient pas à ce que je suis devenue". Les émigrés se transforment en "fantômes" évanescents pour ceux et celles qui n'ont pas vécu l'exil. Les deux protagonistes, Josef et Irena, vont se rencontrer et s'aimer mais ils ne peuvent envisager une vie commune. Josef, le veuf inconsolé, veut retrouver son pays adoptif, le Danemark, car les yeux de sa femme se sont posés sur les paysages danois et il préfère rester fidèle à sa compagne. Irena a refait sa vie avec Gustaf, un entrepreneur suédois, qu'elle ne veut pas quitter. Une des scènes les plus marquantes du roman se passe entre Josef et sa belle-soeur : "Confusèment, il essaya d'expliquer mais les mots avaient du mal à sortir de sa bouche parce que le sourire figé de sa belle-soeur, braqué sur lui, exprimait un immuable désaccord avec tout ce qu'il disait. Il comprit qu'il n'y pouvait rien, que c'était comme une loi : ceux à qui leur vie se révèle naufrage partent à la chasse aux coupables. La complainte des retours d'exil". Milan Kundera parle de déracinement et de l'impossibilité du retour. Tout a changé vingt ans plus tard : les visages, les sentiments, les idées. Nostalgie du passé, nostagie du temps qui passe. Les émigrés pensaient qu'ils seraient accueillis comme des héros, mais, personne ne les comprend et considère l'exil comme une trahison impardonnable. L'ironie mélancolique et pessimiste de Milan Kundera se traduit dans cette citation : "Les gens ne s'intéressent pas les uns aux autres et c'est normal". L'écrivain évoque aussi la ville magique, Prague, en proie au tourisme débridé, au point d'utiliser Kafka comme une icône footbalistique comme Madona, le brésilien. Il renouvelle sa critique d'une musique d'ambiance partout et dans tous les lieux, enveloppante et assommante. Ce roman nostalgique et désabusé est, pour moi, l'un de ses meilleurs, écrit en français comme un acte d'amour pour son pays d'accueil, la France.
mercredi 7 mai 2025
"L'Ignorance", Milan Kundera,1
J'ai choisi le thème de la nostalgie pour l'Atelier Littérature de mai. Quand j'ai établi ma liste, j'ai pensé tout de suite au roman de Milan Kundera, "L'Ignorance", publié en 2005. Je l'ai donc relu pour cette occasion et, évidemment, j'ai apprécié cette troisième lecture avec un intérêt renouvelé. Ce récit avec 53 chapitres très courts aborde l'épineuse question de l'exil des émigrés dans leur pays d'origine. Milan Kundera parle de son propre destin car il a fui le communisme de la Tchécoslovaquie en 1975 pour s'installer en France avec sa femme, Vera. Peut-on retourner dans son pays après des années d'absence ? Milan Kundera répond avec une certaine mélancolie qu'il est impossible de retourner dans son pays natal. N'est pas Ulysse qui veut. Deux personnages se partagent leur "spleen" du retour : Josef et Irena. Leurs rôles respectifs incarnent une facette de la nostalgie. Josef cultive un certain oubli dans sa mémoire sélective. Vivant au Danemark, il vient de perdre sa femme adorée. Il retourne à Prague pour retrouver son unique frère. Dans l'avion, il rencontre Irena qu'il a oubliée alors qu'ils avaient eu une relation amoureuse. Quand elle le croise dans l'avion qui les ramène à Prague, il feint de la reconnaître alors qu'elle se souvient très bien de lui. Ils ne partagent pas les mêmes souvenirs, "c'est là que le malentendu commence". Un effet de l'ignorance. Quand il est invité chez son frère, il ne pense qu'à un tableau qu'il voudrait récupérer. Son frère et sa belle-soeur ne comprennent plus cet étranger familier. Un gouffre les sépare et Josef abandonne toute idée de réconciliation avec sa seule famille. Milan Kundera pulvérise la notion de famille, un nid de rancoeurs et d'incompréhension. Encore un effet de l'ignorance dans les relations humaines. Irena vit la même expérience avec des amies d'enfance. Elle les rejoint dans un bar pour fêter le retour de leur amie passée à l'Ouest. Irena apporte une bouteille de Bourgogne pour marquer "son appartenance à la France" mais ses amies boudent le vin et préfèrent la bière. En fait, la jeune femme ressent bien le rejet et ses amies au fond n'ont pas pardonné sa 'trahison", son départ, son exil. Encore un effet de l'ignorance. Le génie kundérien (j'ose cette expression) consiste à utiliser la fiction pour illustrer sa pensée philosophique. Son talent s'épanouit en prolongeant les faits fictionnels en développements parfois historiques, parfois philosophiques. Une dynamique qui donne toute sa saveur particulière au texte. (La suite, demain)
mardi 6 mai 2025
"Désormais, notre exil", Colm Toibin
En 2024, j'ai découvert un écrivain irlandais, Colm Toibin. Ses romans distillent un charme certain, surtout "Brooklyn" et "Long Island". Nora, son héroïne principale, traverse l'océan pour vivre en Amérique, loin de sa famille. Elle reviendra en Irlande vingt ans plus tard pour retrouver ses racines. J'ai surtout remarqué le talent romanesque de cet écrivain quand il se met dans la tête d'un grand écrivain. Il a composé deux romans biographiques passionnants consacrés à Thomas Mann, "Le Magicien" et à Henry James, "Le Maître". Poursuivant ma découverte de cet auteur, j'ai fini de lire "Désormais, notre exil", son premier roman, publié en 1996. En 1950, Katherine Proctor, quitte son pays, l'Irlande, en abandonnant son mari et son fils. Elle s'installe à Barcelone et erre dans cette ville étrange et magnifique. Dans le célèbre Barrio Gotico, elle rencontre Miguel, un peintre catalan et Michael, irlandais comme elle. Une nouvelle vie commence pour elle quand elle tombe amoureuse de Miguel, mais cet homme est hanté par son passé de combattant républicain lors de la guerre civile contre les franquistes. Le couple s'installe dans un village de montagne dans les Pyrénées catalanes pour fuir Barcelone. Katerine a décidé de peindre elle aussi des paysages et s'adonne à cette activité avec passion. Elle réalise son rêve d'artiste peintre car les femmes, même dans les années 50, étaient rares dans le milieu de l'art. Elle partage avec Michael les tourments de la guerre civile en Irlande et leur complicité amicale rend Miguel jaloux. Loin de l'Irlande, la jeune femme va-t-elle retrouver la paix ? Sa vie rustique et simple ne peut pas durer d'autant plus que son compagnon sombre dans une dépression permanente malgré la naissance de leur bébé. Quelques années plus tard, devenue veuve, Katherine retournera dans son pays et retrouvera son fils adulte pour renouer avec un passé opaque et douloureux. Ce premier roman détient déjà les qualités du romancier, tout en douceur et délicatesse. Dans un article du Monde des Livres, Colm Toibin déclare : "Ce qui me fascine, c'est l'idée du point de vue. Explorer en profondeur ce qu'un individu voit, entend, sent, enregistre, remarque. Je veux que mon lecteur s'immerge dans une conscience fictionnelle unique". Evidemment, j'ai préféré ses romans plus récents mais, j'ai lu avec plaisir les aventures de Katherine à la recherche d'une sérénité introuvable dans un Barcelone des années 50, une ville qui a malheureusement disparu sous les couches d'un tourisme de masse. Finesse psychologique, grâce de l'écriture, chocs de l'Histoire, destins individuels, tous ces éléments se retrouvent dans toutes ses ouvrages depuis trente ans.
lundi 5 mai 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 2
Odile a présenté son grand coup de coeur : "La chorale des Maîtres Bouchers" de Louise Erdrich, publié en 2005 chez Albin Michel. En 1918, Fidelis Waldvogel, un jeune soldat allemand, part en Amérique pour tenter sa chance. Il a hérité d'une valise de couteaux de boucherie. Il s'installe dans le Dakota où sa femme et son fils le rejoignent. Il travaille beaucoup et le soir, il chante dans un choeur d'hommes, "la chorale des maîtres bouchers". Les Waldvogel rencontrent un couple lui aussi émigré. Des années 20 aux années 50, l'écrivaine raconte le rêve américain de ces émigrés européens à la frontière du réalisme et de la magie. Louise Erdrich, une grande dame des lettres américaines. Véronique a beaucoup aimé "Badjens" de Delphine Minoui, publié au Seuil. En 2022, Chiraz, une iranienne de 16 ans, escalade une benne à ordures pour brûler son foulard. L'adolescente raconte aussi sa naissance indésirée, son père autoritaire, ses copines, ses premières amours. Sa révolte légitime et héroïque pour vivre libre a inspiré la journaliste, Delphine Minoui d'origine iranienne, spécialiste du Proche et du Moyen Orient. Un roman coup de poing et un éloge de la liberté. Régine a présenté un roman de Sandrine Collette, "Ces orages-là", publié en 2021. Clémence, jeune femme trentenaire, parvient à s'échapper d'une relation toxique après trois ans où elle a cru à l'amour. Après cette rupture, elle vit recluse, solitaire dans une petite maison, Comment résister à la tentation de faire marche arrière ? Régine a beaucoup aimé ce roman d'une intensité particulière. Elle a cité un deuxième coup de coeur, une biographie romancée, "Femme debout" de Catherine Bardon, publiée en janvier dernier. Cet ouvrage raconte le destin hors du commun de Sonia Pierre, fille de coupeurs de canne dans la République dominicaine. Elle deviendra avocate pour combattre l'injustice et consacrera sa vie pour les droits humains. Féministe, distinguée par de nombreuses récompenses, elle demeure auprès des siens parfois au péril de sa santé et de sa sécurité. Nous avons reçu la visite de Dany, une "ancienne" de l'Atelier. Elle a aussi proposé un coup de coeur, "Madame Hayat" de Ahmet Altan. Fazil, étudiant boursier, gagne sa vie en tant que figurant à la télévision. Il tombe amoureux de cette Madame Hayat, une femme plus âgée que lui. Il aime aussi la jeune Sila. Situation complexe et romanesque. Un écrivain turc à découvrir. La séquence "coups de coeur" a le mérite de donner envie de découvrir des écrivains et des livres que les lectrices ont aimés. Des lectures pour cet été.
samedi 3 mai 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 1
Mylène a présenté deux coups de coeur : un essai et un roman. Elle nous a recommandé un roman de Dorothy West, "Le mariage", publié en 1995 et disponible en poche. En 1953, Shelby Coles, issue de la bourgeoisie noire de Boston, va épouser Meade, un musicien de jazz, blanc. Autour de ce mariage mixte, des rancoeurs et des désirs se cristallisent et font remonter des souvenirs de la difficile intégration des noirs américains dans la société américaine. Dorothy West, (1907-1998), est une figure mythique de la culture américaine avec ses compagnons de lutte antiraciste, James Baldwin et de Richard Wright. Un roman à découvrir. L'essai concerne le philosophe Harmut Rosa, "Remèdes à l'accélaration", publié en 2021. Le philosophe analyse le système de la performance, de l'accélaration de nos sociétés dans sa frénésie consumériste. Il relate son voyage en Chine, un pays qui est passé de la féodalité au capitalisme le plus débridé. Une solution existe pour le philosophe : entrer en résonance avec le monde, "nouer un autre rapport au monde, se reconnecter à autrui". Harmut Rosa résume sa pensée ainsi "Nous sommes non aliénés là où et lorsque nous entrons en résonance avec le monde. Là où les choses, les lieux, les gens que nous rencontrons nous touchent, nous saisissent ou nous émeuvent, là où nous avons la capacité de leur répondre avec toute notre existence". Danièle a découvert avec un certain émerveillement l'immense "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, publié en 1951. Elle a même prononcé le terme, "lecture extatique". J'en suis ravie car cette biographie romancée est un chef d'oeuvre absolu. L'Empereur Hadrien, Publius Aelius Hadrianus, né en l'an 76 et mort en 138, succède à Trajan en 117. L'écrivaine raconte avec son style somptueux la vie de cet homme, amoureux de la Grèce, penseur et humaniste. Sa vie amoureuse avec le jeune Antinoüs est devenue une légende car son jeune amant s'est noyé à l'âge de vingt ans. Marguerite Yourcenar admire cet homme si extraordinaire et lui prête cette phrase : "Je me sentais responsable de la beauté du monde". Avant d'entreprendre la lecture de ce roman culte, il vaut mieux se renseigner sur le règne de cet Empereur. Un roman poétique, philosophique, historique, un roman inoubliable et inépuisable...
vendredi 2 mai 2025
Atelier Littérature, les romans dystopiques, 2
Régine et Véronique ont choisi le roman de Sophie Divry, "Trois fois la fin du monde", publié en 2018. Ce livre n'appartient pas à la catégorie des dystopies mais plutôt au genre romanesque post-apocalyptique. Le narrateur, Joseph Kamal, est condamné pour sa complicité dans un braquage au cours duquel son frère a trouvé la mort. Il raconte l'enfer de la prison avec ses humiliations, la violence, la saleté. Puis, intervient un événement impensable : une catastrophe nucléaire détruit la moitié de la France. La prison est évacuée et Joseph en profite pour s'évader. Le roman bascule alors sur la renaissance du narrateur au milieu de la nature dont il a été privé. Il reconstruit sa vie avec un mouton et un chat. Pour ce nouveau Robinson, la vie n'est pas toujours facile pour se nourrir et pour affronter les orages. La première fin du monde se matérialise dans la prison, la seconde dans l'explosion nucléaire et la troisième dans la solitude extrême du narrateur. "Trois fois la fin du monde" raconte une histoire de rédemption à la Giono. Régine et Véronique ont beaucoup apprécié ce roman original. Dans ma liste sur les romans dystopiques, seuls trois romans sur huit ont été lus. Je m'interroge sur mon choix peut-être trop ambitieux sur ces titres délaissés : "2084" de Boualem Sansal, "Le Meilleur des mondes" d'Aldous Huxley, "Le mur invisible" de Marlen Haushofer, "Ravage" de René Barjavel et "Le dernier homme" de Margaret Atwood. Ces romans d'anticipation et de science-fiction explorent les angoisses des humains devant les transformations technologiques et les changements sociétaux. En voulant découvrir ce genre littéraire, je ne pensais pas qu'il était aussi éminement politique. Mais j'ai compris que ces ouvrages évoquant des "catastrophes" pouvaient décourager les lectrices. Je retiens tout de même l'intéret qu'ont soulevé George Orwell et Philip Roth sans oublier le roman de Sophie Divry. Mon dernier atelier de la saison se tiendra le lundi 26 mai à la Base avec un sujet plus intime et plus serein, la nostalgie...
jeudi 1 mai 2025
Atelier Littérature, les romans dystopiques, 1
Le jeudi 24 avril, j'ai retrouvé avec plaisir les amies lectrices à la Base pour commenter les romans dystopiques dans la première heure et les coups de coeur dans la deuxième heure. J'avoue que j'ai choisi un thème assez sombre en ce mois d'avril car le thème des dystopies comporte une vision pessimiste de la condition humaine. Je remercie d'emblée mes amies lectrices pour avoir accepté de lire ces romans "difficiles". Danièle a donc démarré la séance avec le terrible "1984" de George Orwell, publié en 1948. Je ne résumerai pas l'univers orwellien car j'ai consacré deux billets dans ce blog sur cette dystopie effroyable. Même sans avoir lu ce livre, le terme orwellien concerne le totalitarisme politique où le pouvoir écrase la moindre parcelle de liberté : une langue unique abrégée, un contrôle sans fin des individus par des écrans omniprésents, absence de sentiments, robotisation des humains. Un enfer sur terre, une déshumanisation complète et irréversible. Danièle a trouvé ce roman éprouvant, glaçant mais, elle n'a pas regretté cette lecture, considérant "1984" comme un chef d'oeuvre incontournable, un classique contemporain. Ce livre-alerte tient lieu de bible à tous ceux qui aiment la liberté, l'individu, la culture, la beauté, l'amour et tous les sentiments qui nous rendent humains. Un grand livre de réflexion philosophique sur le cancer du totalitarisme, de l'intolérance, du fanatisme. Trois lectrices, les deux Odile et Geneviève, ont choisi "Le complot contre l'Amérique" de Philip Roth. Ce grand roman de l'écrivain américain a conquis les trois lectrices même si les pages finales sont plus difficiles à lire. Odile a résumé l'ouvrage avec une grande précision en insistant sur les actes antisémites que subissent les juifs américains quand le nouveau président, l'aviateur Lindbergh, ami d'Hitler, est élu "démocratiquement". Philip Roth, avec son imagination flamboyante, propose une Amérique en proie à un antisémitisme d'état pour éliminer l'identité juive comme dans l'Allemange nazie. Les trois amies lectrices ont beaucoup apprécié ce roman très singulier dans les oeuvres de Philip Roth. (La suite, demain)
lundi 28 avril 2025
"Complot contre l'Amérique", Philip Roth
Philip Roth a écrit en 2004 une uchronie (récit d'événements fictifs à partir d'un point de départ historique), "Complot contre l'Amérique", se déroulant dans les années 40 aux Etats-Unis. Le narrateur, qui porte le nom de Philip Roth, raconte ses souvenirs d'enfance au sein d'une famille juive dans le New Jersey. En 1940, le président Roosevelt n'est pas réélu et c'est l'aviateur Charles Lindbergh, sympathisant du régime hitlérien, isolationniste et antisémite, qui devient président après une campagne imprégnée d'un pacifisme défaitiste et d'un antisémitisme rampant. A partir de ce changement historique imaginaire, l'écrivain américain brode avec son génie habituel une histoire passionnante. La montée de l'antisémitisme est décrite d'une façon subtile et la famille du narrateur subit des actes insupportables comme leur rejet d'un hôtel parce que juifs. Des personnages contrastés traversent cette uchronie. Il met en scène sa propre famille : Herman, son père lucide et courageux, Bess, sa mère généreuse, Sandy, son frère aîné naif et passionné de dessin. Pour compléter le tableau, il faut ajouter un neveu délinquant, une tante et son rabbin collaborateurs, des voisins, un journaliste troublion. L'écrivain imagine l'esprit de résistance de ses parents qui, depuis le début, ont compris le danger mortel de Lindbergh alors qu'il dénonce la lâcheté d'une partie de sa famille. Dans un article du Monde des Livres, Josyane Savigneau, amie de l'écrivain, dévoile la matrice du roman : "Pourquoi et comment, avons-nous échappé au sort des Juifs d'Europe ?". Malgré la présence de l'antisémitisme en Amérique, Philip Roth rend hommage à la démocratie qui a empêché l'effroyable Holocauste sur le continent américain. Ma deuxième lecture du roman, quinze après, m'a semblé plus percutante, plus sensible que dans le passé. Je pensais que l'antisémitisme était moins prégnant dans notre société mais, l'actualité depuis le 7 octobre montre le contraire. Ce livre salutaire et décapant conserve toute sa force de conviction sur les faiblesses de la démocratie et sur l'avénement du totalitarisme. Ce vingt-sixième roman de Philip Roth mêle la petite histoire familiale à la grande et comment les individus réagissent face au chaos. Un grand roman à découvrir.
vendredi 25 avril 2025
"2084 : la fin du monde", Boualem Sansal
Toujours dans le cadre de l'Atelier, j'ai lu la dystopie de Boualem Sansal, "2084 : la fin du monde", publié chez Gallimard en 2015. Ce roman a reçu le Grand prix du roman de l'Académie française et le magazine Lire l'avait choisi comme le meilleur livre de l'année. Boualem Sansal situe son roman en Abistan, un royaume immense du prophète Abi, le représentant de Yölah sur terre. Le peuple est devenu amnésique et soumis à ce dieu unique. Comme dans le livre de George Orwel, "1984", le système surveille et contrôle tous les habitants qui parlent une langue unique, l'abiland dont le vocabulaire a été fortement allégé. Le personnage principal, Ati, sent l'appel de la liberté, se met à douter et cherche à comprendre son pays en proie au totalitarisme religieux qui ressemble évidemment à l'islamisme intégriste actuel. Il découvre l'existence d'un peuple de renégats, vivant dans des ghettos sans références religieuses. L'intrigue se concentre sur la découverte d'un village ancien par un archéologue, Nas. Cette découverte mettrait en question l'existence d'Abistan. Mais, la dictature religieuse veut s'approprier le village pour en faire un lieu de pélerinage. Ati, accompagné de son ami Koa, va entreprendre un voyage dans le pays en quête de la vérité historique. Je ne dévoilerai pas la fin de cette dystopie religieuse pour conserver son intérêt. Fable, parabole, ce texte dénonce le cauchemar totalitataire islamiste et il a fallu un courage incroyable à Boualem Sansal pour écrire ce pamphlet glaçant qui met en garde toutes les démocraties du danger d'un totalitarisme politico-religieux. En exergue, il faut retenir cette réflexion : "La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité". L'obscurantisme règne dans ce pays conquis par les "croyants", des croyants aveugles. Ati soupçonne qu'il existe un autre monde : "Il vivait dans un monde mort, et c'était au coeur du drame, au fond de la solitude, qu'il avait eu la vision bouleversante d'un autre monde, définitivement inaccessible". Ce roman dystopique puissant, d'une actualité brûlante, n'est pas dépourvu d'humour et d'ironie malgré la noirceur abyssale de ce pays effrayant. Servi par un style somptueux, "2084" est un classique contemporain, un des plus grands romans du XXIe siècle à découvrir de toute urgence. Et Boualem Sansal est toujours en prison à l'heure où j'écris ce billet...
mercredi 23 avril 2025
"Le Meilleur des Mondes", 2, Aldous Huxley
John, le Sauvage, vit un choc culturel dans ce "meilleur des mondes". Le Directeur du Centre d'Incubation tente de confondre Bernard devant tous les travailleurs du Centre. Mais, il contre-attaque en présentant John comme le fils du directeur qu'il a eu avec Linda de manière "vivipare". Le Directeur finit par démissionner et Bernard triomphe en utilisant John dans ses soirées comme un animal de foire. Linda, l'amante de Bernard, tombe amoureuse du jeune homme mais leurs différences de comportement aboutissent à une mésentente inévitable. Beaucoup d'incidents surgissent dans le parcours de ce personnage, le seul humain émotif du roman : la mort de sa mère, sa lutte contre la drogue, le soma, son exil dans une île. Comment Aldous Huxley le définit dans son humanité ? Il lui donne "une forte conscience du tragique de la vie", des épreuves à surmonter. Il ressent l'amour comme la tristesse, et contrairement aux "fordistes" figés dans leur drogue, le soma, sa capacité émotive lui sert de guide. Cet homme de l'ancien temps contrôle sa violence, ce qui le différencie de la barbarie et son surnom de Sauvage montre l'ironie de l'écrivain comme le titre du livre, le Pire des Mondes. Ce roman de science-fiction propose une "contre-utopie" où le progrès scientifique détruit moralement l'humanité. L'horreur de l'eugénisme se manifeste dans la classification des membres de la société en castes supérieures et inférieures. La nouvelle humanité s'est affranchie des liens fraternels et familiaux, et le bonheur artificiel circule dans les veines des individus par un psychotrope. Cette société totalitaire et inhumaine nie l'individualisme et la liberté. Aldous Huxley dénonce davantage la prise de pouvoir des machines et de la technologie sur les esprits alors qu'Orwell appuyait son texte sur le totalitarisme politique. Pour ma part, j'ai préféré "1984" au "Meilleur des Mondes". J'ai trouvé le premier plus lisible, plus fort, plus émouvant. J'avoue que je me suis perdue dans le texte touffu, dense, complexe d'Aldous Huxley même si j'ai trouvé des résonances avec notre monde contemporain comme l'emprise d'Internet et des réseaux sur les citoyens, de la consommation des drogues, du communautarisme. Aldous Huxley a publié en 1948, "Temps futurs", encore plus apocalyptique que le "Meilleur des Mondes"... Je crois que je vais m'abstenir de le lire !
lundi 21 avril 2025
"Le Meilleur des Mondes", 1, Aldous Huxley
Je poursuis ma lecture des romans dystopiques avec le "Meilleur des Mondes" d'Aldous Huxley, écrit en 1932. Je n'avais jamais ouvert ce livre mais j'avais l'impression de l'avoir lu tellement je connaissais la portée symbolique de ce chef d'oeuvre de la littérature d'anticipation. J'ai découvert avec une certain "effroi" ce texte unique dans le genre prémonitoire. Il figure à la cinquième place des 100 meilleurs romans de langue anglaise au XXe siècle. L'histoire se déroule en "l'an 632 de notre Ford". Les premières images défilent : des couveuses du Centre d'Incubation et de Conditionnement donnent naissance à des nouveaux spécimens humains. Chaque enfant reçoit des stimuli pour vivre heureux. Plus de père, plus de mère, plus de famille et l'individualisme a disparu. La société est divisée en castes : les Alpha ou l'élite dirigeante, les Bêta ou les travailleurs intelligents, les Gamma, la classe populaire et les Delta et Epsilon, les manuels. Il ne faut pas oublier les Sauvages qui vivent dans les réserves. Une Guerre de Neuf Ans a détruit les sociétés anciennes. La religion a muté et des T majuscules concernent l'Etre suprême, Henry Ford. Une drogue, baptisée "soma", règle tous les problèmes existentiels car cette mixture provoque le bonheur immédiat. Humains de laboratoire, hiérarchie sociale, totalitarisme religieux, les enfants subissent un traitement "hypnopédique" qui les conditionne dans leur sommeil. Les allusions à la maternité et à l'amour sont interdites et la sexualité n'est qu'un loisir simplifié car chaque individu peut avoir plusieurs partenaires à la fois dans un temps limité. Deux personnages, Bernard Marx et Lenina Crowne, vont surgir pour "humaniser" ce texte hautement technologique et scientifique. Bernard est une sorte de marginal subversif qui déteste le "soma", et surtout préfère la tristesse au bonheur artificiel, la randonnée, les étoiles et la nature. Le couple obtient un permis de séjour dans une réserve du Nouveau-Mexique. Ils découvrent cette société primitive où ils se reproduisent naturellement, forment des couples à vie. Surgit alors un personnage singulier, John, le Sauvage, éduqué par sa mère. Il a appris à lire dans Shakespeare. Le couple lui propose de venir avec eux pour découvrir "le Meilleur des mondes"... (La suite, demain)
mercredi 16 avril 2025
"Ravage" de René Barjavel
J'ai choisi pour l'Atelier Littérature du jeudi 24 avril quelques romans dystopiques et post-apocalyptiques qui ont marqué la littérature. "Ravage" de René Barjavel appartient à cette catégorie. Ecrit en 1943, l'auteur dénonce les dégâts du progrès scientifique et technique. Cet ouvrage a connu un succès considérable depuis sa sortie (plus d'un million d'exemplaires écoulés) et il est toujours étudié au collège. Le roman démarre par une panne d'électricité en France en 2052. Le personnage principal, François Deschamps, un jeune homme de 22 ans, monte à Paris pour les résultats d'un concours d'entrée dans une école de chimie agricole. Il veut revoir son amie d'enfance, Blanche Rouget, danseuse et comédienne. Celle-ci a rencontré un homme riche, Jérôme Seita, patron d'une radio à succès. Quand il apprend que François est un ami de la jeune fille, il s'arrange pour le disqualifier à son concours. Et Blanche accepter de se marier avec cet homme puissant. Les événements extérieurs se bousculent dans le roman : la guerre entre deux continents sud-américains et surtout une panne d'électricité géante en France. La totalité de la vie sociale et économique ne fonctionne plus. Des matériaux comme le fer "s'amollissent", ce qui entraîne l'arrêt des flux de circulation comme le métro, les automobiles, les ascenseurs, etc. Des troubles ont lieu face à un gouvernement impuissant. La population ne peut plus se nourrir et le chaos s'installe. François récupère Blanche, atteinte d'un mal inconnu, et coordonne un petit groupe pour quitter Paris et fuir en province. Un incendie brûle la capitale en tuant des milliers de victimes. Plus d'eau courante, plus de lumière, de transports. Le choléra s'est déclaré, le pays est dévasté. La petite troupe de survivants traverse le pays dans une insécurité totale. Ils parviennent en Provence dans leur village natal où de très nombreux habitants ont péri. François en chef de clan charismatique établit une vie communautaire avec des règles strictes. Une nouvelle vie à la campagne sobre et "écologique" avant la lettre. Je ne relate pas la fin du roman pour susciter l'intérêt de le lire. Cette dystopie se lit avec un certain amusement sur les prédictions de René Barjavel : vêtements moulants, agriculture intensive, aliments synthétiques, avions à décollage vertical, objets en plastique, etc. Il dénonce évidemment les outrances et les dégâts d'une modernité technologique aberrante. La vision pessimiste et écologiste d'une société technologique trop artificielle dès 1943 rejoint les mondes cauchemardesques de Wells et d'Aldous Huxley. Un roman prémonitoire à redécouvrir.
lundi 14 avril 2025
La lecture en perte de vitesse, une enquête inquiétante
Une étude du Centre national du Livre (CNL) publiée récemment, a suscité mon inquiétude : "Les Français lisent de moins en moins". Seuls, 45 % de Français déclarent lire tous les jours, sur format papier ou numérique. Je me demande toujours quels sont nos concitoyens qui ne lisent jamais ! Un mystère intégral pour moi. Les 50-64 ans battent des records d'infidélité à nos chers bouquins ou autres supports comme des journaux, des revues, des sites internet, etc. Les lecteurs et lectrices toujours actifs lisent en moyenne 18 livres par an, un chiffre en baisse de quatre points depuis deux ans. Le CNL tente des explications sur ce décrochage et l'ennemi principal de la lecture se nomme sans surprise l'écran ! Plus de trois heures d'écran par jour et seulement trois heures de lecture par semaine... Chez les moins de 25 ans, le déséquilibre s'accentue. La directrice du CNL, Régine Hatchondo, a déclaré : "Il y a eu une utopie Internet, on s'est laissé éblouir". Elle ajoute : "Il y a désormais un enfermement addictif avec le numérique. On peut parler de drogue, et en cela, de nouvelle guerre de l'opium". Des paroles fortes que l'on entend rarement dans les médias. Le smartphone, ce nouveau doudou universel, accompagne désormais notre quotidien : envoi de messages, visionnage de vidéos, réseaux sociaux, appels téléphoniques, etc. Le multitâche devient la norme de conduite surtout chez les jeunes adultes. Une seule bonne nouvelle, la lecture numérique et les livres audio ont du succès chez les 15-34 ans. Regarder des films et des séries mobilise aussi toutes les générations. Parfois, un film populaire incite la lecture comme le phénomènal "Comte de Monte-Cristo". Nous sommes tous submergés par les images et l'écran, à portée de main, ne demande aucun effort intellectuel. La lecture, par contre, exige une concentration certaine, un environnement silencieux, une attention constante pour comprendre les mots et le message du texte. Comment donner envie de lire ? Par l'exemple. Des parents lecteurs, en général, transmettent l'amour des livres mais, ce n'est pas toujours une garantie totale. Des parents qui lisent des livres à leurs enfants sont des "hussards de la république", comme l'écrivait Charles Péguy en parlant des instituteurs de l'ancien temps. La lecture reprendra un jour des couleurs quand nous serons vraiment tous saturés d'images et d'internet. La communauté des lecteurs et des lectrices perdurera encore longtemps pendant des siècles. Ce monde que Régis Debray qualifie de 'graphospère" ne peut pas disparaître. La lecture reviendra "à la mode", j'en suis persuadée. Rien n'est perdu.
vendredi 11 avril 2025
Boualem Sansal, notre Voltaire d'aujourd'hui
Je veux rendre hommage à un grand écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, emprisonné arbitrairement par un gouvernement impitoyable et aveugle aux arguments humanitaires. Accusé d'atteinte à l'intégrité du territoire national, il est emprisonné depuis le 16 novembre 2024 et souffre d'un cancer. J'ai vu récemment un documentaire, tourné en 2010, sur Arte, un reportage très éclairant, très juste sur sa vie et sur son oeuvre. Né en 1949 en Algérie, l'écrivain raconte avec émotion le mariage d'amour entre ses parents mais, le petit garçon n'a rencontré sa mère qu'à l'âge de six ans. Il raconte son pays, déchiré par la guerre d'indépendance, les attentats, la violence, le chaos politique. Ses désillusions sur l'après-guerre se confirment au fil des ans. Ingénieur et économiste de formation, il rejoint la haute fonction publique dans le ministère de l'industrie. Il publie "Le serment des Barbares" en 1999. Sa carrière d'écrivain démarre avec force et il est reconnu aussi bien dans son pays qu'à l'étranger. Mais, il reste très critique sur son pays, sur la corruption des élites et surtout sur l'islamisation de la société. Son cri de rage sur l'asservissement du peuple algérien dérange les autorités. Comme il compare l'islamisme au nazisme, ses romans sont censurés dans son propre pays. Le site Gallimard semble très actif pour le soutenir et organise des débats pour alerter l'opinion publique bien dormante. Un écrivain qui se bat contre tous les obscurantismes ne peut pas croupir en prison. Son courage exemplaire pour sauver la liberté d'expression, la liberté tout court devrait nous encourager à suivre son exemple. Dans le texte sur le site Gallimard, on peut lire : "Boualem Sansal est une grande voix internationale de la francophonie et de l'universalisme ; son oeuvre a été deux fois récompensée par l'Académie française". Pour soutenir ce grand écrivain, il faut tout simplement lire ses romans saisissants de lucidité, d'humanisme, d'esprit du XVIIIe, le siècle des Lumières. Un ouvrage vient de paraître : "Discours pour le Prix de la paix des libraires et éditeurs allemands" du 16 octobre 2011. J'ai relevé cette citation de Boualem Sansal : "Camus disait : "Ecrire, c'est déjà choisir". Voilà, c'est ce que j'ai fait, j'ai choisi d'écrire. Et j'ai eu raison de le faire". Espèrons qu'il soit libéré le plus tôt possible.
jeudi 10 avril 2025
"Le sentiment des crépuscules", Clémence Boulouque
Trois "génies" se retrouvent à Londres en juillet 1938 : Sigmund Freud, Stefan Zweig et Dali ! Clemence Boulouque les réunit malicieusement dans son nouveau roman, "Le sentiment des crépuscules", publié chez Laffont. Freud, tout juste exilé de l'Autriche nazie, s'installe à Londres grâce à l'aide précieuse de Marie Bonaparte. Stefan Zweig, ami très proche du psychanalyste, a organisé un rendez-vous sur l'insistance de son ami peintre, le surréaliste Salvador Dali. Accompagné de sa compagne, Gala, il veut offrir une de ses toiles au maître des rêves et de l'inconscient. Un quatrième comparse partage cette rencontre, un Anglais, Edward James, poète et écrivain. Freud, âgé de 82 ans, souffre d'un cancer de la mâchoire. Sa fille Anna est présente dans cette assemblée restreinte. Stefan Zweig, toujours pondéré et modéré, semble gêné par son ami, Dali, imprévisible et surprenant. Il est dans sa trentaine et commence à être célèbre. Face à ses deux grands sages du monde ancien et d'une intelligence lumineuse à la manière d'un Montaigne, le peintre espagnol préfigure le monde nouveau après la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale. Leurs discussions diverses abordent des sujets éclectiques : des escargots à Lorca, de Vienne à l'exil, de Londres à la psychanalyse. Dans un article d'un journal quotidien, l'autrice raconte sa démarche littéraire. Comme personne n'avait évoqué cette rencontre exceptionnelle entre ces trois créateurs, elle a imaginé ce rendez-vous en se basant sur une documentation très pointue. Au crépuscule de leurs vies, les deux protagonistes principaux, Freud et Zweig, allaient mourir, l'un en 1939, vaincu par son cancer et l'autre en 1942, se suicidant avec sa nouvelle compagne, Lotte. Seul, ce jeune homme délirant a toujours "cet appétit du monde, de l'autopromotion". Le peintre espagnol déclare alors : "Je participe à la crétinisation du monde, puisque ce monde est crétin". Clémence Boulouque a voulu "humaniser" ces trois monstres sacrés dans leur destin douloureux. J'ai lu ce roman biographique par curiosité, surtout pour Freud et Zweig, bien plus attachants que Dali à la personnalité narcissique plus proche d'un adolescent que d'un adulte. A découvrir.
mercredi 9 avril 2025
"L' Annonce", Pierre Assouline
Ce roman récent, "L'Annonce", de Pierre Assouline évoque la tragédie du 7 octobre 2023 en Israël. Une citation de David Grossman rappelle le titre de son livre magnifique, "Femme fuyant l'annonce". Raphaël, un Français juif séfarade, rejoint comme volontaire civil l'armée lors de la guerre du Kippour en octobre 1973 quand la Syrie et l'Egypte ont attaqué Israël. Il se retrouve dans un "moshav", une ferme coopérative, pour remplacer un agriculteur mobilisé où il s'occupe de dindons. Il va rencontrer Esther, une jeune soldate de son âge. Chargée d'annoncer aux familles la mort de leur fils ou de leur fille, Esther remarque ce jeune Français. Ils jouent aux échecs et ils tombent amoureux. Mais, la vie les sépare car Raphaël revient à Paris. Cinquante plus tard, Raphaël retourne en Israël après les attentats du 7 octobre. Il relate la vie des civils, rencontre des manifestants de la Place des Otages, analyse les réactions des parents endeuillés. Dans un hôpital, le passé lui revient en boomerang quand il retrouve Eden, la fille d'Esther. Elle veille sur sa fille, Nuritt, victime d'un infarctus, appelé aussi le "syndrôme du coeur brisé" car, elle-même, annonce aux familles le décès de leur enfant. Raphaël va renouer avec son passé en retrouvant Esther. Pierre Assouline observe les contradictions de ce pays démocratique en proie aussi au chaos politique. Il souligne l'inconscience du pays, ne prévoyant pas cette attaque immonde car il se croyait invincible : "L'hubris, ce satané orgueil israélien qui s'est endormi sur sa réputation de supériorité et d'invincibilité". La deuxième partie du livre dans un pays déchiré révèle l'angoisse du narrateur face à cette guerre éternelle des territoires, du triomphe de la mort et de la violence. Comment témoigner dans ce fracas de l'Histoire ? Par la mémoire : "Ma mémoire est comme un cimetière, pleine de gens et de livres. A ceci près qu'ils ne meurent jamais tout à fait, les uns tant qu'on parle d'eux, les autres tant qu'on les lit". 'L'Annonce" est le deuxième roman français à évoquer le séisme tragique israelo-palestinien après celui de Nathalie Azoulay, "Toutes les vies de Théo". Un bon roman, lucide et réaliste, nuancé et empreint de doute et regrets. A découvrir
mardi 8 avril 2025
"L'autre George Orwell", Jean-Pierre Martin
La collection "L'un et l'autre" de Gallimard comporte quelques pépites d'or. Il faut souligner que J.-B. Pontalis, écrivain psychanalyste, a dirigé la collection avec le souci de réunir des oeuvres littéraires qui dévoilent "les vies des autres telles que la mémoire des uns les invente". Jean-Pierre Martin évoque dans cet essai les derniers moments du grand écrivain anglais, George Orwell. Comme j'ai découvert récemment son roman emblématique, "1984", j'ai eu envie de mieux connaître sa vie. Le titre de l'ouvrage m'a intriguée, "L'autre George Orwell", publié en 2013, et je me demandais pourquoi ce terme "autre". L'écrivain anglais se sent en marge de la société avec ses positions antifascistes. Il a participé à la Guerre en Espagne du côté républicain et son antistalinisme ne passe pas dans les rangs de la gauche. Les journaux anglais rejettent ses articles et il décide de quitter Londres après la perte de sa femme. Il est atteint de tuberculose et cette maladie le fragilise. En fuyant la ville, il veut se consacrer entièrement à l'écriture de son roman, "1984". Son écart du monde se manifeste dans un lieu improbable et inaccessible, l'île de Jura en Ecosse. Jean-Pierre Martin décrit cette ile ainsi : "Sur fond de silence et de solitude, on perçoit le bruissement de la mer. La ferme est seule en contrebas, plus seule encore que je ne l'imaginais d'après les lettres et les descriptions". Pourquoi cet isolement farouche ? Le narrateur tente une explication : "Une pulsion profonde, une intériorité exigeante, radicale, propulsant assez loin de ce que l'on croit être soi". L'autre Orwell manie la charrue, les outils, façonne son potager, soigne ses nombreux animaux de ferme, se transforme en paysan et en pêcheur-chasseur. Un retour salutaire à la terre et à la mer pour vivre sa liberté et se dispenser d'une société hypocrite et dévoreuse de temps. Il élève son fils Richard avec sa soeur et quelques amis de passage. Il vit retiré du monde mais sa solitude est peuplée de paysages, de cerfs en liberté, de tâches concrètes. Plombier, bûcheron, jardinier, menuisier, pêcheur, chasseur, semeur, planteur, tous ces métiers pratiqués aboutissent aussi à celui d'écrivain car il compose sa symphonie de mots avec "1984". Peut-être, a-t-il passé dans cette île magique les deux meilleures années de sa vie avant que la maladie ne le terrasse définitivement. Ce livre très bien écrit rend hommage à un homme singulier, attachant, une vigie pour nous alerter sur l'horreur de tous les totalitarismes.