Une étude du Centre national du Livre (CNL) publiée récemment, a suscité mon inquiétude : "Les Français lisent de moins en moins". Seuls, 45 % de Français déclarent lire tous les jours, sur format papier ou numérique. Je me demande toujours quels sont nos concitoyens qui ne lisent jamais ! Un mystère intégral pour moi. Les 50-64 ans battent des records d'infidélité à nos chers bouquins ou autres supports comme des journaux, des revues, des sites internet, etc. Les lecteurs et lectrices toujours actifs lisent en moyenne 18 livres par an, un chiffre en baisse de quatre points depuis deux ans. Le CNL tente des explications sur ce décrochage et l'ennemi principal de la lecture se nomme sans surprise l'écran ! Plus de trois heures d'écran par jour et seulement trois heures de lecture par semaine... Chez les moins de 25 ans, le déséquilibre s'accentue. La directrice du CNL, Régine Hatchondo, a déclaré : "Il y a eu une utopie Internet, on s'est laissé éblouir". Elle ajoute : "Il y a désormais un enfermement addictif avec le numérique. On peut parler de drogue, et en cela, de nouvelle guerre de l'opium". Des paroles fortes que l'on entend rarement dans les médias. Le smartphone, ce nouveau doudou universel, accompagne désormais notre quotidien : envoi de messages, visionnage de vidéos, réseaux sociaux, appels téléphoniques, etc. Le multitâche devient la norme de conduite surtout chez les jeunes adultes. Une seule bonne nouvelle, la lecture numérique et les livres audio ont du succès chez les 15-34 ans. Regarder des films et des séries mobilise aussi toutes les générations. Parfois, un film populaire incite la lecture comme le phénomènal "Comte de Monte-Cristo". Nous sommes tous submergés par les images et l'écran, à portée de main, ne demande aucun effort intellectuel. La lecture, par contre, exige une concentration certaine, un environnement silencieux, une attention constante pour comprendre les mots et le message du texte. Comment donner envie de lire ? Par l'exemple. Des parents lecteurs, en général, transmettent l'amour des livres mais, ce n'est pas toujours une garantie totale. Des parents qui lisent des livres à leurs enfants sont des "hussards de la république", comme l'écrivait Charles Péguy en parlant des instituteurs de l'ancien temps. La lecture reprendra un jour des couleurs quand nous serons vraiment tous saturés d'images et d'internet. La communauté des lecteurs et des lectrices perdurera encore longtemps pendant des siècles. Ce monde que Régis Debray qualifie de 'graphospère" ne peut pas disparaître. La lecture reviendra "à la mode", j'en suis persuadée. Rien n'est perdu.
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
lundi 14 avril 2025
vendredi 11 avril 2025
Boualem Sansal, notre Voltaire d'aujourd'hui
Je veux rendre hommage à un grand écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, emprisonné arbitrairement par un gouvernement impitoyable et aveugle aux arguments humanitaires. Accusé d'atteinte à l'intégrité du territoire national, il est emprisonné depuis le 16 novembre 2024 et souffre d'un cancer. J'ai vu récemment un documentaire, tourné en 2010, sur Arte, un reportage très éclairant, très juste sur sa vie et sur son oeuvre. Né en 1949 en Algérie, l'écrivain raconte avec émotion le mariage d'amour entre ses parents mais, le petit garçon n'a rencontré sa mère qu'à l'âge de six ans. Il raconte son pays, déchiré par la guerre d'indépendance, les attentats, la violence, le chaos politique. Ses désillusions sur l'après-guerre se confirment au fil des ans. Ingénieur et économiste de formation, il rejoint la haute fonction publique dans le ministère de l'industrie. Il publie "Le serment des Barbares" en 1999. Sa carrière d'écrivain démarre avec force et il est reconnu aussi bien dans son pays qu'à l'étranger. Mais, il reste très critique sur son pays, sur la corruption des élites et surtout sur l'islamisation de la société. Son cri de rage sur l'asservissement du peuple algérien dérange les autorités. Comme il compare l'islamisme au nazisme, ses romans sont censurés dans son propre pays. Le site Gallimard semble très actif pour le soutenir et organise des débats pour alerter l'opinion publique bien dormante. Un écrivain qui se bat contre tous les obscurantismes ne peut pas croupir en prison. Son courage exemplaire pour sauver la liberté d'expression, la liberté tout court devrait nous encourager à suivre son exemple. Dans le texte sur le site Gallimard, on peut lire : "Boualem Sansal est une grande voix internationale de la francophonie et de l'universalisme ; son oeuvre a été deux fois récompensée par l'Académie française". Pour soutenir ce grand écrivain, il faut tout simplement lire ses romans saisissants de lucidité, d'humanisme, d'esprit du XVIIIe, le siècle des Lumières. Un ouvrage vient de paraître : "Discours pour le Prix de la paix des libraires et éditeurs allemands" du 16 octobre 2011. J'ai relevé cette citation de Boualem Sansal : "Camus disait : "Ecrire, c'est déjà choisir". Voilà, c'est ce que j'ai fait, j'ai choisi d'écrire. Et j'ai eu raison de le faire". Espèrons qu'il soit libéré le plus tôt possible.
jeudi 10 avril 2025
"Le sentiment des crépuscules", Clémence Boulouque
Trois "génies" se retrouvent à Londres en juillet 1938 : Sigmund Freud, Stefan Zweig et Dali ! Clemence Boulouque les réunit malicieusement dans son nouveau roman, "Le sentiment des crépuscules", publié chez Laffont. Freud, tout juste exilé de l'Autriche nazie, s'installe à Londres grâce à l'aide précieuse de Marie Bonaparte. Stefan Zweig, ami très proche du psychanalyste, a organisé un rendez-vous sur l'insistance de son ami peintre, le surréaliste Salvador Dali. Accompagné de sa compagne, Gala, il veut offrir une de ses toiles au maître des rêves et de l'inconscient. Un quatrième comparse partage cette rencontre, un Anglais, Edward James, poète et écrivain. Freud, âgé de 82 ans, souffre d'un cancer de la mâchoire. Sa fille Anna est présente dans cette assemblée restreinte. Stefan Zweig, toujours pondéré et modéré, semble gêné par son ami, Dali, imprévisible et surprenant. Il est dans sa trentaine et commence à être célèbre. Face à ses deux grands sages du monde ancien et d'une intelligence lumineuse à la manière d'un Montaigne, le peintre espagnol préfigure le monde nouveau après la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale. Leurs discussions diverses abordent des sujets éclectiques : des escargots à Lorca, de Vienne à l'exil, de Londres à la psychanalyse. Dans un article d'un journal quotidien, l'autrice raconte sa démarche littéraire. Comme personne n'avait évoqué cette rencontre exceptionnelle entre ces trois créateurs, elle a imaginé ce rendez-vous en se basant sur une documentation très pointue. Au crépuscule de leurs vies, les deux protagonistes principaux, Freud et Zweig, allaient mourir, l'un en 1939, vaincu par son cancer et l'autre en 1942, se suicidant avec sa nouvelle compagne, Lotte. Seul, ce jeune homme délirant a toujours "cet appétit du monde, de l'autopromotion". Le peintre espagnol déclare alors : "Je participe à la crétinisation du monde, puisque ce monde est crétin". Clémence Boulouque a voulu "humaniser" ces trois monstres sacrés dans leur destin douloureux. J'ai lu ce roman biographique par curiosité, surtout pour Freud et Zweig, bien plus attachants que Dali à la personnalité narcissique plus proche d'un adolescent que d'un adulte. A découvrir.
mercredi 9 avril 2025
"L' Annonce", Pierre Assouline
Ce roman récent, "L'Annonce", de Pierre Assouline évoque la tragédie du 7 octobre 2023 en Israël. Une citation de David Grossman rappelle le titre de son livre magnifique, "Femme fuyant l'annonce". Raphaël, un Français juif séfarade, rejoint comme volontaire civil l'armée lors de la guerre du Kippour en octobre 1973 quand la Syrie et l'Egypte ont attaqué Israël. Il se retrouve dans un "moshav", une ferme coopérative, pour remplacer un agriculteur mobilisé où il s'occupe de dindons. Il va rencontrer Esther, une jeune soldate de son âge. Chargée d'annoncer aux familles la mort de leur fils ou de leur fille, Esther remarque ce jeune Français. Ils jouent aux échecs et ils tombent amoureux. Mais, la vie les sépare car Raphaël revient à Paris. Cinquante plus tard, Raphaël retourne en Israël après les attentats du 7 octobre. Il relate la vie des civils, rencontre des manifestants de la Place des Otages, analyse les réactions des parents endeuillés. Dans un hôpital, le passé lui revient en boomerang quand il retrouve Eden, la fille d'Esther. Elle veille sur sa fille, Nuritt, victime d'un infarctus, appelé aussi le "syndrôme du coeur brisé" car, elle-même, annonce aux familles le décès de leur enfant. Raphaël va renouer avec son passé en retrouvant Esther. Pierre Assouline observe les contradictions de ce pays démocratique en proie aussi au chaos politique. Il souligne l'inconscience du pays, ne prévoyant pas cette attaque immonde car il se croyait invincible : "L'hubris, ce satané orgueil israélien qui s'est endormi sur sa réputation de supériorité et d'invincibilité". La deuxième partie du livre dans un pays déchiré révèle l'angoisse du narrateur face à cette guerre éternelle des territoires, du triomphe de la mort et de la violence. Comment témoigner dans ce fracas de l'Histoire ? Par la mémoire : "Ma mémoire est comme un cimetière, pleine de gens et de livres. A ceci près qu'ils ne meurent jamais tout à fait, les uns tant qu'on parle d'eux, les autres tant qu'on les lit". 'L'Annonce" est le deuxième roman français à évoquer le séisme tragique israelo-palestinien après celui de Nathalie Azoulay, "Toutes les vies de Théo". Un bon roman, lucide et réaliste, nuancé et empreint de doute et regrets. A découvrir
mardi 8 avril 2025
"L'autre George Orwell", Jean-Pierre Martin
La collection "L'un et l'autre" de Gallimard comporte quelques pépites d'or. Il faut souligner que J.-B. Pontalis, écrivain psychanalyste, a dirigé la collection avec le souci de réunir des oeuvres littéraires qui dévoilent "les vies des autres telles que la mémoire des uns les invente". Jean-Pierre Martin évoque dans cet essai les derniers moments du grand écrivain anglais, George Orwell. Comme j'ai découvert récemment son roman emblématique, "1984", j'ai eu envie de mieux connaître sa vie. Le titre de l'ouvrage m'a intriguée, "L'autre George Orwell", publié en 2013, et je me demandais pourquoi ce terme "autre". L'écrivain anglais se sent en marge de la société avec ses positions antifascistes. Il a participé à la Guerre en Espagne du côté républicain et son antistalinisme ne passe pas dans les rangs de la gauche. Les journaux anglais rejettent ses articles et il décide de quitter Londres après la perte de sa femme. Il est atteint de tuberculose et cette maladie le fragilise. En fuyant la ville, il veut se consacrer entièrement à l'écriture de son roman, "1984". Son écart du monde se manifeste dans un lieu improbable et inaccessible, l'île de Jura en Ecosse. Jean-Pierre Martin décrit cette ile ainsi : "Sur fond de silence et de solitude, on perçoit le bruissement de la mer. La ferme est seule en contrebas, plus seule encore que je ne l'imaginais d'après les lettres et les descriptions". Pourquoi cet isolement farouche ? Le narrateur tente une explication : "Une pulsion profonde, une intériorité exigeante, radicale, propulsant assez loin de ce que l'on croit être soi". L'autre Orwell manie la charrue, les outils, façonne son potager, soigne ses nombreux animaux de ferme, se transforme en paysan et en pêcheur-chasseur. Un retour salutaire à la terre et à la mer pour vivre sa liberté et se dispenser d'une société hypocrite et dévoreuse de temps. Il élève son fils Richard avec sa soeur et quelques amis de passage. Il vit retiré du monde mais sa solitude est peuplée de paysages, de cerfs en liberté, de tâches concrètes. Plombier, bûcheron, jardinier, menuisier, pêcheur, chasseur, semeur, planteur, tous ces métiers pratiqués aboutissent aussi à celui d'écrivain car il compose sa symphonie de mots avec "1984". Peut-être, a-t-il passé dans cette île magique les deux meilleures années de sa vie avant que la maladie ne le terrasse définitivement. Ce livre très bien écrit rend hommage à un homme singulier, attachant, une vigie pour nous alerter sur l'horreur de tous les totalitarismes.
lundi 7 avril 2025
Le salon du Livre ancien à Chambéry
Samedi, j'ai visité le Salon du Livre ancien, installé au premier étage du Musée des Beaux Arts de Chambéry. Ancienne libraire, j'aime beaucoup humer le parfum suranné des livres anciens et cette balade au coeur des stands me ramenait à mes années de jeunesse quand je m'adonnais au commerce si noble des livres. Ce salon, organisé pour la deuxième année et soutenu par la ville, le département et les papeteries de Vizille, regroupait une dizaine de libraires venus de tous les coins de France. Un catalogue était offert à l'entrée du musée qui présente des ouvrages rares ou surprenants d'un prix conséquent. Seuls, les bibliophiles passionnés peuvent acquérir ces livres exceptionnels. Ce qui m'a frappé en déambulant dans les travées des stands, c'est la vision d'un monde ancien, un monde où la chose imprimée a conservé toute sa valeur symbolique. Je ressentais un sentiment de nostalgie face à ce milieu si poli, si civilisé, si cultivé. Sur cette planète miniature, quelques professionnels courageux tentent de vivre leur passion des livres. Moyenne d'âge des visiteurs : des seniors, évidemment. Aucun jeune dans la salle... Ce petit îlot de résistance, situé pour deux jours dans l'un des lieux culturels les plus importants de la ville, me faisait penser à un trait d'union entre les siècles passés jusqu'àu nôtre, les XXIe siècle. Le livre ancien, trait d'union du passé au présent, heureusement, repose encore dans les bibliothèques patrimoniales qui en prennent soin comme tous ces tableaux dans les musées d'art. Je n'oublie pas la date de naissance du premier ouvrage imprimé de l'histoire : la Bible de Gutenberg en 1455. Si je fais un calcul, le livre imprimé a donc atteint l'âge de 570 ans ! Pas mal pour un objet, comme durée. Un smartphone passe le cap de deux à quatre ans... Avant de quitter ce salon charmant et désuet, j'ai acquis une Pléiade à un prix très abordable pour compléter ma collection. Les oeuvres intimes de Stendhal vont nourrir mon été de lecture. J'ai aussi profité de ma visite pour revoir les peintures du musée, surtout les italiennes. Mais, j'ai un coup de coeur pour une nature morte de Martinius Nellius, peintre hollandais du XVIIe siècle. Cette petite merveille, une vanité vraiment surprenante, est digne des grands musées nationaux. Par quel miracle a-t-elle atteri à Chambéry ? Il faudrait que je mène une enquête... Livres et Musée, un beau couple culturel à préserver pour encore quelques siècles...
vendredi 4 avril 2025
Rubrique cinéma, "Parthenope", Paolo Sorrentino
Je ne pouvais pas rater le film de Paolo Sorrentino, "Parthenope", un hymne à Naples et à sa folie. Parthenope (nom d'une sirène qui voulait séduire Ulysse) symbolise la Beauté dans toutes ses dimensions et le réalisateur raconte la vie de cette jeune fille des années 50 à nos jours. Née dans une famille de la bourgeoisie napolitaine, elle vit dans un décor baroque et un oncle armateur lui offre même un carrosse de Versailles ! Après l'adolescence, elle s'intéresse à l'anthropologie et suit des études jusqu'au doctorat. Un de ses professeurs est subjugué par son intelligence et par sa culture. Leur relation maître-élève sera sa boussole intellectuelle. Sur le plan familial, Parthenope est adorée par ses parents et surtout par son frère. Il est amoureux d'elle et cet inceste non consommé le ménera au suicide. La jeune fille attire les convoitises de tous les hommes qui l'entourent : un amoureux malheureux et jaloux, un écrivain alcoolique, un cardinal lubrique, un milliardaire harceleur, des admirateurs éblouis par sa beauté. Mais, l'héroïne préfère sa liberté, son indépendance à tout autre choix. Défilent sous nos yeux ébahis des paysages merveilleux : le Vésuve, la mer, Capri, Naples, les plages, le soleil, la foule, le bruit, l'agitation permanente. Ces napolitains, saturés de vie et de folie, jouent une partition comique et tragique, dans un opéra polyphonique. Je connais Naples et j'ai retrouvé dans ce film l'essence de cette ville bouillante, bouillonnante, virevoltante. Mais, derrière cette effervescence se cache une mélancolie permanente que Parthenope illustre avec sa beauté insaississable et lointaine. Au fond, sa solitude se manifeste constamment dans ses relations avortées. Paolo Sorrentino, napolitain d'origine, restitue l'âme de la ville dans son chaos permanent. La jeune fille accepte un poste de professeur d'université à Trente, dans le Nord du pays. Quarante plus tard, elle revient à Naples, la déesse-sirène s'est transformée en femme assagie, sérieuse et apaisée loin du chaos éblouissant de sa jeunesse. La performance de Céleste Dalla Porta, la comédienne d'une très grande beauté, apporte au film un atout majeur. Un film à voir surtout par les amoureux-amoureuses de Naples et de l'Italie comme moi !
jeudi 3 avril 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 2
Régine a présenté son grand coup de coeur avec un roman biographique, "Articque solaire", de Sophie Van der Linden, paru en 2024 chez Denoël. Depuis trente ans, Anna, le personnage principal du roman, passe l'hiver dans les îles Lofoten pour peindre les paysages en captant les variations de lumières : "J'ai peint tête en l'air, le regard fixé sur ces déploiements, et vécu une apothéose quand les roses et les mauves ont fait leur entrée en scène". Mariée à un célèbre architecte, elle se soustrait à la bonne société suédoise pour vivre sa peinture. Elle espère réaliser un tableau exceptionnel pour être enfin reconnue. L'autrice s'est inspirée de l'oeuvre d'Anna Boberg (1864-1935) et s'est glissée dans sa vie intérieure pour sonder ses attentes et ses ambitions. Rien que l'évocation des îles Lofoten fait déjà rêver, alors, si, en plus, une femme peintre s'intègre dans ce décor magique, les amies lectrices vont se précipiter pour lire ce roman venu du Nord de l'Europe. Mylène a bien aimé le roman de Naomi Krupitsky, "La Famille", disponible en Folio. Brooklyn, les années 30, Sofia et Antonia, voisines et amies inséparables, ont un point commun : leurs pères travaillent pour Tommy Fianzo, parrain de la mafia locale. Elles observent la vie de leurs mères soumises aux hommes du clan et se jurent de ne pas épouser des hommes oeuvrant pour la "Famille". Quand Antonia perd son père, leur amitié se fragilise et leurs rêves divergent. L'une choisira le chemin des études quand l'autre amie optera pour une vie plus facile. Ce premier roman est une histoire d'amitié féminine et aussi une exploration subtile de la mafia new-yorkaise. Une jeune romancière à suivre, dorénavant. Odile a choisi comme coup de coeur, "Les Mangeurs de nuit" de Marie Charrel, paru en Livre de Poche. Hannah, une fille d'immigrés japonais, est une Nisei. A la fois canadienne et asiatique, elle ne comprend pas que les autres enfants la traitent de "sale jaune". Jack, lui, est un creekwalker. Il veille sur la forêt et aime les légendes autochtones. Des années 20 à l'après-guerre, l'autrice raconte la rencontre de ces deux exclus dans une nature époustouflante. Une ode à la nature et à la fraternité. Voila le panorama des coups de coeur de mars. En avril, nous nous retrouverons le jeudi 24 avril autour des romans dystopiques.
mercredi 2 avril 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 1
Après la séance sur les récits et autobiographies, nous avons abordé les coups de coeur du mois. Odile a évoqué un roman, "Ultramarins" de Mariette Navaro, publié l'année dernière chez Quidam Editeur. A bord d'un cargo de marchandises, l'équipage décide de s'offrir une baignade en plein océan Atlantique. Seule, la capitaine du cargo ne participe pas à cette escapade surprenante et inhabituelle. Cette brèche dans un quotidien routinier est-elle le signe d'une révolte ? D'une dérive passagère ? Odile nous a donné envie de découvrir ce livre qualifié par un crique "d'étonnant, poétique, métaphysique". Danièle a présenté deux coups de coeur. Le premier concerne "Haïm, à la lumière d'un violon", de Gérard Garutti, publié en 2015 chez Robert Laffont. L'auteur raconte l'histoire vraie de Haïm Lipsky, qui a traversé le siècle et survécu à la Shoah grâce à son violon. Ce récit a ému Danièle, qui aime tout particulièrement la musique. Ce violon illumine les Ténèbres que cet homme traverse dans sa vie. Un hymne à la vie et à l'art. Elle a aussi choisi une nouveauté, celle de Marianne Alphant, "L'Atelier des poussières", publié chez P.O.L Quelle drôle d'idée de s'intéresser à la poussière ? L'écrivaine écrit : "Quark et suie, petits corps subtils, raclures d'atomes en pleine vitesse, poudre à priser ou de perlimpinpin, poudre Legras pour les crises d'asthme". Elle "convoque les figures de cet asservissement : valets, femmes de ménage, serviteurs". Dans ce récit original et drôle, on y croise les valets de la littérature comme Scapin ou Figaro, Sganarelle ou Cosette mais aussi les serviteurs des philosophes comme Hegel et Kant. Un éloge des humbles et des modestes. Agrégée de philosophie, Marianna Alphant est aussi critique littéraire et historienne d'art. Ses ouvrages sur Pascal, "Pascal : Tombeau pour un ordre" et sur Monet, "Monet : Cathédrale de Rouen" sont devenus des références. (La suite, demain)
mardi 1 avril 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 3
Odile a choisi le journal intime de Sandor Marai, "Journal-Les Années hongroises 1943-1948", publié au Livre de Poche. Longtemps inédit en France, ce texte éclaire l'homme et l'oeuvre que l'on compare à Stefan Zweig. Ecrivain de romans passionnants, chroniqueur, il fut aussi le témoin d'une époque sombre dans son pays. Le journal retrace la situation politique de la Hongrie sous le joug des Allemands et ensuite, sous celui des Soviétiques. Il raconte la déportation et l'extermination des Juifs de son pays, la vie politique chaotique, la fragilité de la civilisation : "Thé, viandes froides, journaux. Le refuge tiède de la civilisation. Et la conscience que ce bonheur est plus fragile encore que la tasse de thé en verre que tu portes à tes lèvres". Sandor Marai donne une place essentielle à sa vie intellectuelle très riche avec un amour total des livres et de la littérature. Tout grand écrivain est aussi un immense lecteur. Il se situe comme un citoyen ouvert, un bourgeois éclairé, aimant son pays et surtout sa langue tout en critiquant ses compatriotes lâches et veules. Il finira par s'exiler en Suisse et en Italie n'emportant que cinq livres dont l'Odyssée alors qu'il en possédait 5 000 ! Odile a trouvé ce livre très intéressant. Il faut redécouvrir cet écrivain européen de premier ordre. Odile, la deuxième amie lectrice, a présenté "Les Faits, autobiographie d'un écrivain". Elle a beaucoup aimé ce récit provoquant, profond, décalé de Philip Roth. Où se situe la vérité de cet écrivain caméléon, aussi happé par la fiction que par le réel ? L'écrivain américain propose des souvenirs d'enfance et de sa jeunesse, considérés comme la matrice de sa vocation d'écrivain : sa famille et son milieu juif à Newark, son éducation et sa formation à l'identité américaine, ses relations mouvementées avec les femmes, ses études de lettres à l'université. Un texte autobiographique essentiel dans l'oeuvre de l'écrivain à découvrir pour tous les amateurs-amatrices de son univers romanesque exceptionnel et unique dans le monde de la littérature !
vendredi 28 mars 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 2
Pascale a relu et apprécié "La Douleur" de Marguerite Duras, paru en 1985. L'écrivaine a retrouvé deux cahiers dans les armoires de sa maison à Neauphle-le-Château. Elle écrit qu'elle ne souvenait pas d'avoir rédigé ce journal intime pendant la guerre et ces pages reflètent des événements douloureux : "La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie". Le premier texte du recueil concerne le retour de son mari, Robert Antelme, prisonnier dans les camps de Buchenwald et de Dachau. Ce grand intellectuel a écrit un des ouvrages les plus importants sur les camps de concentration, "L'espèce humaine", paru en 1947. Marguerite Duras relate l'attente, l'angoisse, le chagrin d'avoir perdu les traces de son mari. Elle apprend qu'il est dans un camp de concentration et un de ses amis, le résistant, le commandant Morland va le chercher en Allemagne. Evidemment, cet ami s'appelait François Mitterrand. L'écrivaine raconte avec des détails très précis la longue guérison de son mari qu'elle n'a pas reconnu quand il est rentré. Ce retour à la vie tenait quasi d'un miracle. Marguerite Duras lui annoncera plus tard qu'elle a refait sa vie avec Dionys Mascolo avec lequel elle aura un fils. Un témoignage étonnant dans la production littéraire de l'écrivaine. Danièle a beaucoup aimé "Autobiographie de mon père" de Pierre Pachet. Ce récit de vie représente une expérience littéraire hors du commun. Un fils écrivain se met à la place de son père pour raconter sa vie. J'ai évoqué dans mon blog cet ouvrage et Danièle a retracé la biographie de cet immigré juif d'Odessa, né en 1895, venu en France quand éclate la Première Guerre mondiale. Il se marie, devient dentiste et père modèle mais secret. Comme il n'a pas parlé de son vivant, son fils dévoile la personnalité de cet homme attachant. Un hommage sensible d'un fils à son père. Pascale a aussi lu "Moi, Jean Gabin" de Goliarda Sapienza. Cette autobiographie, un véritable hymne à l'enfance, se déroule à Catane au début des années 30. La petite Goliarda aime le cinéma de son quartier et quand elle voit "Pépé le Moko", elle veut devenir Jean Gabin. Ce livre émouvant, écrit dans les dernières années de Goliarda Sapienza, est un éloge de la liberté et de l'amour de la vie. (La suite, mardi)
jeudi 27 mars 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 1
Nous étions une petite dizaine de lectrices à la Base, cet après-midi pour évoquer les ouvrages de la liste recommandée dans la première heure. J'avais choisi le thème des récits, des autobiographies et des journaux intimes dans la littérature. Odile a démarré la séance avec Chantal Thomas et son "De sable et et neige", disponible en Folio depuis 2022. L'académicienne raconte son enfance à Arcachon où s'enracine son amour de l'océan : "L'océan a une dimension tragique, cela fait partie de sa beauté, de l'effroi de sa beauté. Un pressentiment de perdition". Avec son style chatoyant, elle dresse une fresque sensuelle, intime des paysages et des souvenirs. Son père tient un rôle majeur dans cette exploration sensible de sa mémoire familiale. Un bijou littéraire à découvrir. Véronique et Odile ont choisi "Dans ma peau" de Doris Lessing, une autobiographie qu'elles ont trouvée "extraordinaire". L'écrivaine anglaise commence sa vie en Perse en 1919 entre un père mutilé par la guerre et une mère rigoriste. Elle grandit en Rhodésie où s'éveille sa sensualité et surtout le sentiment de révolte face à l'injustice sociale et à la situation des Noirs dans le pays, une société coloniale ségrégationniste. Doris Lessing rompt avec sa famille et s'installe à Londres, un manuscrit dans sa valise. Deux fois divorcée, non conformiste, derrière la militante et la femme libre, sa vocation d'écrivaine se confirme. Le deuxième tome de ses mémoires, "La Marche dans l'ombre" couvrira les années 1949-1962. Elle obtiendra le Prix Nobel de Littérature en 2007. Une immense écrivaine anglaise un peu trop oubliée de nos jours et à lire et relire. Régine a beaucoup aimé "Armen" de Jean-Pierre Abraham, reparu dans la collection de poche de Payot en 2021. Gardien de phare de Ar-Men, près de l'ïle de Sein, le narrateur de ce journal mêle les éléments marins à son goût de la solitude et des trois livres qu'il emporte avec lui : un album sur Vermeer, des poèmes de Reverdy et un ouvrage sur un monastère cistercien. Il s'active beaucoup dans ce phare pour maintenir un certain ordre mais il lui reste des moments de vide, de rêveries et de peur. Il souhaitait vivre cette expérience unique pour se chercher, se trouver, être à sa place. Régine a trouvé ce texte passionnant que j'ai analysé dans ce blog récemment. (La suite, demain)
mercredi 26 mars 2025
"Les Faits", Philip Roth, 2
L'ironie mordante et flamboyante de Philip Roth se retrouve dans la fin du récit quand il fait intervenir son alter ego romanesque, l'écrivain Nathan Zuckerman. Son double fictif commente sa tentative autobiographique en se moquant de lui : "Tstt, tstt, le revoilà dans ses problèmes de juif, on dirait". L'art littéraire de l'écrivain se manifeste sans cesse dans "l'entrelacement de toute vie avec sa narration et de toute narration avec la vie". A force de mêler le réel à la fiction et vice-versa, Zuckerman lui assène des remarques cinglantes lui conseillant de ne pas publier son texte : "Je fais l'hypothèse que, à force de te métamorphoser dans tes livres, tu n'as plus la moindre idée de qui tu es, ni même de qui tu as été. Aujourd'hui, tu n'est plus qu'un texte ambulant". L'acte d'accusation se poursuit dans des termes peu flatteurs car le double fictif de Roth dénonce le beau rôle qu'il se donne dans sa famille : "ton côté bien élévé, ton côté chic type, ton côté bon petit. Ton manuscrit macère dans le chictypisme". En fait, le contretexte de Zuckerman se transforme en psychanalyse de Philip Roth : "Ce qui te mine est aussi ce qui te nourrit, avec ton talent". Les masques de l'écrivain sont arrachées par ce dialogue quasi socratique car les deux versions de l'identité rothienne se complètent tout en s'affrontant. La question de l'autobiographie pose le problème du sujet, ce "moi" fluctuant avec "ses failles et ses effondrements", "ses glissements, ses métamorphoses". Entre la vie vécue et la vie écrite, les faits réels sont remodelés, repensés, imaginés. Ce projet d'un retour au réel s'avère une mission impossible. Comment se "rendre visible à soi-même ?" Par la vérité autobiographique ou par la fiction mensongère ? Expert en identités multiples, Philip Roth ne peut pas se limiter à un texte nu, insipide et banal sur son passé et sur la naissance de sa vocation d'écrivain. Il provoque ses lecteurs et lectrices en les bousculant constamment, et il ne leur propose pas un scénario autobiographique stable et sécurisant. Bien au contraire, la "transparence d'une personnalité" restera toujours opaque. Lire Philip Roth ressemble à un parcours chaotique mais stimulant pour la pensée. Il interroge le sens de la littérature et surtout "l'énigme de la créativité romanesque".
mardi 25 mars 2025
"Les Faits", Philip Roth, 1
J'ai relu récemment l'autobiographie de Philip Roth, "Les Faits", publiée chez Gallimard en 1990. Ce récit, traduit par Josée Kamoun, sa fidèle traductrice de longue date, est l'un des deux livres autobiographiques de sa production avec l'extraordinaire "Patrimoine" qu'il faut absolument lire. Auteur de 26 romans depuis "Portnoy et son complexe", publié en 1970, l'auteur consignait son quotidien dans des carnets qui formaient la matrice de ses fictions. Dans ce texte percutant, il revient sur son passé, sur sa propre archéologie. Comment est-il devenu un grand écrivain ? Il se met à nu pour analyser ce besoin essentiel d'écrire, le sens de son existence. Tous les lecteurs et lectrices connaissent le double de Philip Roth dans le personnage de Zuckerman qui a longtemps servi de miroir grossissant en écrivain "plus intense", '"plus tonique", "plus divertissant", "Ombre portée de moi-même, une autre espèce de moi, en quelque sorte". Dans "Les Faits", il cherche à dire la vérité, sa vérité, loin du "mentir-vrai" de la fiction. Quand il compose ce récit, il vient de perdre sa mère et une opération chirurgicale l'a amoindri. Son angoisse de vieillir le taraude. Dans sa cinquantaine, il veut rendre hommage à sa famille et s'interroge sur sa personnalité complexe. Il relate sa lumineuse enfance entre une mère aimante et un père courageux, immigrés juifs d'Europe centrale, exemplaires dans leur volonté de s'assimiler à l'identité américaine. Son frère, Sandy, d'un tempérament artiste, a beaucoup compté pour lui. Le père de l'écrivain travaillait dans une société d'assurances et il a gravi les échelons malgre sa judéité, qui présentait un handicap à cette époque. Philip Roth admire ses parents et se considère comme un "bon fils", même s'il révait de les quitter. Très bon élève, il réussit un parcours sans faute jusqu'à l'université de Bucknell en Pennsylvanie dans les années 50. Dans sa jeunesse, il raconte avec son style percutant les actes antisémites que sa communauté de Newark subissait. Il raconte ses flirts nombreux mais un événement va percuter sa vie. Il fait la connaissance d'une femme, Josie, divorcée et mère de deux enfants, plus âgée que lui. Cette femme va le tourmenter pendant dix ans. Mythomane, dépressive, "accidentée de la vie", elle va même simuler une grossesse en remplissant une fiole d'urine prélevée sur une femme enceinte pour se faire épouser. Cette histoire rocambolesque se retrouvera dans "Ma vie d'homme". Philip Roth évoque, évidemment, sa vie sexuelle trépidante, synonyme d'une liberté totale, revendiquée avec sa truculence habituelle. (La suite, demain)
lundi 24 mars 2025
"Toutes les vies de Théo", Nathalie Azoulay
Nathalie Azoulay a intégré dans son dernier roman, "Toutes les vies de Théo", publié chez P.O.L, la tragédie du 7 octobre en Israël. Ce pari risqué, celui d'aborder ce sujet sensible dans la littérature contemporaine, peut déranger car l'écrivaine porte un regard décalé et ironique sur les identités divergentes. Elle se saisit de ce drame atroce pour montrer l'irruption de l'Histoite dans le privé intime des individus. Un couple uni va faire les frais d'une guerre fratricide pourtant loin de chez eux. A vingt cinq ans, Théo, le personnage masculin, tombe amoureux de Léa, d'origine juive, dans une séance d'initiation au tir. Ils vont se marier, ont une petite fille, Noémie. Léa appartient au clan familial très soudé autour de leur culture et de leur religion. Théo se sent très fier d'intégrer ce milieu si différent du sien. Lui-même, catholique breton, fils d'une mère allemande profondèment meurtrie par le nazisme de son pays, se sent investi d'une mission salutaire en soutenant la cause d'Israël et du judaïsme sans toutefois se convertir car Léa n'est pas pratiquante. Il devient critique d'art. Comment s'aimer dans ces différences culturelles et religieuses ? Théo sert de cobaye dans ce couple mixte pour répondre à cette question existentielle. Tout se passe relativement bien jusqu'à la date fatidique du 7 octobre. Ses beaux-parents adorent Théo et acceptent ce gendre enthousiaste pour leur culture. Le 7 octobre, date fatidique, Léa a préparé l'anniversaire de Théo pour ses cinquante ans mais, elle annule tout car l'attentat la choque au plus au point comme la majorité des citoyens. Au fil des jours, elle ne supporte pas l'antisémitisme "d'ambiance" dans ses relations professionnelles et amicales. Elle s'aperçoit que l'unanimité universelle pour condamner ce pogrom ne se produit pas. Léa se plaint de l'absence d'engagement de Théo et leur couple se délite peu à peu d'autant plus qu'il rencontre une jeune libanaise, Maya, artiste originale. Le couple se sépare et Théo succombe devant le charme de sa nouvelle compagne, plus jeune de vingt ans et l'inverse de Léa. Il se passionne pour la culture orientale et surtout pour la cause palestienne. Maya se servira de Théo pour sa célébrité artistique et le consommera à sa guise. Théo, dans ses aveuglements amoureux, ressemble à une girouette, une coquille vide. Nathalie a composé une comédie de moeurs sur un sujet grave. Qui est-il au fond, cet homme amoureux, en bradant sa propre identité ? Ce roman singulier, ultra contemporain sur les problématiques du moment reflète le malaise identitaire des uns et des autres, les dangers du communautarisme qui bouleversent les relations sociales. La politique, les conflits, les drames de l'Histoire peuvent provoquer des ravages, des séismes dans les couples, dans les amitiés, dans la société. Une fracture que l'écrivaine raconte avec ironie, causticité et efficacité. Un roman de qualité à découvrir.
jeudi 20 mars 2025
"Armen", Jean-Pierre Abraham
Dans ma liste concernant les récits de vie pour l'Atelier Littérature du 27 mars, j'ai choisi "Armen" de Jean-Pierre Abraham (1936-2003). Publié en 1967, ce journal de bord est considéré comme un objet littéraire non indentifié. Jeune poète, il est inspiré par la mer, ayant vécu en Bretagne avec sa famille. Il a entrepris des études de lettres à la Sorbonne mais il ne veut pas devenir professeur. L'appel du large le fascine et après une formation sérieuse de gardien de phare, il occupe le poste de gardien au phare d'Ar-Men, situé au large de l'île de Sein et de la pointe du Raz. Vingt jours de travail non-stop et dix jours de repos à terre, voilà le ryhtme de sa vie maritime. Le phare nécessite deux gardiens en service. La relève et le ravitaillement souvent périlleux sont assurés par la Velléda dont le patron se nomme Henri Le Gall. Dans cet espace réduit face à l'immensité océanique, le narrateur décrit sa vie quotidienne très pragmatique, technique et routinière mais trois livres lui apportent les nourritures spirituelles : un album sur Vermeer, un second livre sur un monastère cistercien et un recueil de poèmes de Pierre Reverdy. Cette expérience unique de quelques saisons lui révèle une connaissance approfondie de lui-même. Au milieu des assauts monstrueux du vent et des vagues qui font trembler le phare, il subit une angoisse qu'il ne peut contrôler face aux événements imprévisibles. La mer a envahi le premier étage lors d'un épisode furieux. L'angoisse nocturne, celle des pannes des feux, de la radio, l'angoisse d'affronter les éléments naturels indomptables. Les tempêtes réelles répondent à sa tempête intérieure. Jean-Pierre Abraham s'interroge sur sa vie et sur ce choix d'une ascèse exigeante. Il désire être "habitable à lui-même". Sa recherche d'un accord avec sa propre existence illumine son journal. La présence féminine se niche dans les tableaux de Vermeer dont la "Jeune fille en bleu". Certains passages du texte sont des poèmes en prose : "J'ai tenu ce fil improbable. Veiller, le coeur obscur, veiller encore, vieillir, près d'un reflet, près d'une fragile tempe bleutée". Plus loin, il réaffirme son adhésion à la vie : "Parfois dans le coeur vide, rincé de toute image, s'allume toute seule une autre lueur, comment le dire, la ferveur, peut-être. J'aime violemment cette vie, je veux toucher sa peau, sa vraie peau sans oripeaux. J'ai souvent l'impression que c'est très simple". Dans ce journal intemporel, entre le ciel et la mer, entre les roches et les vagues, un homme se penche sur le sens de sa vie. Un récit trop longtemps oublié qu'il faut lire et relire. La Bretagne, l'océan, la solitude mais aussi la solidarité, la lecture, le travail manuel. "Armen" ou "le lieu où l'on puisse devenir soi-même, s'épanouir, être à sa place, bien dans sa peau". Une lecture iodée !
mercredi 19 mars 2025
"Le Bateau-phare de Blackwater", Colm Toibin
Je poursuis ma découverte de l'excellent écrivain irlandais, Colm Toibin, avec "Le Bateau-phare de Blackwater", publié en 2001 dans la collection 10/18. Le personnage principal, Helen, vit en harmonie avec son mari et ses deux fils. Sa famille est partie sans elle dans le Donegal. Elle veut profiter de cette parenthèse pour souffler mais, elle reçoit la visite d'un ami de son frère, Declan. Paul lui annonce la maladie de ce frère qu'elle aime tendrement. Homosexuel, il est atteint du sida et va mourir. Elle est chargée d'informer leur mère qu'ils n'ont pas vue depuis plusieurs années. Declan veut finir ses jours chez sa grand-mère dans la maison de famille à Wexford, au bord de la mer. La grand-mère et la mère sont des femmes à fort caractère et leur relation semble toujours tendue. Declan arrive dans la maison avec deux de ses plus fidèles amis et ce nouveau clan disparate va devoir composer et vivre ensemble. L'état de santé du jeune homme se dégrade au fil des jours et sa nouvelle famille recomposée prend soin de lui avec une générosité exemplaire. Colm Toibin décrit merveilleusement les conflits familiaux. Lily, la mère, a perdu son mari d'un cancer et elle a choisi l'éloignement de ses enfants qu'elle a confiés à sa mère. Les souvenirs d'enfance remontent chez Helen et cette remontée d'un sentiment d'abandon alimente sa rancoeur contre sa mère qu'elle n'arrive pas à comprendre. Cette femme, désespérée par la mort de son mari, s'est murée dans le silence et s'est investie dans sa vie professionnelle très réussie. Elle habite dans une maison de rêve en bord de mer que ses enfants n'ont jamais vue. Les deux femmes n'approuvent pas la vie sexuelle de Declan mais, devant sa maladie, elles font face et se dévouent. Quelques scènes de la vie commune entre les amis de Declan et les femmes de la famille éclairent le crépuscule du jeune homme qui finira sa vie à l'hôpital. Ce roman de réconciliation se déploie autour de personnages attachants comme celui d'Helen et de son frère, Declan. Les années 80 ont été marquées par la tragédie du sida et Colm Toibin s'empare de ce sujet avec une délicatesse surprenante même s'il décrit avec précision les dégâts physiques du jeune homme d'un courage incroyable. Les rancunes, les non-dits, ne s'envolent pas facilement dans l'esprit de chaque protagoniste mais, l'apaisement dans les relations advient quand la maladie frappe. Le style sobre et sans fioriture de l'écrivain évite la noirceur du sujet et ce roman démontre le talent particulier de Colm Toibin, celui de proposer une analyse psychologique d'une finesse de dentelle.
mardi 11 mars 2025
"1984", George Orwell, 2
Une intrigue amoureuse naît entre Weston et Julia, une collègue du "commissariat aux romans". Leur relation secrète ne dure pas longtemps malgré leurs rencontres secrètes car l'Etat interdit la sexualité. Ils découvrent un cercle de rebelles appelé la Fraternité. A leur tête, Emmanuel Goldstein, l'ennemi de l'Angsoc, qui passe sur les écrans lors des "Deux Minutes de la Haine" quotidienne. Cet ennemi n'a jamais existé et s'avère être une invention pour traquer les réfractaires à la pensée unique. Mais, ils sont trahis par un contact qui s'avère appartenir au Parti. Weston est jeté dans une prison et il est soumis à des mois de manipulation mentale, de la torture permanente. Il finit par craquer et trahit Julia. Sa rééducation dans le droit fil de la Police de la Pensée est accomplie. Il n'est plus qu'une coquille vidée de son humanité, de sentiments et de dignité. George Orwell abandonne son "héros" dans sa béatitude admirative de Big Brother. Tous les ex-criminels finissent exécutés par le Parti. Le dessein final de cette société totalitaire aboutira en 2050 car "toute connaissance de l'ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron plus qu'en versions novlangue. (...) Ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu'ils étaient jusque-là". Les bibliothèques n'existent plus et l'écrivain rappelle les autodafés des nazis : "La chasse aux livres et leur destruction avaient été faites avec autant de soin dans les quartiers prolétaires que partout ailleurs. Il était tout à fait improbable qu'il existât, quelque part dans l'Océania, un exemplaire du livre imprimé avant 1960". Pour ma part, j'ai lu ce roman d'anticipation avec un certain effroi et après les totalitarismes du XXe siècle, le XXIe siècle me semble bien mal parti. George Orwell avait une prémonition glaçante : "Vous désirez une image de l'avenir, imaginez une botte, piétinant un visage humain... Eternellement... ". Pour mieux connaître cet écrivain majeur du siècle dernier, de nombreuses émissions de France Culture sont disponibles en podcast. On peut aussi lire toute l'oeuvre de George Orwell dans la prestigieuse collection de la Pléiade chez Gallimard. "1984", un roman d'une actualité brûlante !
lundi 10 mars 2025
"1984", Georges Orwell, 1
Je n'avais jamais lu ce classique de la littérature anglaise, "1984", de George Orwell. J'avais l'impression de connaître ce texte tellement il sert de référence pour tous les lecteurs et lectrices qui aiment le genre dystopique. Comme le monde vacille en ce moment sur ses bases traditionnelles, ce roman, publié en 1949, conserve une actualité bien plus qu'inquiétante. L'écrivain anglais achève ce livre à la veille de sa disparition, le neuvième de son oeuvre. Le thème majeur décrit les conséquences du totalitarisme, de la surveillance de masse, de l'anéantissement de l'individu. Lui-même, socialiste démocrate, antifranquiste, appartenait à la gauche antistalinienne. L'histoire se déroule dans un futur imaginaire à Londres. Le monde entier est en guerre perpétuelle entre trois blocs géopolitiques tous totalitaires : l'Oceania (l'Occident d'aujourd'hui), l'Eurasia (la Russie) et l'Estasia (la Chine et plus). La Grande Bretagne, province d'Oceania, s'est transformée en dictature, dirigée par Big Brother, un leader soutenu par la police de la Pensée. Dès les premières pages du roman, une cascade d'horreurs surgit pour présenter le modèle du totalitarisme : un télécran permanent sur les individus, aucune intimité, le négationnisme historique, la propagande permanente pour vanter la gloire du leader, la liberté d'expression interdite, la torture et la déportation des rebelles, la sexualité contrôlée, la vérité niée, etc. Le slogan du Parti, lapidaire et cynique, s'affiche partout : "La guerre, c'est la paix. La liberté, c'est l'esclavage. L'ignorance, c'est la force". Le personnage central, Winston Smith, travaille au sein du Ministère de la Vérité ! Il doute, se méfie, n'adhère pas complétement à l'idéologie totalitaire et rêve du passé avant la dictature. Il trouve un cahier dans une papeterie et cet objet si banal en soi déclenche en lui l'envie de raconter le cauchemar d'Oceania. Son journal intime l'aide à traverser cette vie insupportable. Winston Smith occupe un poste stratégique : falsifier le passé et inventer les mensonges du Parti. Ce monde totalitaire possède son propre langage, la novlangue, en se dotant d'un nouveau dictionnaire : "Vous croyez que notre travail principal est d'inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu'à l'os". Mort de la pensée, mort du libre arbitre, mort de la civilisation. Comment résister dans ce monde mortifère ? Le camp du Bien ? Winston Smith garde dans sa mémoire le sentiment des temps anciens, "Des temps où existaient encore l'intimité, l'amour et l'amitié (...) Aujourd'hui, il y avait de la peur, de la haine, de la souffrance, mais il n'y avait aucune dignité dans l'émotion. Il n'y avait aucune profondeur, aucune complexité dans les tristesses". (La suite, demain)
samedi 8 mars 2025
"Mrs Dalloway", Virginia Woolf
En cette journée des Droits des femmes du 8 Mars, je ne pense qu'à l'une d'entre elles, celle qui m'a influencée depuis des dizaines d'années. Je veux parler, non pas de Simone de Beauvoir, mais de Virginia Woolf. J'ai écouté sur France Culture une émission sur les cent ans de "Mrs Dalloway", publié en 1925. J'ai lu ce roman à trois reprises pour m'imprégner de l'univers woolfien. Il ne se passe pas grand chose dans ce texte. L'intrigue est inexistente : le personnage féminin raconte sa journée. Elle doit organiser une réception en l'honneur de son mari. Elle reçoit la visite inopinée d'un ancien amoureux, Peter Walsh et leur rencontre provoque un flux de souvenirs et surtout d'interrogations sur sa vie. Un des invités de la soirée mentionne le suicide d'un soldat, Septimus Warren Smith, revenu du front. Il souffre de trouble de stress post-traumatique et de crises hallucinatoires. Clarissa Dalloway est bouleversée par ce choix du suicide. Virginia Woolf analyse à travers ce chef d'oeuvre les vibrations sensuelles de la vie. Les carillons, le printemps, le flux de Londres, les fleurs, la lumière. Les sons, les images, les sentiments, l'écrivaine tente de "sauver cette partie de la vie, la seule précieuse, ce centre, ce ravissement, que les hommes laissent échapper, cette joie prodigieuse qui pourrait être nôtre". Mais, en arrière-plan, rôdent l'inquiétude, l'angoisse et le vertige du suicide. Ce livre culte sur le temps, sur l'amour, sur les relations sociales représente la quintessence de tous les livres de la grande Virginia. J'ai repris mon Folio pour relire quelques passages. J'avais souligné ces lignes sur le personnage de Peter Walsh : "L'avantage de vieillir (...) c'est tout simplement que les passions demeurent aussi vives qu'auparavant, mais qu'on a acquis, finalement, la faculté qui donne à l'existence sa saveur suprême, la faculté de prendre ces expériences et de les faire tourner, lentement, à la lumière". Plus loin, Virginia Woolf écrit : "La vie à elle seule, chaque seconde, chaque goutte de vie, l'instant présent, là, maintenant au soleil, à Regent's Park, cela suffisait". Essayiste féministe, critique littéraire, romancière, cent ans après, Virginia Woolf n'a jamais été aussi moderne dans ses choix de vie : la cause juste des femmes pour leur indépendance dans "Une chambre à soi", la conquète de son "moi" intime dans son "Journal", son invention du flux de conscience dans tous ces romans novateurs. Virginia Woolf, au fond, comme Marcel Proust, symbolisent la Littérature : "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent, réellement vécue".
vendredi 7 mars 2025
"Ann d'Angleterre", Julia Deck
Prix Médicis en 2024, le récit autobiographique de Julia Deck, "Ann d'Angleterre", publié au Seuil, évoque sa mère, Ann, d'origine anglaise. La narratrice relate son pressentissement : "On y pense ou on n'y pense pas. J'y pense depuis trente ans". En avril 2022, Julia Deck découvre le corps inanimé de sa mère, âgée de 84 ans, dans sa salle de bain. Atteinte d'une hémorragie cérébrale, elle a passé vingt-huit heures toute seule, sur le carrelage. L'ambulance la conduit aux Urgences et elle va rester à l'hôpital pendant six mois. Pour sa fille, cet événement est une catastrophe. Sa mère, pourtant en bonne santé, s'enfonce dans un abîme sans fin. Deux récits s'alternent après ce drame prévisible, celui du passé d'Ann en Angleterre et en France et son présent à l'hôpital. La narratrice affronte ces bouleversements et l'écriture de ce journal intime l'aide à passer ce cap Horn de la vieillesse naufragée : "C'est l'ordinaire des mères et des filles enchaînées par un cordon d'acier". La narratrice raconte avec un certain humour le périple hospitalier de sa mère : urgences, médecins impuissants, soins négligents, manque de personnel, administration inhumaine. Un monde médical à la dérive malgré ses performances techniques évidentes. Les internes "gèrent le flux" et "font tourner les lits". Une assistante sociale n'attend que le placement d'Ann Deck dans une maison de retraite médicalisée. Comme sa mère commence à perdre la mémoire, il est urgent de rassembler les souvenirs pour évoquer sa vie. La biographie maternelle se charge de déminer la violence du présent à l'hôpital. Eleanor Ann, née en 1937, à Billingham, une cité ouvrière, quitte son pays pour tenter l'aventure parisienne. Après des études d'histoire, elle enseigne l'anglais à des employés de Colgate et d'une banque. Sa mère rencontre François et donne naissance à son unique fille, Julia. Femme libre et cultivée, elle "a traversé la guerre, la reconstruction, la Nouvelle Vague, la dolce vita, les swinging sixties". La narratrice ne supporte pas la déchéance physique et intellectuelle de sa mère. Leur relation n'est pas toujours sereine et apaisée. Bien au contraire. Tout l'art de l'écrivaine s'imprègne de l'ambiguité des sentiments familiaux entre amour et exaspération. Un secret de famille effleure le récit concernant une cousine anglaise que sa mère adorait tout particulièrement. Julia Deck dévoile aussi ses périodes dépressives, sa vie d'écrivain entre salons et signatures. La maladie de sa mère se dégrade au fil des jours. Sa mère refuse de partir dans un EHPAD (mot technique déshumanisé), mais le réel s'impose et elle intègre une maison de retraite. L'écrivaine rend un hommage touchant à une femme du XXe siècle, forte et indépendante, une mère responsable de sa vie et de celle de sa fille. Ann et Julia. Un beau récit autobiographique à lire sans hésiter.
jeudi 6 mars 2025
"La Maison du magicien", Emanuele Trevi
J'ai découvert récemment l'écrivain italien, Emanuele Trevi, né à Rome en 1964. Il poursuit sa réflexion sur le rapport qu'il entretient avec les disparus. Son récit précédent, "Deux vies", évoquait l'amitié entre Pia Pera et Rocco Carbone, deux écrivains minés par l'échec. Cet ouvrage a obtenu le prestigieux prix Strega en 2021. Dans "La Maison du magicien", paru l'année dernière chez Philippe Rey, l'auteur dresse le portrait de son père, Mario Trevi, psychanalyste de renom et le mage de l'histoire. Emanuele Trevi a hérité de son appartement et il décide de s'y installer. Cette habitation dans un quartier résidentiel de Rome n'est pas une demeure de charme : "L'usure et la vieillesse avaient répandu sur ces pièces une patine de désolation". Sa propre mère ne cessait de lui dire en définissant l'attitude imprévisible de ce père : "Tu sais comment il est". Le fils Trevi tente l'impossible : il se met à l'affût de cet homme énigmatique par nature. Il se plonge dans ses écrits, dans ses carnets, dans les notes qu'il a déposées en marge de ses livres. Le narrateur découvre une de ses manies originales : il a accumulé des pierres par centaines, polies à la main par ses soins. Des souvenirs d'enfance très drôles illustrent le comportement insaisissable de cet homme secret et de son inattention légendaire, ce qui est paradoxal pour un psychanalyste. D'autres personnages interviennent dans ce texte : une certaine Miss Miller qui a fasciné Jung pour un article qu'elle avait écrit, une femmme fantôme visitant l'appartement et laissant des signes de son passage. D'autres femmes bien vivantes, une femme de ménage péruvienne et sa cousine Paradisa s'emparent de son espace en semant le désordre. Se laissant débordé par toutes ces perturbations, le narrateur sera sauvé par le départ de ces envahisseuses indésirables vers d'autres horizons. Quelles leçons le narrateur peut-il tirer de son enquête sur ce père si absent ? Etre un enfant sans une présence paternelle solide laisse des traces, des traumatismes que le narrateur tente de découvrir. Emanuele Trevi dévoile le passé d'un père d'une grande humanité, distrait et attachant. Le style poétique, fantaisiste de cet écrivain italien ressemble aux pierres polies de son père, des galets cueillis au bord des rivières. Une lecture charmante et originale.
mercredi 5 mars 2025
"Autobiographie de mon père", Pierre Pachet
Dans ma liste de récits autobiographiques de l'Atelier Littérature, j'ai choisi "Autobiographie de mon père" de Pierre Pachet. Qui est Pierre Pachet ? Un écrivain (1937-2016) peu connu du grand public et pourtant, il mériterait plus d'admiration. De parents d'origine russe, il était maître de conférences et il a publié des ouvrages sur la littérature dont "Les baromètres de l'âme" sur le journal intime. De formation hélleniste, il a même traduit "La République" de Platon, publié chez Gallimard. Une partie de son oeuvre est consacrée à l'autobiographie et il a longtemps participé comme critique littéraire dans le bimensuel, "La Quinzaine littéraire" et sur le site "En attendant Nadeau". Dans "Une autobiographie de mon père", publié chez Autrement en 1987, l'écrivain raconte la vie de son père, né en 1895, dans une famille juive de la Russie méridionale. Son entreprise littéraire naît vingt ans après sa mort : "La mort de mon père n'avait pas étranglé sa parole (...) Car elle se trouvait désormais soumise à une tâche nouvelle, exorbitante : celle de se raconter tout au long, de s'engendrer dans une solitude absolue, d'assumer la responsabilité entière de son existence". Il s'appelait Simkha (joie en hébreu) Opatchevsky. Il quitte Odessa en 1905 pour la France où il suit des études de médecine. Il va se contenter de devenir dentiste et pratiquera ce métier sans passion particulière. Etudiant sérieux et besogneux, il a une proposition pour partir en Amérique mais il reste en France. Il se définit comme un homme timide, mélancolique et "méditatif". Il se marie et s'installe son cabinet de dentiste à Paris, puis à Vichy. Naissent ses deux enfants dont Pierre, le biographe de son père. Dans une France occupée, il franchit la ligne de démarcation pour mettre sa famille à l'abri. En 1945, il s'interroge sur son milieu de vie, sur l'expérience de la guerre et du sort atroce des Juifs. Sa santé se détériore, sa vision et sa mémoire se fragilisent. Les pages consacrées à sa fin de vie sont frappantes de vérité et de lucidité. Le fils, Pierre, rend un hommage sobre et sans concession à un homme complexe qu'il essaie de décrire, de comprendre, d'aimer malgré un vie parfois difficile dans les méandres sombres de son identité "d'immigré russe et juif". Cette autobiographie d'une écriture remarquable est à découvrir.
dimanche 2 mars 2025
"Trésor caché", Pascal Quignard, 2
Luigi meurt donc de chagrin car il ne supporte pas la disparition de sa mère. Louise quitte son paradis terrestre d'Ischia et retourne dans sa maison de campagne. Elle retrouve son cercle familial et elle cumule des pertes : son père et son ex-mari. Cette série de deuils au seuil de sa retraite et d'un "certain repli sur soi" rappellent à Louise le décès de sa mère quand elle était enfant. Pascal Quignard évoque avec bonheur l'avancée de l'âge et ce "trésor caché" semble correspondre à l'éloge tout simplement de la vie dans tous ces facettes lumineuses ou sombres. La symbolique de l'eau imprègne les pages : de la mer aux rivières, des lacs aux fleuves, l'auteur ressent une fascination pour cet univers liquide. Ce roman hybride mêle toutes les formes littéraires : conte, aphorismes, légende, histoire amoureuse, journal intime, éloge. L'art de l'écrivain englobe ces libertés de l'écriture sans se conformer à un modèle unique et uniforme : "Parfois les mots sont des hameçons étranges qui piquent ou qui embrochent un bout de vie au fond de la mémoire". Le coeur du roman repose sur le personnage de Louise, un double féminin de Pascal Quignard, à la recherche du bonheur d'être et ce "trésor caché" symbolise toutes les possibilités que la vie donne pour l'apprécier. Quand un journaliste a demandé à l'écrivain un voeu en début d'année, il a répondu l'essentiel : "rester vivant". Dans ce livre qui condense toutes les facettes "quignardiennes", deux éloges m'ont semblé dominants : l'éloge des chats et l'éloge de la vieillesse. Les chats prennent une place importante dans la vie de Louise (et de Pascal Quignard). Farouches, libres, indépendants, calins, intelligents, ils sont omniprésents dans le texte. Il est très rare qu'un écrivain évoque le "vieillissement" sans constater le ravage éventuel physique, moral et intellectuel du cumul des années. Mais, Pascal Quignard ne sombre pas dans ce pessimisme. "L'âge tend une main plus vaste que ne peuvent l'être les poings ou les menottes du premier monde, du premier jour de la naissance, des premières saisons de l'enfance. (...) Seul l'âge, dans le monde externe, constitue le trésor". Il faut se laisser porter par le flux poétique de ce texte entre "la jouissance de la vie et la mélancolie de la perte". Un des meilleurs romans de Pascal Quignard.
samedi 1 mars 2025
"Trésor caché", Pascal Quignard, 1
Dès que j'ai appris la date de sortie d'un dernier Quignard, je suis allée l'acheter chez Garin. "Fan" de cet écrivain quelque peu énigmatique, je le lis et le relis régulièrement. Son roman, "Trésor caché" semble rencontrer un succès auprès d'un public élargi car l'écrivain pourtant farouche à toutes promotions est passé à la Grande Librairie, mais aussi à France inter et France culture. Je le soupçonne aujourd'hui de son envie de quitter sa caverne au bord de sa rivière pour que son oeuvre soit plus visibilisée dans les médias. Les critiques se montrent unanimes sur la qualité de son dernier livre, d'une clarté inhabituelle. L'écrivain n'hésite plus à révèler qu'il a vécu des périodes dépressives dans sa vie et il parvient maintenant à surmonter ses crises. Il préfère comme tout un chacun cultiver le bonheur, choisir la joie à la tristesse. Pascal Quignard raconte donc sa foi retrouvée pour une vie "bonne et belle". J'ai toujours apprécié son indépendance revendiquée et sa liberté d'écriture. Il me fait penser à son illustre collègue, Julien Gracq, d'une discrétion absolue et refusant même le prix Goncourt pour ne pas se compromettre avec le spectacle médiatique que cela implique. Que raconte-t-il dans sa nouvelle fiction ? Son personnage central se nomme Louise, une quinquagénaire, lectrice de manuscrits et vivant dans une maison de campagne avec son chat. Un jour, son chat meurt et elle décide de l'enterrer dans son jardin. En creusant la terre, elle découvre une cassette pleine de pièces d'or et de bijoux, "le trésor caché". Le conte démarre sur cet événement proche de l'enfance. Qui n'a pas rêvé de découvrir un trésor dans son jardin ? Ce cadeau inopiné va lui offrir une vie nouvelle. Elle aime voyager et parcourt le monde mais elle tombe amoureuse de la baie de Naples. Elle rencontre Ludwig ou Luigi, un allemand amoureux de Procida. Louise connaît l'amour avec un grand A, d'un romantisme sensuel flamboyant : "Le bonheur s'avança comme une vague brusque et immense qui, peu à peu, la renversa et l'engloutit". Cette parenthèse enchantée quoique très brève va se refermer quand Luigi perd sa mère adorée à Ischia. Après le deuil d'une mére, un autre événement bouleverse le couple. Ischia, cette île volcanique, étrange et fascinante, va subir un tremblement de terre qui ravage l'île, symbole du couple Louise-Luigi. Pascal Quignard, en moraliste très XVIIe siècle, intègre souvent dans son texte des aphorismes comme celui-ci : "Il est possible que l'amour soit une tendresse pour la solitude de l'autre". Son compagnon plonge alors dans une grande tristesse et il ne s'en remet pas : "Le chagrin illumine étrangement le monde. Le deuil y porte son ombre mais cet ombre, souvent, en souligne, en accuse, en augmente la beauté en même temps que la détresse. (...) C'est ainsi que la mélancolie embellit le présent". (la suite, demain)
mercredi 26 février 2025
"Le Journal, les années hongroises, 1943-1948", Sandor Marai, 2
Sandor Marai a vécu à Paris comme correspondant d'un journal dans les années 20 et il voue donc un culte à la littérature française. Ses critiques n'épargnent pas Paul Morand, Montherlant et même Montaigne sans oublier Aragon et Sartre. Par contre, il vénère Stendhal, Proust et Thomas Mann. Son journal raconte sa vie intellecturelle avant tout comme tout écrivain qui voit dans sa langue des racines profondes et essentielles. Dans son Journal, il montre souvent sa passion des livres, de la littérature : "Tout de même, c'est en eux que je puise des forces. Cette pièce avec ses livres, c'est ma patrie... (...) Considérer avec un bonheur reconnaissant ces livres, mes derniers amis". L'écrivain dénonce tous les totalitarismes aussi bien le communisme que le nazisme : "Affronter le fanatisme. Seule arme : ne pas se lasser, argumenter, répondre de façon logique, même quand le fanatisme t'éclabousse la figure de sa bave sifflante". Sa conscience européenne se révèle forte même s'il se laisse souvent submerger par un pessimisme lucide : "Tout est ruines, décombres et cadavres en putréfaction. L'Europe n'existe plus que dans quelques livres comme "Les Buddenbrook" ; dans une fugue de Bach ; sur une toile de Manet ; et dans la mémoire de quelques uns, de moins en moins nombreux". L'écrivain hongrois se sent seul, isolé, incompris comme ses "collègues", Thomas Mann et Stefan Zweig : "Pourquoi je vis dans une forme d'exil intérieur ? Il n'est point de patrie sans liberté intellectuelle". En 1946, il comprend qu'il doit quitter son pays tellement la situation politique bascule, après le nazisme, dans le totalitarisme communiste. La langue hongroise demeure sa seule patrie. Ce journal "patchwork" contient des analyses politiques qui constituent un témoignage historique incontournable. Moraliste, il s'interroge sur la condition humaine et sur l'histoire du XXe siècle. Sandor Marai est aussi un homme éminemment cultivé et un lecteur hors pair. Il définit sa mission d'écrivain ainsi : " Un écrivain ne peut exprimer son mystère le plus personnel, l'essence de son être que si l'époque et le monde qui l'entourent accueillent ce mystère, cette essence. On ne peut pas parler dans le noir et dans un air raréfié". Il n'oublie pas aussi les tracas de son quotidien dans un pays détruit pour se nourrir et pour survivre. A 44 ans, il ne souhaite que poursuivre ce qui fait la trame de sa vie, l'écriture : "J'aimerais vivre encore, j'aimerais écrire la vérité, mais autrement, dans sa totalité ; comme si le souffle du monde devrait donner une fois encore des ailes à mon âme". Pour ma part, j'ai beaucoup apprécié ce journal littéraire et je m'apprête à lire le tome suivant qui couvre les années 1949-1967. Un écrivain attachant, lucide. Un témoin d'une époque sombre et pas si lointaine que l'on s'imagine.
lundi 24 février 2025
"Journal, les années hongroises,1943-1948", Sandor Marai, 1
J'ai choisi le thème des journaux, des autobiographies et des récits de vie pour l'Atelier du jeudi 27 mars. Ma liste de livres concerne donc une littérature du Réel, de la vie sans le filtre de la fiction. J'ai donc lu "Le Journal, les années hongroises, 1943-1948", de Sandor Marai, paru chez Albin Michel en 2019. Je connaissais quelques romans de cet écrivain hongrois que l'on compare parfois à Stefan Zweig. Né en 1900 à Kassa, il est mort à San Diego, aux Etats-Unis en 1989. Journaliste, poète, auteur dramatique, il connaît le succès très tôt avec "Le Premier Amour" en 1928, "Les Révoltés", "L'Etrangère", "Les Confessions d'un Bourgeois" et tant d'autres. Il est le premier à découvrir Kafka qu'il traduit en hongrois. Sandor Marai et sa femme perdent leur fils après sa naissance et ils adopteront un garçon, Janos. Il observe avec inquiétude la montée des régimes totalitaires dans ces années 30. Antifasciste déclaré, il se situe du côté démocrate et il doit fuir Budapest à cause de l'invasion de son pays par les Allemands en 1944. Il commence son journal intime en 1943 et le tiendra jusqu'à sa mort. Témoin de son temps, l'écrivain décrit avec précision les événements de son pays dans cette époque trouble et opaque. Son regard profondèment humaniste sur le sort des Juifs de Budapest montre l'horreur du nazisme. Sa femme, Lola, était d'origine juive et ils se sont installés dans un village pour fuir les rafles en ville. Il est horrifié par l'antisémitisme meurtrier des Hongrois eux-mêmes, proches des Allemands. Il évoque les pillages des magasins, des logements et observe les déportations en masse des Juifs hongrois. L'Histoire avec un grand H imprègne toutes les pages de son Journal. A côté de ce présent angoissant et poignant, la littérature tient aussi un rôle majeur. Il aime André Gide, Anatole France, Rilke, Goethe, Mauriac et il cite même Virginia Woolf et son roman les "Années" : "Quelle force silencieuse et grave à chaque ligne". Sa vie intime apparaît dans son texte : son entourage immédiat, sa propre santé en particulier souvent évoquée. Il partage avec Stefan Zweig, le même sentiment nostalgique d'un monde perdu, l'Europe : "Même si je survis, jamais plus je ne reverrai l'Europe que j'ai connue. Quand tout sera terminé, nous serons des sages, des carreaux brisés dans les mains, comme Job sur son tas de cendres". Il rappelle souvent les raisons de ce journal : "Tant que je vivrai, je devrai travailler, observer la vie, les hommes, les phénomènes du monde, tout ce qui est complexe et incompréhensible".
vendredi 21 février 2025
"De nos blessures, un royaume", Gaelle Josse
Le dernier roman de Gaelle Josse est sorti en janvier dernier : "De nos blessures, un royaume", paru chez Buchet-Chastel. Dès la première page, l'écrivaine au style si délicat, raconte l'histoire d'une blessure inguérissable. Agnès, danseuse professionnelle, a monté un spectacle avec sa troupe. Dès qu'elle termine sa tournée, elle quitte tout pour entamer un voyage-thérapie. Cette jeune femme a perdu son compagnon, Guillaume, et cette perte la hante à tout instant. Elle saisit son vieux sac à dos pour un périple en autocar qui va la mener de Nice à Zagreb, mille kilomètres à parcourir. Elle emporte avec elle le livre de chevet de son compagnon, "Eden, lettres à ma fille" de Julien Lancelle. Guillaume était un contemplatif "posé, ancré" et terrien, le contraire d'Agnès, bondissante et aérienne, faite "de feu et de vent". Dans ce voyage à étapes, elle revoit les lieux qu'ils ont aimés : de Milan pour un tableau du Caravage jusqu'à Mantoue où elle admire "La Chambre des Epoux", de Trieste où elle monte à Opicina à la frontière slovène à Zagreb, étape finale de son trajet. Les souvenirs affluent au même rythme que ses cheminements géographiques : "Des détours et des étapes, des hésitations, des repentirs, des visages, des rencontres, ou des possibilités de rencontres avec des moments pour revoir des choses aimées, des moments pour se découvrir, un voyage comme une promesse" . Gaelle Josse intègre aussi le livre de Julien Lancelle, une histoire d'un père aimant et de sa fille "différente" à qui il sacrifie sa propre vie. Agnès relate les impressions de son voyage avec des compagnons de fortune et quand elle arrive à Zagreb, elle accomplit le geste final : remettre le livre de chevet sur un autel du souvenir à Zagreb. Elle écrit : "Je me dis que les souvenirs, c'est un peu comme ce papillon qui ressemble à une petite feuille sèche, invisible sur le sol, le bois, la pierre". Evidemment, Gaelle Josse a inventé l'écrivain fétiche de Guillaume et son "Eden". Les deux textes s'entrelacent avec un charme certain et se répondent. L'écrivaine évite le pathos et le "feel good" dans ce texte de deuil où l'espoir d'une vie "bonne" demeure un "royaume" à sauver. Une écriture subtile, délicate, une histoire de rédemption pour Agnès et pour Julien, un peu de tendresse dans ce monde de fous...
Rubrique Cinéma : "Prima la Vita", Francesca Comencini
Francesca Comencini a réalisé un film intimiste et attachant sur son père, Luigi Comencini, dans "Prima la vita". Son père, décédé en 2007, était un immense cinéaste italien aux quarante films dont "Pain, amour et fantaisie", "L'argent de la vieille" ou "Les aventures de Pinocchio". Cette fiction biographique raconte l'enfance enchantée de la petite fille dans le monde fascinant du cinéma de cette époque. L'univers magique des tournages avec des scènes cocasses montre la complicité profonde entre un père adorable et une petite fille espiègle et énergique. Il intervient dans l'école de sa fille quand elle lui avoue que la maîtresse se moque d'un élève. Mais, la vie avance et l'enfance s'éloigne, la magie aussi. Francesca traverse l'adolescence et la jeunesse avec beaucoup plus de difficultés. L'Italie plonge dans les années de plomb et Francesca se rebelle contre l'ordre bourgeois incarné par son père. A la mort d'Aldo Moro, les étudiants applaudissent cet assassinat... La jeune étudiante sombre aussi dans la drogue. Son père réagit et quitte Rome pour Paris. Il veut la sauver de cette addiction mortifère. Leur relation se tend, se trouble. Luigi se bat pour la maintenir en vie et vient le moment où le sevrage fait son effet. Le troisième volet du film évoque l'âge adulte de Francesca, son apaisement et sa renaissance. Son père devient de plus en plus malade et leur relation s'inverse. C'est elle qui le soutient dans une relation inversée. La réalisatrice a choisi la relation unique entre son père et sa fille sans mentionner la présence de sa mère et de ses trois soeurs. Elle rend un hommage passionnant à un père fabuleux et aussi au cinéma. J'ai vraiment retrouvé le charme de l'Italie à travers ce film original. Des images de Rome, de Naples, les années 70, les couleurs, les rues, le brouhaha, la langue italienne si musicale. Un beau film à voir par tous ceux et celles qui aiment l'Italie. Des retrouvailles heureuses. Et une envie de partir dans ce pays magnifique.
mercredi 19 février 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 2
Danièle a présenté "Des diables et des saints" de Jean-Baptiste Andrea, publié en 2022 dans le Livre de Poche. Ce beau roman sur l'enfance raconte l'histoire d'un orphelin. Un vieil homme joue du Beethoven sur les pianos publics dans les gares ou dans les aéroports. Il s'appelle Joe et il gâche son talent de concertiste dans ces espaces anonymes. Pourquoi ce destin ? Alors qu'il avait 16 ans, il perd sa famille dans un accident d'avion. Il est envoyé dans un pensionnat des Pyrénées où il va vivre un enfer de maltraitance, de corvées, de violences. Heureusement, il rencontre Rose, une jeune fille de son âge qui va le sauver. Danièle nous a informé qu'un de ses amis, Gérard Ponson, était à l'origine de cette histoire. L'orphelinat en question se situait en Savoie et un documentaire relate ce fait de société, "Les oubliés de la belle étoile". Un roman moins connu à découvrir de Jean-Baptiste Andrea, lauréat du prix Goncourt en 2023. Danièle a aussi évoqué un ouvrage de Thomas Clerc, "¨Paris, musée du XXIe siècle, le 18 arrondissement". Comme elle a vécu dans ce quartier, elle a retrouvé l'ambiance de son "Paris". Pascale a choisi son grand coup de coeur : le troisième volet de la trilogie du "Pays des autres", "J'emporterai le feu", paru chez Gallimard. Enfants de la troisième génération de la famille Belhaj, Mia et Inès sont nées dans les années 80. Elles cherchent à être libres chacune à sa façon, "dans l'exil ou dans la solitude". Il leur faudra affronter les préjugés, les malentendus et les nouveaux codes. Cette fresque familiale a déjà conquis un large public qui avait hâte de connaître ce troisième volet. Régine a présenté un roman original, "La pierre et l'ombre" de l'écrivain turc, Burhan Sonmez, paru chez Gallimard en 2023. Avdo, maître marbrier et gardien de cimetière, a vécu "mille vies" avant de s'installer à Istanbul. Il cherche la paix, mais, il n'imaginait pas que son passé reviendrait le hanter. Il aperçoit une jeune femme dans le cimetière que la police pourchasse. Qui est cette mystérieuse Reyhan ? L'écrivain brosse un portrait sans concession de la Turquie du siècle dernier. Une mosaïque historique complexe qui interroge les thèmes de la mémoire et de l'identité. Régine met à l'honneur un auteur peu connu du grand public et qui mérite amplement d'étre découvert. Très bonne récolte des coups de coeur dans l'Atelier de février. J'attends la même cueillette fructueuse en mars !
mardi 18 février 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 1
Après la littérature irlandaise d'une vigueur certaine, nous avons évoqué les coups de coeur. Annette a présenté son coup de foudre comme elle l'a dit, "Le Rêve du jaguar", de Miguel Bonnefoy, paru chez Rivages en 2024. Au Venezuela, le petit Antonio, orphelin, recueilli par une mendiante de Maracaibo, va connaître un destin extraordinaire. De vendeur de cigarettes à domestique dans une maison close, son énergie bouillonnante le sort de sa condition et il devient l'un des plus illustres chirurgiens du pays. Sa femme, Ana Maria, médecin elle-même, donnera naissance à une petite fille, Venezuela. Celle-ci, devenue adulte ne rêve que de Paris. Cette saga familiale, chatoyante et fantasque, aux personnages vibrants de vie, rappelle le monde de Gabriel Garcia Marquez et son "Cent ans de solitude". Ce roman a cumulé deux prix littéraires : le Femina et celui de l'Académie française. Agnès a choisi "La gosse" de la journaliste, Nadia Daam, paru chez Grasset. Une mère raconte sa relation avec sa fille de 18 ans. Elle pensait que ce serait plus facile d'élèver une fille qu'un garçon, mais elle ressent une peur pour sa fille "qui devient une femme de tous les désastres liés à son genre". La "Gosse" en question prend son envol même si sa mère craint le pire pour elle. Cette chronique "mono-parentale" sur l'adolescence et ses dangers a beaucoup intéressé Agnès. Geneviève poursuit sa lecture passionnante des "Rougon-Macquart" qui constitue son grand coup de coeur du moment. Odile a beaucoup apprécié un roman écrit par une écrivaine chambérienne, Marjorie Tixier, et son "Pays blanc". Ce pays blanc se nomme Pologne et en 1926, Helena quitte ce pays qu'elle aime tant pour un exil sans retour avec son nourrisson "illégitime". La France les accueille. En 2022, à Paris, Thomas, artiste peintre, ne sait rien de ses ancêtres et sa mère reste mutique. Il retourne en Pologne pour, enfin, découvrir ses racines familiales. Un roman sur quatre générations à découvrir sans tarder. Odile et Janelou ont présenté le même coup de coeur, fait assez rare dans l'Atelier. Il s'agit "Les Ames féroces" de Marie Vingtras, publié chez L'Olivier. Léo, une jeune fille, a disparu et le shérif Lauren Hobler découvre son corps au milieu des iris sauvages. L'enquête demarre et plusieurs points de vue composent ce texte-enquête d'une grande ampleur romanesque. L'histoire se déroule dans une petite ville américaine et l'écrivaine traque "la part d'ombre de chacun". Nos deux amies lectrices nous ont donné envie de lire cerre nouveauté de l'année dernière, le deuxième roman de Marie Vingtras après "Le Blizzard".
lundi 17 février 2025
Atelier Littérature, 2
Odile a choisi "Un peu de bleu dans le ciel" de Maggie O'Farrell, publié en 2018. Elle a lu ce roman presque par devoir sans être vraiment "emballée" par l'histoire. Daniel Sullivan, professeur d'université, vit en Irlande depuis longtemps. Il est marié et père de deux enfants. Comme il n'a pas vu son père depuis longtemps qui vit en Amérique, il décide de le revoir. Dans la voiture vers l'aéroport, il apprend que Nicola, son premier amour, est morte. A partir de cet événement, une cascade de souvenirs se déverse dans sa tête. L'écrivaine irlandaise, Maggie O'Farrell, n'a pas totalement réussi à convaincre Odile. Dommage. Geneviève et Agnès ont découvert le même roman, "Cet été là" de William Trevor. Encore une déception pour nos deux lectrices qui se sont ennuyées au cours de leur lecture. Pourtant, la critique littéraire avait conseillé ce roman. Dans les années 50, Florian, jeune photographe, tombe amoureux d'une femme du village. Elle croit qu'elle va vivre une belle histoire. Mais, le jeune Florian ne songe qu'à son projet : quitter l'Irlande. On a comparé William Trevor à Tchekhov et à Katherine Mansfield. Régine a présenté le roman de Colm Toibin, "Nora Webster", paru en 2016. J'ai déjà parlé de ce beau roman psychologique sur le destin d'une femme entravée par la tradition familiale et qui, à la mort de son mari, s'assume et se libère hors du carcan social. Un portrait sensible d'une femme des années 60, tout en douceur et en délicatesse. Régine n'a pas été totalement séduite par Nora dans sa quête de liberté. Janelou a découvert et apprécié un roman biographique, "Le Magicien", de ce même écrivain, Colm Toibin. Ce portrait de Thomas Mann permet de connaître ce grand écrivain allemand dans toutes les facettes de sa vie, aussi bien publique que privée. Véronique m'a envoyé un message pour évoquer le roman de Dermot Bolger, "Une seconde vie", paru en 2012. Elle a eu "du mal" à rentrer mais finalement c'est un beau livre". Mylène, étant absente, a choisi un roman hors de la liste. Il s'agit du "Le chant du Prophète" de Paul Lynch. Ce livre l'a bouleversée et je recopie sa critique enthousiaste : "Une dystopie. La République d'Irlande sombre dans un régime totalitaire. Nous suivons cette descente aux enfers dans l'horreur absolue à travers Eilish, mère de quatre enfants et épouse d'un enseignant syndicaliste". Mylène a vraiment apprécié ce roman : "Thème, construction du roman et l'écriture qui nous met la fièvre dans le corps et dans l'esprit". Un hommage certain pour cette nouveauté de l'année. Paul Lynch semble décrocher la palme d'or de l'atelier Littérature. A découvrir sans tarder. On en reparlera en mars.
vendredi 14 février 2025
Atelier Littérature, 1
Jeudi après-midi, nous étions une dizaine de lectrices à la Base pour évoquer quelques romans irlandais et quelques coups de coeur dans une bonne ambiance conviviale. La première partie était consacrée à la littérature irlandaise et Pascale a démarré la séquence avec un choix personnel mais très conforme au thème du jour. Elle a présenté un premier roman venu d'Irlande de Michael Magee, "Retour à Belfast", publié chez Albin Michel en 2024. Ce livre coup de poing raconte l'histoire de Sean Maguire, étudiant à Liverpool. Il revient donc à Belfast parmi les siens, dans un quartier ouvrier où il a grandi. Après les années de conflit entre catholiques et protestants, la prospérité se fait attendre. Le jeune homme est vite rattrapé par ses vieilles habitudes : alcool, coke, argent emprunté, travail précaire comme serveur. Sa descente aux enfers va mal se terminer. Michael Magee parle de masculinité "toxique", de déterminisme social et de secrets de famille. Un roman poignant sur l'Irlande du Nord. Un premier roman, un premier coup de maître. Danièle a choisi et a beaucoup apprécié "Normal People" de Sally Rooney, l'écrivaine phénomène du pays et mondialement connue. Connell et Marianne ont grandi dans la même ville irlandaise dans deux familles différentes. Le garçon d'origine très modeste, est sportif, sociable, très en vue dans son lycée. La fille, par contre, montre un caractère un peu particulier. Elle a grandi dans le milieu huppé de la ville. De très bons élèves. Ils tombent amoureux mais leur relation va vivre des soubresauts. Ce roman sur la jeunesse, l'amitié et l'amour se lit avec plaisir, servi par un style concret, efficace et très contemporain. Sally Rooney cumule les succès éditoriaux avec son dernier roman, "Intermezzo". Odile et Annette ont lu "La neige noire" de Paul Lynch et malgré la "noirceur" du roman, elles ont bien aimé l'atmosphère pourtant éprouvante de ce texte. Un émigré irlandais revient au pays après quelques années passées en Amérique. Il achète une ferme et s'y installe avec sa famille. Mais, un incendie ravage son étable et l'empêche de vivre son nouveau départ. La communauté villageoise lui complique son retour au pays. Annette a déconseillé ce livre si le "moral est chancelant". Mais, nous allons le lire quand même. Un roman puissant, âpre, rude comme les paysages de son pays natal. Un écrivain à découvrir. Geneviève avait déjà évoqué son roman, "Grace" qui l'avait beaucoup frappée par sa beauté. (La suite, lundi)
mercredi 12 février 2025
Rubique cinéma : "Maria" de Pablo Larrain
Le réalisateur chilien, Pablo Larrain, raconte dans son film, "Maria", les derniers moments de la vie de Maria Callas, la diva de l'art lyrique la plus célèbre de la planète ! Elle s'appelait Maria Anna Cecilia Sofia Kaligeropoulos, née à New York en 1923. Son enfance malheureuse en Amérique. Son retour en Grèce avec sa mère et sa soeur en 1937. Ses débuts de chanteuse sous l'Occupation italo-allemande. Un chef d'orchestre la met sur le devant de la scène en Italie et sa carrière démarre sur un rythme infernal. Dans sa vie privée, sa relation la plus marquante avec le milliardaire Onassis qui la quittera pour Jacqueline Kennedy. Elle commence à perdre sa voix et met fin à sa carrière en 1965. Le film montre la diva à ce moment crépusculaire de sa vie à Paris dans un appartement de luxe. Son majordome et sa cuisinière la protègent avec amour et respect malgré le caractère tyrannique de leur maîtresse. Recluse et malade, droguée par des médicaments, elle tente avec désespoir de récupérer sa voix à l'aide d'un pianiste dans un théâtre fantôme. Cette voix magique, magnifique qu'elle a perdue à tout jamais. Des scènes de son passé aussi bien difficiles que flamboyantes surgissent sur l'écran avec des déambulations dans un Paris de rêve du côté du Trocadero et du Palais royal. Un journaliste la contacte pour réaliser un documentaire sur sa vie et elle apprécie ce regain d'intérêt à son égard. Evidemment, dans les scènes du passé, Maria Callas interprète ses grands rôles dans Norma, La Traviata, Les Puritains, etc. Dans tous ces décors luxueux, la cantatrice, jouée par Angelina Jolie, perclue dans le deuil de sa voix, déesse déchue de la scène lyrique, femme abandonnée par son compagnon milliardaire, meurt de solitude et de rancoeur. Ses domestiques la découvrent sur le sol du salon : son coeur a lâché. Elle n'avait que 53 ans ! Ce film déroutant sur une icône du XXe siècle se laisse regarder avec plaisir à condition d'aimer évidemment le monde de l'opéra.
mardi 11 février 2025
"Pâques Sanglantes", Iris Murdoch
Dans ma liste sur la littérature irlandaise, j'ai intégré l'écrivaine, Iris Murdoch, née à Dublin en 1919 et morte en 1999. Je l'avais un peu oubliée, cette grande écrivaine, que j'ai beaucoup lue dans les années 70. J'ai vu qu'elle était programmée dans l'émission de France Culture, "Avec philosophie". Cette renaissance m'a agréablement étonnée et j'ai eu envie de relire ses oeuvres. J'ai donc découvert "Pâques sanglantes", publié en 1989. Ce titre explicite rappelle l'insurrection de Pâques en 1916, menée par des Irlandais nationalistes, les Irish Volunteers, dans la ville de Dublin contre le gouvernement britannique. Le personnage principal, le jeune anglo-irlandais Andrew Chase-White, a passé plusieurs années en Angleterre et revient en Irlande, le pays natal de sa mère, alors que la guerre de 14 fait rage en Europe. Il est en permission avant de repartir sur le front. Il veut se marier avec sa meilleure amie d'enfance, Frances Bellman. Mais, il n'ose pas la demander en mariage : "La peur le poussait à s'approcher le plus possible de l'objet de ses terreurs". Dans le cercle de famille d'Andrew, Millicent, sa très belle tante, est courtisée par Christopher Bellmann, le père de Frances. Millie, une femme libre et sensuelle, ne vit que pour séduire les hommes. Deux frères, Pat et Cathal, se préoccupent de leur pays et de sa libération, "le but même de leur existence". Entre Andrew, l'Anglais, le traître, et Pat, le véritable Irlandais, cousins ennemis, rien ne va plus. En quelques jours, le drame historique et les querelles familiales se préparent jusqu'à l'issue finale. Millie, la tante des deux cousins, joue un rôle majeur dans le roman car elle cache les armes de Pat dont elle est amoureuse. Quand elle apprend qu'Andrew a été rejetté par sa fiancée supposée, elle initie le jeune homme à l'amour. Ce personnage pertubateur fascine littéralement tous les hommes de la famille dont un oncle, fou amoureux d'elle. A travers les deux cousins, Iris Murdoch analyse les rapports des deux pays, si proches et si lointains. Andrew avoue ne rien comprendre : "Je ne comprends rien de ces histoires de domination. Personne ne juge les Irlandais inférieurs". Ces six jours de soulèvement préfigurent la naissance de la République irlandaise et surtout la guerre civile qui s'ensuivit. Comme dans les romans de l'écrivaine, la psychologie l'emporte sur l'action et chaque personnage est ciselé par le style inimitable de la grande écrivaine anglo-irlandaise. Un roman étonnant, dense, complexe à découvrir par curiosité.
lundi 10 février 2025
"Nora Webster", Colm Toibin
Décidément, l'écrivain irlandais, Colm Toibin, est devenu ma coqueluche de l'année dernière après avoir lu trois de ses romans : "Brooklyn", "Long Island" et "Le Maître". J'ai découvert récemment "Nora Webster", paru en 2014 chez Robert Laffont. J'ai retrouvé la même ambiance feutrée, simple et authentique de l'univers de cet écrivain si subtil. Nora Webster, au fil des années 60, perd son mari et élèves ses quatre enfants, deux grande filles et deux petits garçons. Cette mère-courage cache son chagrin à sa famille et commence à prendre des décisions qui la surprennent elle-même tellement elle était peu habituée à se prendre en charge. Elle vend sa maison de vacances sur la côte pour survivre financièrement. Premier acte de liberté dans sa vie. Nora accepte d'occuper un emploi de secrétaire et malgré une collègue qui la déteste, elle s'impose et se fait respecter. Deuxième acte de liberté. Nora a toujours aimé chanter. Elle achète une chaîne stéréo et des disques pour écouter de la musique qui lui procure beaucoup d'émotion. Une professeur de piano lui propose une formation de chant et cette activité artistique lui permettra d'intégrer une très bonne chorale. Troisième acte de liberté. Malgré les soucis familiaux entre ses deux filles qui deviennent adultes et les deux petits garçons qui grandissent, la vie quotidienne de Nora s'organise avec un sentiment de liberté tout nouveau pour elle. Elle accepte aussi de partir en vacances en Espagne alors qu'elle n'avait jamais pris l'avion. Toutes ces petites victoires dans une société irlandaise en pleine mutation lui redonnent confiance et force en elle. Elle ose aussi s'affranchir des regards critiques de sa communaute villageoise. Quatrième acte de liberté. En petites touches délicates et essentielles, Colm Toibin déclarait dans un entretien : "Les phrases porteuses d'informations ne m'intéressent pas. Ce sont celles qui renferment de l'émotion qui m'intéressent. Plutôt que de raconter une histoire, je cherche à heurter le système nerveux émotionnel du lecteur à travers le rythme. Il faut contenir l'émotion, la relâcher, la contenir, la relâcher". Nora Webster, Eylis de Brooklyn, deux héroïnes effacées et timides, d'une délicatesse infinie, choisissent leur destin malgré le poids des traditions et les contraintes familiales. Un manifeste pour la liberté des femmes écrit par un écrivain masculin... C'est très rassurant.
vendredi 7 février 2025
"La mer", John Banville
L'Atelier Littérature de février va explorer le charme particulier de la littérature irlandaise, imprégnée du sel de la mer et de tempêtes marines. J'ai découvert l'écrivain irlandais, John Banville, avec son roman, "La Mer", paru en 2007 chez Robert Laffont. Le narrateur, Max Morden, vient de perdre sa femme, Anna, terrassée par un cancer. Devenu veuf, il retourne dans la petite station balnéaire de Ballyless où il a vécu dans sa jeunesse, cinquante ans plus tôt. Claire, sa fille unique, le tient à distance. Ce retour sur ce lieu de vacances devrait lui apporter l'oubli et une consolation tellement son chagrin le met dans un état gravement dépressif. Il s'installe dans une pension où il retrouve une ancienne amie d'enfance, gérante de l'hôtel. Il boit un peu trop et consacre son temps à l'écriture d'un livre sur le peintre Bonnard. Le passé le rattrape quand il se remémore un drame qu'il a vécu dans cette ville de bord de mer. John Banville écrit : "Le passé cogne en moi comme un second coeur". Cette notion du temps traverse le narrateur : "A la vérité, tout commence à se confondre, le passé, l'avenir possible et l'impossible présent". Quand il était un jeune garçon, il était fasciné par une riche famille bourgeoise, les Grace, qui prenaient leurs vacances dans la villa des Cèdres : Constance, la mère séductrice, Carlo, un père autoritaire, Rose, la gouvernante sans oublier le duo de choc formé par les jumeaux, l'excentrique Chloé et le mutique Myles. Il se souvient de Chloé, son premier amour, une jeune adolescente étrange et insaisissable. Max les voyait comme des dieux tombés du ciel. Dans ces souvenirs teintés de nostalgie, un drame incompréhensible surgit dans ce panorama de vacances sensé se dérouler dans un bonheur estival parfait. Les jumeaux unis dans la vie s'éloignent dans la mer jusqu'à la mort par noyade. Le narrateur, malgré les cinquante ans passés, s'interroge sur cet acte mystérieux et incompréhensible. Tel à l'incessant ballet de la mer, le flux et le reflux des souvenirs envahissent le présent du narrateur. Ce drame qu'il a vécu a-t-il influencé sa vie d'adulte ? Ce beau roman, parfois dérourant, évoque la perte et le pouvoir de la mémoire et aussi de l'oubli. John Banville, un écrivain proustien, évidemment. A découvrir.
mercredi 5 février 2025
Ma cabane à livres d'Aix-les-Bains
Lundi dernier, je me suis baladée comme je le fais régulièrement, au bord du lac. Lors de ma marche bénéfique, je m'arrête devant les cabanes à livres que j'aime bien fouiller. Quand je me suis approchée de la cabane du Jardin vagabond à Aix-les-Bains, j'étais ébahie : devant mes yeux, un amas de ferraille et de livres carbonisés ! Depuis quelques années, je me réjouis de voir ces boîtes à livres où chacun peut déposer des romans, des essais, des documentaires dans un méli-mélo sympathique. Parfois, je trouve des vieux poches, lus dans ma jeunesse ou même des nouveautés. Quels sont donc ces crétins qui ont mis le feu à cette cabane que j'avais prise en photo tellement elle était originale, s'intégrant dans cet espace vert protégé ? Quels sont ces idiots qui n'aiment pas les livres ? Quels sont les mobiles de ces antisociaux ? Mais, pourquoi s'attaquer à cet objet paisible qui ne gêne personne, un abri pour les livres qui n'ont aucune valeur marchande ? Je n'arrive pas à comprendre ces actes gratuits d'incivilité. Des livres dans un jardin public, de la culture en pleine nature, un acquis merveilleux de notre art de vivre. Des questions sans réponses. En juin 2023, des émeutiers ont brûlé quelques médiathèques et des écoles. S'attaquer au savoir, à la connaissance, aux "Lumières" relève d'un comportement inquiétant. Une partie de notre jeunesse semble partir en vrille en laissant leurs pulsions agressives prendre le dessus. Aucun surmoi pour ces jeunes, dépourvus de morale et d'idéal. Je rêve qu'ils approchent ces cabanes à livres et au lieu de prendre une allumette pour flamber ce nid où quelques livres sommeillent, un des protagonistes saisit un de ces beaux objets en papier et il se met à le lire. C'est un essai de Pascal Quignard. Il le feuillete et tombe sur cette citation : "L'humanité doit plus à la lecture qu'aux armes". Alors, ce garçon à la tête en jachère, choisit ce camp, le camp de la culture. Plus jamais de cabanes brûlées pour ne jamais revivre aussi ces autodafés des temps passés dont celui de Berlin. J'étais très émue devant ce mémorial de l'autodafé, appelé "La Bibliothèque engloutie", un monument du sculpteur israélien, Micha Ullman, inaugurée en 1995 et dédiée au souvenir des autodafés de livres perpétrés à Berlin en mai 1933. Cette oeuvre se situe sous le sol de la Bebelplatz. Plus de 20 000 livres ont été brûlés symbolisant pour les nazis, "l'esprit non allemand". La mairie d'Aix-les-Bains va-t-elle réintégrer une nouvelle cabine à livres dans le Jardin vagabond ? A surveiller.
mardi 4 février 2025
"Madame Bovary", Gustave Flaubert, 2
Le sentimentalisme exarcerbé d'Emma Bovary lasse ses conquêtes masculines. Ses achats compulsifs d'étoffes et de colifichets la mettent en danger car le commerçant lui fait crédit et la menace de saisir ses biens. Tout s'effondre pour elle : "Le lendemain fut pour Emma, une journée funèbre. Tout lui parut enveloppé par une atmosphère noire qui flottait confusément sur l'extérieur des choses, et le chagrin s'engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme fait le vent d'hiver dans les châteaux abandonnés". Acculée à rembourser ses dettes, Emma comprend qu'elle ne peut plus faire face. Elle s'empoisonne par désespoir. Charles Bovary meurt de chagrin et la petite Berthe est confiée à une tante. Gustave Flaubert a élaboré avec ce personnage féminin le concept de "bovarysme", passé dans le langage courant. Ce sentiment d'insastifaction, de frustation procure une souffrance "psychique" chez l'héroïne qui désire une vie de passion, alimentée par les effets des lectures romantiques. Elle bute contre un réel qui la blesse sans cesse. Je pense à Clément Rosset et à sa théorie sur "Le réel et son double". J'aurais aimé que ce philosophe analyse le roman de Gustave Flaubert. Quand la réalité ne nous convient pas, chacun s'engouffre dans un double, un ailleurs et Emma se noie dans une idée du "grand amour" qu'aucun partenaire ne lui offre sauf son propre mari, Charles, le seul qui l'a véritablement aimée mais qu'elle néglige et méprise. Gustave Flaubert dénonce évidemment cette attitude mais il aime aussi cette femme quand il a déclaré : "Madame Bovary, c'est moi ! ". Le roman dans son ensemble décrypte aussi la "bêtise" : celle du pharmacien Homais, infatué de sa personne. Les amants d'Emma, Rodolphe et Léon, sont pétris d'égoïsme et de lâcheté. Ce classique intemporel demeure un puissant réquisitoire contre la médiocrité intellectuelle, le conformisme social, les illusions lyriques, la bêtise humaine. L'écrivain a subi un procès pour outrage à la morale et aux bonnes moeurs. Le roman, sous-titré, "Moeurs de province" en hommage à Honoré de Balzac, est inspiré d'un fait divers local, l'histoire d'une jeune épouse d'un officier de santé qui mourut à 26 ans. Et le style de Flaubert, un sommet de la langue française !