lundi 17 novembre 2025

Boualem Sansal, enfin libre

 Enfin, une bonne nouvelle, une très bonne nouvelle pour tous ceux et toutes celles qui soutenaient Boualem Sansal, emprisonné, embastillé dans une prison algérienne depuis le 16 novembre 2024. Et pour cet immense écrivain franco-algérien, la liberté va lui permettre d'écrire à nouveau. Dans l'émission de France 5, La Grande Librairie, un cercle d'amis lui a rendu un bel hommage en particulier son plus proche, Kamel Daoud. Au téléphone, Boualem Sansal a évoqué qu'un an de prison ne l'avait pas brisé et qu'il gardait un moral d'acier : "Je suis costaud, tu sais". Soigné dans un hôpital de Berlin, il reprend des forces et son épouse, Nahiza, est à son chevet. L'hebdomadaire, Le Point, retranscrit la conversation entre Kamel et Boualem : "Bonjour la France, je reviens, on va gagner". Il semblerait que la parole libre et audacieuse de l'écrivain rebelle dérange le pouvoir politique. Dans sa vie en prison, il était coupé du monde et seule, son épouse, lui rendait visite tous les quinze jours. Il n'avait pas de papier pour écrire et heureusement, il s'est procuré quelques livres classiques contre des paquets de cigarettes ou des gâteaux. Il a raconté dans un témoignage : "Lire ? C'est interdit. Des livres de religion ou en arabe". Il a appris que le monde entier s'était mobilisé pour lui et ces gestes de solidarité l'aidaient à supporter la vie en prison. Maintenant qu'il a retrouvé sa liberté, tous ses soutiens et tous ses admirateurs ont hâte de lire le récit qu'il écrira sur cet enfermement arbitraire, injuste et insupportable. Ce "Voltaire" contemporain, cet écrivain courageux, démocrate et antitotalitaire, vigilant et lucide prévient le monde occidental depuis longtemps sur les dangers de l'islamisme car il a vécu ces horreurs dans son pays d'origine. Son ouvrage, "Vivre", a paru dans la collection Folio et a obtenu le prix Renaudot du livre de poche. Dorénavant, il faut lire et découvrir tous les romans et tous les récits de Boualem Sansal. Je regrette que l'Académie française n'a pas élu cet écrivain alors qu'il était en prison et il aurait évidemment mérité amplement le prix Nobel de Littérature. Encore un oubli regrettable. Mais, il n'a pas besoin d'eux. Ces lecteurs et ces lectrices lui ont déjà décerné toute leur admiration. 

jeudi 6 novembre 2025

"L'héritier", Vita Sackiville-West

 J'ai lu récemment par curiosité un roman, "L'Héritier", de la grande amie de Virginia Woolf, Vita Sackville-West (1892-1962). Cette longue nouvelle a été publiée en 1922, édité chez Autrement en 2019 et traduit par le grand spécialiste d'Henry James, Jean Pavans. L'écrivaine anglaise a abordé le sujet de l'héritage dans ce texte charmant car elle a souffert elle-même de ne pas bénéficier du domaine de son père qu'elle adorait car les filles étaient scandaleusement évincées de la succession familiale dans l'Angleterre du début du XXe. Le personnage principal, Peregrine Chase, hérite d'une tante qu'il n'avait jamais vue. Cette grande propriété dans la campagne anglaise est hypothéquée et le notaire, chargé de l'affaire, doit la mettte en vente. Perigrine Chase travaille dans une compagnie d'assurance et mène une vie un peu terne. Il se retrouve donc dans cette maison ancienne qu'il apprivoise peu à peu. Il succombe alors au charme envoûtant du domaine avec son parc, ses arbres, ses fleurs et la présence des paons, déambulant avec grâce dans les allées : "Il était à présent au rez-de-chaussée, devant la porte de la bibliothèque, à regarder un vase de tulipes couleur corail dont la transparente délicatesse se détachait avec éclat sur les sobres lambris de la pièce. Il était reconnaissant envers la somnolence de la maison, abolissant l'agitation avec une manière de tranquille réprimande". L'héritier loge dans cette maison et apprécie les matins brumeux, se balade dans les chemins, rencontre les fermiers, se lie avec les domestiques de sa tante. Mais, l'avocat Nutlet veille avec ardeur et sans coeur au démembrement du mobilier, des objets, des peintures pour les mettre en vente aux enchères jusqu'au moment fatidique. Va-t-il sauver la maison pour qu'elle ne tombe pas dans les griffes d'un repreneur ? Vita Sackville-West ne possède pas évidemment le génie de son amie chérie, Virginia Woolf, mais j'ai retrouvé dans ce petit roman la dentelle d'un roman anglais féminin, tissé d'une délicatesse psychologique digne de toutes ses collègues comme Anita Brookner, Penelope Lively, Katherine Mansfield, etc. 

mercredi 5 novembre 2025

"La chambre d'hôtel suivi de La Lune de miel", Colette

 Je reviens toujours vers "ma" Colette quand j'ai envie de retrouver un monde à part, un style, une ambiance d'autrefois. Elle ressemble à "mon" Proust mais en plus léger, en plus sensoriel. J'ai trouvé un livre de poche dans la bibliothèque d'une parente et les couvertures de ces Colette possèdent un charme d'antan avec des illustrations colorées et naïves. Dans la première nouvelle, "La Chambre d'hôtel", l'écrivaine revient sur son passé quand elle s'est lancée dans le Music-Hall. Lucette, une belle fille et danseuse entretenue, propose à la narratrice, un séjour dans un chalet de montagne pour quelques semaines. Colette accepte cette offre et part avec sa chatte adorée. Mais, en arrivant devant ce chalet, elle refuse d'y loger et s'installe dans une chambre d'hôtel dans la station thermale. Elle rencontre un couple avec lequel elle se lie. Antoinette est malade et s'est entichée de Colette. Le mari, Gérard, a une maîtresse à Paris mais il se morfond de ne pas avoir de nouvelles d'elle. Il demande à leur amie d'aller à Paris pour enquêter sur son silence. Celle-ci a disparu et plonge son amant dans le désespoir. Mais, l'humour et l'ironie de Colette donnent au texte une tonalité particulière quand elle raconte l'arrivée de Lucette et la "résurrection" de Gérard pour séduire cette femme avec laquelle il va vite se consoler. Dans la deuxième nouvelle, "La Lune de pluie", Colette ne peut pas compter sur sa secrétaire habituelle et se rend chez Rositta, dactylo, pour son manuscrit. Elle découvre alors qu'elle a vécu dans cet appartement et elle aimait les reflets que faisaient naître les rayons de soleil dans une vitre, sa "lune de pluie". Colette y retourne souvent et apprend que la soeur de Rositta jette des sorts à son mari qui l'a quittée. La narratrice est intriguée par ses pratiques malsaines et décide de ne plus croiser les deux soeurs. Mais, un jour, elle rencontre dans la rue, cette fameuse Délia, devenue veuve... Colette a écrit une nouvelle un peu inquiétante, une sorte de conte fantastique. Entre le quotidien où règne le rationnel et la magie superstitieuse, l'art de Colette est au sommet dans cette nouvelle. Se plonger dans l'univers de Colette, c'est toujours un plaisir de lecture garanti... 

mardi 4 novembre 2025

Escapade en Sardaigne du Nord, 7

 Le lendemain, j'avais rendez-vous avec les dauphins ! J'ai pris un zodiac dans le port d'Obia avec une dizaine de personnes pour aller à la rencontre des dauphins, un rêve d'enfance. La compagnie nous a bien prévenus que ces mammifères marins restent sauvages et ne se montrent pas. Au bout de vingt minutes, le bateau s'est arrêté vers l'île de Figarola et nous étions dans une attitude silencieuse et attentive. Je pensais au roman fabuleux d'Herman Melville quand il raconte la saga du capitaine Achab qui passait son temps à observer la mer pour voir apparaître la baleine blanche, Moby Dick ! Er voilà, un frémissement dans l'eau et je vois deux dauphins à bec court filer près du canot. Et ensuite, deux autres, et quatre autres toutes les cinq minutes. Un ballet d'une grâce inouïe. Leur présence très fugace entraînait des cris de joie comme si tous les passagers du bateau avaient retrouvé leur esprit d'enfance. Nous sommes restés une bonne heure à les observer et c'était magique. Une accompagnatrice est venue nous exposer avec gentillesse et en français la vie de ces dauphins dans ce golfe d'Aranci. Leur durée de vie atteint les cinquante ans et sont tous badgés pour qu'on les suive dans leurs pérégrinations. Les femelles vivent ensemble et rejoignent seulement les mâles pour être fécondées. Le bateau s'est dirigé vers l'île de Figarola où j'ai aperçu des chèvres sauvages sur les flancs de la falaise. Cette balade a duré deux bonnes heures et nous filions à vive allure pour retourner au port d'Olbia. Après cette sortie en mer, je rêvais encore le soir de ces dauphins si connus dès l'Antiquité dans les fresques romaines et grecques. Les Grecs et les Romains les considéraient comme des gardiens sacrés de la mer et ils les jugeaient intelligents, solidaires, amicaux, sensibles à la musique. Cette sortie "dauphins" symbolise aussi le charme de la Sardaigne et surtout la vocation marine de l'île. Le lendemain matin, avant de rejoindre l'aéroport d'Olbia, je me suis promenée sur une plage déserte et comme j'ai aimé ce paysage serein, tranquille ! La Sardaigne, une île qui ressemble encore à un petit paradis mais il ne faut pas le dire ! 

lundi 3 novembre 2025

Escapade en Sardaigne du Nord, 6

 A Alghero, j'ai pris un bateau pour découvrir une grotte très réputée que les guides touristiques recommandent. Je me méfie de ces balades touristiques mais, j'avoue que cette expérience s'est très bien déroulée. Cette grotte, la grotte de Neptune, la Grotta di Nettuno, est un lieu incroyable, façonné par Dame Nature, formée il y a environ 2 000 000 d'années. Le bateau s'est approché de la falaise et c'était déjà magnifique de longer la côte pendant vingt-cinq kilomètres. La grotte a été découverte par un pêcheur local au XVIIIe siècle et son accès est possible par la terre et par la mer. J'ai choisi, évidemment, la facilité en prenant le bateau car il fallait descendre à flanc de falaise les 654 marches (l'Escala del Cabirol) ! Quand je suis sortie du bateau et posé mes pieds dans l'entrée de la grotte, j'ai tout de suite éprouvé un émerveillement inouï devant cette grotte naturelle. Quelques centaines de mètres sont ouverts au public sur les trois kilomètres de longueur. La première salle est formée de colonnes de stalactites et de stalagmites et plus loin, un petit lac, le Lago Lamarmora, diffuse des reflets marmoréens d'où son nom. Nous avancions en file indienne avec prudence à cause de l'humidité du sol. Je pouvais toucher les concrétions calcaires et j'admirais les formes, les couleurs, l'odeur salé de la mer. Ces sculptures fabuleuses m'ont fait vivre une expérience étonnante et je pensais à Jules Verne et à son roman, "Au centre de la terre" ! Je n'avais jamais vu de grotte de cette taille et quand j'ai retrouvé mon bateau pour rejoindre Alghero, j'étais déjà heureuse d'avoir pénétré les entrailles de la terre sur le plan physique même si la visite a duré trente minutes mais ces minutes valaient des heures ! Après cette matinée merveilleuse, j'ai repris la route pour ma dernière étape, Olbia où j'avais réservé un appartement dans un quartier très calme. Comme j'ai eu la chance d'avoir un soleil permanent pendant mon séjour, j'ai découvert une plage de sable fin à Porto Istano où je me suis baignée avec délice. 

samedi 1 novembre 2025

Escapade en Sardaigne du Nord, 5

Avant l'étape d'Alghero, j'ai visité un site nuragique réputé, le Nuraghe di Palmavera, assez bien conservé où l'on penètre dans une salle de réunion, équipée de bancs circulaires. Les vestiges d'une cinquantaine de maisons entourent l'habitation principale. Ce sera mon dernier site nuragique que j'ai quitté avec le sentiment que ces hommes et ces femmes qui vivaient dans ces espaces réduits et austères sont nos ancêtres si proches et si lointains à la fois. Parfois, je me demande quels étaient leur alimentation, leurs vêtements, leur quotidien. Comment se soignaient-ils ? L'âge moyen de vie dans cette péridode historique atteignait la trentaine. Ces Nuraghe à travers la Sardaigne rappellent que les civilisations sont, hélàs, mortelles... J'ai aussi visité à Porto Conte un musée original, celui consacré à Antoine de Saint-Exupéry, un lieu incroyable, installé dans une tour de guet sur le Cap Caccia. L'écrivain a vécu dans cette tour en 1944 avant de sombrer dans la Méditerranée en juillet 44 avec son avion, abattu par un chasseur allemand. Toute une scénographie d'objets, de photos, de textes montre un homme attachant, courageux et authentique. Cet écrivain que j'ai lu dans mon adolescence mérite de ma part un nouveau regard. En sortant de ce musée littéraire étonnant sur la terre sarde, je me suis jurée de relire "Vol de nuit" et "Terre des hommes". J'ai visité ensuite la Casa Gioiosa, une ancienne colonie pénitentiaire dans le parc naturel de Porto Conte. Les prisonniers politiques, enfermés par Mussolini, s'adonnaient à l'agriculture mais les conditions de vie dans les cellules devaient être très dures. Je trouve ces lieux de mémoire trés importants pour ne pas oublier l'histoire souvent tragique d'un pays. Le soir, j'ai rejoint mon hôtel, un ancien monastère en plein centre historique. Le cloître servait d'espace pour le petit-déjeûner du matin. Cette ville possède une particularité linguistique car une partie de ses habitants parle le catalan. On la surnomme la "Barceloneta sarde". Je me suis baladée dans ces rues, sur les remparts dominant la mer et j'ai apprécié la tranquillité du site, une quiétude savoureuse dans une ville vraiment charmante et authentique.  

mercredi 29 octobre 2025

Escapade en Sardaigne du Nord, 4

 Après Castelsardo, j'ai pris la direction de Sassari, une ville moyenne de 120 000 habitants, deuxième ville de la Sardaigne et centre universitaire. Dans chaque cité italienne, il ne faut jamais manquer le Duomo et celui de Sassari vaut bien le détour. Le Duomo di San Nicola, élevé au XIIIe siècle s'est agrandi et s'est transformé au fil du temps. Sa très belle façade baroque présente un festival d'ornements végétaux, de frises, de fleurs, de chérubins et dans des niches, dorment des saints martyrs dont Saint Nicolas. Le clocher octogonal date de 1756 et l'intérieur de l'église mélange les styles roman et gothique. Des tableaux des XIVe jusqu'au XVIIe siècle ornent les chapelles avec de riches rétables. Près du Duomo, la Pinacothèque nationale de Sassari est installé dans un collège jésuite du XVIIe. Evidemment, ce musée ne contient pas des chefs d'oeuvre d'envergure mais comme j'aime la peinture, je trouve toujours des oeuvres qui me plaisent comme des natures mortes exposées dans une salle. Sassari possède aussi un musée archéologique national important, le "Sanna", inauguré en 1931, recèlant des trésors inestimables. La plupart des collections présentées provient des dons d'un homme politique, Giovanni Antonio Sanna. J'ai retrouvé les objets du quotidien habituels comme les amphores, la vaisselle, les lampes à huile, etc. J'ai surtout remarqué des outils, des statuettes en bronze de la civilisation nuragique. Dans cet espace muséal, on trouve aussi des reconstitutions d'habitat dans un but pédagogique. Une mosaïque romaine d'une villa patricienne de Porto Torres est bien exposée dans une salle. Deux statuettes féminines datant du Paléolithique (5 000 ans av. J.C.) m'ont vraiment fascinée. De toutes façons, dès que je pénètre dans un musée archéologique en Italie ou ailleurs, mon esprit s'évade dans un temps immémorial et j'oublie que je vis au XXIe siècle ! Après cette visite, j'ai poursuivi mon parcours en visitant une nécropole intacte d'Angelhu Ruju, l'un des plus grands cimetières préhistoriques de Sardaigne. et avant d'arriver à mon hôtel de la Punta Negra, j'ai vu un pont romain sur lequel je me suis baladée. Après cette journée de découvertes, une bonne baignade dans la mer m'a revivifiée pour repartir le lendemain d'un bon pied. 

lundi 27 octobre 2025

Escapade en Sardaigne du Nord, 3

 Le lendemain, j'ai repris le ferry pour Palau et j'ai pris la direction de Santa Teresa Gallura en conservant dans ma tête des souvenirs ensoleillés et attendris sur ma journée dans la Maddalena. Mais, avant de découvrir la prochaine étape à Castelsardo, j'ai repéré un site nuragique important : le Complesso nuragico di Lu Brandali. Un petit sentier m'a conduit à un tombeau de géants, puis aux vestiges d'un village où les fouilles ont permis de dégager cinq cabanes en pierre et il reste encore une trentaine à sortir de terre. Ces lieux conservent leur identité d'antan sans aucune habitation moderne autour de ces villages datant de l'âge de bronze. L'imagination est requise pour mettre en scène ces Sardes d'origine vivant en toute petite communauté autarcique. Dans un article de Wikipedia, j'ai appris que la langue parlée à cette époque ressemblait à la langue basque ou à la langue étrusque ! Je comprends mieux mon engouement pour les Nuraghe et les Etrusques car j'ai des ancêtres basques du côté de ma mère... Mais, ces peuples tribaux ont fréquenté aussi des Grecs, des Phéniciens, des Carthaginois, des Romains, etc.  Après la visite de Lu Brandali, j'ai rejoint la petite commune de Castelsardo, perchée sur une colline, face à la mer. Cette étape m'a permis de me balader dans les ruelles pentues du centre historique et de découvrir la cathédrale San'Antonio Abate, construite au XVIe siècle sur les bases d'une église romane. J'ai remarqué des rétables en bois scupté et doré avec des angelots musiciens espiègles. Un tableau célèbre est exposé dans la crypte du musée diocésien attenant : un Saint Michel se bat contre un démon, une toile étonnante signée du Maître de Castelsardo du XVIe, un peintre anonyme célèbre en Sardaigne. Du parvis de la cathédrale, une vue magnifique sur la mer composait un paysage unique. En fin de journée, un hôtel du bord de mer m'attendait et je me suis promenée sur la plage à la recherche de quelques petits coquillages que je conserve ensuite dans ma bibliothèque. Ce sont mes petits cailloux du Petit Poucet pour que ces plages de sable fin restent ancrées dans mon quotidien. Mais, attention, je ne prèlève qu'un seul coquillage souvent minuscule pour ne pas "piller" le patrimoine naturel de l'île. Ces moments de détente sont bercés de la douce musique des vaguelettes marines, s'étalant pareusessement sur le sable blanc. La mer provoquera toujours en moi un émerveillement perpétuel. 

vendredi 24 octobre 2025

Escapade en Sardaigne du Nord, 2

Le lendemain matin, le ferry m'attendait et la voiture s'est glissée dans le ventre du bateau pendant vingt minutes pour débarquer sur le port de la Maddalena. La renommée de l'île attire des milliers de touristes mais en octobre, la période est idéale pour visiter ce lieu vraiment magique. De toutes façons, je me sentais déjà sous le charme complet de la mer, des voiliers et des bateaux, et des mouettes que je suis à la trace. Ces paysages marins, portuaires, avec un horizon sans fin entre le ciel et la mer m'enchantent toujours autant même si ces moments semblent bien trop fugaces. Quand la voiture s'est ejectée du ferry, j'ai pris la direction de l'île voisine, la Caprera, attachée à la Maddalena par un pont, le Passo della Moneta. J'avais repéré le domaine de Garibaldi, le musée Compendio Garibaldino, au bout de l'île, une île qui a conservé sa nature sauvage car les Autorités ont interdit la construction d'hôtels et de résidences secondaires. Le révolutionnaire patriote italien, né à Nice, a passé les 26 dernières années de sa vie de 1856 à 1882, date de sa mort. Pour connaître ce "Héros des Deux Mondes", rien ne vaut que la visite de son domaine. Sa maison blanche, la Casa Bianca, toute simple, renferme tous les objets de sa vie quotidienne (cuisine, bureau, lit, salon, objets divers) et les murs portent de nombreuses photos de famille. Cette communauté familiale vivait en autarcie en élèvant des animaux de ferme et en cultivant les jardins potagers. En quittant le domaine, j'ai vu le cimetière attenant à la maison où sont enterrés Garibaldi et les siens. Sa tombe est recouverte d'un bloc de granit, une image symbolique de cette personnalité historique. J'ai remarqué aussi les pins magnifiques, plantés par le maître du domaine. Après cette visite "historique", j'ai repris le chemin en traversant le pont et j'ai atteint mon port d'attache au bout de la Maddalena dans un hébergement fantastique, situé devant une plage, la Punta Marginetto spiaggia. Je me suis baignée dans une eau cristalline frâiche mais tellement vivifiante et j'étais seule avec ma famille à profiter d'une des plus belles plages de la Sardaigne ! Je me suis ensuite baladée dans un décor féerique constitué de masses rocheuses de granit et de porphyre qui reliaient la Sardaigne et la Corse. A chaque virage, je voyais la mer, les voiliers au loin. Entre le bleu du ciel, le bleu de la mer et le jaune des roches, j'avais l'impression d'arpenter le paradis avant l'arrivée d'Adam et d'Eve.... Je me souviendrai de la Maddalena longtemps, très longtemps. 

jeudi 23 octobre 2025

Escapade en Sardaigne du Nord, 1

 J'aime partir en octobre et cette année, j'ai pris l'avion à Genève pour atteindre Olbia en une heure quinze minutes. J'ai loué une voiture à l'aéroport pour découvrir le Nord de la région car j'avais visité le Sud de l'île en juin 2023. Evidemment, j'ai ressenti une joie sans pareille quand j'ai posé mes pieds en terre italienne. Avant d'arriver à ma première destination, Palau, petite station balnéaire située en face de l'archipel de la Maddalena, j'ai découvert deux sites archéologiques : la Tombe des Géants et la Prisgiona. Sur mon parcours, j'avais repéré ces deux entités (merci le Routard) à Arzachena. En arrivant sur ces sites désertés par les touristes, j'ai effectué un voyage dans un passé très lointain qui conserve encore un halo de mystère, datant du XIVe au VIIIe siècle av. J.C.. En suivant le parcours, je suis tombée sur une Tombe des Géants de Coddu Ecchju, composée de blocs de granit qui forme une galerie couverte sur dix mètres de long. Il faut imaginer ces rituels autour de la mort. Ce peuple n'a laissé aucun alphabet, ni aucun témoignage écrit. Seuls, les monument et les objets racontent leur civilisation. Plus loin, le Nuraghe, La Prisgiona, est composé d'une tour principale de quatre mètres de haut et de deux tours mineures, entourée d'un mur enceinte.. Se balader en toute liberté sans surveillance dans un lieu pareil ressemble à un émerveillement d'enfant. La végétation méditerranéenne englobe le site nuragique et j'avais l'impression que le temps s'était arrêté à Arzachena. Quelques kilomètres plus loin, je suis arrivée à Palau, ma destination pour partir le lendemain à la Maddalena. Ces lieux, habités par des humains en communauté restreinte, n'ont pas la sublime beauté des temples grecs ou des monuments romains. Mais, la simplicite de ces habitats rudimentaires me touchent tout autant. La Sardaigne m'a offert à deux reprises dès mon arrivée deux perles archéologiques ! J'aime beaucoup ces traces premières d'une civilisation méditerranéenne très mystérieuse. En fin d'après-midi, j'ai posé mon sac à dos à Palau en attendant mon départ pour la Maddalena. Evidemment, je n'ai pas résisté à déguster un spritz dans un restaurant de la ville où je savourais déjà l'ambiance hautement chaleureuse de la Sardaigne.

mercredi 22 octobre 2025

Atelier Littérature, les coups de coeur, 2

 Régine a présenté un roman d'Antoine Choplin, "La barque de Masao", publié en 2024 chez Buchet-Chastel. Masao est ouvrier sur l'île de Naoshima au Japon. Il retrouve sa fille, Harumi, venue l'attendre plus de dix ans après son départ. Ils vont se voir avec pudeur pour enfin se réconcilier. Masao se souvient de Kazue, la mère d'Harumi, avec laquelle il a vécu une histoire d'amour superbe. Régine, passionnée par la culture japonaise, a aussi retenu l'histoire de deux îles, Naoshima er Teshima, avec leurs musées respectifs. Le premier expose les nymphéas de Monet dans une des salles et le deuxième montre une oeuvre unique qui se confond avec le bâtiment. Ce roman sobre et pudique, plein de tendresse et de sensibilité, a conquis notre amie Régine qui avait aussi reçu cet écrivain lors d'une journée littéraire à Chambéry. Elle a évoqué en deuxième coup de coeur, le dernier livre d'Alice Ferney, "Comme un amour", publié chez Actes Sud lors de cette rentrée littéraire. Les questions que se posent l'écrivaine ont-elles une réponse ? Comment définir l'amitié ? Comment la cultiver ? Comment tolérer les différences d'idées ? Un homme et une femme peuvent-ils être amis ? Marianne, styliste renommée, et Cyril, chroniqueur d'art vont devenir ces complices amicaux mais jusqu'à quand ? Il faut donc lire ce roman pour connaître l'avenir de nos deux protagonistes. Geneviève a évoqué un coup de coeur collectif en signalant la très bonne collection, "Un été avec", un phénomène éditorial de la maison d'édition Des Equateurs en collaboration avec une série d'émissions de France Inter. En 2013, la radio lance ce programme pour "inviter le grand public à découvrir ou redécouvrir de grands auteurs classiques pendant la période estivale". Partir en vacances et glisser dans sa valise "un été avec" semblait un pari osé car l'été est synonyme de lectures légères et insouciantes. L'audace éditoriale et le rôle du service public radiophonique ont dépassé les espérances de l'éditeur. Au Panthéon de la collection : Homère, Hugo, Dumas, Proust, Colette, Valéry, Rimbaud, Montaigne, etc. Ces biographies originales sont composées par de belles plumes comme Antoine Compagnon, Sylvain Tesson, etc. Voilà pour les coups de coeur d'octobre.. Prochaine rencontre : le jeudi 20 novembre autour des romans historiques !  

mardi 21 octobre 2025

Atelier Littérature, les coups de coeur, 1

 Après Emmanuel Carrère, nous avons abordé les coups de coeur. Odile Ba a démarré avec un roman de Maylis de Kérangal, "Naissance d'un pont", publié en 2010, prix Médicis. Ce livre décrit le chantier de construction d'un pont situé dans la ville fictive de Coca en Californie à travers plusieurs personnages comme le grutier, le chef de chantier, l'ingénieur, le syndicaliste et d'autres professionnels. Les employés rencontrent de nombreux problèmes face à ce chantier titanesque et se croisent pour créer un microcosme original. Odile a bien apprécié cette ambiance hautement technique, servie par un style riche en vocabulaire. Danièle a déniché un roman attachant selon son avis : "Je suis la sterne et le renard" d'Alain Mascaro, publié cette année chez Flammarion. Cette saga raconte le clan féminin de l'Orme : Barbra, Aana, Alfheidr et les autres. Cette lignée de femmes vivent sans père et sans mari. Brodeuses, guérisseuses, chamanes, gardiennes, elles subissent la violence des hommes. Cette grande fresque légendaire, traversée par des paysages somptueux, "déploie une fable aux résonances contemporaines". Danièle apprécie particulièrement la littérature des contes et des légendes. Elle a cité deux autres coups de coeur : "Les piliers de la mer" de Sylvain Tesson et "Un perdant magnifique" de Florence Seyros. Annette a choisi le dernier roman de Sorj Chalandon, "Le Livre de Kells", publié en septembre dernier. Dans ce douzième roman, l'auteur raconte un épisode de sa vie quand il avait 17 ans. Il quitte le lycée, sa famille à Lyon et arrive à Paris. Il va connaître la misère, la rue, le froid et la faim. Des hommes et des femmes, engagés politiquement, lui tendent la main et le sortent de la rue. Il vit alors dans ce milieu engagé jusqu'à la mort brutale d'un militant ouvrier de la Gauche prolétarienne, Pierre Overney. Ce récit autobiographique reflète l'ambiance d'une époque politique violente et heureusement révolue. Certains "soldats" de la cause trouveront une issue pacifique dans le journalisme comme Sorj Chalandon.  (La suite, demain)

lundi 20 octobre 2025

Atelier Littérature, Emmanuel Carrère, 2

 Danièle a beaucoup apprécié "D'autres vies que la mienne", publié en 2009. Ce titre indique le "décentrement" de l'écrivain qui, enfin, quitte son ego pour raconter d'autres destins que le sien. Il veut relater des vies d'hommes et de femmes qu'il a rencontrés. Son empathie éclate dans ces récits avec des destins fracassés par le malheur. Il relate le drame d'un famille lors du tsunami qui a dévasté le Sri Lanka en 2004. Les parents ont perdu leur fille, Juliette, dans ce déchaînement de la nature les laissant inconsolables. Comment survivre après cette catastrophe intime ? Emmanuel Carrère tente seulement de partager leurs souffrances. Il évoque ensuite la mort de sa belle-soeur, mariée et mère de trois fillettes, atteinte d'un cancer. Il rencontre aussi un ami de Juliette, Etienne. Juge comme elle, ils étaient liés par une amitié indéfectible. Ces deux collègues traitaient les affaires de surendettement au tribunal de Vienne en Isère et protégeaient les victimes des établissements de crédit. A la façon d'un journal intime, l'auteur instille avec justesse un sentiment de solidarité envers des hommes et des femmes en difficultés extrêmes. Parler de la maladie, de la mort mais aussi de l'amitié, de l'amour, demeure pour Emmanuel Carrère une nécessité pour montrer "l'importance des gens qui nous entourent, leur interaction sur notre propre destin". Ces héros du quotidien, nous les rencontrons tous les jours. Régine a présenté "V13 : chronique judiciaire", publié en 2022. L'auteur revient vers son métier de journaliste en relatant le procès des attentats du 13 novembre 2015 avec 130 morts et 350 bléssés. Plus de 300 témoins ont été entendus dans ce procès au long cours. 20 accusés ont été jugés. Emmanuel Carrère a publié ces chroniques hebdomadaires dans quatre journaux européens dont l'Obs en France. Il réussit à "saisir l'humanité des uns et des autres, qu'elle soit bouleversante, admirable ou abjecte". L'écrivain écoute avec exigence les paroles et les silences de ce procès malgré l'horreur du terrorisme islamiste. Régine a beaucoup apprécié ces chroniques dont la simplicité d'écriture évite le pathos et le voyeurisme. Un Carrère incontournable à découvrir. Trois autres titres  d'Emmanuel Carrère n'ont eu aucun succès auprès des lectrices : "Le Royaume", "Yoga" et "Limonov". En choisissant cet écrivain, je soupçonnais qu'il y aurait des réticences à le lire. Mais, j'ai remarqué tout de même que quelques récits ont marqué certaines d'entre elles. Merci à toutes les lectrices pour leur sens du "devoir" surtout pour des écrivains singuliers comme Emmanuel Carrère. 

vendredi 17 octobre 2025

Atelier Littérature, Emmanuel Carrère, 1

Les lectrices de l'Atelier étaient presque toutes présentes au deuxième rendez-vous de la saison, ce jeudi 16 octobre dans notre nouveau lieu, "Jetez l'encre". Au menu littéraire de l'après-midi : l'écrivain Emmanuel Carrère et les coups de coeur. Véronique a lu "La Moustache", publié en 1986. Ce texte pose la question de l'identité, de la folie. Le personnage central se rase la moustache un matin et personne, ni sa femme, ni ses amis ne le remarquent. L'histoire va mal finir. Véronique, malgré la bizarrerie de l'anecdote, a bien apprécié ce drame parfois kafkaïen. Le thème du roman conserve une actualité permanente : qui suis-je ? Janelou a présenté "L'Adversaire", publié en 2000, le livre le plus connu de l'écrivain, basé sur l'horrible crime de l'affaire Romand en 1993. Cet homme, dont la vie n'est que mensonge pendant 17 ans, a tué sa femme, ses deux enfants et ses parents. Il n'était pas médecin comme il le prétendait. Quand un membre de sa famille lui demande de rembourser un prêt, il passe à l'acte. Emmanuel Carrère s'intéresse à ce criminel avec lequel il communique par courrier.  Janelou a vraiment évoqué cette enquête singulière et unique avec précision en citant des passages. L'auteur se demande si l'assassin n'est pas le "jouet de l'Adversaire, de Satan" dans une référence biblique. Ce reportage lucide, sincère, authentique dans l'enfer de cet homme "inhumain" révèle tout le talent d'Emmanuel Carrère pour tenter l'impossible : essayer de comprendre des actes incompréhensibles. Odile Ba et Geneviève ont lu "Un roman russe", publié en 2007. L'écrivain poursuit sa démarche autobiographique en proposant trois récits dans ce texte : l'histoire d'un prisonnier hongrois capturé par l'Armée rouge en 1944, la vie désastreuse de son couple, la disparition de son grand-père maternel, exécuté après la Libération à cause de sa collaboration avec les Allemands. La construction du récit entremêle ces trois récits avec un point commun : le narrateur omniprésent qui raconte ses relations tumultueuses avec une jeune femme, Sophie, ses souvenirs familiaux avec sa mère, Hélène en dévoilant le secret du grand-père. Des lectrices ont remarqué l'extrême narcissisme de l'écrivain. Il faut dépasser ce niveau psychologique pour apprécier le projet d'Emmanuel Carrère : traquer les zones d'ombre dans chaque individu, remettre en question l'héritage familial. Ecrire pour lui ressemble peut-être à une "thérapie" pour mettre à distance ces hantises et ses angoisses. (La suite, lundi)

jeudi 16 octobre 2025

"Kolkhoze", Emmanuel Carrère, 2

 Ce grand récit mêle des souvenirs intimes à des anecdotes historiques, des secrets de famille à des informations géopolitiques. L'écrivain Carrère se confie souvent dans la presse sur sa démarche littéraire : la description du Réel, de son Réel. Il évoque son amour de fils envers ses parents : "Je suis le visage de ma mère qui se détourne sans appel, je suis la détresse sans fond de mon père". Emmanuel Carrère puise son inspiration dans le destin fabuleux de sa mère et il tente de décryper l'étrange relation conjugale de ses parents. Chacun a déjà éprouvé ce sentiment d'étrangeté quand on pense au couple que formaient ses parents. Ce fait social et psychologique demeure souvent une énigme pour les enfants. L'écrivain explique sa fascination pour une démarche de vérité sur ses proches : "Les livres, les films, les récits qui me touchent le plus sont ceux qui montrent en même temps les dimensions horizontale et verticale de la vie. Horizontale : l'amour, l'amitié, les alliances qu'on noue en faisant la traversée dans les mêmes eaux, dans le même temps. Verticale : les relations entre les générations. Parents et enfants, aïeux et descendants, qui ont habité des mondes différents, partagé d'autres récits collectifs, d'autres valeurs, d'autres évidences". Il ajoute qu'en prenant de l'âge, il se passionne plus pour la dimension verticale. "Kolkhoze" illustre, évidemment, la dimension verticale de sa vie avec un sentiment de réconciliation et d'apaisement. Ce mot, kolkhoze, convient parfaitement quand les trois enfants d'Hélène Carrère d'Encausse se retrouvent au chevet de leur mère, souffrant d'un cancer,  dans un service des soins palliatifs : "Cette nuit-là, rassemblés tous les trois autour de ma mère, nous avons pour la dernière fois fait kolkhoze". Amour filial, amour familial, passé recomposé comme une fable, Emmanuel Carrère livre à ses lecteurs et lecrices une fresque haute en couleurs où l'ennui est honni dans ce texte. Il définit son rôle ainsi : "Ce que nous aurons connu sur notre petit arpent de terre est nul autre, dans notre petite bande de temps est nulle autre, dans le petit être qui nous a été assigné d'habiter est nul autre, le monde peut crouler, cela reste le métier des gens comme moi d'en rendre compte. Alors, puisqu'ils sont morts, et tant que je suis vivant, je le fais". Un des meilleurs "Carrère" !

mercredi 15 octobre 2025

"Kolkhoze", Emmanuel Carrère, 1

 J'ai choisi Emmanuel Carrère dans le cadre de l'Atelier Littérature du mois d'octobre. Pourquoi ce choix pour mon deuxième atelier de la saison ? Dans le panorama littéraire contemporain, les critiques citent son nom comme celui de Michel Houellebecq, les considérant comme de grands écrivains contemporains, connus autant en France qu'à l'étranger. La rentrée littétaire commentée par la presse évoquait dès cet été, l'événement à surveiller : le dernier récit d'Emmanuel Carrère, "Kolkhoze", publié chez P.O.L., son éditeur de toujours. Je l'ai donc lu et malgré les 560 pages, j'ai beaucoup apprécié ce récit autobiographique d'une grande ampleur et d'un souffle romanesque évident. L'écrivain évoque ses influences littéraires : Georges Perec et Marguerite Yourcenar. Il admire le roman de Perec, "W ou Le souvenir d'enfance" mêlant l'histoire intime à la grande Histoire. Marguerite Yourcenar a composé son autobiographie à partir de ses propres archives, "Le Labyrinthe du monde" en trois tomes, et ces récits psychogénéalogiques ont fortement influencé l'écrivain pour se plonger lui-même dans les eaux familiales. Comment résumer ces centaines de pages ? Exercice difficile. Je tire le fil le plus essentiel : le portrait de sa mère, Hélène Carrère d'Encausse, morte en 2023. Cette grande dame de l'excellence française, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, spécialiste du monde russe, a un parcours exemplaire dans une assimilation parfaite avec la France. Son mari, originaire de la bourgeoisie bordelaise, n'a pas la même trajectoire que sa femme. Il occupait un poste de direction dans les assurances et voyageait beaucoup. Emmanuel Carrère en prenant le titre de "Kolkhoze" raconte une anecdote familiale d'une tendresse évidente quand leur mère invitait ses trois enfants dans sa chambre le soir pour dormir avec elle : faire kolkhoze. Le narrateur remonte sur quatre générations et il avait déjà mentionné la généalogie de sa famille dans "Un roman russe". Originaire de la Georgie, sa mère, née Zourabichvili, issue de la noblesse russe ruinée, s'est exilée en France dans les années 30. Son père a collaboré avec les Allemands pendant la Guerre et Emmanuel Carrère avait révélé ce secret refoulé et honteux que sa mère voulait absolument caché.  Le père de l'Académicienne a disparu certainement assassiné pendant la Libération. Ce roman biographique raconte une saga familiale fascinante dans le bouleversement de l'Histoire : la révolution bolchévique, l'exil des Russes blancs, la guerre mondiale, la Russie de Poutine, la France institutionnelle avec l'Académie française. (La suite, demain)

lundi 6 octobre 2025

Les 40 ans de Répliques, Alain Finkielkraut

 J'ai écouté une émission de France Culture sur les 40 ans de "Répliques", une véritable institution du service public. Guillaume Erner a reçu Alain Finkielkraut dans les "Invités du matin", disponible en podcast. Evidemment, je ne rate jamais un "Répliques" tellement les sujets abordés sont très souvent passionnants. Depuis tant d'années, cet exercice intellectuel de l'académicien honore France Culture. Le philosophe raconte qu'il voulait "faire une place à la conversation civique" et renouer avec "l'idéal démocratique" en rappelant la citation d'Albert Camus : "Le démocrate est modeste. Il sait qu'il ne sait pas tout. Il a besoin des autres pour savoir ce qu'ils savent". Ce besoin de dialoguer, ce souci permanent de comprendre, de décrypter les idées sur le monde demeurent l'obsession du philosophe. Il cite une amie de Tocqueville qui s'exclamait : "A quoi servirait de vivre si l'on n'entendait que le son de sa propre voix ?". Dans le panorama de la vie intellectuelle française, cette émission est restée une vigie éclairante, prônant la tolérance et le non sectarisme. Alain Finkielkraut, homme de gauche, est décreté "réactionnaire" par ses anciens amis et collègues. Cette logique de dénonciation rend "difficile la conversation dans le monde intellectuel". Malgré des attaques récurrentes contre son esprit de liberté et de vérité du réel, le philosophe trace son sillon et régale ses auditeurs. Comme la littérature me passionne, j'écoute avec intérêt les émissions sur les écrivains : Proust, Anatole France, Péguy, Colette, Cioran et tant d'autres. Il invite des philosophes, des sociologues, des artistes en traitant de sujets contemporains souvent clivants comme l'aide active à mourir, la nouvelle paternité, les luttes féministes, la justice, etc. On ne s'ennuie jamais avec lui et avec ses interlocuteurs. J'apprécie aussi son amour total pour la littérature qu'il vénère : "Il faut, à 14 ou 15 ans, s'ouvrir à des livres trop grands pour soi, pour connaître la volupté de comprendre sans comprendre". Il faut lire en particulier "Le Coeur intelligent" où l'écrivain-philosophe évoque neuf romans essentiels à lire dans sa vie. Encore aujourd'hui, j'ai suivi son émission sur "Trump, chaos ou stratère incarné", un débat passionnant sur l'actualité du moment concernant la géopolitique. Et tout ce j'ai écouté n'est pas vraiment réjouissant. Alain Finkielkraut, aidé par son équipe, me surprend toujours, tellement il m'aide à mieux comprendre le monde. C''est le rôle d'une radio comme France Culture. 40 ans de réflexions, 40 ans de débats, 40 ans de points de vue, je souhaite qu'il poursuive son chemin 40 ans de plus ! Et je serai fidèle au rendez-vous de "Répliques". 

samedi 4 octobre 2025

Atelier Littérature, 4

 Agnès a choisi comme coup de coeur, le roman de Viola Ardone, "Les Merveilles", publié en 2024 ehez Albin Michel. En 1982, Elba, quinze ans, est née dans l'asile où sa mère a été abusivement internée. Elle a suivi des études chez les religieuses et revient dans l'hôpital pour se rapprocher de sa mère. Le jeune fille décrit ce monde de malades mentaux mal soignés et même négligés par les soignants. Seuls comptent les cachets, les sangles, les électro chocs. Ce milieu impitoyable va commencer à changer quand un jeune psychiatre prône l'écoute et surtout la libération des malades. Il prend aussi Elba sous son aile bienveillante et découvre "le poids et la force de la paternité". Agnès a aussi apprécié le dernier récit de Gaëlle Josse, "De nos blessures, un royaume". Pascale a présenté "La Sentence" de Louise Erdrich, paru en Livre de Poche en 2025. Tooke, une quadragénaire d'origine améridienne, ayant fait quelques années de prison, est embauchée dans une libraire de Minneapolis. Lectrice assidue, elle aime beaucoup son travail mais, l'esprit d'une cliente récemment décédée vient hanter les rayonnages de la librairie. La ville est à feu et à sang après la mort de George Floyd et le monde s'est figé avec l'arrivée du covid. Que va devenir Tokee dans ce monde devenu fou ? Il faut lire ce roman pour connaître le destin de cette femme courage. "Une lecture réjouissante", s'est exclamée Pascale. Odile Ba a évoqué son deuxième coup de coeur avec le dernier roman de Natacha Appanah, "La nuit au coeur", paru chez Gallimard. L'écrivaine entrelace trois histoires de trois femmes, victimes de la violence de leur compagnon. Ces féminicides dans le cadre conjugal, un sujet terrible et malheureusement récurrent à la fois. Une nouveauté de la rentrée littéraire à découvrir. Annette a beaucoup apprécié cet été une biographie romancée, "Artemisia" d'Alexandre Lapierre. En 1611, à Rome, la jeune Artemisia se bat avec fureur pour peindre. Son père, Orazio Gentileschi, veut cacher le génie de sa fille. Mais, son destin d'immense artiste va s'imposer. Une biographie exemplaire, documentée et très agréable à lire. Et comble du bonheur, l'Italie de la Renaissance en prime : Voilà pour tous les excellents coups de coeur du premier atelier de la nouvelle saison. Nous nous retrouverons le jeudi 16 octobre dans le même lieu, "Jetez l'encre" autour d'Emmanuel Carrère. 

vendredi 3 octobre 2025

Atelier Littérature, 3

 Une nouvelle lectrice, Marie-Christine, a rejoint l'Atelier ce jeudi. Elle a choisi comme premier coup de coeur un roman d'Antonio Skarmeta, "Une ardente patience", paru en 1987 au Seuil. Un facteur, Mario Jiménez, porte le courrier à un poète illustre, Pablo Neruda, dans l'île Noire, en Argentine. Mario demande au poète de l'aider à conquérir la fille de l'aubergiste qu'il aime en lui envoyant des poèmes. Une amitié naît entre les deux hommes mais, la tragédie surgit avec la mort du poète, celle d'Allende et la fin de la démocratie chilienne. Un roman attachant et sensible. Marie-Christine a cité un deuxième coup de coeur, "Oublier Klara", d'Isabelle Autissier. paru en livre de poche en 2020. Ce roman se passe à Mourmansk, au nord du cercle polaire où Rubin, sur son lit d'hôpital, se souvient de sa mère, chercheuse scientifique, arrêtée par la police stalinienne. Le fils de cet homme a choisi l'exil en Amérique pour oublier le passé familial. Il revient vers son père, vingt-trois ans après pour mener son enquête sur ce passé douloureux. Un roman à découvrir. Geneviève a beaucoup apprécie les deux tomes de l'autobiographie de Doris Lessing, "Dans ma peau" et "La marche dans l'ombre". Prix Nobel de littérature en 2007, cette écrivaine anglaise, née en Iran, a passé son enfance et sa jeunesse en Rhodésie. Son oeuvre "polyforme" se compose de romans, d'écrits autobiographiques, de science-fiction, de nouvelles. Elle s'inspirait de son expérience africaine, de ses engagements sociaux et politiques. Une immense écrivaine à découvrir ou à redécouvrir avant que les générations actuelles et futures ne l'oublient. Geneviève a aussi évoqué en deuxième coup de coeur, "Giovanni Falcone" de Roberto Saviano. Le 23 mai 1992, à Palerme, la mafia assassine le juge Falcone, un homme exemplaire qui, vingt ans plus tôt, a ouvert le dossier antimafia. Il sait que la mafia va le tuer mais il ne désarme pas devant la peur. Il faut lire ce récit documenté et impressionnant d'un auteur italien qui connaît très bien ce sujet.

jeudi 2 octobre 2025

Atelier Littérature, 2

 Véronique a présenté le roman de Leonor de Recondo, "Marcher dans tes pas", publié chez Iconoclaste. La narratrice raconte la vie d'Enriqueta, sa grand-mère qui a fui l'Espagne franquiste en 1936 en perdant tout. Quarante ans plus tard, Leonor de Recondo, rend un hommage émouvant à cette femme et demande la bi-nationalité franco-espagnole pour reconnaître sa double identité. La narratrice veut réparer l'oubli des victimes du franquisme dans la guerre civile. Sa grand-mère était une femme libre, courageuse et combattive. Face à ce passé familial douloureux, Leonor de Recondo tisse un lien indéféctible avec Enriqueta. Il ne faut jamais oublier toutes ces victimes et ce devoir de mémoire rappelle les tragédies de cette guerre horrible : "Le devoir de mémoire ne doit-il pas d'abord rendre hommage aux victimes ? Comme il n'y eut aucun procès après la mort de Franco, et qu'un silence a été accepté par tous, les fosses sont restées fermées et les noms des perdants se sont effacés à jamais. Enfants et petits-enfants, souvenons-nous. La mémoire se travaille, elle n'est pas acquise, elle se cultive". Une nouveauté de la rentrée à découvrir. Odile Bo a évoqué un roman de Philippe Manevy, "La colline qui travaille", publié chez l'éditeur, Le Bruit dans le monde. L'auteur raconte son roman familial sur quatre générations en commençant par sa grand-mère, Alice, tisseuse de métier et figure de proue d'un mouvement ouvrier après la victoire du Front Populaire. Son mari, typographe, s'est aussi engagé dans la Résistance. Ils auront une fille, Martine. Chaque chapitre met en lumière un membre de la famille qui traverse les deux guerres mondiales, les Trente Glorieuses et la fin du XXe. Une saga familiale comme on les aime. Odile a aussi choisi en deuxième coup de coeur, "Du même bois" de Marion Fayolle, paru en Folio. Dans une ferme, l'histoire d'une famille et leur mode de vie de génération en génération. L'omniprésence des bêtes dans leur environnement envahit leur espace. Par petites touches sur le vif, ce premier roman avait été salué par les critiques littéraires. (La suite, demain)

mercredi 1 octobre 2025

Atelier Littérature, 1

 Après quelques mois d'interruption estivale, l'Atelier Littérature a fait sa rentrée le jeudi 25 septembre dans un nouveau lieu, "Jetez l'encre", un bar-salon confortable, en face de la Médiathèque. Nous étions une bonne dizaine autour de la table et j'étais, évidemment, ravie de retrouver mes amies lectrices. Je n'avais donné qu'une consigne pour ces retrouvailles : évoquer les coups de coeur de l'été. J'ai présenté avant de démarrer la séance le programme de la nouvelle saison avec trois rendez-vous prévus d'octobre à décembre. Le jeudi 16 octobre, nous invitons virtuellement Emmanuel Carrère, un écrivain français incontournable à l'occasion de la sortie de son nouveau livre : "Kolkhose". En novembre, j'ai choisi une écrivaine anglaise "romantique et intemporelle" dont on fête les 250 ans de sa naissance en 1775 ! En décembre, je proposerai une liste de romans d'amour. Odile Ba a lancé la séance des coups de coeur avec la trilogie de Leila Slimani : "Le Pays des autres", "Regardez-nous danser" et "J'emporterai le feu". Odile aime beaucoup cette saga familiale où la situation des femmes l'intéresse au plus haut point, ces femmes qui cherchent à "se libérer, chacune à sa façon, dans l'exil ou dans la solitude". Mylène nous a présenté un roman original, "Division Avenue" de l'écrivaine américaine Goldie Goldbloom, publié en 2021 chez Bourgois. Cette Division Avenue se situe à New York, dans le quartier juif orthodoxe de Brooklyn. Surie Eckstein, mère de dix enfants, découvre qu'elle est enceinte à 58 ans ! Quel événement singulier et extraordinaire ! Elle décide de taire cette grossesse, ment à sa famille et à ses amis. Elle détient un secret concernant un de ses fils, Lipa. L'écrivaine brosse le portrait empathique, tendre et émouvant d'une femme discrète par excellence dans le milieu de la communauté juive hassidique, rythmée par de nombreuses fêtes religieuses, par des rites et des interdits. Il faut lire ce beau roman pour découvrir le secret de Surie. Le deuxième coup de coeur de Mylène concernait les romans d'Anne Tyler, en particulier "La danse du temps" et "Une autre femme". Mylène a eu une très bonne idée de parler de cette écrivaine américaine qui mériterait d'être mieux connue. Tous ses romans évoquent la famille, le couple, les enfants, l'émancipation des femmes toute en douceur et l'humour distancié. (La suite, demain)

lundi 29 septembre 2025

"Au fond des années passées", Jens Christian Grondahl

 J'ai terminé récemment le dernier roman de Jean Christian Grondahl, "Au fond des années passées", publié chez Gallimard dans l'excellente collection, "Du monde entier". J'ai retrouvé le charme de ce "Modiano" danois comme on le qualifie parfois. Auteur d'une douzaine de romans, son univers révèle les fragilités des destins autour du couple, de la famille, de l'amour. Il connaît bien "Les bruits du coeur", comme l'indique le titre d'une de ses oeuvres si délicates. Un charme intime s'infiltre dans sa prose et le personnage principal qui ressemble tant à l'écrivain traverse une crise existentielle, teintée de solitude, digne du philosophe danois, cité dans le roman, Kierkegaard. Une femme qu'il a connue et aimée dans les années 80 resurgit dans sa vie alors qu'il avait vécu une histoire assez courte avec elle. A sa soixantaine, il est atteint de la maladie de Parkinson et ce verdict terrible provoque la séparation avec sa femme qui ne veut pas assumer la vie commune avec lui. Malgré cette grande bascule dans sa vie, il reste stoïque. Un jour, dans un parc de Copenhague, il croise Anna, son ancien amour de jeunesse. Le narrateur raconte sa première rencontre avec elle dans la mouvance libertaire de l'époque. Anna avait une relation avec un artiste singulier et le narrateur était très jaloux de cette liaison. Elle a quitté le Danemark après le décès brutal de son amant. La vie réunit à nouveau ces deux amants d'antan quarante ans après. Anna occupait un poste prestigieux à Bruxelles et s'est mariée avec un célèbre journaliste de la télévision danoise. Or, elle subit une humuliation en apprenant que son mari a harcelé sexuellement une de ses secrétaires. Un séisme dans sa vie de couple. Les deux protagonistes se rapprochent, l'un avec sa maladie, l'autre, avec le mensonge de son couple. Ce roman subtil, ancré dans son temps, raconte les "méandres indociles de ces vies pleines d'ombres et de silences". La prose fugace et intimiste de Jens Christian Grondahl fait penser au peintre danois, Vilhelm Hammershoi, dont les tableaux montrent l'intériorité des personnages dans un intérieur figé. L'écrivain évoque la transformation d'un "moi jeune" en "moi âgé" en chuchotant que l'on peut éprouver "un sentiment croissant de légéreté et de libération à l'automne de la vie". Un très beau roman à lire absolument dans la rentrée littéraire et j'espère qu'il obtiendra un prix !

vendredi 26 septembre 2025

"Je ne verrai pas mourir", Antonio Munoz Molina, 2

 Le roman démarre avec une longue et unique phrase de soixante pages, une "prouesse littéraire" véritable pour entrer dans l'esprit tourmenté de Gabriel. Dans cette grande parenthèse, comme "un flux de conscience", le narrateur raconte sa jeunesse, sa rencontre avec Adriana, ses parents, des souvenirs qui hantent ses nuits. Atteint d'un cancer, il est urgent pour lui de "solder" son passé en retrouvant son grand amour : "En s'éloignant d'Adriana Zuber, il s'était éloigné de lui-même et de ce qu'il y avait de meilleur en lui. (...) Détaché d'elle, il avait simplement été une personne différente sans le dissimiler, de manière résolue, intoxiqué par les aiguillons de la vanité et de l'argent, la sensation du pouvoir, l'ivresse de l'ascension sociale". D'autres personnages interviennent dans le roman comme Julio, un enseignant espagnol d'histoire de l'art, spécialiste d'un peintre baroque méconnu qui recueille les confidences de Gabriel. Cet homme est divorcé et sa fille ne veut plus communiquer avec lui. Cette situation le rapproche de son aîné, Gabriel. Fanny, l'aide à domicile, surveille et prend soin de sa maîtresse. Adriana relate aussi son mariage malheureux et les relations avec sa fille. Ce roman ressemble à un chant choral où chaque interprète joue une partition nostalgique du temps qui passe. L'amour de Gabriel et d'Adriana peut-il renaître malgré le poids impitoyable des années cumulées ? Le départ de Gabriel représentait une dette morale envers son père mais, n'est-ce-pas un lâche abandon de sa part ? La demande finale d'Adriana à Gabriel pour l'aider à mourir est-il un dernier acte d'amour ? Ce très beau roman aux phrases musicales rappelle les  suites de Bach, jouées par un ami exceptionnel de son père, Pablo Casals.  Un critique littéraire évoque "la grâce romanesque", la "virtuosité d'écriture" de ce texte profond et émouvant au message subtil : "La vie est comme une phrase subtilement complexe". Avec une délicatesse remarquable, l'écrivain espagnol pose la question des choix que l'on prend dans la vie et de ses conséquences. Le personnage central, le trop docile Gabriel, s'égare dans une identité double, loin de ses désirs profonds. Ses retrouvailles avec Adriana apporteront peut-être une clé de compréhension sur sa fuite aux Etats-Unis. Un critique qualifie Antonio Munoz Molina de "fin conteur de l'âme humaine". Pour moi, un des plus beaux livres de la rentrée littéraire. 

jeudi 25 septembre 2025

"Je ne te verrai pas mourir", Antonio Munoz Molina, 1

 Antonio Munoz Molina est, à mes yeux, l'un des plus grands écrivains espagnols d'aujourd'hui. J'avais lu en 2023, "Tes pas dans l'escalier", un roman magnifique et troublant. Dans cette rentrée littéraire, j'ai donc découvert son dernier ouvrage, "Je ne te verrai pas mourir", publié au Seuil. Le personnage principal, Gabriel Aristu, un espagnol septuagénaire, s'est installé aux Etats-Unis depuis longtemps et a occupé un poste important dans les organisations internationales alors qu'il rêvait d'être violoncelliste professionnel. Son père voulait qu'il quitte ce pays "sinistre et arriérée" à l'époque du franquisme. Il s'est marié avec une américaine et s'est totalement intégré dans la société jusqu'à oublier son identité et son passé en Espagne. Mais, au moment de sa retraite, il ressent le besoin de retourner à Madrid, de se ressourcer. Il veut revoir son amour de jeunesse, Adriana Zuber, comme si rien n'avait changé depuis 1967. Plus de cinquante ans ont passé et la vie les a séparés, un océan les a séparés. Le narrateur raconte leur histoire d'amour, leur rencontre romanesque,  leur passion réciproque. Il sonne à la porte d'Adriana et elle est assise dans un fauteuil roulant. Son corps se paralyse, ses cheveux roux sont blancs. Une auxiliaire de vie l'assiste dans son quotidien empêché. Leur séparation n'a pas éteint leur amour et leurs retrouvailles s'avèrent délicates. Pourquoi Gabriel a-t-il quitté cette femme adorée ? Adriana lui renvoie une image de fils obéissant, trop respectueux de sa famille. Son père était un critique musical aux idées monarchistes et il connaissait les muisiciens de son temps. La guerre civile espagnole a aussi laissé des traces traumatisantes. Gabriel éprouvait une dette morale envers ce père qui s'était sacrifié pour lui. Cette rupture avec son pays et avec ses proches dont Adriana a rendu Gabriel étranger à lui-même, sans ancrage. L'écrivain a connu cet effet de décalage quand il a vécu entre deux continents de 1993 à 2017. Ce roman nostalgique met en avant ce personnage attachant, "un somnambule dans sa propre vie". (La suite, demain)

mardi 23 septembre 2025

"Kairos", Jenny Erpenbeck

 Dans les nouveautés de la rentrée littéraire, j'ai lu récemment le roman de Jenny Erpenbeck, publié en 2021 en Allemagne, lauréat de l'International Booker Prize en 2024. Dans ce texte dense et original, il est question d'un couple atypique, Hans et Katharina, vivant dans un pays assez inconnu encore aujourd'hui, l'ex RDA, la République Démocratique Allemande, un régime glacial qui résonne encore à nos oreilles comme une enclave soumise à l'URSS et au totalitarisme communiste. Au début du roman, Hans est mort comme son ex-pays. Katharina découvre une valise oubliée où des lettres racontent l'histoire oubliée de leur relation amoureuse. Hans a porté l'uniforme des nazis dans sa jeunesse et il a choisi de vivre en RDA pour des raisons idéologiques. Il est écrivain, homme de radio, proche du parti et son statut d'intellectuel le protège. Katharina, une jeune fille beaucoup moins idéaliste que lui, tombe follement amoureuse de cet homme alors que trente quatre ans les séparent. Cette improbable liaison avec ses hauts et ses bas va rythmer le texte. Une relation chaotique s'installe entre eux, basée sur des rituels amoureux qui rappellent leur coup de foudre réciproque malgré leur différence d'âge. Hans est marié et père d'un enfant. Comme l'avenir semble un peu précaire pour leur couple, ils vénèrent leur passé amoureux : "plutôt que de penser à l'avenir, dit-elle, souviens-toi". Le personnage de Hans n'attire pas la sympathie tellement il est engoncé dans ses certitudes politiques et avec sa jeune maîtresse, il se montre tyrannique, jaloux et lâche. Sa perversité envers Katharina dynamite leur histoire d'amour. L'histoire du Mur de Berlin, la vie difficile des Allemands de l'Est, Budapest et d'autres événements se faufilent en arrière-plan dans ce roman, vu de l'Est.  La vie intime du couple se mêle étroitement à l'Histoire du pays et de la réunification allemande après 1989. Katharina prend aussi conscience qu'elle peut vivre loin de cet enfer car son travail dans un théâtre et ses rencontres lui ouvrent un nouvel horizon. J'ai retrouvé dans ce livre la ville de Berlin, fascinante par son histoire, une ville séparée par un mur devenu mythique. Les personnages fréquentent les bars, arpentent les rues, les places, les gares dans une ville étrange et aussi familière. Un roman de la rentrée à découvrir pour Berlin, surtout.   

jeudi 18 septembre 2025

Escapade en Provence, Aix-en-Provence, 3

Après la salle consacrée aux natures mortes de Cezanne, j'ai donc revu les portraits et les autoportraits de l'artiste : son père, son épouse, des amis, des paysans, les joueurs de cartes. Lui-même se peint avec un regard inquiet et interrogatif. Dans une autre salle, m'attendait une série des baigneurs et des baigneuses, un thème qui a hanté le peintre toute sa vie. Il a composé près de deux cents esquisses, souvent inachevées jusqu'à aboutir à quelques tableaux présentés dans l'exposition. Un critique d'art qualifie cette inspiration de "lointaines réminiscences de sujets mythologiques et bibliques". Loin des canons classiques du nu, Cezanne prend des libertés dans la figuration du corps en peinture. La Montagne Sainte-Victoire n'était pas assez représentée à mon grand étonnement. Mais, je sais que je reverrai des Cezanne à Paris dont "sa" montagne adorée. Après l'exposition, je voulais revoir la Chapelle des Pénitents, le troisième musée d'art de la ville mais, il était fermé pour causes techniques ! Parfois, pour des raisons liées au manque de personnel, les musées ferment des salles comme au Louvre. Le lendemain, j'avais réservé un billet pour visiter le Jas de Bouffan, la maison de famille du peintre, acquise en 1859 par son père et vendue 40 ans après. Cezanne séjournait très souvent dans cette demeure qui lui servait de refuge entre Paris et Aix-en-Provence. C'est dans ce lieu magnifique qu'il a peint la majorité de ses toiles. J'ai donc arpenté le parc avec émotion en imaginant Cezanne sortant son matériel pour peindre la bastide, le bassin, les arbres, la fontaine. A l'intérieur, tout a été renové et la cuisine est d'une simplicité quasi paysanne, loin des intérieurs bourgeois. Le Jas de Bouffan est devenu un centre de recherche pour l'oeuvre cezanienne. On évoque la notion d'esprit du lieu même quand l'urbanisation invasive a gâché le panorama de la bastide. Avant de quitter Aix, j'ai vu le Jardin des Peintres, aménagé sur un belvédère avec un point de vue unique sur la Montagne Sainte Victoire. La ville a installé quelques reproductions de tableaux pour célèbrer leur peintre, transformé en icône de l'art moderne. Ce phénomène de célébration se banalise partout dans chaque ville où est né un génie : Prague et Kafka, Lisbonne et Pessoa, Copenhague et Andersen, Paris et Victor Hugo, etc. Je voulais me plonger dans l'univers de Cezanne et grâce aux livres et à cette escapade brève mais intense, j'ai vévu à l'heure cezanienne, un grand bonheur esthétique.  

mardi 16 septembre 2025

Escapade en Provence, Aix-en-Provence, 2

 Avant de rejoindre le musée Granet, j'ai visité la cathédrale Saint-Sauveur, un édifice religieux remarquable, construit sur l'emplacement du forum antique et même sur les fondations d'un ancien temple dédié à Apollon. J'ai tout de suite remarqué un tryptique, "Le Buisson ardent" d'un artiste avignonnais, Nicolas Froment, réalisé au XVe siècle. Je visite systématiquement toutes les cathédrales dans chaque ville que je traverse. En Italie, ces édifices religieux sont des musées et en France, quelques cathédrales composent un patrimoine irremplaçable. Je pense à la cathédrale gothique de Bayonne près de laquelle j'habitais dans ma jeunesse. De ma fenêtre, je contemplais les arcs-boutants et j'avais l'impression de les toucher. J'ai beaucoup déménagé dans ma vie et cet appartement en plein centre de Bayonne, rue Argenterie, a marqué ma mémoire. J'avais réservé mon billet vers 16h pour visiter l'exposition Cezanne. Il fallait se présenter trente minutes avant avec un dispositif digne d'une zone d'embarquement dans un aéroport : présentation des papiers, fouille des sacs dans le portique, scanner corporel. J'étais vraiment étonnée par ce souci sécuritaire impressionnant. La majorité des visiteurs avait dépassé la soixantaine et je ne pense pas que nous avions l'intention de jeter des pots de peinture sur les magnifiques tableaux de Cezanne. La bêtise de certains gestes d'écologistes en furie m'afflige. Rentrer dans un musée ressemble maintenant à marathon où il faut s'armer de patience. Plus de 130 peintures, dessins et aquarelles composent cette rétrospective exceptionnelle : portraits, autoportraits, paysages de la bastide familiale, natures mortes, baigneurs et baigneuses. Ces oeuvres inestimables venaient de Bâle, Chicago, Londres, NewYork, Ottawa, Tokyo, Zurich, etc. Je ne pouvais pas manquer cette exposition internationale sur Cezanne ! J'étais fascinée par les natures mortes et je voue un culte particulier pour les pommes cezaniennes, symboles de la pureté, de la générosité et de la simplicité. Cezanne voulait redonner ses lettres de noblesse à la nature morte et il disait : "Avec une pomme, je veux étonner Paris !". Les fruits symbolisent aussi la vie dans sa dimension éphémère. Mais, selon son biographe, Bernard Fauconnier, Cézanne "cherchait la quintessence de la pomme. L'être de la pomme. Plutôt que de vouloir saisir l'instant, il tend vers une notion d'éternité". (La suite, demain)

lundi 15 septembre 2025

Escapade en Provence, Aix-en-Provence, 1

 J'avais deux rendez-vous importants à Aix-en-Provence : le "Caumont" et le "Granet". J'ai trouvé un hôtel très pratique, "La Caravelle", situé dans le centre ville et très proche d'un parking public. Quel plaisir de se balader dans les rues et les places, de voir les fontaines diverses, les hôtels particuliers, les monuments ! Aix-en-Provence ressemble à une ville italienne, ce qui me ravit toujours. Ma première visite était réservée à l'hôtel de Caumont, un lieu culturel incontournable. Ce centre d'art, ouvert en 2015, après des années de travaux, présente actuellement l'artiste franco-américaine, Niki de Saint Phalle (1930-2002), à travers "un bestiaire unique et fascinant". La plasticienne a grandi dans une famille aisée entre New York et la France. Artiste autodidacte dès 1961, ses idées personnelles se retrouvent au coeur de son art protéiforme : féminisme, soutien aux peuples opprimés, droits civiques, etc. Violée par son père à l'âge de onze ans dont elle ne guérira jamais, l'artiste a trouvé dans l'art "une sorte de thérapie qui calmait le chaos qui agitait son âme et fournissait une structure organique à sa vie". Elle rencontre le sculpteur suisse, Jean Tinguelly, avec lequel elle va partager sa vie. Sa célébrité démarre avec la création des "Nanas", ces femmes monumentales, libérées, indépendantes, libres et joyeuses. Dans la cour de l'hôtel de Caumont, une de ses "nanas" me tendait les bras et j'ai vu avec intérêt les animaux et créatures fantastiques, exposés dans les diverses salles. Le parcours coloré, bariolé, ludique des oeuvres montre des licornes, des serpents, des dragons, des monstres, des tableaux sculptés. Un monde mythologique, magique, proche de l'enfance, de l'innocence perdue avec un effet conte sur les frayeurs et sur les illuminations d'une grande artiste. L'exposition démontre à merveille sa démarche artistique et engagée. Quand j'ai quitté Niki de Saint Phalle, j'ai eu l'impression de rajeunir ! Le musée proposait aussi un film sur la vie de Cezanne qui durait trente minutes. Une bonne introduction pour savourer ma deuxième exposition au musée Granet. 

vendredi 12 septembre 2025

Escapade en Provence, la montagne Sainte-Victoire

 Quand j'ai quitté la calanque de Figuerolles, je voulais longer la Montagne Sainte-Victoire pour parcourir les vingt kilomètres du versant sud entre Puyloubier et Aix-en-Provence. La carte d'identité de la Sainte-Victoire : 15 millions d'années, 18 kilomètres de long, 1 000 mètres d'altitude (le Pic des Mouches), 1 million de visiteurs par an. Ce joyau naturel domine l'arrière-pays d'Aix et comme les calanques, ce lieu doit échapper à la foule des randonneurs. Les pins d'Alep et de chênes verts, s'aggripent aux rochers. Je me suis baladée dans un sentier et je sentais le thym, la lavande, la sarriette. La lumière du matin illuminait le calcaire des roches et j'imaginais Cezanne derrière un pin parasol avec son chevalet, sa palette et son pinceau. Il a peint sa montagne des centaines de fois tellement il lui vouait un culte païen. Jean Giono, un amoureux fou de sa Provence, écrivait : "Les beaux paysages ne se captent pas dans des boîtes, ils s'installent dans les sentiments". Arrivée au Tholonet, un des hauts lieux d'inspiration artistique du peintre, j'ai bu un café au Relais Cezanne pour ressentir sa présence fantomatique. La route Cezanne démarre au Tholonet jusqu'à Aix-en-Provence  et pendant des années, le peintre a puisé son énergie en traversant les pinèdes et les oliveraies qui bordaient le chemin. La roche rouge des argiles, les verts des pins, des oliviers, le gris lumineux des calcaires, toutes ces variations de couleurs ne pouvaient qu'éblouir Cezanne. Ses toiles reflètent cette symphonie colorée. Mon intérêt pour cette montagne est né aussi d'un texte, "Sur les chemins de la Sainte-Victoire" de Jacqueline de Romilly, la grande Helléniste. L'universitaire randonneuse évoque ses balades dans cette montagne et elle en fait un symbole de sérénité en contemplant sa "permanence qui perdure au delà du passage du temps". D'autres écrivains ont été fascinés par ce lieu comme Peter Handke dans "La Leçon de la Sainte-Victoire". Observer la montagne devant ses yeux, observer la même montagne dans un tableau de Cezanne, "c'est découvrir les assises du monde" (citation de Georges-Arthur Goldschmidt). Ce petit détour sur le versant sud de la Sainte-Victoire, un enchantement !  

jeudi 11 septembre 2025

Escapade en Provence, la Calanque de Figuerolles

 Deuxième étape de mon escapade provençale : la Calanque de Figuerolles à La Ciotat, à quelques kilomètres de Cassis. J'avais réservé une chambre d'hôtel dans la calanque, un fait rare, le domaine étant privé. Comme c'était dimanche, je n'avais pas prévu, par naïveté, la fréquentation de Figuerolles car il a fallu se garer loin de l'hébergement par manque de parkings surchargés dans cette période de l'année. A mon arrivée, l'étroite plage de la calanque fourmillait de monde, les serviettes étant collées les unes près des autres. Sur un espace si restreint, cette vision de la plage à galets, saturée, bondée, ne ressemblait pas à un petit paradis. Comment apprécier ce site avec le phénomène du surtourisme comme toutes les villes du bord de mer ? Comme à Biarritz, où je ne mets plus les pieds de mai à novembre...  Comment tenir compte du décor naturel magnifique avec le bruit, les cris, la musique du restaurant, la promiscuité ? La calanque avait perdu sa sauvagerie naturelle et perdait sa magie. Il fallait attendre le crépuscule pour observer cet environnement particulièrement beau, un site classé depuis 1944. J'ai donc attendu le soir pour contempler la crique, encadrée de falaises de "poudingue" et surplombée par le Rocher du Capucin. Les falaises abruptes se composent d'une roche sédimentaire, constituée de galets qui forment des conglomérats. Le silence est donc revenu dans la soirée et au petit matin, la calanque retrouvait son identité première, un lieu fréquenté par des pirates et des contrebandiers. Figuerolles (qui vient de figuier) a inspiré surtout les peintres dont le cubiste Braque, attiré par la "force et l'étrangeté" du lieu. Ce cadre original a aussi servi de décor dans quelques films. Dès le petit matin, j'ai arpenté la plage avec ses galets et j'ai ressenti l'esprit du lieu, revenu à sa vocation originelle où la nature se conjugue avec la solitude, accompagnée d'un silence appréciable. Les "vraies richesses" selon Jean Giono célèbrent "la gloire du soleil, de la terre, des collines, des ruisseaux, des fleuves" et il aurait pu ajouter des calanques, mais, attention, danger. Il faut absolument protéger ces espaces naturels qui deviennent des parcs d'attraction estivaux. Dommage... 

mercredi 10 septembre 2025

Escapade en Provence, Cassis

 Dimanche dernier, j'avais rendez-vous avec la mer Méditerranée à Cassis. Parfois, le bleu marin me manque beaucoup à Chambéry. J'ai vécu jusqu'à mes trente ans en Côte basque et l'océan imprègne mon imaginaire. J'ai besoin de cet espace liquide d'un bleu changeant, virant souvent au vert et symbolisant sans cesse le mouvement. La montagne médite dans son immobilité et sa magnificence nous élève. La mer bouge sans cesse et les vagues bousculent, dynamisent, vibrent d'énergie. Mais, pour sentir la mer, il vaut mieux faire une balade en bateau pour sentir son parfum salé et pour ressentir sa "bougitude". J'ai donc pris un bateau à Cassis pour visiter trois calanques avec un vent d'Est assez fortifiant.Cette promenade bien tonique m'a permis de voir les calanques de Port Miou, de Port Pin et d'en Vau. Ces anses bordées de pentes abruptes offrent un panorama spectaculaire et j'ai pensé aux paysages des Cyclades en m'approchant des falaises rocheuses. De vaillants et jeunes visiteurs prennent les chemins escarpés pour atteindre les plages. Toutes ces criques appartiennent au Parc national des Calanques incluant Marseille, Cassis et La Ciotat. Gaston Rebuffat qualifiait les Calanques de "véritables jardins de pierres en bordure de mer". Ce moment marin m'a procuré un sentiment "océanique" avec souvent des éclats d'écume sur mon visage. J'ai aperçu un banc de poissons argentés entre deux vaguelettes. J'ai ensuite visité le charmant port de Cassis et j'ai pensé à Virginia Woolf qui, de 1925 à 1929, a passé quelques jours de vacances dans ce village provençal qui attirait beaucoup d'Anglais. L'écrivaine avait même envisagé d'acheter une maison mais ce projet n'a pas abouti. Le port a conservé sa beauté malgré une quantité de voiliers et de yachts au détriment des barques de pêche. Virginia Woolf écrivait dans une lettre qu'elle n'oublierait jamais Cassis : "Cette sensation de chaleur, le vin, la beauté, la liberté, le silence, la vie sans téléphone". Une destination de rêve pour elle en 1925. Evidemment, cent ans après, aurait-elle reconnu le village avec ses dizaines de restaurants, la musique d'ambiance, sa foule de touristes, ses magasins de souvenirs ? Je crois bien que non... Heureusement, le phare était là, la mer était là, les quais, les façades colorées, les platanes, quelques barques. J'ai même aperçu sa silhouette dans une rue ombragée. Un mirage, évidemment. 

vendredi 5 septembre 2025

"Cézanne", Bernard Fauconnier

 J'ai remarqué depuis longtemps l'excellente collection "Folio Biographies" des Editions Gallimard, créé en 2005. Sur le site internet de la collection, l'éditeur précise qu'il propose des biographies "courtes, inédites, avec photos et à des prix accessibles". Composés par des écrivains, des historiens et des universitaires, ces ouvrages permettent à un large public de découvrir le destin unique d'un grand nombre de créateurs : de Balzac à Colette, de Kafka à Zweig, des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des personnages historiques, des scientifiques et des religieux. J'ai donc lu le "Cézanne" de Bernard Fauconnier, publié en 2006. Ce même biographe a aussi proposé quatre autres destins uniques : Platon, Flaubert, Beethoven et Jack London. Né en 1839 à Aix en Provence, Paul Cézanne n'a pas suivi les traces de son père, ancien chapelier et banquier. Il a refusé de faire des études de droit et il a choisi la voix difficile de l'art. A Paris, il rencontre les impressionnistes et surtout Camille Pissaro. Il tente plusieurs fois de participer aux salons officiels sans y parvenir. Mais, il ne sombre jamais dans le défaitisme. Malgré le rejet de ses tableaux, il persiste dans son art. Emile Zola, son ami d'enfance, le soutient malgré le "mauvais caractère" de Cézanne. L'artiste s'éloigne du groupe impressionniste et s'isole dans sa Provence natale. Sur le plan intime, il a rencontré Hortense avec laquelle il a un fils, Paul mais cette relation restera longtemps cachée dans sa famille. A la mort de son père, sa situation financière s'améliore et il peut peindre sans se soucier de vendre ses toiles. Evidemment, comme le peintre Morandi avec ses bouteilles et ses bols, Cézanne a choisi son motif préféré : la Montagne Sainte-Victoire, son obsession picturale, sa passion charnelle, sa religion panthéiste. En utilisant "des formes géométriques pour représenter les éléments du paysage, il déconstruit et reconstruit". Bernard Fauconnier raconte un homme que la légende magnifie car, de son vivant, il était moqué, vilipendé. Ses contemporains le considéraient comme un fou. Mais, lui, il marchait dans la montagne, installait son chevalet, travaillait du matin au soir sans relâche. Son biographe raconte cette vie de labeur jusqu'à sacrifier ses amitiés et sa propre famille. Cézanne savait qu'il "réinventait la peinture". Une biographie très agréable à lire avec pour personnage principal, un peintre de génie. 

jeudi 4 septembre 2025

"Petite route du Tholonet", François Gantheret

 J'ai toujours apprécié la peinture de Cézanne, un de mes artistes préférés. J'ai vu et revu ses toiles à Paris au musée d'Orsay et à l'Orangerie. Son univers me touche particulièrement entre les portraits, les natures mortes et surtout la Montagne Sainte-Victoire qui m'a fascinée dès que j'ai posé mon regard sur cette montagne si compacte et si puissante. Une grande exposition sur Cézanne a lieu en ce moment à Aix en Provence et j'ai déjà réservé mon billet pour aller sur les traces du peintre, du Musée Granet à son atelier en passant par le Jas de Bouffan, sa maison de famille. J'ai même l'intention de contempler ses paysages en parcourant les villages de la Montagne Sainte-Victoire. En ce moment, je me "cézanne" en lisant des catalogues, sa biographie et d'autres documents. Cette fin de semaine, je m'embarque pour vivre mes moments cézanniens. Un ouvrage original m'a vraiment marquée : "Petite route du Tholonet" de François Gantheret, publié en 2005 dans la collection "L'un et l'autre", dirigée par J.-B. Pontalis chez Gallimard. L'auteur, psychanalyste et docteur ès-lettres était l'un des rédacteurs de la Nouvelle Revue de Psychanalyse. L'écriture littéraire lui convenait mieux pour évoquer la psychanalyse et il écrivait : "Le seul mode de transmission de l'expérience ne pouvait être que de fiction". Dans ce récit, le narrateur part à la recherche d'une femme qu'il a aimée et qu'il a perdue. Elle vivrait peut-être dans une maison sur la route du Tholonet. La figure de Cézanne surgit dans ce texte rêveur dans un "jeu de miroir", dans un flou cotonneux. Par touches "impressionnistes", l'auteur montre l'influence de Cézanne sur sa propre écriture : "Ecrire comme il peignait". Un portrait du peintre se dégage au fil des pages : homme solitaire, bougon, acariâtre. Evidemment, il évoque ses amis dont Emile Zola, son ami d'enfance. Défilent aussi Pissaro, Monet, Gasquet, Renoir, ses compères peintres mais aussi sa famille, Hortense et Paul, son redoutable père, Louis-Auguste. Incompris par son époque, refusé plusieurs fois au Salon officiel, le peintre passionne François Gantheret qui, en psychanalyste, révèle la vérité de Cézanne, ses tourments, ses angoisses et son obsession du geste pictural. "Ce roman d'investigation" montre un artiste de génie qui a sacrifié sa vie à l'art. François Gantheret admire totalement le peintre : "Savoir faire cela... Dans quelques mots, une phrase, savoir laisser surgir le monde, le voir comme l'enfant qui vient de naître. Et le faire voir, ainsi, à nos yeux désillés, retrouvés". Un des plus beaux livres sur Cézanne, à lire absolument quand on aime ce peintre novateur et admirable. 

mercredi 3 septembre 2025

"Journal. Les années d'exil, 1969-1989, tome 3", Sandor Marai, 2

 Ce tome 3 du journal montre le côté sombre de Sandor Marai car, âgé de 67 ans quand il écrit ses mémoires, il évoque souvent le déclin de sa santé et surtout celle de sa femme. Avec un certain esprit de dérision, il plaisante en pensant à sa disparition : "A notre âge, ce n'est pas tant un logement que l'on cherche qu'un crématoire proche et fiable". Le couple s'installe à San Diego en Californie après Salerne et ils semblent bien isolés dans cette ville balnéaire : "Le nombre de personnes que nous pouvons appeler diminue de plus en plus". Heureusement la nature luxuriante et la beauté du Pacifique atténuent ce sentiment de solitude. Les livres sont les véritables soutiens affectifs de l'écrivain, en particulier ses collègues hongrois, Arany, Babits et Krudy. Il parle aussi de Soljenitsyne qu'il admire pour avoir dénoncé les atrocités du communisme : "Le prix de la liberté est élevé. Je ne lis que les livres de ceux qui l'ont payé". Son goût pour les mots ne faiblit jamais et il consulte les dictionnaires avec gourmandise : "C'est comme farfouiller secrètement dans un sac d'or". Il cite ses lectures qui le rendent heureux, en particulier Marcel Proust et Stendhal. Les bibliothèques le rassurent aussi, considérant ces espaces comme des paradis. Mais, plus l'écrivain vieillit, plus la vie devient difficile. Il s'intéresse aux écrivains qui se sont suicidés comme Nerval et Montherlant. Les séjours à l'hôpital se multiplient et quand son épouse, Lola, meurt dans une souffrance terrible, Sandor Marai se retrouve seul et il pense à propre mort, ne supportant pas cette cruelle séparation. Il achète un pistolet et pense au suicide. Il perd alors ses deux frères et sa soeur, et apprend la mort subite de son unique enfant adoptif, Janos, âgé d'une quarantaine d'années. En janvier 89, il se tire une balle dans la tête et ses cendres seront dispersées dans l'océan. Malgré son naufrage final, l'écrivain hongrois a aimé la vie malgré ses trente ans d'exil. L'amour pour Lola est omniprésent dans son journal, un amour immense quand il écrit, trois ans après sa mort : "Aujourd'hui, Lola, m'a beaucoup manqué, son corps, noble et élégant. Son sourire. Sa voix". Un beau journal intime, sincère et poignant, un hymne à l'amour et à la littérature. 

mardi 2 septembre 2025

"Journal. Les années d'exil, 1969-1989, tome 3", Sandor Marai, 1

 J'ai toujours apprécié les journaux intimes littéraires. J'ai découvert que l'écrivain hongrois, Sandor Marai, avait écrit un journal intime. J'ai donc lu les trois tomes : "Journal. Les années hongroises, 1943-1948", puis "Journal. Les années d'exil, 1949-1967", et le dernier, "Journal. Les années d'exil, 1968-1989", publiés chez Albin Michel de 2019 à 2023. Obligé de quitter son pays devenu communiste, il savait que tous ses romans et essais étaient interdits. Il était considéré comme un ennemi de classe, un bourgeois conservateur. Dans ce troisième tome, plus crépusculaire que les précédents, j'ai retrouvé la lucidité, le courage et la curiosité de Sandor Marai. La lucidité se trouve dans son regard "politique" sur le monde au XXe siècle avec sa méfiance viscérale du communisme et ses critiques pertinentes sur les démocraties libérales. Il peut se montrer prémonitoire sur la pollution, sur les ravages, provoqués par les humains sur la nature et sur la notion d'écologie. Il observe aussi les conquêtes médicales sur le corps humain et évoque le transhumanisme. Il étrille Richard Nixon, traite Khomeyni de "prêtre fou, sadique et sanguinaire", déteste Mao, critique le pape qui interdit la contraception. Des événements le marquent aussi comme Mai 68, le Printemps de Prague, l'assassinat d'Aldo Moro, la guerre des Malouines. Son courage lui permet de supporter avec philosophie son exil, que ce soit à Salerne en Italie ou aux Etats-Unis. Il vit loin de son pays natal, de ses racines, de sa famille, de sa langue, de ses traditions et il lui faut un courage presque surhumain pour supporter cette rupture. L'amour de son épouse le soutient sans cesse et sa force intérieure est renforcée par sa vocation d'écrivain. Il conserve cette lumière que lui procure l'écriture, son chemin de vie. En Italie, de 1967 à 1980, il subit l'ambiance toxique des attentats pendant les années de plomb : "Les contrats sociaux d'une civilisation craquent de toutes parts". Ces  notations sur son époque révèlent un homme curieux, concerné, citoyen du monde, un grand lecteur, passionné de littérature. Sa curiosité insatiable donne au journal un intérêt sur cette époque du XXe pas si lointaine que ça. (La suite, demain)

lundi 1 septembre 2025

"Le piano d'Epictète", Jean-Pierre Martin

 Quand j'ai rangé et donné mes livres pour faire subir un régime d'amaigrissement à ma bibliothèque, j'ai retrouvé quelques ouvrages que j'avais complètement oubliés. Ainsi, j'ai lu "Le piano d'Epitècte" de Jean-Pierre Martin, publié dans l'excellente maison d'édition, José Corti. J'ai remarqué le nom de l'auteur car j'avais vraiment apprécié un de ses essais sur Georges Orwell, "L'autre vie de Georges Orwell" après avoir lu "Le Meilleur des mondes". Comment ce livre était arrivé sur mes étagères ? Mystère et donc, il m'attendait patiemment sans désespérer de me croiser un jour. Ce jour est arrivé. Jean-Pierre Martin, né en 1948, traverse Mai 68 en militant et en voyageant en Asie et en Amérique. Il va même travailler pendant cinq ans à l'usine comme ouvrier. Il passe une agrégation de lettres en 1987 et devient enseignant et Maître de Conférences à Lyon. En 1995, il publie dans la NRF ses premiers textes et pousuivra une carrière de critique littéraire et d'écrivain. Cet ouvrage original se compose de huit textes sur un pianiste de bar, passionné par le jazz et les stoïciens, un lecteur fou, un écrivain passionné de cuisine, un couple préhistorique, un admirateur de la beauté féminine, un pays pù les hommes de lettres sont au pouvoir. Cette mosaïque de chroniques possède un point commun : l'esprit de sérieux n'est pas de mise. Le narrateur se lance avec humour à la conquête d'une sagesse stoïcienne en contrepoint d'un monde brutal, d'un monde où la littérature et la musique s'uniraient pour le bonheur de tous. Jean-Pierre Martin écrit dans un journal : "Suis-je redevenu celui que j'étais ? Boucle bouclée ? Tribulations, déviations, bifurcations, puis retour à la case départ ? Fait de tous ces moi, je ne suis aucun d'eux. Je me suis construit avec et et contre eux. J'ai changé". La recherche de la sagesse passe par la littérature, selon l'auteur. Ce recueil d'une écriture élégante pratique l'art du décalage, de la dérision et de l'ironie. Ecrits depuis trois décennies, ces textes peuvent étre lus comme s'ils avaient publiés aujourd'hui. La littérature n'a pas d'âge et peut prendre tout son temps pour rencontrer ses lecteurs et lectrices. La preuve avec ce "Piano d'Epitecte"...  

jeudi 28 août 2025

"Le système périodique", Primo Levi

 La littérature italienne me sert d'escapade virtuelle dans ce pays si attachant à mes yeux. Quand je lis un roman ou un essai de la péninsule, je me sens chez moi dans une proximité immédiate comme en Espagne, en Grèce et au Portugal. Mais, contrairement aux trois pays cités, je connais mieux la production littéraire en Italie depuis de nombreuses années. Elsa Morante, Alba de Cespedes, Elena Ferrante, Carlo Levi, Dino Buzzati, Alberto Moravia, Erri de Luca, Italo Calvino, tous ces noms me viennent à l'esprit et la liste peut s'allonger à l'infini. J'ai été littéralement bouleversée par Primo Levi, combattant antifasciste, déporté et témoin essentiel de la Shoah quand il a écrit "Si c'est un homme" (1947), suivi de "La Trêve" (1963), deux récits autobiographiques aussi glaçants qu'émouvants sur son expérience des camps de concentration. Toute notre jeunesse devrait lire cet écrivain au lycée. J'ai découvert une de ses oeuvres cet été, "Le Système périodique", paru en 1975. Primo Levi a consacré sa vie professionnelle à la chimie et il concentre sa connaissance de cette science en 21 chapitres, portant chacun le nom d'un élément chimique. Cette vocation scientifique a influencé sa vie d'écrivain pour trouver une réponse objective aux questions existentielles qu'il se posait. Les textes traitent de chimie de l'argon à l'hydrogène, du zinc au fer, du plomb au potassium, etc. Mais, le plus important dans cet ouvrage hybride, mi-scientifique, mi-autobiographique, réside dans les confidences du narrateur sur sa naissance, ses origines juives, sa formation de chimiste, la montée du fascisme et des lois raciales, son arrestation, son expérience des camps nazis, sa vie professionnelle. Ce récit, parfois ardu à lire, mérite pourtant toute notre attention. La parole de Primo Levi résonne et résonnera longtemps en moi : "J'étais entré de la déportation depuis trois mois et je vivais mal. Ce que j'avais vu et souffert brûlait en moi, je me sentais plus proche des morts que des vivants, et coupable d'être homme, car les hommes avaient édifié Auschwitz, et Auschwitz avait englouti des millions d'être humains. (...) Il me semblait que je me purifierais en racontant". Primo Levi, un témoin essentiel de la pire tragédie humaine : la Shoah. 

mardi 26 août 2025

La collection "Poètes d'aujourd'hui" de Pierre Seghers

  Parfois, je trouve dans une cabane à livres un exemplaire des "Poètes d'aujourd'hui". Cette collection modèle et d'exception présente des monographies de poètes qui a été lancée en 1944 par Pierre Seghers, poète, résistant et directeur de revues. Ces petits livres au format particulier, presque un carré de 15, 5 cm sur 13,5 cm se sont vendus à un prix modique pour mettre la poésie à la portée de tous. Chaque volume comportait deux parties : une étude consacrée au poète et un choix pertinent de textes. L'originalité de la collection consistait à confier l'étude du poète à un écrivain ou à un poète. Les premiers numéros concernaient Paul Eluard, Aragon, Max Jacob, Jean Cocteau et Henri Michaux pour citer les cinq premiers. Le premier volume sera vendu à 300 000 exemplaires, un record absolu. Le projet de Pierre Seghers était de montrer "qu'un poète n'est ni un mort du passé, ni un mythe" mais un "homme parmi les autres, un homme fraternel qui vit, qui travaille, qui mange, qui boit". Un artisan du verbe, un citoyen impliqué dans la vie de la cité. L'éditeur-résistant a publié un ouvrage de référence, "La Résistance et ses poètes" pour rendre un hommage à tous ceux et toutes celles qui ont bravé l'interdit, qui se sont levés contre le nazisme et le fascisme. En 1983, il est à l'origine de la création de la Maison de la Poésie de la Ville de Paris. J'évoque la collection pour montrer comment cette époque est bien loin de la nôtre où la poésie n'a plus la place qu'elle tenait dans la moitié du XXe siècle. J'ai découvert dans ma jeunesse un grand nombre de poètes comme Guillevic, Reverdy, Frénaud, Follain, Bonnefoy et tant d'autres classiques aujourd'hui tombés dans l'oubli. Après la collection des poètes, Pierre Seghers a aussi intégré la chanson française et les écrivains d'hier et d'aujourd'hui. Le travail d'éclaireur de Pierre Seghers n'a pas son équivalent de nos jours. Heureusement, l'éditeur Gallimard maintient toujours sa belle collection de poésie avec ses 575 titres depuis 1966. La littérature poétique mérite d'être lue et reconnue. Seghers m'a permis de découvrir les beaux chemins de la langue française. 

lundi 25 août 2025

La rentrée littéraire

 Après le 20 août, la presse présente déjà les tendances de la rentrée littéraire de l'automne. Comme tous les ans, je l'évoque dans mon blog car cette tradition culturelle se maintient malgré les chiffres alarmants d'un lectorat en baisse, surtout dans les jeunes générations. La fascination de la "vidéosphère" selon la formule de Régis Debray a remplacé l'engouement de l'écrit, des livres et de la littérature. Dans un article, j'ai bien lu que presque 70 % de nos contemporains ne lisent que cinq livres par an... Constant étonnant et un peu déprimant. Malgré tout, les éditeurs poursuivent leur mission essentielle : relier les écrivains à leurs lecteurs et lectrices. Quelles seront donc les tendances du cru littéraire 2025 ? Une augmentation de romans avec 484 livres. En 1980, il y avait quatre fois moins de nouveautés et paradoxalement et aujourd'hui, le lectorat s'est considérablement contracté. Des libraires sensibles à l'écologie se révoltent contre cette marée de nouveautés et certains d'entre eux boycottent ce tsunami automnal de millions de pages sur les tables des librairies. Quels noms apparaissent souvent dans la presse ? Evidemment, Emmanuel Carrère est très attendu avec "Kolkhoze", l'histoire de la famille de sa mère, Heléne Carrère d'Encausse, "captivante héroïne principale du livre". Puis, viennent Natacha Appanah, Laurent Mauvignier, Agnès Desarthe, Marie Pourchet, Laurent Gaudé, Alice Ferney, Anne Berest et l'incontournable Amélie Nothomb. La famille inspire décidément les écrivains surtout le rôle essentiel des mères dans la construction psychique des enfants. Mères présentes, mères absentes, une source d'inspiration permanente. L'actualité dans toutes ses thématiques (écologie, violences, faits politiques) ne manque pas d'apparaitre dans la littérature d'aujourd'hui. Pour les romans étrangers, j'attends le dernier Grondhal, un auteur danois que j'apprécie beaucoup, mais aussi Javier Cercas, Jonathan Coe, Paolo Rumiz, Joyce Maynard, Antonio Munoz Molina. Comme tous les ans, ce cérémonial éditorial peut ressembler à un phénomène commercial parfois contestable mais, il a le mérite de promovoir la littérature, la fréquentation des librairies, la vie des livres, le monde de l'écriture. Pas mal quand même quand on sait la prédominance des écrans, des réseaux sociaux, des jeux vidéos dans les loisirs des Français. Pour une fois que les médias évoquent la "rentrée littéraire", je m'en réjouis car un jour, qui sait, cette fête de l'univers littéraire disparaîtra, faute de lecteurs et de lectrices. Un cauchemar pour moi ! 

samedi 23 août 2025

"L'Amour conjugal", Alberto Moravia

J'ai lu récemment une biographie romancée de la grande écrivaine italienne, Elsa Morante. Son mari s'appelait Alberto Moravia (1907-1990) et j'avoue que cet écrivain n'avait pas attiré mon attention. J'ai trouvé un de ses romans dans une cabane à livres et j'ai eu envie de découvrir l'univers moravien. "L'amour conjugal", publié en 1946, raconte l'histoire d'un couple, Silvio et Léda. Silvio, le narrateur, décrit avec une précision de chirurgien la relation amoureuse avec sa femme. Il définit l'amour ainsi : "Aimer, cela veut dire, entre bien d'autres choses, trouver du charme à regarder et à considérer la personne aimée. (...) J'éprouvais un inexprimable plaisir à regarder Léda, à épier son visage et toute sa personne dans ses moindres mouvements et ses plus fugitives expressions". Lui-même se qualifie d'esthète mais aussi "d'un homme tourmenté par l'angoisse, toujours au bord du désespoir". Il observe sa femme qu'il ne comprend pas et il a peur de la perdre. Ils partent dans une maison de famille en Toscane pour que Silvio se consacre entièremnt à son projet : écrire un roman. Mais, leur entente sexuelle intense empêche Silvio d'écrire son roman sur un couple, car il ne peut pas se "concentrer". Il propose à sa femme de faire chambre à part pour qu'il trouve l'énergie d'écrire son "chef d'oeuvre". Entretemps, il reçoit tous les matins un barbier pour son confort personnel. Ce personnage un peu repoussant traîne une réputation sulfureuse sur son comportement avec les femmes malgré sa laideur légendaire. Léda prévient son mari que cet homme frustre a tenté de la toucher. Mais, Silvio n'écoute pas sa femme. Obsédé par son roman, il délaisse Léda. Une nuit, il remarque l'absence de sa femme et il l'aperçoit dans le parc. Il découvre alors l'invraisemblable tromperie de Léda avec le barbier. Que va donc faire Silvio ? Se séparer d'elle, lui pardonner cette folie ? Alberto Moravia montre dans son texte le manque d'attention au sein d'un couple, dans une juxtaposition de désirs contraires. Le narrateur choisit son projet d'écriture malgré l'amour qu'il ressent pour elle. Cet adultère provoque un tremblement d'être chez Silvio ; "Toute passion se dissout en moi par l'acide de la réflexion : manière comme une autre de la dominer et d'en détruire à la fois l'empire et la souffrance".  Un grand roman eontemporain malgré son âge, presque quatre-vingt ans ! 

jeudi 21 août 2025

"La Fin de Chéri", Colette

 Comme j'avais lu "Chéri" de Colette au début de l'été, j'ai découvert, récemment, la suite du roman, "La Fin de Chéri", publié en 1926. Fred Peloux, baptisé "Chéri" a donc quitté sa maîtresse, Léa, plus âgée que lui et s'était assagi auprès de son épouse, Edmée. A l'époque de sa liaison avec Léa, le jeune homme jouait le rôle de "gigolo", insouciant, futile, superficiel. Chéri a changé car il a vécu la Guerre de 14-18 et il est devenu mélancolique sans aucun projet ni personnel, ni professionnel. Edmée a changé elle aussi car, infirmière pendant la guerre, elle s'est investie dans l'hôpital pour soigner les blessés de guerre et elle s'éloigne de son mari. Sa mère est devenue une femme d'affaires très avertie et son fils observe avec un certain cynisme cette agitation qui lui semble superflue. Madame Pelloux s'inquiéte de l'humeur dépressive de son fils et lui conseille de revoir Léa, son ancienne maîtresse qu'il n'a pas revue depuis cinq ans. Il décide de la rencontrer chez elle et quand il rentre dans le salon, il ne reconnaît pas la femme qui se tient devant lui. Elle a subi une transformation physique cruelle en prenant du poids et en arborant des cheveux gris. C'est un choc pour Chéri. Il ne retrouve en elle que ses magnifiques yeux bleus. Il quitte Léa en sachant qu'il ne la reverra jamais. Plus tard, il rencontre une vieille amie de Léa avec laquelle il noue une relation amicale. Dans son appartement, elle lui montre des photos datant de sa jeunesse où Léa est belle et d'une élégance toute parisienne. Il sent qu'il ne revivra jamais cette époque facile et insouciante. Désespéré, il s'isole et il fait le choix de mourir en se tirant une balle dans la tête. Ce roman de Colette est l'un des plus sombres de son oeuvre et montre les changements économiques et sociaux provoqués par l'après-guerre (spéculations boursières, essor des dancings, malaises des anciens combattants, changements sociétaux). Chéri se sent finalement comme un étranger dans ce nouveau monde et sa dépression, exprimée aussi dans son état physique (syncope, perte de poids, anorexie, insomnies) ne peut que le conduire dans une fuite fatale. Colette, une grande amoureuse de la vie, a donné naissance à un personnage désespéré, ce qui est rare dans son oeuvre. Ce drame étonnant est servi par le style inimitable et inoubliable de la grande Colette !  

mercredi 20 août 2025

"La Coupe d'or", Henry James, 2

 Maggie suspecte enfin Amerigo et Charlotte car elle remarque qu'ils mènent ensemble une vie mondaine londonienne pour, disent-ils, honorer le rang social d'Adam Vester. Sa suspicion se confirme quand elle achète par hasard la coupe d'or à un prix élevé. Le marchand revient la voir chez elle pour l'informer de la fêlure. Quand il voit la photographie d'Amerigo et de Charlotte, il raconte comment ce couple avait remarqué l'objet sans l'acquérir. La vérité éclate à ses yeux, mais, la jeune femme veut sauver son mariage malgré l'infidélité d'Amerigo. Elle persuade son père de quitter Londres avec sa femme pour rejoindre l'Amérique. Elle ménage ainsi Charlotte en ne l'accusant pas de sa trahison. Pour clore ce désastre, elle jette la coupe d'or sur le sol pour la détruire comme si cet adultère était définitivement effacé dans leur vie de couple. Le Prince comprend alors que sa femme se révèle forte et raisonnable sans esprit de vengeance alors qu'il l'a considérée comme une partenaire immature et naïve. Ce roman psychologique explore plusieurs pistes psychologiques dans les consciences des personnages : la relation parfois fusionnelle entre un père trop aimant et sa fille, dépendante de la relation paternelle, les liens du mariages entre le père déjà âgé et une jeune épouse, un noble italien un peu trop distant avec une riche et jeune américaine. Ce milieu social oisif, dans une Europe cosmopolite de la haute société anglaise, peut sembler bien loin de la nôtre, mais les comportements de ce quatuor central semblent intemporels et universels. Le mensonge gouverne leurs existences et Henry James exploite à merveille ce paramètre romanesque dans ses oeuvres. Le génie de l'écrivain repose sur les abîmes intimes de ses personnages comme si Freud avait lu avec attention cet écrivain anglo-américain. Amerigo et Charlotte ne peuvent pas résister à leur attirance réciproque et n'ont pas la conscience de trahir. Maggie aime profondèment son mari et sa générosité l'emporte sur une certaine mesquinerie rancunière. Dans ses carnets d'écrivain, il avait évoqué ce phénomène psychologique selon lequel "Il faut que chacun sache que l'autre sait mais fasse comme s'il l'ignorait". Le bonheur dépend de cette condition. Le père se sacrifie pour sauver le mariage de sa fille. Amerigo renonce à Charlotte et celle-ci choisit la sécurité en retournant en Amérique. Un nouveau départ pour ces deux couples.