jeudi 16 octobre 2025

"Kolkhoze", Emmanuel Carrère, 2

 Ce grand récit mêle des souvenirs intimes à des anecdotes historiques, des secrets de famille à des informations géopolitiques. L'écrivain Carrère se confie souvent dans la presse sur sa démarche littéraire : la description du Réel, de son Réel. Il évoque son amour de fils envers ses parents : "Je suis le visage de ma mère qui se détourne sans appel, je suis la détresse sans fond de mon père". Emmanuel Carrère puise son inspiration dans le destin fabuleux de sa mère et il tente de décryper l'étrange relation conjugale de ses parents. Chacun a déjà éprouvé ce sentiment d'étrangeté quand on pense au couple que formaient ses parents. Ce fait social et psychologique demeure souvent une énigme pour les enfants. L'écrivain explique sa fascination pour une démarche de vérité sur ses proches : "Les livres, les films, les récits qui me touchent le plus sont ceux qui montrent en même temps les dimensions horizontale et verticale de la vie. Horizontale : l'amour, l'amitié, les alliances qu'on noue en faisant la traversée dans les mêmes eaux, dans le même temps. Verticale : les relations entre les générations. Parents et enfants, aïeux et descendants, qui ont habité des mondes différents, partagé d'autres récits collectifs, d'autres valeurs, d'autres évidences". Il ajoute qu'en prenant de l'âge, il se passionne plus pour la dimension verticale. "Kolkhoze" illustre, évidemment, la dimension verticale de sa vie avec un sentiment de réconciliation et d'apaisement. Ce mot, kolkhoze, convient parfaitement quand les trois enfants d'Hélène Carrère d'Encausse se retrouvent au chevet de leur mère, souffrant d'un cancer,  dans un service des soins palliatifs : "Cette nuit-là, rassemblés tous les trois autour de ma mère, nous avons pour la dernière fois fait kolkhoze". Amour filial, amour familial, passé recomposé comme une fable, Emmanuel Carrère livre à ses lecteurs et lecrices une fresque haute en couleurs où l'ennui est honni dans ce texte. Il définit son rôle ainsi : "Ce que nous aurons connu sur notre petit arpent de terre est nul autre, dans notre petite bande de temps est nulle autre, dans le petit être qui nous a été assigné d'habiter est nul autre, le monde peut crouler, cela reste le métier des gens comme moi d'en rendre compte. Alors, puisqu'ils sont morts, et tant que je suis vivant, je le fais". Un des meilleurs "Carrère" !

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