vendredi 26 septembre 2025

"Je ne verrai pas mourir", Antonio Munoz Molina, 2

 Le roman démarre avec une longue et unique phrase de soixante pages, une "prouesse littéraire" véritable pour entrer dans l'esprit tourmenté de Gabriel. Dans cette grande parenthèse, comme "un flux de conscience", le narrateur raconte sa jeunesse, sa rencontre avec Adriana, ses parents, des souvenirs qui hantent ses nuits. Atteint d'un cancer, il est urgent pour lui de "solder" son passé en retrouvant son grand amour : "En s'éloignant d'Adriana Zuber, il s'était éloigné de lui-même et de ce qu'il y avait de meilleur en lui. (...) Détaché d'elle, il avait simplement été une personne différente sans le dissimiler, de manière résolue, intoxiqué par les aiguillons de la vanité et de l'argent, la sensation du pouvoir, l'ivresse de l'ascension sociale". D'autres personnages interviennent dans le roman comme Julio, un enseignant espagnol d'histoire de l'art, spécialiste d'un peintre baroque méconnu qui recueille les confidences de Gabriel. Cet homme est divorcé et sa fille ne veut plus communiquer avec lui. Cette situation le rapproche de son aîné, Gabriel. Fanny, l'aide à domicile, surveille et prend soin de sa maîtresse. Adriana relate aussi son mariage malheureux et les relations avec sa fille. Ce roman ressemble à un chant choral où chaque interprète joue une partition nostalgique du temps qui passe. L'amour de Gabriel et d'Adriana peut-il renaître malgré le poids impitoyable des années cumulées ? Le départ de Gabriel représentait une dette morale envers son père mais, n'est-ce-pas un lâche abandon de sa part ? La demande finale d'Adriana à Gabriel pour l'aider à mourir est-il un dernier acte d'amour ? Ce très beau roman aux phrases musicales rappelle les  suites de Bach, jouées par un ami exceptionnel de son père, Pablo Casals.  Un critique littéraire évoque "la grâce romanesque", la "virtuosité d'écriture" de ce texte profond et émouvant au message subtil : "La vie est comme une phrase subtilement complexe". Avec une délicatesse remarquable, l'écrivain espagnol pose la question des choix que l'on prend dans la vie et de ses conséquences. Le personnage central, le trop docile Gabriel, s'égare dans une identité double, loin de ses désirs profonds. Ses retrouvailles avec Adriana apporteront peut-être une clé de compréhension sur sa fuite aux Etats-Unis. Un critique qualifie Antonio Munoz Molina de "fin conteur de l'âme humaine". Pour moi, un des plus beaux livres de la rentrée littéraire. 

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