La littérature italienne me sert d'escapade virtuelle dans ce pays si attachant à mes yeux. Quand je lis un roman ou un essai de la péninsule, je me sens chez moi dans une proximité immédiate comme en Espagne, en Grèce et au Portugal. Mais, contrairement aux trois pays cités, je connais mieux la production littéraire en Italie depuis de nombreuses années. Elsa Morante, Alba de Cespedes, Elena Ferrante, Carlo Levi, Dino Buzzati, Alberto Moravia, Erri de Luca, Italo Calvino, tous ces noms me viennent à l'esprit et la liste peut s'allonger à l'infini. J'ai été littéralement bouleversée par Primo Levi, combattant antifasciste, déporté et témoin essentiel de la Shoah quand il a écrit "Si c'est un homme" (1947), suivi de "La Trêve" (1963), deux récits autobiographiques aussi glaçants qu'émouvants sur son expérience des camps de concentration. Toute notre jeunesse devrait lire cet écrivain au lycée. J'ai découvert une de ses oeuvres cet été, "Le Système périodique", paru en 1975. Primo Levi a consacré sa vie professionnelle à la chimie et il concentre sa connaissance de cette science en 21 chapitres, portant chacun le nom d'un élément chimique. Cette vocation scientifique a influencé sa vie d'écrivain pour trouver une réponse objective aux questions existentielles qu'il se posait. Les textes traitent de chimie de l'argon à l'hydrogène, du zinc au fer, du plomb au potassium, etc. Mais, le plus important dans cet ouvrage hybride, mi-scientifique, mi-autobiographique, réside dans les confidences du narrateur sur sa naissance, ses origines juives, sa formation de chimiste, la montée du fascisme et des lois raciales, son arrestation, son expérience des camps nazis, sa vie professionnelle. Ce récit, parfois ardu à lire, mérite pourtant toute notre attention. La parole de Primo Levi résonne et résonnera longtemps en moi : "J'étais entré de la déportation depuis trois mois et je vivais mal. Ce que j'avais vu et souffert brûlait en moi, je me sentais plus proche des morts que des vivants, et coupable d'être homme, car les hommes avaient édifié Auschwitz, et Auschwitz avait englouti des millions d'être humains. (...) Il me semblait que je me purifierais en racontant". Primo Levi, un témoin essentiel de la pire tragédie humaine : la Shoah.
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
jeudi 28 août 2025
mardi 26 août 2025
La collection "Poètes d'aujourd'hui" de Pierre Seghers
Parfois, je trouve dans une cabane à livres un exemplaire des "Poètes d'aujourd'hui". Cette collection modèle et d'exception présente des monographies de poètes qui a été lancée en 1944 par Pierre Seghers, poète, résistant et directeur de revues. Ces petits livres au format particulier, presque un carré de 15, 5 cm sur 13,5 cm se sont vendus à un prix modique pour mettre la poésie à la portée de tous. Chaque volume comportait deux parties : une étude consacrée au poète et un choix pertinent de textes. L'originalité de la collection consistait à confier l'étude du poète à un écrivain ou à un poète. Les premiers numéros concernaient Paul Eluard, Aragon, Max Jacob, Jean Cocteau et Henri Michaux pour citer les cinq premiers. Le premier volume sera vendu à 300 000 exemplaires, un record absolu. Le projet de Pierre Seghers était de montrer "qu'un poète n'est ni un mort du passé, ni un mythe" mais un "homme parmi les autres, un homme fraternel qui vit, qui travaille, qui mange, qui boit". Un artisan du verbe, un citoyen impliqué dans la vie de la cité. L'éditeur-résistant a publié un ouvrage de référence, "La Résistance et ses poètes" pour rendre un hommage à tous ceux et toutes celles qui ont bravé l'interdit, qui se sont levés contre le nazisme et le fascisme. En 1983, il est à l'origine de la création de la Maison de la Poésie de la Ville de Paris. J'évoque la collection pour montrer comment cette époque est bien loin de la nôtre où la poésie n'a plus la place qu'elle tenait dans la moitié du XXe siècle. J'ai découvert dans ma jeunesse un grand nombre de poètes comme Guillevic, Reverdy, Frénaud, Follain, Bonnefoy et tant d'autres classiques aujourd'hui tombés dans l'oubli. Après la collection des poètes, Pierre Seghers a aussi intégré la chanson française et les écrivains d'hier et d'aujourd'hui. Le travail d'éclaireur de Pierre Seghers n'a pas son équivalent de nos jours. Heureusement, l'éditeur Gallimard maintient toujours sa belle collection de poésie avec ses 575 titres depuis 1966. La littérature poétique mérite d'être lue et reconnue. Seghers m'a permis de découvrir les beaux chemins de la langue française.
lundi 25 août 2025
La rentrée littéraire
Après le 20 août, la presse présente déjà les tendances de la rentrée littéraire de l'automne. Comme tous les ans, je l'évoque dans mon blog car cette tradition culturelle se maintient malgré les chiffres alarmants d'un lectorat en baisse, surtout dans les jeunes générations. La fascination de la "vidéosphère" selon la formule de Régis Debray a remplacé l'engouement de l'écrit, des livres et de la littérature. Dans un article, j'ai bien lu que presque 70 % de nos contemporains ne lisent que cinq livres par an... Constant étonnant et un peu déprimant. Malgré tout, les éditeurs poursuivent leur mission essentielle : relier les écrivains à leurs lecteurs et lectrices. Quelles seront donc les tendances du cru littéraire 2025 ? Une augmentation de romans avec 484 livres. En 1980, il y avait quatre fois moins de nouveautés et paradoxalement et aujourd'hui, le lectorat s'est considérablement contracté. Des libraires sensibles à l'écologie se révoltent contre cette marée de nouveautés et certains d'entre eux boycottent ce tsunami automnal de millions de pages sur les tables des librairies. Quels noms apparaissent souvent dans la presse ? Evidemment, Emmanuel Carrère est très attendu avec "Kolkhoze", l'histoire de la famille de sa mère, Heléne Carrère d'Encausse, "captivante héroïne principale du livre". Puis, viennent Natacha Appanah, Laurent Mauvignier, Agnès Desarthe, Marie Pourchet, Laurent Gaudé, Alice Ferney, Anne Berest et l'incontournable Amélie Nothomb. La famille inspire décidément les écrivains surtout le rôle essentiel des mères dans la construction psychique des enfants. Mères présentes, mères absentes, une source d'inspiration permanente. L'actualité dans toutes ses thématiques (écologie, violences, faits politiques) ne manque pas d'apparaitre dans la littérature d'aujourd'hui. Pour les romans étrangers, j'attends le dernier Grondhal, un auteur danois que j'apprécie beaucoup, mais aussi Javier Cercas, Jonathan Coe, Paolo Rumiz, Joyce Maynard, Antonio Munoz Molina. Comme tous les ans, ce cérémonial éditorial peut ressembler à un phénomène commercial parfois contestable mais, il a le mérite de promovoir la littérature, la fréquentation des librairies, la vie des livres, le monde de l'écriture. Pas mal quand même quand on sait la prédominance des écrans, des réseaux sociaux, des jeux vidéos dans les loisirs des Français. Pour une fois que les médias évoquent la "rentrée littéraire", je m'en réjouis car un jour, qui sait, cette fête de l'univers littéraire disparaîtra, faute de lecteurs et de lectrices. Un cauchemar pour moi !
samedi 23 août 2025
"L'Amour conjugal", Alberto Moravia
J'ai lu récemment une biographie romancée de la grande écrivaine italienne, Elsa Morante. Son mari s'appelait Alberto Moravia (1907-1990) et j'avoue que cet écrivain n'avait pas attiré mon attention. J'ai trouvé un de ses romans dans une cabane à livres et j'ai eu envie de découvrir l'univers moravien. "L'amour conjugal", publié en 1946, raconte l'histoire d'un couple, Silvio et Léda. Silvio, le narrateur, décrit avec une précision de chirurgien la relation amoureuse avec sa femme. Il définit l'amour ainsi : "Aimer, cela veut dire, entre bien d'autres choses, trouver du charme à regarder et à considérer la personne aimée. (...) J'éprouvais un inexprimable plaisir à regarder Léda, à épier son visage et toute sa personne dans ses moindres mouvements et ses plus fugitives expressions". Lui-même se qualifie d'esthète mais aussi "d'un homme tourmenté par l'angoisse, toujours au bord du désespoir". Il observe sa femme qu'il ne comprend pas et il a peur de la perdre. Ils partent dans une maison de famille en Toscane pour que Silvio se consacre entièremnt à son projet : écrire un roman. Mais, leur entente sexuelle intense empêche Silvio d'écrire son roman sur un couple, car il ne peut pas se "concentrer". Il propose à sa femme de faire chambre à part pour qu'il trouve l'énergie d'écrire son "chef d'oeuvre". Entretemps, il reçoit tous les matins un barbier pour son confort personnel. Ce personnage un peu repoussant traîne une réputation sulfureuse sur son comportement avec les femmes malgré sa laideur légendaire. Léda prévient son mari que cet homme frustre a tenté de la toucher. Mais, Silvio n'écoute pas sa femme. Obsédé par son roman, il délaisse Léda. Une nuit, il remarque l'absence de sa femme et il l'aperçoit dans le parc. Il découvre alors l'invraisemblable tromperie de Léda avec le barbier. Que va donc faire Silvio ? Se séparer d'elle, lui pardonner cette folie ? Alberto Moravia montre dans son texte le manque d'attention au sein d'un couple, dans une juxtaposition de désirs contraires. Le narrateur choisit son projet d'écriture malgré l'amour qu'il ressent pour elle. Cet adultère provoque un tremblement d'être chez Silvio ; "Toute passion se dissout en moi par l'acide de la réflexion : manière comme une autre de la dominer et d'en détruire à la fois l'empire et la souffrance". Un grand roman eontemporain malgré son âge, presque quatre-vingt ans !
jeudi 21 août 2025
"La Fin de Chéri", Colette
Comme j'avais lu "Chéri" de Colette au début de l'été, j'ai découvert, récemment, la suite du roman, "La Fin de Chéri", publié en 1926. Fred Peloux, baptisé "Chéri" a donc quitté sa maîtresse, Léa, plus âgée que lui et s'était assagi auprès de son épouse, Edmée. A l'époque de sa liaison avec Léa, le jeune homme jouait le rôle de "gigolo", insouciant, futile, superficiel. Chéri a changé car il a vécu la Guerre de 14-18 et il est devenu mélancolique sans aucun projet ni personnel, ni professionnel. Edmée a changé elle aussi car, infirmière pendant la guerre, elle s'est investie dans l'hôpital pour soigner les blessés de guerre et elle s'éloigne de son mari. Sa mère est devenue une femme d'affaires très avertie et son fils observe avec un certain cynisme cette agitation qui lui semble superflue. Madame Pelloux s'inquiéte de l'humeur dépressive de son fils et lui conseille de revoir Léa, son ancienne maîtresse qu'il n'a pas revue depuis cinq ans. Il décide de la rencontrer chez elle et quand il rentre dans le salon, il ne reconnaît pas la femme qui se tient devant lui. Elle a subi une transformation physique cruelle en prenant du poids et en arborant des cheveux gris. C'est un choc pour Chéri. Il ne retrouve en elle que ses magnifiques yeux bleus. Il quitte Léa en sachant qu'il ne la reverra jamais. Plus tard, il rencontre une vieille amie de Léa avec laquelle il noue une relation amicale. Dans son appartement, elle lui montre des photos datant de sa jeunesse où Léa est belle et d'une élégance toute parisienne. Il sent qu'il ne revivra jamais cette époque facile et insouciante. Désespéré, il s'isole et il fait le choix de mourir en se tirant une balle dans la tête. Ce roman de Colette est l'un des plus sombres de son oeuvre et montre les changements économiques et sociaux provoqués par l'après-guerre (spéculations boursières, essor des dancings, malaises des anciens combattants, changements sociétaux). Chéri se sent finalement comme un étranger dans ce nouveau monde et sa dépression, exprimée aussi dans son état physique (syncope, perte de poids, anorexie, insomnies) ne peut que le conduire dans une fuite fatale. Colette, une grande amoureuse de la vie, a donné naissance à un personnage désespéré, ce qui est rare dans son oeuvre. Ce drame étonnant est servi par le style inimitable et inoubliable de la grande Colette !
mercredi 20 août 2025
"La Coupe d'or", Henry James, 2
Maggie suspecte enfin Amerigo et Charlotte car elle remarque qu'ils mènent ensemble une vie mondaine londonienne pour, disent-ils, honorer le rang social d'Adam Vester. Sa suspicion se confirme quand elle achète par hasard la coupe d'or à un prix élevé. Le marchand revient la voir chez elle pour l'informer de la fêlure. Quand il voit la photographie d'Amerigo et de Charlotte, il raconte comment ce couple avait remarqué l'objet sans l'acquérir. La vérité éclate à ses yeux, mais, la jeune femme veut sauver son mariage malgré l'infidélité d'Amerigo. Elle persuade son père de quitter Londres avec sa femme pour rejoindre l'Amérique. Elle ménage ainsi Charlotte en ne l'accusant pas de sa trahison. Pour clore ce désastre, elle jette la coupe d'or sur le sol pour la détruire comme si cet adultère était définitivement effacé dans leur vie de couple. Le Prince comprend alors que sa femme se révèle forte et raisonnable sans esprit de vengeance alors qu'il l'a considérée comme une partenaire immature et naïve. Ce roman psychologique explore plusieurs pistes psychologiques dans les consciences des personnages : la relation parfois fusionnelle entre un père trop aimant et sa fille, dépendante de la relation paternelle, les liens du mariages entre le père déjà âgé et une jeune épouse, un noble italien un peu trop distant avec une riche et jeune américaine. Ce milieu social oisif, dans une Europe cosmopolite de la haute société anglaise, peut sembler bien loin de la nôtre, mais les comportements de ce quatuor central semblent intemporels et universels. Le mensonge gouverne leurs existences et Henry James exploite à merveille ce paramètre romanesque dans ses oeuvres. Le génie de l'écrivain repose sur les abîmes intimes de ses personnages comme si Freud avait lu avec attention cet écrivain anglo-américain. Amerigo et Charlotte ne peuvent pas résister à leur attirance réciproque et n'ont pas la conscience de trahir. Maggie aime profondèment son mari et sa générosité l'emporte sur une certaine mesquinerie rancunière. Dans ses carnets d'écrivain, il avait évoqué ce phénomène psychologique selon lequel "Il faut que chacun sache que l'autre sait mais fasse comme s'il l'ignorait". Le bonheur dépend de cette condition. Le père se sacrifie pour sauver le mariage de sa fille. Amerigo renonce à Charlotte et celle-ci choisit la sécurité en retournant en Amérique. Un nouveau départ pour ces deux couples.
mardi 19 août 2025
"La Coupe d'or", Henry James, 1
Un roman de 754 pages a mobilisé un certain nombres d'heures de lecture en ce mois d'août : il s'agit de "La Coupe d'or" d'Henry James, publié en 1903 et disponible dans la collection Points. Jan Pavans, un grand spécialiste de l'écrivain américain, a traduit ce texte dense et passionnant. J'ai commencé à lire Henry James par ses nouvelles et ses romans courts :"Portrait d'une femme", "La Bête dans la jungle" sans oublier "Le Tour d'écrou", "Daysi Miller", "Les Papiers d'Aspern". Quand j'apprécie un écrivain, je m'efforce de lire toutes leurs oeuvres, un réflexe un peu trop radical, j'en conviens. Par conséquent, Henry James me réserve de belles années de lecture. Dans ce roman, "La Coupe d'or", un quatuor de choc est mis en scène par l'auteur : le Prince Amerigo, italien raffiné de Rome, Charlotte Stants, une aventurière américaine, ancienne maîtresse du Prince, et le couple père-fille, Adam Verver, un richissime esthète américain et Maggie, sa fille adorée et unique. Le Prince va se marier avec Maggie. Mais, avant son mariage, il rencontre Charlotte dans les rues de Londres. Elle est aussi invitée car elle et Maggie sont des amies intimes. Ils décident d'offrir un cadeau à Maggie et remarquent une coupe d'or dans un magasin d'antiquités. L'antiquaire précise que cette coupe possède une félure, ce qui déclenche le refus de l'acheter. Cette coupe d'or préfigure l'échec du mariage de Maggie. Adam Verver, financier hors-pair, voyage à travers l'Europe pour acquérir des objets précieux, des tableaux, des meubles et ses collections qui seront un jour présentés dans un musée. Le Prince symbolise pour Adam Verver, l'essence de la culture italienne et sa meilleure prise en matière d'art. Le couple Amerigo-Charlotte se met en place et ils deviennent amants. Maggie et Adam ne soupçonnent en aucun cas la tromperie de leurs conjoints respectifs. A la surprise de ses amis, Maggie, sans connaître la liaison cachée de Charlotte avec son mari, pousse son père à épouser Charlotte pour rompre sa solitude. Il accepte ce projet de mariage et comme Charlotte ne possède aucune fortune, elle envisage cette union avec soulagement. Comment surgit le soupçon de Maggie ? (La suite, demain)
lundi 18 août 2025
Mon désherbage annuel
Tous les étés, je pratique l'art du désherbage comme je le faisais régulièrement dans ma carrière de bibliothécaire. A la bibliothèque universitaire de Jacob, j'étais même responsable de ce service. Il fallait gagner de l'espace dans les magasins pour réceptionner les ouvrages qui dormaient trop longtemps sur les étagères en prêt direct. Comme les achats de livres concernaient plusieurs exemplaires par titre, il suffisait d'en conserver un seul et d'éliminer les autres. Cet acte délicat et souvent ingrat se révèlait vraiment une necéssité. J'ai toujours gardé des traditions "bibliothéconomiques" et une fois par an, je me lance dans ce travail qui me rappelle mon beau métier de bibliothécaire. J'ai selectionné plusieurs catégories d'ouvrages : des romans que je ne relirai pas, des guides de voyage obsolètes, des ouvrages sur des sujets qui ne m'intéressent plus, des revues d'art, des magazines, etc. Plus de deux cents exemplaires ont été déposés dans des sacs et ont pris la direction d'Emmaus et des cabanes à livres. Plus je prends de l'âge, plus je ressens le besoin de m'allèger, de lutter contre le tsunami de papier dans ma petire maison. Pourquoi conserver des écrits que l'on peut retrouver sur internet, surtout les revues ? Quels sont donc les livres chéris que je garderai jusqu'à mon dernier souffle ? Toutes les oeuvres de mes écrivains préférés ! J'ai besoin de les avoir chez moi pour les feuilleter à tous moments, de les relire parfois. Je conserve évidemment les Pléiades, les beaux livres d'art de mes peintres préférés et comme j'aime beaucoup voyager, je ne me sépare pas des guides bleus, les plus complets à mes yeux sur le plan culturel. Des livres sur l'Italie et sur la Grèce ne me quittent plus depuis longtemps. Pour me souvenir aussi de mes nombreuses visites des musées, ma bibliothèque où reposent les catalogues de ces institurions s'étoffe d'année en année... Plus j'aère mes étagères, plus je retrouve des livres oubliés que j'ai envie de relire. J'étais même été surprise de dénicher un petit volume des lettres de Rilke à Lou-Andréas Salomé que je n'avais pas encore lues. Si des livres partent, d'autres les remplacent et cette marée montante et descendante me permet de rajeunir mes collections, de les nettoyer, de les bouger de place. Une tâche annuelle revigorante et apaisante. Tel un jardinier modèle, je tiens à prendre soin de mes plates-bandes semées de livres !
vendredi 15 août 2025
"Notes sur la mélodie des choses", Rainer Maria Rilke, 2
Le recueil, "Notes sur la mélodie des choses", est constitué de 40 courts paragraphes, publié en 1898. Le poète interroge la place de l'homme au sein de l'univers et cet univers des choses compose une mélodie. Il écrit dans le paragraphe XVI : "Que tu sois environné par le chant d'une lampe ou par la voix de la tempête, par le souffle du soir ou le gémissement de la mer, toujours veille derrière toi une vaste mélodie, tissée de mille voix, où, de temps à autre, seulement ton solo trouve place". Plus loin, il reprend la notion de mélodie pour préciser sa pensée poétique : "Si donc, nous voulons être des initiés de la vie, il est deux choses qu'il nous faut prendre en compte : d'abord la grande mélodie, à laquelle oeuvrent les choses et les parfums, les sentiments et les passés, les crépuscules et les nostalgies. Et ensuite, les voix individuelles qui complètent et parachèvent ce grand choeur". L'art est donc pour Rilke le lien qui permet de se retrouver avec soi, avec les autres et avec l'univers. Le thème de la solitude revient souvent dans ces textes : "Plus il y a de solitaires, plus solennelle, plus émouvante et plus puissante est leur communauté". Cette "mélodie-lien" se niche dans "l'arrière-plan" de notre perception et seuls, l'art et la poésie dévoilent cette réalité cachée. Il compare ce phénomène aux paysages des tableaux de Fra Bartolomé et de Leonard de Vinci. Son chapitre sur l'art confirme son analyse sur le rôle de l'artiste dans la société. Il évoque aussi les peintres impressionnistes, les peintres de la lumière : "Cette lumière des choses, qui ondoie comme une mer en longues vagues jusqu'à leur bord et là, retombe sur elle-même en chatoyant. C'est le panthéisme de la lumière". Le poète consacre son dernier chapitre à la notion de paysage et il écrit à ce sujet en décrivant les paysages de Léonard de Vinci : "Les paysages de ses tableaux sont l'expression de son expérience et de son savoir les plus profonds, des miroirs bleus où des lois secrètes se contemplent méditativement, des lointains vastes comme des avenirs et comme eux énigmatiques". Ces réflexions poétiques préfigurent les notions de "l'Ouvert" et de "l'espace intérieur du monde". Rilke, un poète et un écrivain qu'il faut lire et relire...
mercredi 13 août 2025
"Notes sur la mélodie des choses", Rainer Maria Rilke, 1
Je lis depuis longtemps le blog de Pierre Assouline, "La République des Lettres" et récemment, j'ai découvert un texte très intéressant sur Rainer Maria Rilke à propos de son ouvrage, "Notes sur la mélodie des choses et autres textes". J'ai retrouvé ce petit Folio dans ma bibliothèque que je n'avais pas lu encore. Un deuxième signe m'est parvenu quand j'ai déniché dans une cabane à livres, une anthologie de textes, intitulé "le Fil de la vie". Je me dis alors que c'était le moment de relire Rilke et dans mes jeunes années, j'avais été marquée par les "Lettres à un jeune poète", ouvrage le plus mythique de Rilke. Il écrit cette phrase emblématique de sa poésie : "Nous sommes solitude. Nous pouvons, il est vrai, nous donner le change et faire comme si cela n'était pas. Mais c'est tout". Pendant des années, il arrive que l'on fasse preuve de négligence, voire d'oubli concernant des poètes ou des écrivains majeurs. La vague des nouveautés m'a submergée longtemps et en ce moment, je me tourne davantage vers la relecture, une attitude salutaire tellement la deuxième lecture d'une oeuvre apporte un regain d'intérêt pour l'auteur en question. L'été est propice à ce temps de redécouverte et ma période rilkienne vient de commencer. Le poète, né à Prague en 1875 dans une famille bourgeoise, se consacre à la poésie à partir de 1895. Il publie ses premiers recueils, "Le Livre des heures" et "Le Livre des images" où se dégage déjà "sa quête spirituelle, marquée par une recherche de l'unité entre le monde intérieur et le monde extérieur". En 1897, il rencontre Lou Andreas-Salomé avec qui il vit un amour fou qui se transformera en amitié admirative jusqu'à la fin de leur vie. Il voyage sans cesse, notamment en Russie, en Italie, en Suède et en France où il travaille comme secrétaire d'Auguste Rodin. En 1910, son roman autobiographique, "Les Cahiers de Malte Laurids Brigge" explore le sentiment de la solitude, de la mort et de l'identité artistique. Son oeuvre la plus célèbre, "Les Elégies de Duino", est considérée comme l'un des plus beaux recueils de poésie allemande. A 51 ans, le poète meurt d'une leucémie. (La suite, demain)
lundi 11 août 2025
Nostalgie éditoriale, la collection "Ecrivains de toujours" du Seuil
Parfois, un sentiment de nostalgie s'empare de mon âme quand je trouve dans les cabanes à livres des spécimens de collection. Ces trouvailles ressemblent au phénomène de la madeleine de Proust, un choc cognitif de mémoire involontaire. Les ouvrages en question appartiennent aux collections Microcosme du Seuil qui rassemblent les "Ecrivains de toujours", la "Petite Planète", les "Maîtres spirituels", "Solfèges", "Le Temps qui court" et "Le Rayon de la science". Ces livres sont considérés comme les premières collections en format de poche, (18 cm x 11,5 cm), comportant 192 pages et 100 illustrations. Ces volumes à la portée de tous ne coûtaient que 390 francs, l'équivalent de 7 euros. Pendant toute ma jeunesse, en tant que lycéenne et étudiante, et même dans ma carrière de libraire et de bibliothécaire, je me suis cultivée avec ces ouvrages qui complétaient les célèbres et incontournables "Que sais-je ?" des éditions PUF. Plus attractifs et plus imagés, ces documentaires possédaient aussi des signatures d'érudits, de savants, d'intellectuels avec une rigueur d'analyse et un souci permanent du beau langage. En me baladant autour du lac du Bourget, je n'oublie jamais de jeter un coup d'oeil dans ces cabanes petites et grandes et j'ai trouvé quelques exemplaires de ces collections, en particulier les "Ecrivains de toujours", publiés en 1951 et 1981 et dont les directeurs; Francis Jeanson, puis Monique Nathan et Denis Roche, veillaient à la qualité éditoriale de premier ordre : "de petits livres où des écrivains de toujours seraient à la fois relus par des écrivains d'aujourd'hui et présentés en une brève anthologie par eux-mêmes". Les écrivains français ont eu la part belle jusqu'au 22e volume. Evidemment, le premier de la liste n'est pas une surprise : la palme d'or revient à Victor Hugo. Puis, arrivent Stendhal, Montaigne, Flaubert et Colette, pour citer les cinq premiers écrivains. 106 volumes ont été publiés et quand j'en déniche un, je me rejouis de compléter ma collection qui me rappelle mes années de jeunesse. Je conserve dans ma bibliothèque les Giono, Colette, Virginia Woolf, Barthes. En particulier, le "Barthes par Roland Barthes" est une originalité car l'écrivain a écrit son autobiographie, loin de ses théories austères, sur son enfance à Bayonne, sur sa mère chérie et sur sa démarche littéraire. Récemment, j'ai découvert un "Kierkegaard" et j'ai mieux compris sa philosophie grâce à ce petit ouvrage compact et éclairant. Ces petits livres modestes tels les cailloux du Petit Poucet m'ont permis d'arpenter le chemin parfois labyrinthique du monde de la littérature. Toute ma reconnaissance de lectrice aux éditions du Seuil.
vendredi 8 août 2025
"Ma vie avec Proust", Catherine Cusset, 3
Comment lire Marcel Proust ? Catherine Cusset tente de répondre à cette question récurrente. Beaucoup de lecteurs et de lectrices ont souvent renoncé à découvrir la Recherche. Moi-même, je n'ai pas réussi à lire Joyce et son "Ulysse". Certains romans de Céline m'échappent et le Nouveau Roman m'a toujours ennuyée. Je me souviens du "Planétarium" de Nathalie Sarraute qui m'avait laissée de marbre. Pour entrer dans l'univers proustien, l'écrivaine donne une recette : "Il faut entrer dans le texte. Dans un autre temps, un autre rythme. C'est une expérience spirituelle. Une immersion. (...) Il faut se laisser porter par ces phrases qui sont comme des flots, des vagues, et qui ont quelque chose d'addictif". Comme j'adore la mer, les vagues, le mouvement, je me sens bien dans l'océan proustien. Le troisième chapitre est consacré au "grand roman de l'écriture", une écriture unique, reconnaissable, d'une ampleur inédite. La narratrice évoque le doute de la vocation littéraire chez Proust dans la Recherche car l'écrivain parle de sa "nullité littéraire", de sa paresse, de son talent : "Proust rend un grand service aux écrivains en articulant ses doutes et même son désespoir dans une pensée rigoureuse et précise". Plus loin, elle ajoute : "le doute est une étape essentielle sur le chemin de la création". Il faut se souvenir que l'écrivain a rencontré l'échec et a connu "la douleur du rejet" car les éditeurs refusaient son manuscrit. Il a publié à compte d'auteur. Sa célébrité a démarré avec le prix Goncourt en 1919 pour "A l'ombre des jeunes filles en fleurs". Catherine Cusset relate dans son texte les péripéties de l'édition, un obstacle souvent insurmontable pour ceux qui s'adonnent à l'écriture. Cette plongée dans le monde éditorial peut sembler décourageante mais, il faut cultiver l'obstination pour arriver au but. Catherine Cusset creuse la question de l'écriture : "Ecrire, c'est cela pour moi. Rentrer dans l'épaisseur fugitive de ce temps disparu, y descendre. Retrouver celle qu'on fut et qui n'existe plus, qu'on entrevoit comme une ombre évanescente derrière le miroir. (...) Ce qu'on désire atteindre, ce n'est pas juste soi, c'est le temps, c'est le vivant, c'est la sensation disparue". Le Grand Chantier proustien. Elle termine son essai avec les dix commandements de sa "Bible", la "Recherche" en citant des phrases proustiennes de toute beauté. Son analyse profonde de la Recherche possède un charme certain avec un mélange d'intelligence et d'humour. Pour ma part, Marcel Proust, ce génie de la littérature, mériterait sa place au Panthéon tellement il a élevé la langue française à un niveau inégalé. Mais, évidemment, il n'a aucune chance de rejoindre André Malraux ou Victor Hugo... Catherine Cusset a réussi son pari : inciter son lectorat à retrouver au plus vite les phrases océaniques de notre héros commun, Marcel Proust.
mercredi 6 août 2025
"Ma vie avec Proust", Catherine Cusset, 2
Pour Marcel Proust, le véritable amour existe évidemment dans la sphère familiale. Le petit Marcel ne peut pas s'endormir sans un baiser apaisant de sa mère dès les premières pages de son premier tome, "Du côté de chez Swann". Je me souviens aussi du passage émouvant de son texte concernant l'amour du petit garçon pour sa grand-mère, son éternelle complice. Catherine Cusset raconte sa propre vie intime avec l'évocation de son mariage en Bretagne : "J'étais folle de bonheur et coïncidais totalement avec moi-même. On le sait : je ne suis pas Proust". Dans le chapitre suivant, intitulé "Le grand roman de la société", l'écrivaine apprécie la drôlerie et l'humour dans la Recherche. Proust aimait rire de ses amis et avec ses amis. Elle le considère comme un "extraordinaire peintre des classes sociales" et observant l'acuité de la vision proustienne sur la société, elle énumère ses propres défauts : "grossiereté, radinerie, indélicatesse". De nombreuses scènes dans la Recherche montrent la dimension ironique et burlesque de nombreux personnages dont l'insupportable Madame Verdurin dans son salon, perchée sur sa chaise. Catherine Cusset écrit : "Proust est un grand comique dans la veine de Molière et de Woody Allen ; sa lecture est un remontant, une joie, un antidépresseur". Plus loin, elle précise le projet proustien : "Proust dissèque notre être social, nos tics, nos mécanismes, nos petits mensonges, nos absurdités. Il est drôle parce qu'il révèle sans la juger la mécanique du vivant et les rouages du jeu social - ce qui nous rend humains". La narratrice connaît parfaitement la Recherche et pour illustrer ses propos, elle présente des anecdotes savoureuses sur ce thème du rire ironique. Elle livre aussi son point de vue sur la société d'aujourd'hui en s'appuyant sur le regard au scapel de Marcel Proust : "Est-ce pour cela que c'est plus nécessaire que jamais ? Parce qu'il nous rappelle la puissance du regard individuel dans un monde de plus en plus collectif". Le personnage emblématique proustien se nomme Françoise, inspirée d'une employée de ses parents, avec son langage propre et singulier. Le narrateur de la Recherche ne se pose pas en surplomb par rapport aux autres car il n'oublie pas de se moquer de lui-même. Catherine Cusset s'autoflagelle avec humour dans ce deuxième chapitre et relate les mauvais côtés de son caractère. Une scène avec Madame Verdurin pleurant sur les victimes d'un naufrage tout en dévorant son croissant montre les "limites de notre empathie, notre hypocrisie et notre vulgarité morale". Il est question aussi de la place des Juifs dans la Recherche et surtout de l'Affaire Dreyfus qui a enflammé la France de l'époque. L'homosexualité est, évidemment, omniprésente dans la Recherche avec le baron de Charlus et Marcel Proust ne ménage pas ce personnage complexe, sadomasochiste et secret. La Recherche, ce "monument national", ce trésor littéraire, comporte tellement de facettes, (psychologique, sociologique, artistique, historique, musicale, picturale, mémorielle) que ce serait vraiment dommage de passer à côté de cette oeuvre majeure.
lundi 4 août 2025
'Ma vie avec Proust", Catherine Cusset, 1
Les éditions Gallimard ont eu une très bonne idée de créer une nouvelle collection, "Ma vie avec", depuis 2021. Dans la présentation de la collection, l'éditeur déclare : "Un homme ou une femme ont consacré leur vie à la littérature, à la politique, à l'histoire ou à la science. Ils ont passé toutes ces années dans la compagnie d'un ami secret, écrivain, philosophe ou poète, sans laquelle leur existence aurait été différente". J'ai bien apprécié l'excellent ouvrage de Pauline Dreyfus sur Colette et je compte bien découvrir les autres titres concernant Gérard de Nerval, Joseph Conrad, François Mauriac. J'ai donc lu récemment le livre de Catherine Cusset qu'elle consacre à Marcel Proust. Comme cet écrivain m'accompagne aussi depuis ma jeunesse où je l'ai étudié à l'université, j'étais curieuse de vérifier le lien d'amitié que l'écrivaine a tissé avec Proust. Catherine Cusset, née en 1963, a éprouvé un premier coup de foudre dans son adolescence mais cette première lecture, pourtant fondamentale, s'est approfondie au fil des années car plus les expériences de la vie transforment la personnalité de chacun, plus l'oeuvre proustienne résonne dans le coeur des lecteurs et lectrices. La narratrice de cet essai claivoyant écrit : "J'ai lu trois fois "A la recherche du temps perdu" en entier : à 15 ans comme le grand roman de l'amour ; à 20 ans, comme le grand roman de la société ; à 50 ans comme le grand roman de l'écriture". L'ouvrage se construit autour des thématiques de l'oeuvre proustienne s'impliquant dans la vie de l'écrivaine. Jeune, elle s'est reconnue dans le sentiment amoureux passionnel et exclusif qu'elle ressentait dans ses rencontres. Marcel, le narrateur de la Recherche, symbolise l'amour obsessionnel et possessif envers Gilberte et Albertine. Swann épouse Odette par jalousie alors "qu'elle n'était pas son genre". Charlus aime éperdument Morel alors que ce garçon ne cesse de le fuir et de le mépriser. Catherine Cusset évoque son adhésion à ce concept de l'amour de l'écrivain qui "articule avec une intelligence infinie les sentiments confus, violents, douloureux qui m'habitaient". Lire, c'est aussi "se lire" , se retrouver dans les personnages, adhérer à la vision de la vie d'un écrivain. Marcel Proust nous tend un miroir sur nos angoisses, nos rêves, nos plaisirs comme nos déceptions. Même si son univers du debut du siècle semble lointain, sa conception de l'amour reste universelle et atemporelle. J'ai cherché une citation de l'écrivain sur l'amour et j'ai trouvé celle-ci, assez sybilline : "L'amour cause de véritables soulèvements géologiques de la pensée". A méditer.
vendredi 1 août 2025
"Lucy face à la mer", Elisabeth Strout
J'ai découvert récemment l'écrivaine américaine, Elisabeth Strout, avec son dernier roman, "Lucy face à la mer", publié en 2024 chez Fayard. Je l'ai lu sans savoir que c'était le troisième tome d'une suite : "Je m'appelle Lucy Barton" et "Oh, William". Lucy, la narratrice, romancière connue et appréciée, âgée de soixante-cinq ans, vit à New York et elle vient de perdre son compagnon, musicien. Son ex-mari, William, lui propose de partager une maison face à la mer dans le Maine car le Covid vient de surgir dans la vie des Américains et provoque comme en Europe une période de confinement en 2020. Malgrè leur divorce de longue date, le couple s'était séparé à cause des infidélités de William. Leurs retrouvailles se déroulent à merveille dans ce lieu magique au bord de la mer. Ils ont deux filles adultes qu'ils ne peuvent pas voir à cause de l'épidémie. La vie peut réserver des tournants inattendus même en temps de crise intense. Son passé resurgit dans cette maison paisible et elle mesure le chemin qu'elle a parcouru car son enfance dans une famille pauvre et problématique la hante souvent. Le texte d'Elisabeth Strout prend la forme d'un journal intime, découpé en petits paragraphes qui racontent la vie quotidienne du couple, leurs balades dans ce décor de rêve, leurs rencontres avec des voisins, les nouvelles de leurs filles, des réflexions sur la crise du Covid, sur le monde américain. Ces petits riens composent un roman impressionniste d'une délicatesse toute féminine. William a été abandonné par sa troisième épouse et se rapproche de Lucy en la protégeant du danger covidien. Autour d'eux, un paysage hivernal avec une mer grise. Quand arrive le printemps, la narratrice ressent un bonheur de vivre avec un mari qui s'est rendu compte de ses erreurs, ses filles aimantes malgré leurs problèmes, la présence de la mer réparatrice, la solitude créatrice, la conquête de la sérénité à l'aube de la vieillesse. L'écrivaine décrit aussi l'ambiance anxiogène de la période covid : masques obligatoires, gel hydroalcoolique, litanie quotidienne des morts, peur de la contagion, familles empêchées, relations sociales distanciées. Elisabeth Strout utilise une écriture blanche, sans fioritures, simple et parfois poétique. Un roman à découvrir pour se souvenir de cette étrange période de la pandémie en 1920 et pour découvrir la puissance régénératrice de l'océan.