jeudi 4 septembre 2025

"Petite route du Tholonet", François Gantheret

 J'ai toujours apprécié la peinture de Cézanne, un de mes artistes préférés. J'ai vu et revu ses toiles à Paris au musée d'Orsay et à l'Orangerie. Son univers me touche particulièrement entre les portraits, les natures mortes et surtout la Montagne Sainte-Victoire qui m'a fascinée dès que j'ai posé mon regard sur cette montagne si compacte et si puissante. Une grande exposition sur Cézanne a lieu en ce moment à Aix en Provence et j'ai déjà réservé mon billet pour aller sur les traces du peintre, du Musée Granet à son atelier en passant par le Jas de Bouffan, sa maison de famille. J'ai même l'intention de contempler ses paysages en parcourant les villages de la Montagne Sainte-Victoire. En ce moment, je me "cézanne" en lisant des catalogues, sa biographie et d'autres documents. Cette fin de semaine, je m'embarque pour vivre mes moments cézanniens. Un ouvrage original m'a vraiment marquée : "Petite route du Tholonet" de François Gantheret, publié en 2005 dans la collection "L'un et l'autre", dirigée par J.-B. Pontalis chez Gallimard. L'auteur, psychanalyste et docteur ès-lettres était l'un des rédacteurs de la Nouvelle Revue de Psychanalyse. L'écriture littéraire lui convenait mieux pour évoquer la psychanalyse et il écrivait : "Le seul mode de transmission de l'expérience ne pouvait être que de fiction". Dans ce récit, le narrateur part à la recherche d'une femme qu'il a aimée et qu'il a perdue. Elle vivrait peut-être dans une maison sur la route du Tholonet. La figure de Cézanne surgit dans ce texte rêveur dans un "jeu de miroir", dans un flou cotonneux. Par touches "impressionnistes", l'auteur montre l'influence de Cézanne sur sa propre écriture : "Ecrire comme il peignait". Un portrait du peintre se dégage au fil des pages : homme solitaire, bougon, acariâtre. Evidemment, il évoque ses amis dont Emile Zola, son ami d'enfance. Défilent aussi Pissaro, Monet, Gasquet, Renoir, ses compères peintres mais aussi sa famille, Hortense et Paul, son redoutable père, Louis-Auguste. Incompris par son époque, refusé plusieurs fois au Salon officiel, le peintre passionne François Gantheret qui, en psychanalyste, révèle la vérité de Cézanne, ses tourments, ses angoisses et son obsession du geste pictural. "Ce roman d'investigation" montre un artiste de génie qui a sacrifié sa vie à l'art. François Gantheret admire totalement le peintre : "Savoir faire cela... Dans quelques mots, une phrase, savoir laisser surgir le monde, le voir comme l'enfant qui vient de naître. Et le faire voir, ainsi, à nos yeux désillés, retrouvés". Un des plus beaux livres sur Cézanne, à lire absolument quand on aime ce peintre novateur et admirable. 

mercredi 3 septembre 2025

"Journal. Les années d'exil, 1969-1989, tome 3", Sandor Marai, 2

 Ce tome 3 du journal montre le côté sombre de Sandor Marai car, âgé de 67 ans quand il écrit ses mémoires, il évoque souvent le déclin de sa santé et surtout celle de sa femme. Avec un certain esprit de dérision, il plaisante en pensant à sa disparition : "A notre âge, ce n'est pas tant un logement que l'on cherche qu'un crématoire proche et fiable". Le couple s'installe à San Diego en Californie après Salerne et ils semblent bien isolés dans cette ville balnéaire : "Le nombre de personnes que nous pouvons appeler diminue de plus en plus". Heureusement la nature luxuriante et la beauté du Pacifique atténuent ce sentiment de solitude. Les livres sont les véritables soutiens affectifs de l'écrivain, en particulier ses collègues hongrois, Arany, Babits et Krudy. Il parle aussi de Soljenitsyne qu'il admire pour avoir dénoncé les atrocités du communisme : "Le prix de la liberté est élevé. Je ne lis que les livres de ceux qui l'ont payé". Son goût pour les mots ne faiblit jamais et il consulte les dictionnaires avec gourmandise : "C'est comme farfouiller secrètement dans un sac d'or". Il cite ses lectures qui le rendent heureux, en particulier Marcel Proust et Stendhal. Les bibliothèques le rassurent aussi, considérant ces espaces comme des paradis. Mais, plus l'écrivain vieillit, plus la vie devient difficile. Il s'intéresse aux écrivains qui se sont suicidés comme Nerval et Montherlant. Les séjours à l'hôpital se multiplient et quand son épouse, Lola, meurt dans une souffrance terrible, Sandor Marai se retrouve seul et il pense à propre mort, ne supportant pas cette cruelle séparation. Il achète un pistolet et pense au suicide. Il perd alors ses deux frères et sa soeur, et apprend la mort subite de son unique enfant adoptif, Janos, âgé d'une quarantaine d'années. En janvier 89, il se tire une balle dans la tête et ses cendres seront dispersées dans l'océan. Malgré son naufrage final, l'écrivain hongrois a aimé la vie malgré ses trente ans d'exil. L'amour pour Lola est omniprésent dans son journal, un amour immense quand il écrit, trois ans après sa mort : "Aujourd'hui, Lola, m'a beaucoup manqué, son corps, noble et élégant. Son sourire. Sa voix". Un beau journal intime, sincère et poignant, un hymne à l'amour et à la littérature. 

mardi 2 septembre 2025

"Journal. Les années d'exil, 1969-1989, tome 3", Sandor Marai, 1

 J'ai toujours apprécié les journaux intimes littéraires. J'ai découvert que l'écrivain hongrois, Sandor Marai, avait écrit un journal intime. J'ai donc lu les trois tomes : "Journal. Les années hongroises, 1943-1948", puis "Journal. Les années d'exil, 1949-1967", et le dernier, "Journal. Les années d'exil, 1968-1989", publiés chez Albin Michel de 2019 à 2023. Obligé de quitter son pays devenu communiste, il savait que tous ses romans et essais étaient interdits. Il était considéré comme un ennemi de classe, un bourgeois conservateur. Dans ce troisième tome, plus crépusculaire que les précédents, j'ai retrouvé la lucidité, le courage et la curiosité de Sandor Marai. La lucidité se trouve dans son regard "politique" sur le monde au XXe siècle avec sa méfiance viscérale du communisme et ses critiques pertinentes sur les démocraties libérales. Il peut se montrer prémonitoire sur la pollution, sur les ravages, provoqués par les humains sur la nature et sur la notion d'écologie. Il observe aussi les conquêtes médicales sur le corps humain et évoque le transhumanisme. Il étrille Richard Nixon, traite Khomeyni de "prêtre fou, sadique et sanguinaire", déteste Mao, critique le pape qui interdit la contraception. Des événements le marquent aussi comme Mai 68, le Printemps de Prague, l'assassinat d'Aldo Moro, la guerre des Malouines. Son courage lui permet de supporter avec philosophie son exil, que ce soit à Salerne en Italie ou aux Etats-Unis. Il vit loin de son pays natal, de ses racines, de sa famille, de sa langue, de ses traditions et il lui faut un courage presque surhumain pour supporter cette rupture. L'amour de son épouse le soutient sans cesse et sa force intérieure est renforcée par sa vocation d'écrivain. Il conserve cette lumière que lui procure l'écriture, son chemin de vie. En Italie, de 1967 à 1980, il subit l'ambiance toxique des attentats pendant les années de plomb : "Les contrats sociaux d'une civilisation craquent de toutes parts". Ces  notations sur son époque révèlent un homme curieux, concerné, citoyen du monde, un grand lecteur, passionné de littérature. Sa curiosité insatiable donne au journal un intérêt sur cette époque du XXe pas si lointaine que ça. (La suite, demain)

lundi 1 septembre 2025

"Le piano d'Epictète", Jean-Pierre Martin

 Quand j'ai rangé et donné mes livres pour faire subir un régime d'amaigrissement à ma bibliothèque, j'ai retrouvé quelques ouvrages que j'avais complètement oubliés. Ainsi, j'ai lu "Le piano d'Epitècte" de Jean-Pierre Martin, publié dans l'excellente maison d'édition, José Corti. J'ai remarqué le nom de l'auteur car j'avais vraiment apprécié un de ses essais sur Georges Orwell, "L'autre vie de Georges Orwell" après avoir lu "Le Meilleur des mondes". Comment ce livre était arrivé sur mes étagères ? Mystère et donc, il m'attendait patiemment sans désespérer de me croiser un jour. Ce jour est arrivé. Jean-Pierre Martin, né en 1948, traverse Mai 68 en militant et en voyageant en Asie et en Amérique. Il va même travailler pendant cinq ans à l'usine comme ouvrier. Il passe une agrégation de lettres en 1987 et devient enseignant et Maître de Conférences à Lyon. En 1995, il publie dans la NRF ses premiers textes et pousuivra une carrière de critique littéraire et d'écrivain. Cet ouvrage original se compose de huit textes sur un pianiste de bar, passionné par le jazz et les stoïciens, un lecteur fou, un écrivain passionné de cuisine, un couple préhistorique, un admirateur de la beauté féminine, un pays pù les hommes de lettres sont au pouvoir. Cette mosaïque de chroniques possède un point commun : l'esprit de sérieux n'est pas de mise. Le narrateur se lance avec humour à la conquête d'une sagesse stoïcienne en contrepoint d'un monde brutal, d'un monde où la littérature et la musique s'uniraient pour le bonheur de tous. Jean-Pierre Martin écrit dans un journal : "Suis-je redevenu celui que j'étais ? Boucle bouclée ? Tribulations, déviations, bifurcations, puis retour à la case départ ? Fait de tous ces moi, je ne suis aucun d'eux. Je me suis construit avec et et contre eux. J'ai changé". La recherche de la sagesse passe par la littérature, selon l'auteur. Ce recueil d'une écriture élégante pratique l'art du décalage, de la dérision et de l'ironie. Ecrits depuis trois décennies, ces textes peuvent étre lus comme s'ils avaient publiés aujourd'hui. La littérature n'a pas d'âge et peut prendre tout son temps pour rencontrer ses lecteurs et lectrices. La preuve avec ce "Piano d'Epitecte"...  

jeudi 28 août 2025

"Le système périodique", Primo Levi

 La littérature italienne me sert d'escapade virtuelle dans ce pays si attachant à mes yeux. Quand je lis un roman ou un essai de la péninsule, je me sens chez moi dans une proximité immédiate comme en Espagne, en Grèce et au Portugal. Mais, contrairement aux trois pays cités, je connais mieux la production littéraire en Italie depuis de nombreuses années. Elsa Morante, Alba de Cespedes, Elena Ferrante, Carlo Levi, Dino Buzzati, Alberto Moravia, Erri de Luca, Italo Calvino, tous ces noms me viennent à l'esprit et la liste peut s'allonger à l'infini. J'ai été littéralement bouleversée par Primo Levi, combattant antifasciste, déporté et témoin essentiel de la Shoah quand il a écrit "Si c'est un homme" (1947), suivi de "La Trêve" (1963), deux récits autobiographiques aussi glaçants qu'émouvants sur son expérience des camps de concentration. Toute notre jeunesse devrait lire cet écrivain au lycée. J'ai découvert une de ses oeuvres cet été, "Le Système périodique", paru en 1975. Primo Levi a consacré sa vie professionnelle à la chimie et il concentre sa connaissance de cette science en 21 chapitres, portant chacun le nom d'un élément chimique. Cette vocation scientifique a influencé sa vie d'écrivain pour trouver une réponse objective aux questions existentielles qu'il se posait. Les textes traitent de chimie de l'argon à l'hydrogène, du zinc au fer, du plomb au potassium, etc. Mais, le plus important dans cet ouvrage hybride, mi-scientifique, mi-autobiographique, réside dans les confidences du narrateur sur sa naissance, ses origines juives, sa formation de chimiste, la montée du fascisme et des lois raciales, son arrestation, son expérience des camps nazis, sa vie professionnelle. Ce récit, parfois ardu à lire, mérite pourtant toute notre attention. La parole de Primo Levi résonne et résonnera longtemps en moi : "J'étais entré de la déportation depuis trois mois et je vivais mal. Ce que j'avais vu et souffert brûlait en moi, je me sentais plus proche des morts que des vivants, et coupable d'être homme, car les hommes avaient édifié Auschwitz, et Auschwitz avait englouti des millions d'être humains. (...) Il me semblait que je me purifierais en racontant". Primo Levi, un témoin essentiel de la pire tragédie humaine : la Shoah. 

mardi 26 août 2025

La collection "Poètes d'aujourd'hui" de Pierre Seghers

  Parfois, je trouve dans une cabane à livres un exemplaire des "Poètes d'aujourd'hui". Cette collection modèle et d'exception présente des monographies de poètes qui a été lancée en 1944 par Pierre Seghers, poète, résistant et directeur de revues. Ces petits livres au format particulier, presque un carré de 15, 5 cm sur 13,5 cm se sont vendus à un prix modique pour mettre la poésie à la portée de tous. Chaque volume comportait deux parties : une étude consacrée au poète et un choix pertinent de textes. L'originalité de la collection consistait à confier l'étude du poète à un écrivain ou à un poète. Les premiers numéros concernaient Paul Eluard, Aragon, Max Jacob, Jean Cocteau et Henri Michaux pour citer les cinq premiers. Le premier volume sera vendu à 300 000 exemplaires, un record absolu. Le projet de Pierre Seghers était de montrer "qu'un poète n'est ni un mort du passé, ni un mythe" mais un "homme parmi les autres, un homme fraternel qui vit, qui travaille, qui mange, qui boit". Un artisan du verbe, un citoyen impliqué dans la vie de la cité. L'éditeur-résistant a publié un ouvrage de référence, "La Résistance et ses poètes" pour rendre un hommage à tous ceux et toutes celles qui ont bravé l'interdit, qui se sont levés contre le nazisme et le fascisme. En 1983, il est à l'origine de la création de la Maison de la Poésie de la Ville de Paris. J'évoque la collection pour montrer comment cette époque est bien loin de la nôtre où la poésie n'a plus la place qu'elle tenait dans la moitié du XXe siècle. J'ai découvert dans ma jeunesse un grand nombre de poètes comme Guillevic, Reverdy, Frénaud, Follain, Bonnefoy et tant d'autres classiques aujourd'hui tombés dans l'oubli. Après la collection des poètes, Pierre Seghers a aussi intégré la chanson française et les écrivains d'hier et d'aujourd'hui. Le travail d'éclaireur de Pierre Seghers n'a pas son équivalent de nos jours. Heureusement, l'éditeur Gallimard maintient toujours sa belle collection de poésie avec ses 575 titres depuis 1966. La littérature poétique mérite d'être lue et reconnue. Seghers m'a permis de découvrir les beaux chemins de la langue française. 

lundi 25 août 2025

La rentrée littéraire

 Après le 20 août, la presse présente déjà les tendances de la rentrée littéraire de l'automne. Comme tous les ans, je l'évoque dans mon blog car cette tradition culturelle se maintient malgré les chiffres alarmants d'un lectorat en baisse, surtout dans les jeunes générations. La fascination de la "vidéosphère" selon la formule de Régis Debray a remplacé l'engouement de l'écrit, des livres et de la littérature. Dans un article, j'ai bien lu que presque 70 % de nos contemporains ne lisent que cinq livres par an... Constant étonnant et un peu déprimant. Malgré tout, les éditeurs poursuivent leur mission essentielle : relier les écrivains à leurs lecteurs et lectrices. Quelles seront donc les tendances du cru littéraire 2025 ? Une augmentation de romans avec 484 livres. En 1980, il y avait quatre fois moins de nouveautés et paradoxalement et aujourd'hui, le lectorat s'est considérablement contracté. Des libraires sensibles à l'écologie se révoltent contre cette marée de nouveautés et certains d'entre eux boycottent ce tsunami automnal de millions de pages sur les tables des librairies. Quels noms apparaissent souvent dans la presse ? Evidemment, Emmanuel Carrère est très attendu avec "Kolkhoze", l'histoire de la famille de sa mère, Heléne Carrère d'Encausse, "captivante héroïne principale du livre". Puis, viennent Natacha Appanah, Laurent Mauvignier, Agnès Desarthe, Marie Pourchet, Laurent Gaudé, Alice Ferney, Anne Berest et l'incontournable Amélie Nothomb. La famille inspire décidément les écrivains surtout le rôle essentiel des mères dans la construction psychique des enfants. Mères présentes, mères absentes, une source d'inspiration permanente. L'actualité dans toutes ses thématiques (écologie, violences, faits politiques) ne manque pas d'apparaitre dans la littérature d'aujourd'hui. Pour les romans étrangers, j'attends le dernier Grondhal, un auteur danois que j'apprécie beaucoup, mais aussi Javier Cercas, Jonathan Coe, Paolo Rumiz, Joyce Maynard, Antonio Munoz Molina. Comme tous les ans, ce cérémonial éditorial peut ressembler à un phénomène commercial parfois contestable mais, il a le mérite de promovoir la littérature, la fréquentation des librairies, la vie des livres, le monde de l'écriture. Pas mal quand même quand on sait la prédominance des écrans, des réseaux sociaux, des jeux vidéos dans les loisirs des Français. Pour une fois que les médias évoquent la "rentrée littéraire", je m'en réjouis car un jour, qui sait, cette fête de l'univers littéraire disparaîtra, faute de lecteurs et de lectrices. Un cauchemar pour moi !