Après la salle consacrée aux natures mortes de Cezanne, j'ai donc revu les portraits et les autoportraits de l'artiste : son père, son épouse, des amis, des paysans, les joueurs de cartes. Lui-même se peint avec un regard inquiet et interrogatif. Dans une autre salle, m'attendait une série des baigneurs et des baigneuses, un thème qui a hanté le peintre toute sa vie. Il a composé près de deux cents esquisses, souvent inachevées jusqu'à aboutir à quelques tableaux présentés dans l'exposition. Un critique d'art qualifie cette inspiration de "lointaines réminiscences de sujets mythologiques et bibliques". Loin des canons classiques du nu, Cezanne prend des libertés dans la figuration du corps en peinture. La Montagne Sainte-Victoire n'était pas assez représentée à mon grand étonnement. Mais, je sais que je reverrai des Cezanne à Paris dont "sa" montagne adorée. Après l'exposition, je voulais revoir la Chapelle des Pénitents, le troisième musée d'art de la ville mais, il était fermé pour causes techniques ! Parfois, pour des raisons liées au manque de personnel, les musées ferment des salles comme au Louvre. Le lendemain, j'avais réservé un billet pour visiter le Jas de Bouffan, la maison de famille du peintre, acquise en 1859 par son père et vendue 40 ans après. Cezanne séjournait très souvent dans cette demeure qui lui servait de refuge entre Paris et Aix-en-Provence. C'est dans ce lieu magnifique qu'il a peint la majorité de ses toiles. J'ai donc arpenté le parc avec émotion en imaginant Cezanne sortant son matériel pour peindre la bastide, le bassin, les arbres, la fontaine. A l'intérieur, tout a été renové et la cuisine est d'une simplicité quasi paysanne, loin des intérieurs bourgeois. Le Jas de Bouffan est devenu un centre de recherche pour l'oeuvre cezanienne. On évoque la notion d'esprit du lieu même quand l'urbanisation invasive a gâché le panorama de la bastide. Avant de quitter Aix, j'ai vu le Jardin des Peintres, aménagé sur un belvédère avec un point de vue unique sur la Montagne Sainte Victoire. La ville a installé quelques reproductions de tableaux pour célèbrer leur peintre, transformé en icône de l'art moderne. Ce phénomène de célébration se banalise partout dans chaque ville où est né un génie : Prague et Kafka, Lisbonne et Pessoa, Copenhague et Andersen, Paris et Victor Hugo, etc. Je voulais me plonger dans l'univers de Cezanne et grâce aux livres et à cette escapade brève mais intense, j'ai vévu à l'heure cezanienne, un grand bonheur esthétique.
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
jeudi 18 septembre 2025
mardi 16 septembre 2025
Escapade en Provence, Aix-en-Provence, 2
Avant de rejoindre le musée Granet, j'ai visité la cathédrale Saint-Sauveur, un édifice religieux remarquable, construit sur l'emplacement du forum antique et même sur les fondations d'un ancien temple dédié à Apollon. J'ai tout de suite remarqué un tryptique, "Le Buisson ardent" d'un artiste avignonnais, Nicolas Froment, réalisé au XVe siècle. Je visite systématiquement toutes les cathédrales dans chaque ville que je traverse. En Italie, ces édifices religieux sont des musées et en France, quelques cathédrales composent un patrimoine irremplaçable. Je pense à la cathédrale gothique de Bayonne près de laquelle j'habitais dans ma jeunesse. De ma fenêtre, je contemplais les arcs-boutants et j'avais l'impression de les toucher. J'ai beaucoup déménagé dans ma vie et cet appartement en plein centre de Bayonne, rue Argenterie, a marqué ma mémoire. J'avais réservé mon billet vers 16h pour visiter l'exposition Cezanne. Il fallait se présenter trente minutes avant avec un dispositif digne d'une zone d'embarquement dans un aéroport : présentation des papiers, fouille des sacs dans le portique, scanner corporel. J'étais vraiment étonnée par ce souci sécuritaire impressionnant. La majorité des visiteurs avait dépassé la soixantaine et je ne pense pas que nous avions l'intention de jeter des pots de peinture sur les magnifiques tableaux de Cezanne. La bêtise de certains gestes d'écologistes en furie m'afflige. Rentrer dans un musée ressemble maintenant à marathon où il faut s'armer de patience. Plus de 130 peintures, dessins et aquarelles composent cette rétrospective exceptionnelle : portraits, autoportraits, paysages de la bastide familiale, natures mortes, baigneurs et baigneuses. Ces oeuvres inestimables venaient de Bâle, Chicago, Londres, NewYork, Ottawa, Tokyo, Zurich, etc. Je ne pouvais pas manquer cette exposition internationale sur Cezanne ! J'étais fascinée par les natures mortes et je voue un culte particulier pour les pommes cezaniennes, symboles de la pureté, de la générosité et de la simplicité. Cezanne voulait redonner ses lettres de noblesse à la nature morte et il disait : "Avec une pomme, je veux étonner Paris !". Les fruits symbolisent aussi la vie dans sa dimension éphémère. Mais, selon son biographe, Bernard Fauconnier, Cézanne "cherchait la quintessence de la pomme. L'être de la pomme. Plutôt que de vouloir saisir l'instant, il tend vers une notion d'éternité". (La suite, demain)
lundi 15 septembre 2025
Escapade en Provence, Aix-en-Provence, 1
J'avais deux rendez-vous importants à Aix-en-Provence : le "Caumont" et le "Granet". J'ai trouvé un hôtel très pratique, "La Caravelle", situé dans le centre ville et très proche d'un parking public. Quel plaisir de se balader dans les rues et les places, de voir les fontaines diverses, les hôtels particuliers, les monuments ! Aix-en-Provence ressemble à une ville italienne, ce qui me ravit toujours. Ma première visite était réservée à l'hôtel de Caumont, un lieu culturel incontournable. Ce centre d'art, ouvert en 2015, après des années de travaux, présente actuellement l'artiste franco-américaine, Niki de Saint Phalle (1930-2002), à travers "un bestiaire unique et fascinant". La plasticienne a grandi dans une famille aisée entre New York et la France. Artiste autodidacte dès 1961, ses idées personnelles se retrouvent au coeur de son art protéiforme : féminisme, soutien aux peuples opprimés, droits civiques, etc. Violée par son père à l'âge de onze ans dont elle ne guérira jamais, l'artiste a trouvé dans l'art "une sorte de thérapie qui calmait le chaos qui agitait son âme et fournissait une structure organique à sa vie". Elle rencontre le sculpteur suisse, Jean Tinguelly, avec lequel elle va partager sa vie. Sa célébrité démarre avec la création des "Nanas", ces femmes monumentales, libérées, indépendantes, libres et joyeuses. Dans la cour de l'hôtel de Caumont, une de ses "nanas" me tendait les bras et j'ai vu avec intérêt les animaux et créatures fantastiques, exposés dans les diverses salles. Le parcours coloré, bariolé, ludique des oeuvres montre des licornes, des serpents, des dragons, des monstres, des tableaux sculptés. Un monde mythologique, magique, proche de l'enfance, de l'innocence perdue avec un effet conte sur les frayeurs et sur les illuminations d'une grande artiste. L'exposition démontre à merveille sa démarche artistique et engagée. Quand j'ai quitté Niki de Saint Phalle, j'ai eu l'impression de rajeunir ! Le musée proposait aussi un film sur la vie de Cezanne qui durait trente minutes. Une bonne introduction pour savourer ma deuxième exposition au musée Granet.
vendredi 12 septembre 2025
Escapade en Provence, la montagne Sainte-Victoire
Quand j'ai quitté la calanque de Figuerolles, je voulais longer la Montagne Sainte-Victoire pour parcourir les vingt kilomètres du versant sud entre Puyloubier et Aix-en-Provence. La carte d'identité de la Sainte-Victoire : 15 millions d'années, 18 kilomètres de long, 1 000 mètres d'altitude (le Pic des Mouches), 1 million de visiteurs par an. Ce joyau naturel domine l'arrière-pays d'Aix et comme les calanques, ce lieu doit échapper à la foule des randonneurs. Les pins d'Alep et de chênes verts, s'aggripent aux rochers. Je me suis baladée dans un sentier et je sentais le thym, la lavande, la sarriette. La lumière du matin illuminait le calcaire des roches et j'imaginais Cezanne derrière un pin parasol avec son chevalet, sa palette et son pinceau. Il a peint sa montagne des centaines de fois tellement il lui vouait un culte païen. Jean Giono, un amoureux fou de sa Provence, écrivait : "Les beaux paysages ne se captent pas dans des boîtes, ils s'installent dans les sentiments". Arrivée au Tholonet, un des hauts lieux d'inspiration artistique du peintre, j'ai bu un café au Relais Cezanne pour ressentir sa présence fantomatique. La route Cezanne démarre au Tholonet jusqu'à Aix-en-Provence et pendant des années, le peintre a puisé son énergie en traversant les pinèdes et les oliveraies qui bordaient le chemin. La roche rouge des argiles, les verts des pins, des oliviers, le gris lumineux des calcaires, toutes ces variations de couleurs ne pouvaient qu'éblouir Cezanne. Ses toiles reflètent cette symphonie colorée. Mon intérêt pour cette montagne est né aussi d'un texte, "Sur les chemins de la Sainte-Victoire" de Jacqueline de Romilly, la grande Helléniste. L'universitaire randonneuse évoque ses balades dans cette montagne et elle en fait un symbole de sérénité en contemplant sa "permanence qui perdure au delà du passage du temps". D'autres écrivains ont été fascinés par ce lieu comme Peter Handke dans "La Leçon de la Sainte-Victoire". Observer la montagne devant ses yeux, observer la même montagne dans un tableau de Cezanne, "c'est découvrir les assises du monde" (citation de Georges-Arthur Goldschmidt). Ce petit détour sur le versant sud de la Sainte-Victoire, un enchantement !
jeudi 11 septembre 2025
Escapade en Provence, la Calanque de Figuerolles
Deuxième étape de mon escapade provençale : la Calanque de Figuerolles à La Ciotat, à quelques kilomètres de Cassis. J'avais réservé une chambre d'hôtel dans la calanque, un fait rare, le domaine étant privé. Comme c'était dimanche, je n'avais pas prévu, par naïveté, la fréquentation de Figuerolles car il a fallu se garer loin de l'hébergement par manque de parkings surchargés dans cette période de l'année. A mon arrivée, l'étroite plage de la calanque fourmillait de monde, les serviettes étant collées les unes près des autres. Sur un espace si restreint, cette vision de la plage à galets, saturée, bondée, ne ressemblait pas à un petit paradis. Comment apprécier ce site avec le phénomène du surtourisme comme toutes les villes du bord de mer ? Comme à Biarritz, où je ne mets plus les pieds de mai à novembre... Comment tenir compte du décor naturel magnifique avec le bruit, les cris, la musique du restaurant, la promiscuité ? La calanque avait perdu sa sauvagerie naturelle et perdait sa magie. Il fallait attendre le crépuscule pour observer cet environnement particulièrement beau, un site classé depuis 1944. J'ai donc attendu le soir pour contempler la crique, encadrée de falaises de "poudingue" et surplombée par le Rocher du Capucin. Les falaises abruptes se composent d'une roche sédimentaire, constituée de galets qui forment des conglomérats. Le silence est donc revenu dans la soirée et au petit matin, la calanque retrouvait son identité première, un lieu fréquenté par des pirates et des contrebandiers. Figuerolles (qui vient de figuier) a inspiré surtout les peintres dont le cubiste Braque, attiré par la "force et l'étrangeté" du lieu. Ce cadre original a aussi servi de décor dans quelques films. Dès le petit matin, j'ai arpenté la plage avec ses galets et j'ai ressenti l'esprit du lieu, revenu à sa vocation originelle où la nature se conjugue avec la solitude, accompagnée d'un silence appréciable. Les "vraies richesses" selon Jean Giono célèbrent "la gloire du soleil, de la terre, des collines, des ruisseaux, des fleuves" et il aurait pu ajouter des calanques, mais, attention, danger. Il faut absolument protéger ces espaces naturels qui deviennent des parcs d'attraction estivaux. Dommage...
mercredi 10 septembre 2025
Escapade en Provence, Cassis
Dimanche dernier, j'avais rendez-vous avec la mer Méditerranée à Cassis. Parfois, le bleu marin me manque beaucoup à Chambéry. J'ai vécu jusqu'à mes trente ans en Côte basque et l'océan imprègne mon imaginaire. J'ai besoin de cet espace liquide d'un bleu changeant, virant souvent au vert et symbolisant sans cesse le mouvement. La montagne médite dans son immobilité et sa magnificence nous élève. La mer bouge sans cesse et les vagues bousculent, dynamisent, vibrent d'énergie. Mais, pour sentir la mer, il vaut mieux faire une balade en bateau pour sentir son parfum salé et pour ressentir sa "bougitude". J'ai donc pris un bateau à Cassis pour visiter trois calanques avec un vent d'Est assez fortifiant.Cette promenade bien tonique m'a permis de voir les calanques de Port Miou, de Port Pin et d'en Vau. Ces anses bordées de pentes abruptes offrent un panorama spectaculaire et j'ai pensé aux paysages des Cyclades en m'approchant des falaises rocheuses. De vaillants et jeunes visiteurs prennent les chemins escarpés pour atteindre les plages. Toutes ces criques appartiennent au Parc national des Calanques incluant Marseille, Cassis et La Ciotat. Gaston Rebuffat qualifiait les Calanques de "véritables jardins de pierres en bordure de mer". Ce moment marin m'a procuré un sentiment "océanique" avec souvent des éclats d'écume sur mon visage. J'ai aperçu un banc de poissons argentés entre deux vaguelettes. J'ai ensuite visité le charmant port de Cassis et j'ai pensé à Virginia Woolf qui, de 1925 à 1929, a passé quelques jours de vacances dans ce village provençal qui attirait beaucoup d'Anglais. L'écrivaine avait même envisagé d'acheter une maison mais ce projet n'a pas abouti. Le port a conservé sa beauté malgré une quantité de voiliers et de yachts au détriment des barques de pêche. Virginia Woolf écrivait dans une lettre qu'elle n'oublierait jamais Cassis : "Cette sensation de chaleur, le vin, la beauté, la liberté, le silence, la vie sans téléphone". Une destination de rêve pour elle en 1925. Evidemment, cent ans après, aurait-elle reconnu le village avec ses dizaines de restaurants, la musique d'ambiance, sa foule de touristes, ses magasins de souvenirs ? Je crois bien que non... Heureusement, le phare était là, la mer était là, les quais, les façades colorées, les platanes, quelques barques. J'ai même aperçu sa silhouette dans une rue ombragée. Un mirage, évidemment.
vendredi 5 septembre 2025
"Cézanne", Bernard Fauconnier
J'ai remarqué depuis longtemps l'excellente collection "Folio Biographies" des Editions Gallimard, créé en 2005. Sur le site internet de la collection, l'éditeur précise qu'il propose des biographies "courtes, inédites, avec photos et à des prix accessibles". Composés par des écrivains, des historiens et des universitaires, ces ouvrages permettent à un large public de découvrir le destin unique d'un grand nombre de créateurs : de Balzac à Colette, de Kafka à Zweig, des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des personnages historiques, des scientifiques et des religieux. J'ai donc lu le "Cézanne" de Bernard Fauconnier, publié en 2006. Ce même biographe a aussi proposé quatre autres destins uniques : Platon, Flaubert, Beethoven et Jack London. Né en 1839 à Aix en Provence, Paul Cézanne n'a pas suivi les traces de son père, ancien chapelier et banquier. Il a refusé de faire des études de droit et il a choisi la voix difficile de l'art. A Paris, il rencontre les impressionnistes et surtout Camille Pissaro. Il tente plusieurs fois de participer aux salons officiels sans y parvenir. Mais, il ne sombre jamais dans le défaitisme. Malgré le rejet de ses tableaux, il persiste dans son art. Emile Zola, son ami d'enfance, le soutient malgré le "mauvais caractère" de Cézanne. L'artiste s'éloigne du groupe impressionniste et s'isole dans sa Provence natale. Sur le plan intime, il a rencontré Hortense avec laquelle il a un fils, Paul mais cette relation restera longtemps cachée dans sa famille. A la mort de son père, sa situation financière s'améliore et il peut peindre sans se soucier de vendre ses toiles. Evidemment, comme le peintre Morandi avec ses bouteilles et ses bols, Cézanne a choisi son motif préféré : la Montagne Sainte-Victoire, son obsession picturale, sa passion charnelle, sa religion panthéiste. En utilisant "des formes géométriques pour représenter les éléments du paysage, il déconstruit et reconstruit". Bernard Fauconnier raconte un homme que la légende magnifie car, de son vivant, il était moqué, vilipendé. Ses contemporains le considéraient comme un fou. Mais, lui, il marchait dans la montagne, installait son chevalet, travaillait du matin au soir sans relâche. Son biographe raconte cette vie de labeur jusqu'à sacrifier ses amitiés et sa propre famille. Cézanne savait qu'il "réinventait la peinture". Une biographie très agréable à lire avec pour personnage principal, un peintre de génie.