lundi 4 août 2025

'Ma vie avec Proust", Catherine Cusset, 1

 Les éditions Gallimard ont eu une très bonne idée de créer une nouvelle collection, "Ma vie avec", depuis 2021. Dans la présentation de la collection, l'éditeur déclare : "Un homme ou une femme ont consacré leur vie à la littérature, à la politique, à l'histoire ou à la science. Ils ont passé toutes ces années dans la compagnie d'un ami secret, écrivain, philosophe ou poète, sans laquelle leur existence aurait été différente". J'ai bien apprécié l'excellent ouvrage de Pauline Dreyfus sur Colette et je compte bien découvrir les autres titres concernant Gérard de Nerval, Joseph Conrad, François Mauriac. J'ai donc lu récemment le livre de Catherine Cusset qu'elle consacre à Marcel Proust. Comme cet écrivain m'accompagne aussi depuis ma jeunesse où je l'ai étudié à l'université, j'étais curieuse de vérifier le lien d'amitié que l'écrivaine a tissé avec Proust. Catherine Cusset, née en 1963, a éprouvé un premier coup de foudre dans son adolescence mais cette première lecture, pourtant fondamentale, s'est approfondie au fil des années car plus les expériences de la vie transforment la personnalité de chacun, plus l'oeuvre proustienne résonne dans le coeur des lecteurs et lectrices. La narratrice de cet essai claivoyant écrit : "J'ai lu trois fois "A la recherche du temps perdu" en entier : à 15 ans comme le grand roman de l'amour ; à 20 ans, comme le grand roman de la société ; à 50 ans comme le grand roman de l'écriture". L'ouvrage se construit autour des thématiques de l'oeuvre proustienne s'impliquant dans la vie de l'écrivaine. Jeune, elle s'est reconnue dans le sentiment amoureux passionnel et exclusif qu'elle ressentait dans ses rencontres. Marcel, le narrateur de la Recherche, symbolise l'amour obsessionnel et possessif envers Gilberte et Albertine. Swann épouse Odette par jalousie alors "qu'elle n'était pas son genre". Charlus aime éperdument Morel alors que ce garçon ne cesse de le fuir et de le mépriser. Catherine Cusset évoque son adhésion à ce concept de l'amour de l'écrivain qui "articule avec une intelligence infinie les sentiments confus, violents, douloureux qui m'habitaient". Lire, c'est aussi "se lire" , se retrouver dans les personnages, adhérer à la vision de la vie d'un écrivain. Marcel Proust nous tend un miroir sur nos angoisses, nos rêves, nos plaisirs comme nos déceptions. Même si son univers du debut du siècle semble lointain, sa conception de l'amour reste universelle et atemporelle. J'ai cherché une citation de l'écrivain sur l'amour et j'ai trouvé celle-ci, assez sybilline : "L'amour cause de véritables soulèvements géologiques de la pensée". A méditer. 

vendredi 1 août 2025

"Lucy face à la mer", Elisabeth Strout

 J'ai découvert récemment l'écrivaine américaine, Elisabeth Strout, avec son dernier roman, "Lucy face à la mer", publié en 2024 chez Fayard. Je l'ai lu sans savoir que c'était le troisième tome d'une suite : "Je m'appelle Lucy Barton" et "Oh, William". Lucy, la narratrice, romancière connue et appréciée, âgée de soixante-cinq ans, vit à New York et elle vient de perdre son compagnon, musicien. Son ex-mari, William, lui propose de partager une maison face à la mer dans le Maine car le Covid vient de surgir dans la vie des Américains et provoque comme en Europe une période de confinement en 2020. Malgrè leur divorce de longue date, le couple s'était séparé à cause des infidélités de William. Leurs retrouvailles se déroulent à merveille dans ce lieu magique au bord de la mer. Ils ont deux filles adultes qu'ils ne peuvent pas voir à cause de l'épidémie. La vie peut réserver des tournants inattendus même en temps de crise intense. Son passé resurgit dans cette maison paisible et elle mesure le chemin qu'elle a parcouru car son enfance dans une famille pauvre et problématique la hante souvent. Le texte d'Elisabeth Strout prend la forme d'un journal intime, découpé en petits paragraphes qui racontent la vie quotidienne du couple, leurs balades dans ce décor de rêve, leurs rencontres avec des voisins, les nouvelles de leurs filles, des réflexions sur la crise du Covid, sur le monde américain. Ces petits riens composent un roman impressionniste d'une délicatesse toute féminine. William a été abandonné par sa troisième épouse et se rapproche de Lucy en la protégeant du danger covidien. Autour d'eux, un paysage hivernal avec une mer grise. Quand arrive le printemps, la narratrice ressent un bonheur de vivre avec un mari qui s'est rendu compte de ses erreurs, ses filles aimantes malgré leurs problèmes, la présence de la mer réparatrice, la solitude créatrice, la conquête de la sérénité à l'aube de la vieillesse. L'écrivaine décrit aussi l'ambiance anxiogène de la période covid : masques obligatoires, gel hydroalcoolique, litanie quotidienne des morts, peur de la contagion, familles empêchées, relations sociales distanciées. Elisabeth Strout utilise une écriture blanche, sans fioritures, simple et parfois poétique. Un roman à découvrir pour se souvenir de cette étrange période de la pandémie en 1920 et pour découvrir la puissance régénératrice de l'océan. 

mercredi 30 juillet 2025

"L'âge fragile", Donatella Di Pietrantonio

Le roman de Donatella Di Pietrantonio, "L'âge fragile", a obtenu le célèbre prix Strega, l'équivalent du Goncourt, en 2024. Lucia, le personnage principal, se souvient d'un drame atroce, survenu dans les années 90 dans les Abbruzes alors qu'elle avait 15 ans. Un crime a eu lieu près d'un camping en montagne et deux jeunes filles ont été tuées. La meilleure amie de Lucia a échappé miraculeusement au meurtrier. Lucia, trente ans après, s'est séparée de son mari et sa fille unique, Amanda, est revenue chez elle après avoir été agressée à Milan. Cet acte de violence la renvoie à ce crime dans la montagne. Lucia pratique le métier de kinésithérapeute dans ce milieu rural. Mais, sa fille traverse une crise dépressive après son agression et ne communique plus avec sa mère. Confrontée à son malaise, Lucia se souvient de la violence qu'elle a elle-même rencontrée dans sa région d'origine. Son père, Rocco, envisage de lui faire la donation du camping maudit, dans l'alpage, surnommé le Dente del Lupo où a eu lieu le drame. Ce site désolé et abandonné a pourtant connu son heure de gloire avec une piscine et une guinguette que les habitants de la vallée fréquentaient beaucoup. Dans ce lieu de bonheur, le malheur a surgi avec sa brutalité évidente quand un jeune berger frustre a assassiné ces deux jeunes campeuses. L'écrivaine s'est inspirée d'un fait divers qui avait scandalisé l'opinion publique. A travers ce drame terrible, Donatella Di Pietrantonio décrit un monde où l'emprise des hommes se manifeste dans la vie des femmes. Du meurtre des deux jeune filles à l'agression de sa propre fille, la violence règne dans le monde depuis la nuit des temps. Cet "âge fragile", le titre du roman, représente la fragilité et la vulnérabilité des femmes. Un aspect important du roman se situe dans la relation mère-fille, traitée d'une manière subtile et profonde. La montagne peut aussi se transformer en piège : "Elle ne partageait pas cette vision idéalisée de la montagne, les forêts étaient certes séduisantes mais, aussi pleines d'ombres. Elles pouvaient vous trahir, vous perdre. Le garçon y avait perdu le sens des limites humaines". La construction du roman repose sur l'alternance passé-présent et donne au récit une rare fluidité. Un très bon roman à découvrir avec en prime, un voyage dans les Abbruzes, région peu connue de la péninsule. 

lundi 28 juillet 2025

"Trois jours en juin", Anne Tyler

Anne Tyler, écrivaine américaine, née en 1941, a démarré sa carrière littéraire dès 1964. Elle a obtenu le Prix Pulitzer en 1989 pour son roman, "Leçons de conduite". Ses thèmes de prédilection concernent la vie de l'Américain moyen dans ses relations familiales. Selon un article de presse, elle serait l'héritière de John Updike, d'Eudora Welty et même de Jane Austen. Je conserve dans ma mémoire de lectrice des souvenirs de quelques romans d'Anne Tyler. Je citerai en priorité "Le Déjeûner de la nostalgie" et "Une bobine de fil bleu". Dans son dernier roman, "Trois jours en juin", paru chez Phébus, Anne Tyler raconte l'histoire de deux couples. Le premier est formé par la narratrice, Gail, divorcée et son mari, Max, réunis tous les deux pour assister au mariage de leur fille Debbie et de leur gendre, Kenneth. Gail apprend en même temps qu'elle est licenciée de son poste d'assistante dans un collège. A la soixantaine passée, cette rupture de contrat injustifiée l'angoisse vraiment. De plus, son mari dont elle est séparée depuis quelques années, s'invite chez elle pour le mariage de leur fille. Leurs retrouvailles n'enchantent guère Gail, forcée de cohabiter avec son ex-mari, mais le mariage de leur fille va renforcer leur relation perdue. Car, Kenneth, le futur marié, a trompé sa fiancée. Gail se montre intraitable avec Kenneth d'autant plus que c'est elle qui a trompé son ex-mari, Max. Anne Tyler manie l'ironie à merveille concernant les rites ridicules de la cérémonie du mariage, les faux-semblants, l'hypocrisie sociale, les manies des uns et des autres. Pendant ces trois jours, le "vieux couple séparé" prend conscience qu'ils ont peut-être un avenir commun. Le nouveau couple, malgré le pas de côté du jeune Kenneth, semble bien fragile. L'art subtil d'Anne Tyler oscille entre une tendresse évidente pour ses personnages et une causticité ironique sur les rites sociaux souvent trop conformistes. Ce roman bien agréable à lire semble parfois traversé par le sentiment de "la légéreté d'être", par l'utilisation d'un humour à fleur de ligne. Mais, l'écrivaine américaine raconte une histoire universelle, impliquant la délicate question des relations dans un couple. Un bon roman à découvrir pendant l'été ! 

mardi 22 juillet 2025

"L'Accident", Jean-Paul Kauffmann, 2

 Jean-Paul Kauffmann a donc tenu bon face à ses terroristes islamistes parce qu'il était "construit" par son enfance heureuse et par des parents aimants. Le bonheur de son passé atténuait l'horreur de son présent. Mais, à l'age de onze ans, il est entré en pensionnat, ce qui était un privilège pour les familles modestes, une chance à saisir. L'auteur précise dans la presse : "Ce livre est d'abord une dette que j'avais envers une enfance qui m'a protégé. Je n'ai fait aucun cauchemar pendant ma captivité". Dans le cadre de son enquête sur son enfance, apparait un personnage clé  : un mystérieux abbé, cousin de la famille, original, marginal dans la hiérarchie de l'Eglise, influent. Ce cousin a conseillé aux parents de Jean-Paul qu'il poursuive ardemment des études. De nombreux passages de son texte sentent des parfums proustiens : l'odeur si caractérisque du pain dans le fournil paternel, les odeurs d'une nature préservée dans une France villageoise, solidaire et chaleureuse. Il décrit la présence d'un catholicisme omniprésent (le narrateur était enfant de choeur dans l'église de son village). Tous ces souvenirs forgent une identité culturelle que l'on n'oublie jamais en soi. Il devient journaliste, mené par "le démon de la curiosité", "par désir d'apprendre et de découvrir la nature secrète des choses". Cette curiosité chevillée au corps donnera naissance à tous ses récits-enquêtes. Le jeune homme, Marcel Martin, responsable de l'accident, intéresse le narrateur. Qu'est-il devenu ? Comment a-t-il traversé la vie ? Jean-Paul Kaffmann retrouvera les traces de cet homme et interrogera un membre de sa famille. Il raconte le réel sans émettre aucun jugement sur le comportement des hommes. Ce livre m'a réjouie par son hommage à l'enfance dans les années 50: "L'enfance est un grenier, un coffre-fort, un athanor, où l'on emmagasine sans souci encore des lendemains qui chanteront peut-être". J'apprécie aussi son immense culture quand il évoque des écrivains, des peintres dont Nicolas Poussin, des voyages, des découvertes. Cet écrivain occupe une place particulière dans le panorama littéraire contemporain : hors-norme, hors tribu parisienne, ancré dans le passé et dans le présent. Un très bonne lecture estivale.  

lundi 21 juillet 2025

"L' Accident", Jean-Paul Kauffmann, 1

 Je viens de lire avec un grand plaisir le dernier ouvrage de Jean-Paul Kauffmann, "L'Accident", paru cette année. Je connais bien cet écrivain depuis des années et je l'ai découvert avec "La Maison du retour", en 2007 où il évoque sa captivité au Liban de 1985 à 1988. Trois ans d'une vie d'otage, trois ans de souffrance, trois ans où il a senti la mort sur lui. A cette époque, son épouse Joëlle, s'est engagée activement pour sa libération. Dans les Landes, il avait acquis cette ferme pour se reconstruire, pour mener une vie normale. J'avais déjà remarqué l'élégance feutré de son style et aussi sa personnalité teintée d'une modestie inhabituelle pour un auteur. J'ai ensuite lu "La Lutte avec l'Ange", une enquête spirituelle sur le peintre Delacroix, puis une biographie de Raymond Guérin, un écrivain bordelais peu connu. Son livre, "Remonter la Marne" en 2013, dressait un panorama d'une région française injustement oubliée. J'ai évidemment apprécié au plus haut point, "Venise à double tour", un récit magnifique sur les églises abandonnées de la cité. Son dernier opus, "L'Accident", paru chez l'éditeur Equateurs, me semble le plus intimiste, le plus profond de toute son oeuvre. Il relate dans ce texte important un effroyable accident de la route, survenu le 2 janvier 1949, dans son village de Corps-Nuds en Bretagne. Dix-huit jeunes footballeurs ont trouvé la mort dans cette tragédie. Ce fait divers a frappé le jeune garçon de l'époque et il se saisit de ce traumatisme pour évoquer son enfance dans ce petit village où tout le monde se connaissait. Le parallèle entre cet accident dramatique dans sa petite enfance et son accident personnel, sa captivité au Liban, quarante ans plus tard, compose ce récit autobiographique. Jean-Paul Kauffmann mène une enquête sur la mort accidentelle de toute une jeunesse de son village et il se penche sur le passé familial pour comprendre la matrice de sa personnalité. Car, grandir dans cette communauté harmonieuse, unie, l'a rendu fort et cette éducation, à la fois républicaine et religieuse qu'il a reçue, lui a permis de survivre au Liban lors de sa prise d'otage pendant trois ans. Né en 1944 dans une famille catholique, l'auteur décrit le foyer familial avec tendresse : un père boulanger et une mère au foyer qui, évidemment, aidait son mari à tenir la boutique. "Cette enfance joyeuse des années 1950", je l'ai vécue moi-même et plus j'avançais dans ma lecture, plus j'avais l'impression de l'avoir écrit. Un phénomène mimétique de la littérature. Dans sa captivité, il rêvait de cette enfance innoncente, une bouée de sauvetage. 

vendredi 18 juillet 2025

Bilan de l'Atelier Littérature, 4

 Mon dernier atelier s'est tenu le jeudi 26 mai et comme par hasard, j'avais choisi le thème de la nostalgie. Et il m'est arrivé cet après-midi-là une absence dans ma présence physique, provoquée par un appel téléphonique "indésirable". Mais, je tiens à évoquer cette séance car j'ai pris quelques notes un peu disparates sur des commentaires des lectrices présentes. Dans mon cahier à spirales, j'ai noté que Régine avait bien aimé le texte de l'écrivaine japonaise, Ryoko Sekiguchi, sur les saisons qui représentent la nostalgie de la séparation. Cet essai poétique révèle l'attachement aux saisons qui imprègne la culture japonaise, dans les haïkus en particulier. Régine a aussi parlé du "Café Excelsior" de Philippe Claudel, un excellent récit autobiographique sur la relation très tendre entre un grand-père et son petit-fils. Véronique a beaucoup aimé le roman de Pierre Adrian, "Que reviennent ceux qui sont loin", publié en 2024. Une maison de famille en Bretagne, des retrouvailles avec sa parentèle, des amours naissantes, une enfance retrouvée et aussi le temps qui passe trop vite. La musique douce et tendre de Pierre Adrian ne peut qu'enchanter tous les nostalgiques de l'univers. Odile a lu "La nostalgie heureuse" d'Amélie Nothomb, un récit sur son enfance au Japon. D'autres titres ont été choisis par les lectrices : "Souvenirs dormants" de Patrick Modiano, "Le goût de la nostalgie" et "La nostalgie : quand donc est-on chez soi ?" de Barbara Cassin. Dans le choix des sujets que j'ai traités pendant ces quelques saisons de l'atelier, c'est peut-être le plus complexe à gérer. Je dois puiser dans ma mémoire de lectrice, des livres lus et je consulte évidemment des sites internet pour m'appuyer sur des textes que je n'ai pas lus. Je m'efforce par contre de tous les consulter avant d'établir ma liste bibliographique. Quelquefois, je retiens un sujet mais j'abandonne mon idée, faute de combattants... Si je résume le programme de la dernière saison, j'ai proposé des genres littéraires (dystopies et littérature intimiste), un écrivain (Paul Auster), une ville (Paris), une littérature étrangère (Irlande), trois sujets (la lecture, la psychanalyse et la nostalgie) sans oublier la rentrée littéraire. Un menu éclectique et varié mais, j'éprouve l'envie de simplifier mes propositions lors de la saison prochaine. J'ai tout mon été pour réfléchir !