Parfois, je regarde ma bibliothèque avec un regard nouveau en me demandant pourquoi ce livre repose toujours sur une étagère. J'entreprends régulièrement mon propre "désherbage", acte courant dans les bibliothèques. Il faut bien faire de la place pour les nouvelles acquisitions. Donc, je saisis les ouvrages que je ne relirai plus et je les donne à la Médiathèque de Chambéry ou je les place dans les cabanes à livres. Mais, je ressens toujours une nostalgie de les voir quitter mon domicile. D'autres lecteurs et lectrices les découvriront et les livres vivront sur d'autres étagères dans des belles maisons ou appartements. En farfouillant ainsi dans mes rayonnages que je range souvent avec plaisir, j'ai eu la soudaine envie de relire un auteur dont j'ai conservé quelques titres et que j'avais abandonné depuis trop longtemps. Il s'agit de Georges Perros. Qui est donc cet inconnu de la littérature contemporaine ? Il est né à Paris en 1923. Avant de se lancer dans l'écriture, il est reçu à la Comédie-Française où il rencontre Gérard Philippe, Jean Vilar, Maria Casarès et d'autres comédiens célèbres. Comme il se lasse de la figuration théâtrale, il traduit des pièces de Tchekhov et de Strinberg. En 1959, il s'installe à Douarnenez dans le Finistère avec son épouse Tania où ils élèveront cinq enfants. En 1961, le premier volume des "Papiers collés" parait chez Gallimard. Il écrira aussi de très beaux poèmes en utilisant un langage simple d'un lyrisme maîtrisé. Il meurt à Paris en 1978 d'un cancer du larynx. Dans ses "Papiers collés", il propose des études sur la littérature en particulier sur Kafka, Rimbaud, Hölderlin, Kierkegaard. Comme il prend quotidiennement des notes griffonnées sur des papiers divers, il évoque sa vie, ses réflexions existentielles dans une langue dépouillée mais d'une densité certaine : "Pour ne rien perdre de cette incessante lecture, tout m'est bon - bouts de papier, souvent hygiénique, tickets de métro, boîtes d'allumettes, pages de livres. J'en suis couvert". Il appartient à la famille de Chamfort, Joubert et Cioran. Aphorismes, citations, poèmes en prose, portraits d'écrivains, références littéraires, ce récit en miettes dégage un charme certain et procure un grand plaisir de lecture. Georges Perros compose un patchwork de textes où il parle de poésie, d'amour, d'amitié, de philosophie et sa sagesse est toute imprégnée d'une lucidité mélancolique : "Ecrire, c'est renoncer au monde en implorant le monde de ne pas renoncer à nous". La solitude choisie semble l'obséder dans sa Bretagne d'adoption. Ce poète écrivain d'une sensibilité à fleur de peau, a écrit une autobiographie originale sous la forme d'un grand poème, "La vie ordinaire", publié dans la collection Poésie/Gallimard. Cet amoureux fou des lettres françaises déclarait : "Je ne dirai jamais de mal de la littérature. Aimer lire est une passion, un espoir de vivre davantage, autrement mais davantage que prévu". Un avis partagé.
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
mercredi 22 février 2023
lundi 20 février 2023
"La Vagabonde", Colette
Je poursuis mes billets sur la délicieuse Colette en évoquant "La Vagabonde", inscrite dans mon programme de lectures de février. J'avoue que les récits autobiographiques de l'écrivaine me passionnent plus que ses écrits romanesques. Mais, "La Vagabonde", publiée en 1910, possède des éléments largement inspirés de son expérience personnelle dans le milieu du Music Hall où elle a travaillé pendant plusieurs années. Son mariage malheureux avec Henri Gauthier-Villars dit Willy est aussi évoqué avec une rancœur toute légitime. Son personnage féminin, Renée Néré, autrefois épouse d'un peintre reconnu, survit modestement grâce aux théâtres et aux cabarets à Paris et en province. Elle se définit comme "une femme de lettres qui a mal tourné". Se retrouvant seule avec sa chienne Fossette dans un petit logement, elle a abandonné l'écriture. Un jour, dans une de ses tournées, elle rencontre un admirateur plus fervent que les autres et la jeune femme subit sa cour effrénée. Renée rejette, refuse l'amour après l'échec retentissant de son mariage. Maxime est jeune, beau et surtout riche. Renée se sent prise dans un piège. Elle s'installe dans une bohème un peu anarchique surtout dans le milieu artistique parisien et apprécie les nombreuses rencontres avec des personnages hauts en couleurs comme son collègue Brague. Déchirée entre sa nouvelle conquête d'une autonomie rêvée et un retour dans le carcan du mariage, Renée symbolise l'ambiguïté de Colette : vivre en toute sécurité en couple avec Maxime ou vivre sans entraves avec sa solitude. La narratrice s'exclame ainsi : "Il y a des jours où la solitude, pour un être de mon âge, est un vin grisant qui vous saoule de liberté, et d'autres jours où c'est un tonique amer, et d'autres jours où c'est un poison qui vous jette la tête aux murs". Sa carrière de pantomime comble sa vie mais elle règle aussi ses comptes avec son ancien mari, volage et trompeur, pusillanime et hypocrite (portrait de Willy, en fait). Colette aborde aussi dans ce roman le thème de la vieillesse, une obsession que l'on retrouve souvent dans ses œuvres. L'idée de son changement physique la hante car "elle se sent usée, incapable de reprendre l'habitude de l'amour". Elle déclare à un ami : "Je ne suis plus assez jeune, ni assez enthousiaste, ni assez généreuse pour recommencer le mariage". Ce roman en trois parties, le passé de Renée, sa vie des tournées théâtrales, et sa relation avec Maxime. Elle décide de poursuivre sa carrière de pantomime et choisit la liberté, son "indépendance mentale". Maxime ne fera pas partie de son avenir. L'amour n'est que souffrance pour la jeune femme. Renée a goûté à sa liberté et ne veut plus être une "femme soumise". Ce roman d'émancipation a certainement influencé plus de femmes que des traités féministes militants. Colette a montré dans son roman un talent d'écriture exceptionnel alors qu'elle avait à peine une trentaine d'années. Sido, sa mère, conseillait à sa fille : "regarde" et Colette a aussi compris "écris ce que tu regardes" : "Ecrire ! Pouvoir écrire ! Cela signifie la longue rêverie devant la page blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d'une tache d'encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l'orne d'antennes, de pattes, jusqu'à ce qu'il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon-fée". Colette, un festival de sensations, d'images et de saveurs. A lire sans cesse sans modération...
vendredi 17 février 2023
"Mes Fragiles", Jérôme Garcin
Jérôme Garcin, animateur de l'émission "Le masque et la plume" et écrivain de talent, a déjà évoqué l'histoire de sa famille dans un de ses ouvrages précédents, 'Olivier", son frère jumeau tragiquement renversé par une voiture en 1962, à l'âge de 6 ans. Plus tard, l'écrivain perd son père en 1973 et il raconte ce drame dans le récit, "La chute de cheval". Le voilà le dernier survivant de cette famille dans son dernier livre, "Mes Fragiles", édité chez Gallimard en janvier dernier. Un journaliste du Monde écrit en qualifiant Jérôme Garcin : "Ses deuils sont le creuset de sa vocation littéraire. Ecrire est une manière de prolonger les vies". Surviennent dans ce texte les deux décès à six mois de délai : celui de sa mère et celui de son frère. Sa mère, Françoise, usée par différentes maladies, s'éteint à 89 ans en septembre 2020 dans de grandes souffrances. Jérôme Garcin raconte la vie de cette femme originale, très croyante et amie du comédien Michaël Londsdale. Elle travaillait au Louvre comme restauratrice de tableaux. Son frère, Laurent, "un grand petit garçon", atteint d'obésité et handicapé mental, succombe du Covid en 2021 à l'âge de 55 ans. Lui aussi s'adonnait à la peinture et ses toiles très colorés témoignaient de son mal intérieur et de la vision qu'il avait du monde. Elle a toujours protégé son fils Laurent au comportement imprévisible et elle est morte sans connaitre le secret familial que l'écrivain révèle dans ce récit pudique. Il est porteur d'une maladie génétique rare, (le syndrome de l'X fragile), responsable d'un déficit intellectuel : "Je me sens responsable d'avoir propagé ce que j'ignorais avoir hérité". Malgré cette menace qui plane dans la transmission familiale, il regarde le réel avec une confiance renouvelée et ne perd jamais l'espoir d'éviter les dégâts ravageurs de cette maladie génétique. L'écrivain montre dans ce récit, la vulnérabilité des êtres, les liens de famille frappés par la fragilité. Comment vivre avec ses "chers disparus" ? En utilisant les mots, la littérature. Il leur consacre un tombeau mémoriel pour lutter contre l'oubli : "Mais plus le temps passe et je crois en la présence des morts. Ils sont là. Leur âme demeure, plane et s'obstine. Ils s'annoncent souvent entre chien et loup, dans une lumière tamisée de petit matin ou de fin de jour (...) Je leur parle en silence depuis si longtemps". Dans "La Grande Librairie", Jérôme Garcin était "habitée" par ses "Fragiles" et ce livre pose la question universelle de notre rapport à la mort. Une lecture consolatrice, malgré tout.
jeudi 16 février 2023
"Claudine à l'école", Colette
Depuis le début de l'année, je me suis fortement attachée à notre Colette nationale, génie littéraire de la première moitié du XXe siècle. Plus je lis ces textes, plus je savoure son style et son univers. J'écoute des podcasts sur elle en marchant, je m'informe sur sa biographie grâce à des revues et à des critiques. Mon début d'année s'est "colettisé" et quand je saisis un roman du jour, je suis étonnée par la fadeur de l'écriture contemporaine. Je reviens vite boire dans ma source littéraire de prédilection et je me délecte, à travers ses mots, des émotions et des émois que cette parisienne bourguignonne insuffle dans ses œuvres. Cette gourmande de la vie s'est mise à écrire à vingt ans, une vocation audacieuse bien prématurée sous l'égide de son premier mari, Willy, l'éditeur, le signataire usurpateur des Claudine. J'ai donc ouvert la saga en démarrant par "Claudine à l'école", publié en 1900. Le personnage principal, Claudine, 15 ans, vit à Montigny dans un petit village. Son père, homme distrait et distant, préfère l'élevage des limaces à l'éducation de sa fille. L'école devient vite le cadre des aventures décrites dans ce livre pas du tout sage, et même sulfureux pour l'époque. La jeune fille, espiègle et rebelle, raconte sous la forme d'un journal intime, ses amitiés avec ses camarades filles. Des personnages campés avec une ironie drolatique hantent le décor comme le docteur Dutertre, l'homme politique du coin avec ses mains baladeuses, Antonin, le professeur de musique qui fait la cour à Claudine. L'intrigue romanesque repose aussi sur la relation amoureuse des deux institutrices, Aimée Lanthenay et Mademoiselle Sergent. Il fallait une audace folle à Colette pour raconter cette histoire scandaleuse en 1900. Les grandes de l'école vont passer le brevet élémentaire et des passages sur les dictées et les mathématiques révèlent une Colette d'une drôlerie irrésistible. Elle pose aussi un regard critique acéré sur les liens amoureux et sur la société. La scène finale sur la venue du ministre provoque un sourire permanent. Le roman largement autobiographique possède un parfum d'une France littéraire peut-être disparue aujourd'hui. Ce texte sur l'adolescence, sur les premiers émois de jeunes filles, sur la recherche de l'amour et de l'amitié déborde de truculence et de malice. Ce premier roman autofictionnel annonce l'immense écrivain qu'elle va devenir. Et Claudine alors ? Effrontée, espiègle, intelligente, séduisante, cette jeune fille de la campagne bourguignonne déclare avec défi : "Je sais très bien, depuis longtemps, que j'ai un cœur déraisonnable, mais de le savoir, cela ne m'arrête pas du tout". Claudine, la meilleure élève de son cours en composition française, en musique, en couture, en calligraphie et pourtant dotée d'un esprit de liberté assez rare à cette époque. J'ai relu ce récit des décennies plus tard et il a conservé toute sa verve, toute sa fraîcheur. J'ai connu moi-même la corvée du charbon pour le poêle à bois dans l'école et nous passions le coup de balai dans la classe à tour de rôle dans les années 50 ! Retrouver cette atmosphère "folklorique" d'une école républicaine dans une France rurale profondément ancrée dans ses traditions relève d'un miracle proustien. Relire Colette et ses Claudine, c'est revivre la quintessence de notre enfance. La littérature, selon Marcel Proust, l'autre géant du XXe siècle et frère jumeau de Colette pourrait se rebaptiser avec ce titre : "A la recherche du Temps retrouvé". Sacrée Colette !
mardi 14 février 2023
Les 70 ans du Livre de Poche
En 1953, le Livre de Poche apparaît dans les librairies ! Un événement considérable, un tournant dans la culture. Un petit prix (un ticket de métro), un format ultra pratique (10 cm x 18 cm), un choix éclectique, des couvertures colorées. Les lecteurs et lectrices de l'époque l'ont adopté avec une joie sans pareille. Il s'est vendu plus d'un milliard de poches depuis sa naissance que l'on doit à Henri Filipacchi de la Librairie Hachette. L'exemplaire "Du côté de chez Swann" de Marcel Proust s'est vendu à 500 000 exemplaires en une poignée d'années. Jean Giono a déclaré que ce petit "bouquin" était le "plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne". En 2022, 81 millions d'exemplaires ont été vendus soit près d'un livre sur quatre en France. Le Livre de poche le plus diffusé à plus de 5 millions d'unités concerne "Le Grand Meaulnes" d'Alain-Fournier, suivi de "Vipère au poing de Bazin, du "Journal" d'Anne Frank, et de "Germinal" de Zola. Les "Claudine" de Colette ont aussi battu des records de vente. Si j'ai basculé dans le monde des livres dès mon adolescence, c'est bien grâce à lui. Je veux donc lui rendre un hommage reconnaissant. Ma mère, une mère d'une générosité exceptionnelle, encourageait ma passion des livres et me donnait quelques francs pour acquérir quelques classiques que je préférais aux friandises. Je me souviens encore de la librairie Celhay à Bayonne consacrée uniquement aux livres de poche. L'annexe faisait face à la plus grande maison de la presse, près de la Cathédrale. En sortant du lycée, je passais souvent dans cette caverne tapissée de milliers de titres et je me trouvais dans cet espace livresque comme si je rentrais dans une pâtisserie. Ma gourmandise s'intensifiait à chaque instant. Ma première bibliothèque que j'ai constituée dans ma chambre ne contenait que des livres de poche. Etudiante en Lettres, j'ai beaucoup lu : de Balzac à Zola, en passant par Stendhal, Flaubert, Hugo, Proust, et tant d'autres du XXe à la portée de nos ressources financières bien modestes. Je reviens souvent dans ce format quand je pars en voyage : rien ne vaut ce petit objet en papier que l'on glisse dans son sac pour combler les attentes dans l'aéroport ou à l'intérieur d'un avion. Lire me rassure en toutes occasions. J'aime beaucoup retrouver des anciens exemplaires des années 50 que j'arrive à débusquer dans les cabanes à livres ou à Emmaüs. Les couvertures super naïves et colorées des premiers poches soulèvent chez moi une nostalgie certaine. Le Livre de Poche ainsi que ses jumeaux comme Folio, J'ai lu, Points, Presse Pocket, 10/18 et tant d'autres ont toujours un avenir flamboyant et peuvent concurrencer sans peine la lecture sur écran. Un objet culturel aussi pratique, aussi léger, aussi peu cher et aussi intelligent, demeure une des inventions les plus belles de l'humanité.
lundi 13 février 2023
"Inconsolable"
Adèle Van Reth a longtemps animé l'émission de France Culture, "Les Chemins de la Philosophie" qui reste encore un "must" pour les amateurs de cette discipline rigoureuse. Je l'ai beaucoup écoutée pendant des heures sur le monde de la philosophie en essayant de mettre à la portée des "écoutants" la pensée grecque, la philosophie allemande et tant d'autres courants. Je me souviens encore de Jankélévitch et de Clément Rosset dans ses entretiens avec des spécialistes universitaires. La journaliste avait écrit un premier ouvrage sur sa grossesse : "La vie ordinaire", un récit autobiographique étonnant, paru récemment dans la collection Folio. Son deuxième livre, "Inconsolable", paru chez Gallimard en janvier, évoque la mort de son père qu'elle adorait, un père cultivé, archiviste de métier et curieux de tout. Atteint d'une grave maladie, il est parti trop tôt à l'âge de 65 ans. Cette disparition la met dans un état de désolation totale, de chagrin insurmontable : "Qu'est-ce que ça change, vraiment, de perdre son père ? Sans croyance en un au-delà, que signifie l'ultime disparition de ce qui est ? Rien ne change, et pourtant, le monde n'est plus le même. Il faut s'habituer à vivre dans un monde sans lui. La vie continue, les matins se succèdent, les enfants grandissent, un nouveau chat rejoint la maison, et après la grande tristesse c'est la peur de l'oubli qui survient". Son récit de deuil explore le sentiment d'une certaine déréliction, de cet effet sidérant de la perte d'un être cher. Elle raconte avec pudeur la maladie et l'hospitalisation de son père, loin de Paris. Elle sait qu'il va mourir et devant cette finitude prévisible, elle s'appuie sur la philosophie en analysant la notion "d'inconsolable". Elle écrit tout en déclarant que les mots ne suffisent plus à la consoler. Elle rappelle que la perte irréparable de son père la rend "inconsolable" : "L'inconsolable est notre condition d'êtres mortels" et désigne "le fait que rien ne dure, et que si de l'éphémère nous pouvons nous accommoder, de la fin définitive, jamais". Pour elle, pas de consolation dans la religion, ni dans une spiritualité quelconque. Même les mots forment une trahison, une vacuité insupportable. De tous temps, la consolation est liée à la philosophie comme celle des Stoïciens et des Epicuriens. L'écrivaine philosophe évoque aussi sa vie quotidienne, son enfant à naître, son petit chat adopté, sa famille recomposée. Comment survivre et vivre après la mort d'un parent, un père aimé comme celui d'Adèle Van Reth ? Le chagrin écrase, le chagrin étouffe jusqu'au moment où la vie reprend ses couleurs : "Tu verras combien la tristesse terrasse, mais comme elle déchire le voile qui recouvre le réel aussi. Tu verras la force qu'elle donne" . Une certaine forme de tristesse s'infiltre en permanence chez l'endeuillé et le laisse à tout jamais "inconsolable". Face à ce manque intolérable et irréversible, la philosophe s'ouvre au temps présent et futur à partir de la perte. Inconsolable face à la séparation irrémédiable, Adèle Van Reth pense que "la tristesse n'est pas un obstacle au goût de la vie". Ce journal de deuil, très bien écrit, se lit avec intérêt malgré un sujet grave.
jeudi 9 février 2023
"Les bibliohèques vont-elles disparaitre ?"
Ce titre alarmiste sur la fin des bibliothèques m'a, comme on dit, "interpellée". Le Centre d'Observation de la société a repris les statistiques sur les pratiques culturelles des Français et les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre 1997 et 2018, la part de la population inscrite à la bibliothèque a diminué de 21 % à 15 %. Le taux est revenu à son niveau au début des années 80. Pourtant, la progression des années 80 à 2000 est passée de 14 % à 21 %. Cette fréquentation a été favorisée par le développement de nombreuses bibliothèques dans les petites et moyennes villes et par l'intégration dans ces lieux culturels des supports audio et vidéo. J'ai donc vécu en tant que bibliothécaire de 1985 à 2010 les meilleures années de la lecture publique en France, en quelque sorte un âge d'or de la culture écrite et aussi audiovisuelle. D'Eybens à Tarare, de la Bibliothèque Centrale de Prêt de l'Isère à la Médiathèque de la Tour du Pin, j'ai donc œuvré à la conquête des lecteurs et des lectrices avec une certaine satisfaction professionnelle. Je me souviens qu'à Tarare, une petite ville à quarante kilomètres de Lyon, plus de 4 500 habitants sont venus s'inscrire en un an dans la Médiathèque... C'était un bonheur de vérifier sur place la faim des livres, des cassettes audio et de la presse dans un espace de 1200 mètres carrés sur trois étages. Je me souviens encore des gros ordinateurs sur la banque de prêt et des minitels de recherche... Pendant toutes ces années conquérantes, j'ai croisé des milliers de lecteurs et de lectrices, j'ai prêté des milliers et des milliers d'ouvrages, j'ai reçu des centaines d'enfants des écoles pour leur donner le goût de la lecture. J'ai l'impression que toutes les bibliothécaires de cette époque croyaient encore à la lecture comme une valeur, héritée des Lumières, vécue comme une libération des esprits et une émancipation individuelle. Mais dans les années 2 000 et plus, la grande révolution numérique est arrivée : l'Internet à la portée de tous. Aujourd'hui, les espaces dédiés aux CD et aux DVD n'attirent plus grand monde. Le "streaming" réduit considérablement l'emprunt de ces supports. Ne parlons même pas des sites comme Netflix et compagnie... J'emprunte parfois des CD de musique classique pour les découvrir avant de les acquérir. Mais je me sens bien seule dans ce secteur à la Médiathèque de Chambéry... Les livres tiennent encore debout, surtout les secteurs jeunesse, toujours actifs et essentiels dans toutes les bibliothèques françaises. Quand je travaillais à la Bibliothèque universitaire de Chambéry, à Jacob-Bellecombette, les prêts de livres s'effondraient chaque année. Le numérique a gagné la partie. Faut-il se désespérer de ces nouvelles pratiques de lecture ? Non, l'acte de lire est toujours là que ce soit sur papier ou sur écran. L'humanité n'a pas encore inventé la greffe du savoir et de la connaissance dans nos cerveaux ! Il faut lire et ce verbe lire, je le célèbre tous les jours ! Le rire est soi disant le propre de l'humain, je remplace rire par lire ! En attendant la disparition des bibliothèques dans cent ans, profitons un maximum de ces belles et magnifiques institutions et si une commune ose fermer une bibliothèque, je prendrai les armes... intellectuelles pour les défendre becs et ongles !