mardi 15 janvier 2019

Atelier Lectures, 3

Pour l'atelier Lectures de ce mois de janvier, j'avais proposé une bibliographie sur les journaux intimes et les récits autobiographiques dans la littérature. Je commencerai par le dernier livre de Henning Mankell, écrivain suédois, disparu en 2015. Régine a beaucoup aimé cette œuvre intimiste non chronologique. Il nous confie "ses réflexions sur des moments de sa vie, sur des personnes qui l'ont marqué, également sur l'avenir de notre civilisation". L'écrivain ne s'apitoie jamais sur lui-même mais énonce parfois des remarques sombres sur la destinée humaine : "Tout sera perdu et réduit à néant". Il évoque le rôle des livres dans sa vie : "Dans les moments difficiles, prendre un livre et m'y perdre, disparaître dans le texte a toujours été ma façon à moi d'obtenir soulagement, consolation ou, du moins un peu de répit". Régine qualifie ce beau récit de "fort, très dense, empli de réflexions qui font écho à nos propres questionnements". Pascale a lu comme Geneviève le récit, "Ecrire" de Marguerite Duras, des textes sur le "silence, l'abandon et la solitude de l'écrivaine". Elle compose ces lignes dans sa maison de Neauphle le Château, sa résidence secondaire où elle se réfugiait pour écrire. Et elle évoque son rapport à l'alcool. Des pages d'une intensité "durasienne"... Pascale a aussi apprécié "les journaux de voyage" d'Albert Camus, édités chez Folio. L'écrivain découvre New York en 1946 et note que la ville ressemble à une "foire lumineuse". Il ressent la puissance économique du pays qu'il trouve "sans humanité". En 1949, il part au Brésil où il voit la pauvreté partout. Il se sent déprimé et évoque le suicide. Seule la mer, l'océan lui procurent un apaisement intérieur. Ces journaux donnent une image différente de l'écrivain, celle d'un homme public, las des mondanités et enclin à un sentiment de solitude. Danièle aime bien Sylvain Tesson que d'autres lectrices du groupe n'apprécient pas beaucoup. Son journal, "Une très légère oscillation", raconte sa lente rééducation après une chute sévère d'un toit. Cet aventurier géographe manie l'humour, la dérision, comme dans son aphorisme relevé par Danièle : "Un fleuve bordé de saules pleureurs, est-ce une rivière de larmes ?". Il parle de sa convalescence, cloué dans un lit de l'hôpital, sans s'avouer vaincu. Sa curiosité débordante et touche à tout passe des attentats terroristes au pape, de la politique française à la littérature, des rencontres à ses escapades. Il incite ses lecteurs(trices) à jouir du moment présent, à considérer la vie comme un cadeau unique et non renouvelable… Je partage avec Danièle ma sympathie pour ce drôle de "paroissien" des lettres françaises… La suite, demain.  

lundi 14 janvier 2019

Amos Oz

Le prix Nobel a encore oublié un des plus grands écrivains de la planète : Amoz Oz. Il vient de mourir d'un cancer le 28 décembre à 79 ans. J'avais présenté cet écrivain israélien dans l'atelier Lectures et j'avais lu son plus grand chef d'œuvre, "Un histoire d'amour et des ténèbres", publié en 2003. Ce roman biographique racontait son histoire familiale si singulière. Il est né à Jérusalem d'un père, bibliothécaire et d'une mère, professeur d'histoire. Ces parents ont immigré d'Europe de l'Est dans les années 30, fuyant l'antisémitisme ambiant. L'oncle de son père fut candidat à la présidence de l'Etat d'Israël. Un drame surgit dans son enfance (il a à peine douze ans) car sa mère se suicide. Cet événement le traumatisera à vie. A l'âge de quinze ans, il rejoint un kibboutz et devient un sioniste de gauche. Il commence à écrire, se marie, donne naissance à un fils. Il quitte le kibboutz dans les années 50. Il commence à publier dans les années 60. Cette carrière dans la littérature ne l'empêche pas de participer à la Guerre des Six Jours en 1967. Il a écrit une vingtaine d'ouvrages en hébreu et près de 450 articles et essais. Dans son œuvre, il explore les êtres, leurs espoirs comme leurs désillusions, leur rapport aux autres et il se met toujours à la place d'autrui. L'amour, l'amitié, la solitude, les émotions, Amos Oz les décrypte avec une empathie totale. Il utilise le format court des nouvelles pour illustrer sa vision de la condition humaine. Ses nouvelles sont souvent reliées entre elles et forment des "romans en nouvelles". J'ai souvent comparé Amos Oz à un Tchekhov oriental. Sur le plan politique, Amos Oz s'est engagé pour la paix, pour la création de deux états, Israël et la Palestine. Il est l'un des premiers à plaider cette solution après la Guerre des Six Jours. Reconnu dans le monde entier, il a obtenu de nombreux prix : Prix Primo Levi, Prix Kafka, Prix international de Littérature, etc. Cet homme de paix et de littérature a écrit son amour des livres dans  "Une histoire d'amour et de ténèbres" : Les livres… Il y en avaient des milliers dans tous les coins de la maison. On aurait dit que les gens allaient et venaient, naissaient et mouraient, mais que les livres étaient éternels. Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis, les écrivains aussi. Mais, un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavik ou Vancouver". Je partage le même rêve que cet immense écrivain…  

vendredi 11 janvier 2019

Rubrique cinéma

Je commence bien l'année avec un bon film : "Une femme d'exception" de la réalisatrice américaine Mimi Leder. Comme j'ai gardé et je garderai la fibre féministe jusqu'à la fin des temps, j'avais envie de voir ce biopic qui raconte la vie d'une avocate, Ruth Bader Ginsburg.  Elle siège aujourd'hui, à 85 ans, à la Cour Suprême et elle est considérée comme l'une des plus grandes figures progressistes des Etats-Unis (cela nous change du président !). Dans les années 60, jeune avocate idéaliste, Ruth vient d'avoir un enfant et ne trouve aucun cabinet qui veut bien l'engager. Elle accepte une affaire fiscale avec son mari et elle comprend que sa carrière démarre. Elle prend conscience de la discrimination fondée sur le sexe. L'affaire dont elle s'occupe concerne un homme qui prend en charge sa mère très gravement malade. Il ne bénéficie d'aucune aide sociale parce que la loi stipule que ces rôles d'aidants sont occupés par des femmes. A partir de cette anecdote, l'avocate se bat avec l'aide de son mari pour faire admettre aux trois juges la discrimination dont cet homme est victime. Ce film, écrit par le propre neveu de Ruth Bader Ginsburg, a été nourri par les commentaires de la juge elle-même. Il a épluché les archives personnelles de sa tante et celles de la Bibliothèque du Congrès. La réalisatrice construit son film d'une façon classique, solide, sans effets artistiques pour valoriser le combat juridique nullement ennuyeux de l'avocate. Car cette héroïne des temps modernes a fait évoluer les mentalités et la société américaine. Dans les années 60, les femmes ne disposaient pas des droits conquis aujourd'hui après des longues luttes, des luttes pacifistes… Le couple uni et solidaire qu'elle forme avec son mari n'était pas courant à cette époque et le film s'attache à évoquer l'aspect égalitaire des relations femmes-hommes. Porté par Felicity Jones, le personnage de Ruth s'affine au fil des images et s'affirme avec force face aux injustices subies par les femmes même dans un pays démocratique. Un beau portrait de femme, une lutte juste pour des droits justes, du cinéma efficace, sans fioritures… 

jeudi 10 janvier 2019

Atelier Lectures, 2

Véronique nous a parlé du roman de Marina Carrère d'Encausse, "Une femme blessée" qu'elle a beaucoup apprécié. Fatimah, une femme kurde irakienne, victime de brûlures, se confie à son amie, Malika. Mariée de force, violée par son mari, elle attend un enfant qu'elle veut cacher tellement elle éprouve de la honte. La journaliste raconte à travers ce personnage le sort funeste des femmes dans cette société patriarcale et violente. Annette a présenté un livre de l'écrivain Francisco Coloane, "Cap Horn". Cet ouvrage, publié en 1941, conserve toute sa magie et raconte dans ses magnifiques nouvelles, ce bout du monde, nommé Patagonie, avec son climat rude, sa nature inhospitalière, ses hommes et ses femmes courageux qui vivent dans ce coin perdu et sauvage. Les critiques littéraires qualifient cet écrivain chilien, mort en 2002, de Jack London de l'Amérique du Sud. A découvrir sans tarder. Annette a même employé les termes de "gerbe de vie, feu d'artifice, communion avec la nature"... Elle a aussi mentionné un des plus beaux romans de la rentrée, celui de Jérôme Ferrari, "A son image". Si on aime la Corse, la photographie, des personnages forts, une belle écriture, il faut lire ce livre… Odile a présenté le roman documentaire d'Olivier Guez, "La disparition de Josef Mengele", prix Renaudot en 2017. Ce terrible personnage nazi arrive en Argentine en 1949. L'ancien médecin tortionnaire à Auschwitz se dissimule sous divers pseudonymes à Buenos Aires avec la bienveillance de Peron. Quand la traque des nazis reprend, il s'enfuit au Paraguay, puis au Brésil. Il meurt mystérieusement sur une plage en 1979. Pendant trente ans, il a évité son arrestation en errant de planque en planque. L'auteur décrit dans cet ouvrage un monde de ténèbres et de corruption, symbolisé par cet homme monstrueux. Ce sujet n'attire pas les lecteurs(trices) qui peinent à entrer dans cette noirceur humaine, mais il faut parfois accompagner ces écrivains éclaireurs de notre condition humaine. Cette littérature d'alerte, de décryptage des faits historiques mérite toute notre attention. Je n'ai pas encore lu ce livre et je me promets de le découvrir au plus vite. Les coups de cœur : éclectisme, diversité et reflets des goûts littéraires du groupe… 

mercredi 9 janvier 2019

Atelier Lectures, 1

L'atelier Lectures a réuni une bonne quinzaine de participantes ce mardi 8 janvier à la Maison de quartier de Chambéry. Après les traditionnels vœux, la séance a démarré avec les coups de cœur. Geneviève a découvert Jean-Paul Dubois et son dernier roman, "La succession", paru dans la collection Points Seuil. Il est question de pelote basque à Miami, d'un personnage, Paul qui sera confronté à un drôle d'héritage, cette douloureuse "succession", en fait, la malédiction du suicide. Ce livre à la fois cocasse et grave révèle tout le talent de cet écrivain français original. Danièle a mentionné "La Tâche" de Philip Roth qu'elle a beaucoup appréciée. Evelyne a évoqué un ouvrage régional de Franche-Comté, "Les rédacs de quand on était petit". ouvrage plein d'humour et de nostalgie. Janine a beaucoup aimé le deuxième tome de la saga de Karitas, "L'art de la vie" de l'écrivaine islandaise, Kristin Maria Baldursdottir.  Janelou a présenté "Idiss" de Robert Badinter, un des meilleurs livres de l'année passée, un portrait émouvant sur sa grand-mère et sur sa famille. Agnès s'est vraiment enthousiasmée pour "Avec toutes mes sympathies" d'Olivia de Lamberterie. Cet hommage paradoxalement joyeux à son frère suicidé pourrait effrayer les lecteurs(trices) mais bien au contraire, l'auteur préfère retenir les instants de vie d'une personnalité flamboyante en proie à une dépression latente. Mylène a choisi un documentaire sur la vie de Françoise Dolto, "Françoise Dolto, une journée particulière", écrit par Caroline Eliacheff, psychanalyste et pédopsychiatre. Elle évoque,  trente ans après sa mort, la clinicienne de génie, la femme d'un seul homme, la mère, la citoyenne engagée. La forme du livre, découpée en onze petits chapitres, permet une lecture facile et instructive. Françoise Dolto est un peu oubliée de nos jours et cet ouvrage remet à l'honneur cette femme exceptionnelle. Pascale offre souvent un roman de Fellag, homme de théâtre et humoriste. "L'allumeur de rêves berbères". A Alger, dans les années 90, la ville est en proie à la terreur. Zakaria, un écrivain, menacé de mort, se terre chez lui d'où il observe ses voisins et raconte des histoires graves ou rocambolesques. La suite, demain. 

mardi 8 janvier 2019

"Lèvres de pierre"

Nancy Huston a choisi pour son dernier roman, "Lèvres de pierre" un sujet difficile dans la première partie de son livre : le portrait du responsable des Khmers rouges, Pol Pot. Comment lire des pages sur ce personnage morbide et cruel ? L'écrivaine aborde ce sujet avec une question lancinante sur le devenir d'un jeune garçon cambodgien, Saloth Sâr, dont la trajectoire aboutira à un des pires génocides du XXe siècle. Dans la deuxième partie du roman, Nancy Huston évoque sa propre jeunesse en "Mad girl", l'épopée d'une jeune canadienne, attirée par une certaine radicalité féministe. La narratrice explicite cette mise en perspective de deux destins croisés : "Il n'était pas impossible que, malgré leurs dissemblances flagrantes, nos trajectoires s'éclairent l'un l'autre". Saloth Sâr, "l'Homme nuit", passe son enfance dans un village rural, intègre à neuf ans, une communauté de moines bouddhistes comme novice. Son éducation se poursuit dans une école française où il fait la connaissance troublante d'un prêtre amoureux de cet adolescent. Cet homme d'église l'initie à la littérature et à la culture française. En 1949 et grâce à une bourse d'étudiant, le jeune homme rejoint Paris pour une école de radioélectricité car ses résultats scolaires frôlent le désastre. Il noue une relation avec un neveu du roi du Cambodge qui lui fait connaître le jazz, Saint Germain des Prés, et le Paris de ces années-là. Il s'engage dans le communisme dans les années 50 et ne quittera plus cette idéologie en imposant la terreur des Khmers rouges dans son pays. Malgré ce passage à Paris, l'engagement aveugle de cet homme terrifiant fascine Nancy Huston : comment peut-il basculer dans la monstruosité inhumaine ? Elle ne donne pas de réponse et évoque son propre parcours de militante féministe. Elle emprunte un surnom, Dorrit, et raconte son parcours de femme, de l'amante d'un professeur à la lutte pour ses droits dans un Paris des années 70. Elle interroge sa radicalité politique, sa détestation des hommes dominateurs, sa découverte des idées féministes beauvoiriennes. Elle évoque avec sincérité et franchise sa mutation révolutionnaire jusqu'à sa vocation d'écrivain, de compagne et de mère de famille. Les deux parcours n'ont pourtant rien de commun mais Nancy Huston rappelle que l'aveuglement politique reste une énigme, un mystère de la personnalité humaine. Ce roman singulier, original, puissant peut déranger, troubler et bousculer les lecteurs(trices) peu familiers de l'univers "hustonien'. Ce livre mélange les destins individuels à l'Histoire, l'un sombre dans la barbarie, l'autre accède à une renaissance...

lundi 7 janvier 2019

Mes 8 meilleurs films de l'année

Je vais régulièrement à l'Astrée, une à deux fois par mois selon la programmation. J'avoue que pendant l'été, je fréquente peu les salles car je préfère profiter du soleil et de ma terrasse… De plus, (c'est peut-être un effet de mon "grand âge"), je deviens de plus en plus sélective dans mes choix, ce qui restreint la fréquentation des cinémas. J'ai quand même établi une liste de films pour 2018, des films que j'ai plus particulièrement appréciés. Sur les seize films vus, je n'en retiens que huit. Je les cite de façon chronologique :
- "3 Billboards, les panneaux de la vengeance" de Martin MacDonagh, film anglo-américain. Un portrait d'une femme, Mildred, désespérée que le crime de sa fille reste impuni. Elle part en guerre contre les policiers pour leur demander des comptes. Une actrice monumentale...
- "Call me by your name" de Luca Guadagnino. Pour l'Italie, les années 80, le charme d'une maison de famille, la torpeur de l'été, l'initiation au premier amour.
- "Plaire, aimer, courir après" de Christophe Honoré. Sur le Sida, les amours homosexuelles, la famille, l'amitié. Une réussite portée par l'excellent Vincent Lacoste. 
- "Désobéissance" de Sébastian Lelio, film américain qui retrace l'histoire d'une femme juive-orthodoxe se libérant du carcan des traditions.
- "A l'heure des souvenirs" de Ritesh Batra, film anglais avec Charlotte Rampling d'après un roman de Julian Barnes. Charmant, nostalgique, intimiste. 
- "Girl" de Lucas Dhont, film belge très émouvant sur la transsexualité. Lara veut devenir danseuse étoile. Mais, son corps de garçon ne lui obéit pas… Elle veut changer de sexe pour vivre son rêve fou. 
- "Wildlife, une saison ardente" de Paul Dano, film américain. Un jeune adolescent raconte la séparation lente de ses parents. Emouvant et délicat.
- "Bookshop", film anglais, le portrait d'une libraire dans une Angleterre des années 60. Pour la librairie, l'amour des livres, l'éloge de la littérature. 
L'année 2019 sera-t-elle pour moi une belle année cinématographique ? Réponse l'année prochaine en janvier 2020...