Je reprends les premières phrases de cette autobiographie : "Né en 1930 dans le Midi de la France, dans un milieu presque populaire, je suis professeur honoraire d'histoire romaine au Collège de France. Je me suis marié trois fois, comme Cicéron, César et Ovide. J'ai été membre du Parti communiste dans ma jeunesse et j'ai écrit des livres sur des sujets divers. Je vis depuis longtemps dans un village de Provence, au pied du mont Ventoux". Cette présentation sobre et succincte est l'œuvre d'un des plus grands historiens français, Paul Veyne. Je ne lis pas souvent des souvenirs de personnalités mais j'ai fait une exception avec ce livre rempli d'anecdotes sur sa vie personnelle, son métier d'"antiquisant", sa formation intellectuelle. Issu d'une petite bourgeoisie commerçante de Provence (son père fait fortune dans le négoce en vins), il échappe à une voie toute tracée en se consacrant à l'étude du latin et des Humanités comme on le disait dans une France d'avant... Sa passion de l'Antiquité lui vient très tôt à l'âge de huit ans, quand il découvre un petit morceau d'amphore romaine dans une colline, près de sa maison de famille. Puis, il lit Homère et sa fascination se confirme pour ce monde "aboli". Le professorat lui convient à merveille et il évoque son parcours de chercheur à l'université d'Aix en Provence, à Rome, puis au Collège de France. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas ce milieu scientifique, Paul Veyne se met vraiment à leur portée pour relater ce cheminement professionnel avec une ironie ravageuse. J'ai été aussi très intéressée par le portrait de son ami René Char. Il a par ailleurs écrit un ouvrage sur lui ("René Char en ses poèmes"). Il évoque sa vie intime et familiale avec lucidité, son militantisme communiste sans grande conviction (il quittera le Parti en 1956). Il aura traversé lui, le grand historien que l'on croit à l'abri du malheur, des événements tragiques (suicide de son fils) comme le plus commun des mortels. Malgré tout ce qu'il a vécu, Paul Veyne offre à ses lecteurs des leçons de sagesse, il nous communique son goût de la vie intellectuelle et sensible (Il adore la montagne). Son autobiographie se lit comme un roman et comme j'apprends le grec ancien, tout en suivant des cours sur la civilisation gréco-romaine, cet ouvrage ne pouvait que me plaire énormément. Et je lirai dorénavant toute l'œuvre de Paul Veyne surtout "Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?"... "Cet octogénaire à l'humour ravageur a la jeunesse dans les veines" dit un critique de Télérama. Et il a mille fois raison...
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
vendredi 26 décembre 2014
mardi 23 décembre 2014
Rubrique cinéma
Loin de la foule "consumériste" des fêtes, je me suis réfugiée dans une salle de cinéma quasi déserte. J'ai donc vu "Nos enfants" du réalisateur italien, Ivano De Matteo. Il s'est inspiré de l'excellent roman d'Herman Koch, "Le dîner". Paolo est un avocat brillant, cynique et peu scrupuleux. Il défend toutes sortes d'agresseurs sans état d'âme. Sa femme s'occupe de leur bébé dans un appartement grand luxe. Il a aussi une fille de seize ans d'un premier mariage. Son frère lui, vit son métier de médecin avec passion, compassion et empathie pour ses enfants malades. Il est marié avec une guide culturelle et leur fils Michele, âgé de seize ans, fréquente le même lycée que sa cousine. Les deux couples ont l'habitude de se voir une fois par mois dans un restaurant branché. Ils échangent des banalités et s'égratignent parfois à cause de leurs modes de vie différents. La mère du garçon tombe par hasard sur un reportage dans un journal télévisé et à sa grande stupéfaction, elle semble reconnaître son fils et sa nièce dans l'agression d'une femme SDF. La jeune fille avoue à son père avocat qu'elle est mêlée à cet événement. Les parents du jeune homme ne peuvent pas accepter l'intrusion de ce drame dans leur vie et ne réalisent pas que leur fils a complétement dérapé. L'avocat prend conscience que sa fille est habitée par une certaine cruauté mentale, et il veut la dénoncer à la justice. Il intercepte une conversation entre les deux cousins qui confirme leur comportement insensé. Quand les deux couples de parents se retrouvent au restaurant pour enfin parler de ce drame, les uns vont refuser tout recours à la justice, les autres prennent la seule décision sensée. Mais, la violence n'est pas que du côté des adolescents... Le réalisateur a voulu décrypter le mystère de l'adolescence pour les adultes, les comportements à risques, l'amour inconditionnel des parents, la lâcheté, le déni et bien d'autres problèmes au sein des familles. Un film coup de poing, très fort, vraiment intéressant sur des sujets de société, traités avec intelligence et finesse.
lundi 22 décembre 2014
"Le vrai lieu"
Il est toujours intéressant de découvrir les entretiens que les écrivains accordent à des journalistes. C'est pour ces raisons que je lis régulièrement la presse littéraire. Je viens de finir "Le vrai lieu" d'Annie Ernaux, édité chez Gallimard en 2014. Michelle Porte avait filmé cette écrivaine dans sa maison, dans sa ville à Cergy et dans sa région natale en Normandie. La réalisatrice nous a offert aussi des documentaires passionnants sur Virginia Woolf et sur Marguerite Duras. Dans cet ouvrage, Annie Ernaux évoque son enfance, sa vie d'adulte, de professeur de français, sa formation littéraire, ses liens familiaux surtout avec ses parents, car son œuvre se nourrit de ses expériences personnelles. Elle ne peut écrire que dans sa maison qu'elle habite depuis 1977 et elle a besoin de la "couleur du silence ici" pour composer ses textes. Elle apprécie particulièrement son jardin pour "sentir le passage des saisons, à voir les premières perce-neige, la première jonquille". Elle raconte sa ville, sans caractère particulier mais qui bouge sans cesse avec ses nombreux brassages de population. Son enfance à Yvetot révèle une personnalité solitaire et déjà très attirée par les livres. Le café-épicerie de ses parents, fréquenté par des gens modestes, l'amène à réfléchir sur les différences sociales qu'elle remarque très tôt. Elle se sentira "déplacée" quand elle deviendra professeur, vivant cette promotion comme une trahison de "classe". Elle écrit à la page 27 : "Cette accession au savoir s'accompagne d'une séparation. Au fond, je ne m'y résous pas, à cette séparation, c'est peut-être pour ça que j'écris." Annie Ernaux raconte avec une émotion discrète cette déchirure, fondatrice de son écriture. Elle rend un hommage à sa mère, figure autoritaire et caractérielle qui a initié sa fille à la lecture, initiation essentielle pour une future écrivaine. Ce livre d'entretiens apporte un éclairage nouveau sur des éléments biographiques que l'on retrouve dans ses romans. J'ai lu toute l'œuvre d'Annie Ernaux et je recommande en priorité "La place" sur le sentiment de décalage social et "Les Années", son meilleur ouvrage pour moi...Une formidable écrivaine à lire, à relire ou à découvrir d'urgence.
jeudi 18 décembre 2014
"Ce qui reste de nos vies"
Quand j'ai commencé à lire les premières pages du roman de l'écrivaine israélienne, Zeruya Shalev, je me suis tout de suite : quel souffle ! Elle a obtenu le prix Femina du roman étranger, honorable récompense mais, je m'étonne beaucoup que ce roman ne figure dans la liste des 20 meilleurs livres de l'année dans la revue Lire. Un oubli incompréhensible... Ce livre va toucher les lecteurs(trices) qui aiment les histoires familiales intenses et émouvantes. Le premier personnage à suivre s'appelle Hemda Horovitz. Elle est malade et se souvient de son passé, de son enfance dans un Kibboutz, entre un père exigeant, un mariage sans amour et un rôle de mère en difficulté. Sa fille aînée, Dina et son fils cadet, Avner, lui rendent visite à l'hôpital. A partir de cette situation familiale, la disparition prochaine de leur mère, Dina et Avner vont remettre leur vie en question. Dina, à la quarantaine dynamique, est professeur, mariée à un photographe de presse et vit mal la transformation de sa petite fille en adolescente qui s'éloigne d'elle. Avner, aussi, s'est très mal marié avec une femme qui au fond ne lui convient pas et par lassitude, il maintient ce lien à cause de ses deux enfants. Il est avocat des causes difficiles. Il aperçoit à l'hôpital un couple qui symbolise pour lui, l'amour parfait. Il apprend la mort de cet homme et fait tout pour retrouver cette femme. Dina souffre de l'indifférence de son mari et supporte très mal le changement de sa fille. La perte lui est insupportable et pour combler ce manque, elle prend une décision inouïe : adopter un enfant pour donner tout cet amour que sa fille ne veut plus recevoir. Elle met sa famille en question et bouleverse l'ordre des choses. Zeruya Shalev décrit avec une intensité puissante les relations affectives : entre mère et fille, entre mari et femme, entre père et fille, toute une panoplie de liens mystérieux et souvent incompréhensibles. Tous les sentiments explosent dans ce texte : la colère, la frustration, la jalousie, la peur, le ressentiment, mais aussi, l'amour, la compassion, l'amitié. Pour goûter le style du roman, je cite un passage concernant la mère de Dina : "Oui, condamnée à une vie éternelle par l'amère indifférence des siens, elle va rester allongée ici sous sa lourde couette pendant des années, verra ses enfants vieillir et ses petits-enfants devenir des adultes, car elle vient de comprendre que mourir requiert aussi des efforts, une sorte d'élan du futur défunt ou de son entourage, un acte dans lequel il faut s'impliquer, s'agiter fébrilement comme lorsqu'on prépare une fête d'anniversaire." Ce roman est un coup de cœur, radical et original, et un coup de lame tellement l'écrivaine tranche vif... Chacun peut se reconnaître dans ces personnages tourmentés, chagrinés et quelquefois, apaisés, réconciliés... Tout simplement, il ne faut pas passer à côté de Zeruya Shalev...
mardi 16 décembre 2014
Atelier d'écriture
Mylène a animé avec maestria le dernier atelier de l'année 2014. Elle nous a donné deux exercices : le premier concerne la forme du dialogue et le deuxième, l'anaphore. Elle nous a lu un texte plein d'humour de Gérard Mordillat, extrait du "Dictionnaire des papous dans la tête". Il s'agissait de construire un dialogue entre deux objets concernant Noël. Voici mon petit texte d'humeur, basé sur deux personnages : du papier-cadeau et un ruban.
Le papier : Regarde comme je suis moche. Mon patron a voulu faire des économies et cette année, je suis monochrome, vert comme le sapin et j'ai maigri tellement je suis fin.
Le ruban : Tu n'as pas de chance... Avant la crise, j'avais des compagnons plus joyeux, aux couleurs chatoyantes avec du doré, de l'argenté, ça flashait de partout, j'avais mes yeux éblouis par tant de motifs variés. J'aurais du mal à t'embellir, moi, ruban noir tout simplet.
Le papier : Vert et noir, on fera avec, mais j'ai une idée : et si on dépouillait ce sapin enguirlandé, dégoulinant de prétention, orgueilleux, prétentieux. Tu as remarqué tous ces objets ridicules qui pendouillent : des oursons, des faux cadeaux, des étoiles en tissu, des dessins naïfs, bref, des fanfreluches parasites...
Le ruban : Et, nous on est à la diète ! Quels radins, ces propriétaires ! Je vais dérober une guirlande, la plus belle de cet arbre nanti car tu manques de couleurs.
Le papier : comme tu me remontes le moral ! Un peu de solidarité dans ce monde de brutes, en ces temps de disette, nous fera du bien, et ces sapins pleins de morgue doivent partager leurs trésors. Heureusement, que cette fête ne dure qu'un jour !
Le ruban : Alors que nous, les humbles, les peu de choses, on est toujours là, de janvier à décembre pour les fêtes, les mariages, les anniversaires, on a du travail tous les jours et nous préférons notre CDD de 365 jours à un CDI d'un jour !
Pour le deuxième exercice, Mylène nous a présenté "Le petit éloge de la nuit" d'Ingrid Astier et voilà ma vision de la nuit :
Une nuit à dormir debout, une nuit à dormir couché,
Une nuit à insomnies, une nuit à l'oubli
Une nuit à attendre, une nuit à comprendre,
Une nuit à cauchemar, une nuit à espoir
Une nuit sans rêve, une nuit sans trêve,
Une nuit noire, une nuit blanche
Une nuit d'étoiles, une nuit d'éclats de lune,
et la nuit s'enfuit en laissant le jour venir...
et la nuit s'enfuit en laissant le jour venir...
lundi 15 décembre 2014
Patrick Modiano
Depuis que Patrick Modiano a reçu le Prix Nobel de littérature, il figure sur les listes des meilleures ventes en librairie. J'ai lu son discours dans le Monde du mardi 9 décembre et je ne résiste pas à mentionner quelques phrases emblématiques de ce grand écrivain français, si modeste, si hésitant et l'on ressent immédiatement une empathie à son égard. Ses maladresses d'élocution, ses doutes, ses interrogations sur la littérature, sur ses propres ouvrages font de lui un homme particulièrement attachant, authentique et proche de ses lecteurs(trices). Dans ce discours, Patrick Modiano éclaire son œuvre qui prend ses racines dans son enfance, "Je me trouvais le plus souvent loin de mes parents, chez des amis auxquels ils me confiaient et dont je ne savais rien, (...). C'est beaucoup plus tard que mon enfance m'a paru énigmatique et que j'ai essayé d'en savoir plus" . En vivant une enfance où il se sent abandonné dans un Paris de l'après-Occupation (il est né en 1945), ses romans vont devenir pour lui un ensemble d'enquêtes quasi policières pour découvrir tous ces adultes mystérieux, opaques que l'écrivain transformera en personnages romanesques. Il dit plus loin : "Cette volonté de résoudre des énigmes sans y réussir vraiment et de tenter de percer un mystère m'a donné l'envie d'écrire". Il évoque longuement le rôle essentiel de Paris dans ses romans et des bottins téléphoniques où il avait l'impression "d'avoir sous les yeux une radiographie de la ville, mais d'une ville engloutie, comme l'Atlantide, et de respirer l'odeur du temps." Et il termine son magnifique discours avec ces mots : "A cause de cette couche, de cette masse d'oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables. Mais c'est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan." Après Marcel Proust et sa recherche "éperdue" de la mémoire, Patrick Modiano et son œuvre-mosaïque mémorielle, la littérature ne peut que nous enchanter...
vendredi 12 décembre 2014
"Sauve qui peut Madrid !"
Je ne connaissais absolument pas cet auteur, Kiko Herrero, mais le titre du livre m'a convaincue de le choisir. Comme je viens de faire une escapade dans la capitale espagnole, j'avais envie de me replonger dans cette ambiance. Quand on ne trouve aucune critique dans les médias littéraires (papier et Internet), il reste une solution : aller chercher des informations précieuses chez l'éditeur de l'écrivain, la célèbre et exigeante maison, P.O.L.. J'ai donc parcouru la notice biographique de Kiko Herrero et j'ai appris qu'il était né en Espagne en 1962, s'est installé à Paris dans les années 80 et a monté une galerie d'art. "Sauve qui peut Madrid !" est son unique récit autofictionnel et dès les premières lignes, j'ai été embarquée dans cette prose fiévreuse, atypique et drôle. Les petits chapitres forment des mini-nouvelles souvent percutantes sur des événements que l'écrivain a vécus dans une Espagne franquiste des années 60. Le narrateur évoque une enfance entre un père, spécialiste des rats et une mère à la maison. Il raconte sa famille élargie, ses voisins, ses copains. Il fréquente le lycée français de Madrid où il apprend des références culturelles teintées de liberté. Et s'enchaînent à un rythme endiablé des micro-histoires drôles et pittoresques : celles de la baleine morte, de la sierra de Madrid, des forains, de la mort, de la Cruz de los Caidos, des rats et d'un gorille, d'un exhibitionniste, d'une source miraculeuse, du Caudillo, du lycée, d'un arc de triomphe, et de bien d'autres sujets saugrenus, loufoques et tous marqués par une culture à la Almodovar... Il est certain que ce type d'ouvrage concernera les lecteurs(trices) imbibé(e)s de culture espagnole. Un premier récit vraiment original, servi par une écriture électrisante. Les éditions P.O.L. proposent des livres souvent taxés de "littéraires", avec une exigence qui déroute paradoxalement les amateurs de littérature... Je crois que la curiosité est une très belle qualité pour découvrir des chemins d'écriture hors circuit médiatique...
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