Je ne pouvais pas rater le film de Paolo Sorrentino, "Parthenope", un hymne à Naples et à sa folie. Parthenope (nom d'une sirène qui voulait séduire Ulysse) symbolise la Beauté dans toutes ses dimensions et le réalisateur raconte la vie de cette jeune fille des années 50 à nos jours. Née dans une famille de la bourgeoisie napolitaine, elle vit dans un décor baroque et un oncle armateur lui offre même un carrosse de Versailles ! Après l'adolescence, elle s'intéresse à l'anthropologie et suit des études jusqu'au doctorat. Un de ses professeurs est subjugué par son intelligence et par sa culture. Leur relation maître-élève sera sa boussole intellectuelle. Sur le plan familial, Parthenope est adorée par ses parents et surtout par son frère. Il est amoureux d'elle et cet inceste non consommé le ménera au suicide. La jeune fille attire les convoitises de tous les hommes qui l'entourent : un amoureux malheureux et jaloux, un écrivain alcoolique, un cardinal lubrique, un milliardaire harceleur, des admirateurs éblouis par sa beauté. Mais, l'héroïne préfère sa liberté, son indépendance à tout autre choix. Défilent sous nos yeux ébahis des paysages merveilleux : le Vésuve, la mer, Capri, Naples, les plages, le soleil, la foule, le bruit, l'agitation permanente. Ces napolitains, saturés de vie et de folie, jouent une partition comique et tragique, dans un opéra polyphonique. Je connais Naples et j'ai retrouvé dans ce film l'essence de cette ville bouillante, bouillonnante, virevoltante. Mais, derrière cette effervescence se cache une mélancolie permanente que Parthenope illustre avec sa beauté insaississable et lointaine. Au fond, sa solitude se manifeste constamment dans ses relations avortées. Paolo Sorrentino, napolitain d'origine, restitue l'âme de la ville dans son chaos permanent. La jeune fille accepte un poste de professeur d'université à Trente, dans le Nord du pays. Quarante plus tard, elle revient à Naples, la déesse-sirène s'est transformée en femme assagie, sérieuse et apaisée loin du chaos éblouissant de sa jeunesse. La performance de Céleste Dalla Porta, la comédienne d'une très grande beauté, apporte au film un atout majeur. Un film à voir surtout par les amoureux-amoureuses de Naples et de l'Italie comme moi !
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
vendredi 4 avril 2025
jeudi 3 avril 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 2
Régine a présenté son grand coup de coeur avec un roman biographique, "Articque solaire", de Sophie Van der Linden, paru en 2024 chez Denoël. Depuis trente ans, Anna, le personnage principal du roman, passe l'hiver dans les îles Lofoten pour peindre les paysages en captant les variations de lumières : "J'ai peint tête en l'air, le regard fixé sur ces déploiements, et vécu une apothéose quand les roses et les mauves ont fait leur entrée en scène". Mariée à un célèbre architecte, elle se soustrait à la bonne société suédoise pour vivre sa peinture. Elle espère réaliser un tableau exceptionnel pour être enfin reconnue. L'autrice s'est inspirée de l'oeuvre d'Anna Boberg (1864-1935) et s'est glissée dans sa vie intérieure pour sonder ses attentes et ses ambitions. Rien que l'évocation des îles Lofoten fait déjà rêver, alors, si, en plus, une femme peintre s'intègre dans ce décor magique, les amies lectrices vont se précipiter pour lire ce roman venu du Nord de l'Europe. Mylène a bien aimé le roman de Naomi Krupitsky, "La Famille", disponible en Folio. Brooklyn, les années 30, Sofia et Antonia, voisines et amies inséparables, ont un point commun : leurs pères travaillent pour Tommy Fianzo, parrain de la mafia locale. Elles observent la vie de leurs mères soumises aux hommes du clan et se jurent de ne pas épouser des hommes oeuvrant pour la "Famille". Quand Antonia perd son père, leur amitié se fragilise et leurs rêves divergent. L'une choisira le chemin des études quand l'autre amie optera pour une vie plus facile. Ce premier roman est une histoire d'amitié féminine et aussi une exploration subtile de la mafia new-yorkaise. Une jeune romancière à suivre, dorénavant. Odile a choisi comme coup de coeur, "Les Mangeurs de nuit" de Marie Charrel, paru en Livre de Poche. Hannah, une fille d'immigrés japonais, est une Nisei. A la fois canadienne et asiatique, elle ne comprend pas que les autres enfants la traitent de "sale jaune". Jack, lui, est un creekwalker. Il veille sur la forêt et aime les légendes autochtones. Des années 20 à l'après-guerre, l'autrice raconte la rencontre de ces deux exclus dans une nature époustouflante. Une ode à la nature et à la fraternité. Voila le panorama des coups de coeur de mars. En avril, nous nous retrouverons le jeudi 24 avril autour des romans dystopiques.
mercredi 2 avril 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 1
Après la séance sur les récits et autobiographies, nous avons abordé les coups de coeur du mois. Odile a évoqué un roman, "Ultramarins" de Mariette Navaro, publié l'année dernière chez Quidam Editeur. A bord d'un cargo de marchandises, l'équipage décide de s'offrir une baignade en plein océan Atlantique. Seule, la capitaine du cargo ne participe pas à cette escapade surprenante et inhabituelle. Cette brèche dans un quotidien routinier est-elle le signe d'une révolte ? D'une dérive passagère ? Odile nous a donné envie de découvrir ce livre qualifié par un crique "d'étonnant, poétique, métaphysique". Danièle a présenté deux coups de coeur. Le premier concerne "Haïm, à la lumière d'un violon", de Gérard Garutti, publié en 2015 chez Robert Laffont. L'auteur raconte l'histoire vraie de Haïm Lipsky, qui a traversé le siècle et survécu à la Shoah grâce à son violon. Ce récit a ému Danièle, qui aime tout particulièrement la musique. Ce violon illumine les Ténèbres que cet homme traverse dans sa vie. Un hymne à la vie et à l'art. Elle a aussi choisi une nouveauté, celle de Marianne Alphant, "L'Atelier des poussières", publié chez P.O.L Quelle drôle d'idée de s'intéresser à la poussière ? L'écrivaine écrit : "Quark et suie, petits corps subtils, raclures d'atomes en pleine vitesse, poudre à priser ou de perlimpinpin, poudre Legras pour les crises d'asthme". Elle "convoque les figures de cet asservissement : valets, femmes de ménage, serviteurs". Dans ce récit original et drôle, on y croise les valets de la littérature comme Scapin ou Figaro, Sganarelle ou Cosette mais aussi les serviteurs des philosophes comme Hegel et Kant. Un éloge des humbles et des modestes. Agrégée de philosophie, Marianna Alphant est aussi critique littéraire et historienne d'art. Ses ouvrages sur Pascal, "Pascal : Tombeau pour un ordre" et sur Monet, "Monet : Cathédrale de Rouen" sont devenus des références. (La suite, demain)
mardi 1 avril 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 3
Odile a choisi le journal intime de Sandor Marai, "Journal-Les Années hongroises 1943-1948", publié au Livre de Poche. Longtemps inédit en France, ce texte éclaire l'homme et l'oeuvre que l'on compare à Stefan Zweig. Ecrivain de romans passionnants, chroniqueur, il fut aussi le témoin d'une époque sombre dans son pays. Le journal retrace la situation politique de la Hongrie sous le joug des Allemands et ensuite, sous celui des Soviétiques. Il raconte la déportation et l'extermination des Juifs de son pays, la vie politique chaotique, la fragilité de la civilisation : "Thé, viandes froides, journaux. Le refuge tiède de la civilisation. Et la conscience que ce bonheur est plus fragile encore que la tasse de thé en verre que tu portes à tes lèvres". Sandor Marai donne une place essentielle à sa vie intellectuelle très riche avec un amour total des livres et de la littérature. Tout grand écrivain est aussi un immense lecteur. Il se situe comme un citoyen ouvert, un bourgeois éclairé, aimant son pays et surtout sa langue tout en critiquant ses compatriotes lâches et veules. Il finira par s'exiler en Suisse et en Italie n'emportant que cinq livres dont l'Odyssée alors qu'il en possédait 5 000 ! Odile a trouvé ce livre très intéressant. Il faut redécouvrir cet écrivain européen de premier ordre. Odile, la deuxième amie lectrice, a présenté "Les Faits, autobiographie d'un écrivain". Elle a beaucoup aimé ce récit provoquant, profond, décalé de Philip Roth. Où se situe la vérité de cet écrivain caméléon, aussi happé par la fiction que par le réel ? L'écrivain américain propose des souvenirs d'enfance et de sa jeunesse, considérés comme la matrice de sa vocation d'écrivain : sa famille et son milieu juif à Newark, son éducation et sa formation à l'identité américaine, ses relations mouvementées avec les femmes, ses études de lettres à l'université. Un texte autobiographique essentiel dans l'oeuvre de l'écrivain à découvrir pour tous les amateurs-amatrices de son univers romanesque exceptionnel et unique dans le monde de la littérature !
vendredi 28 mars 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 2
Pascale a relu et apprécié "La Douleur" de Marguerite Duras, paru en 1985. L'écrivaine a retrouvé deux cahiers dans les armoires de sa maison à Neauphle-le-Château. Elle écrit qu'elle ne souvenait pas d'avoir rédigé ce journal intime pendant la guerre et ces pages reflètent des événements douloureux : "La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie". Le premier texte du recueil concerne le retour de son mari, Robert Antelme, prisonnier dans les camps de Buchenwald et de Dachau. Ce grand intellectuel a écrit un des ouvrages les plus importants sur les camps de concentration, "L'espèce humaine", paru en 1947. Marguerite Duras relate l'attente, l'angoisse, le chagrin d'avoir perdu les traces de son mari. Elle apprend qu'il est dans un camp de concentration et un de ses amis, le résistant, le commandant Morland va le chercher en Allemagne. Evidemment, cet ami s'appelait François Mitterrand. L'écrivaine raconte avec des détails très précis la longue guérison de son mari qu'elle n'a pas reconnu quand il est rentré. Ce retour à la vie tenait quasi d'un miracle. Marguerite Duras lui annoncera plus tard qu'elle a refait sa vie avec Dionys Mascolo avec lequel elle aura un fils. Un témoignage étonnant dans la production littéraire de l'écrivaine. Danièle a beaucoup aimé "Autobiographie de mon père" de Pierre Pachet. Ce récit de vie représente une expérience littéraire hors du commun. Un fils écrivain se met à la place de son père pour raconter sa vie. J'ai évoqué dans mon blog cet ouvrage et Danièle a retracé la biographie de cet immigré juif d'Odessa, né en 1895, venu en France quand éclate la Première Guerre mondiale. Il se marie, devient dentiste et père modèle mais secret. Comme il n'a pas parlé de son vivant, son fils dévoile la personnalité de cet homme attachant. Un hommage sensible d'un fils à son père. Pascale a aussi lu "Moi, Jean Gabin" de Goliarda Sapienza. Cette autobiographie, un véritable hymne à l'enfance, se déroule à Catane au début des années 30. La petite Goliarda aime le cinéma de son quartier et quand elle voit "Pépé le Moko", elle veut devenir Jean Gabin. Ce livre émouvant, écrit dans les dernières années de Goliarda Sapienza, est un éloge de la liberté et de l'amour de la vie. (La suite, mardi)
jeudi 27 mars 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 1
Nous étions une petite dizaine de lectrices à la Base, cet après-midi pour évoquer les ouvrages de la liste recommandée dans la première heure. J'avais choisi le thème des récits, des autobiographies et des journaux intimes dans la littérature. Odile a démarré la séance avec Chantal Thomas et son "De sable et et neige", disponible en Folio depuis 2022. L'académicienne raconte son enfance à Arcachon où s'enracine son amour de l'océan : "L'océan a une dimension tragique, cela fait partie de sa beauté, de l'effroi de sa beauté. Un pressentiment de perdition". Avec son style chatoyant, elle dresse une fresque sensuelle, intime des paysages et des souvenirs. Son père tient un rôle majeur dans cette exploration sensible de sa mémoire familiale. Un bijou littéraire à découvrir. Véronique et Odile ont choisi "Dans ma peau" de Doris Lessing, une autobiographie qu'elles ont trouvée "extraordinaire". L'écrivaine anglaise commence sa vie en Perse en 1919 entre un père mutilé par la guerre et une mère rigoriste. Elle grandit en Rhodésie où s'éveille sa sensualité et surtout le sentiment de révolte face à l'injustice sociale et à la situation des Noirs dans le pays, une société coloniale ségrégationniste. Doris Lessing rompt avec sa famille et s'installe à Londres, un manuscrit dans sa valise. Deux fois divorcée, non conformiste, derrière la militante et la femme libre, sa vocation d'écrivaine se confirme. Le deuxième tome de ses mémoires, "La Marche dans l'ombre" couvrira les années 1949-1962. Elle obtiendra le Prix Nobel de Littérature en 2007. Une immense écrivaine anglaise un peu trop oubliée de nos jours et à lire et relire. Régine a beaucoup aimé "Armen" de Jean-Pierre Abraham, reparu dans la collection de poche de Payot en 2021. Gardien de phare de Ar-Men, près de l'ïle de Sein, le narrateur de ce journal mêle les éléments marins à son goût de la solitude et des trois livres qu'il emporte avec lui : un album sur Vermeer, des poèmes de Reverdy et un ouvrage sur un monastère cistercien. Il s'active beaucoup dans ce phare pour maintenir un certain ordre mais il lui reste des moments de vide, de rêveries et de peur. Il souhaitait vivre cette expérience unique pour se chercher, se trouver, être à sa place. Régine a trouvé ce texte passionnant que j'ai analysé dans ce blog récemment. (La suite, demain)
mercredi 26 mars 2025
"Les Faits", Philip Roth, 2
L'ironie mordante et flamboyante de Philip Roth se retrouve dans la fin du récit quand il fait intervenir son alter ego romanesque, l'écrivain Nathan Zuckerman. Son double fictif commente sa tentative autobiographique en se moquant de lui : "Tstt, tstt, le revoilà dans ses problèmes de juif, on dirait". L'art littéraire de l'écrivain se manifeste sans cesse dans "l'entrelacement de toute vie avec sa narration et de toute narration avec la vie". A force de mêler le réel à la fiction et vice-versa, Zuckerman lui assène des remarques cinglantes lui conseillant de ne pas publier son texte : "Je fais l'hypothèse que, à force de te métamorphoser dans tes livres, tu n'as plus la moindre idée de qui tu es, ni même de qui tu as été. Aujourd'hui, tu n'est plus qu'un texte ambulant". L'acte d'accusation se poursuit dans des termes peu flatteurs car le double fictif de Roth dénonce le beau rôle qu'il se donne dans sa famille : "ton côté bien élévé, ton côté chic type, ton côté bon petit. Ton manuscrit macère dans le chictypisme". En fait, le contretexte de Zuckerman se transforme en psychanalyse de Philip Roth : "Ce qui te mine est aussi ce qui te nourrit, avec ton talent". Les masques de l'écrivain sont arrachées par ce dialogue quasi socratique car les deux versions de l'identité rothienne se complètent tout en s'affrontant. La question de l'autobiographie pose le problème du sujet, ce "moi" fluctuant avec "ses failles et ses effondrements", "ses glissements, ses métamorphoses". Entre la vie vécue et la vie écrite, les faits réels sont remodelés, repensés, imaginés. Ce projet d'un retour au réel s'avère une mission impossible. Comment se "rendre visible à soi-même ?" Par la vérité autobiographique ou par la fiction mensongère ? Expert en identités multiples, Philip Roth ne peut pas se limiter à un texte nu, insipide et banal sur son passé et sur la naissance de sa vocation d'écrivain. Il provoque ses lecteurs et lectrices en les bousculant constamment, et il ne leur propose pas un scénario autobiographique stable et sécurisant. Bien au contraire, la "transparence d'une personnalité" restera toujours opaque. Lire Philip Roth ressemble à un parcours chaotique mais stimulant pour la pensée. Il interroge le sens de la littérature et surtout "l'énigme de la créativité romanesque".