Un article du Monde a attiré mon attention sur "l'étonnante floraison des librairies". J'ai conservé une identité de "libraire" car dans les années 70, j'ai travaillé dans une grande librairie de Bayonne, "Le Livre", aujourd'hui disparue et un an plus tard, j'ai ouvert près du Musée basque la mienne. A l'époque, le prix du livre était libre et la concurrence avec les grandes surfaces m'a été fatale. J'ai fermé ma librairie alors que Jack Lang avait imposé la loi du prix unique du livre qui a certainement sauvé des milliers de librairies en France. Cette expérience de cinq ans m'a profondément marquée évidemment jusqu'à ma pratique du métier de bibliothécaire. Je me souviens d'avoir présenté des nouveautés sur une table dans mon premier poste à Eybens et ma collègue trouvait cela assez étrange de procéder de la sorte. J'apprécie que les bibliothèques ressemblent à des librairies et vice versa. Ce sont, au fond, des sœurs jumelles au service de la lecture, une mission qu'elles remplissent au mieux. Quand je lis dans le Monde que des jeunes quadragénaires s'engagent dans ce métier passionnant mais ô combien précaire, je ne peux que m'en féliciter. Le Centre National du livre soutient quelques initiatives sur tout le territoire. Il existe 3500 librairies indépendantes, réputées les moins rentables dans le commerce de détail avec seulement 1% de bénéfice net. Bon nombre de gérants ne se rémunèrent pas la première année (ni souvent les suivantes !). Dans la formation donnée à l'école des libraires, les formateurs préviennent les futurs libraires : des horaires larges, des colis à transporter, des clients pas toujours accommodants, des recettes parfois épisodiques. Mais, l'engouement pour ces commerces "intelligents" ne cesse de progresser. En Bretagne, onze magasins ont vu le jour, huit en Aquitaine. A Chambéry, une nouvelle librairie franco-italienne, "L'accent qui chante" est née en 2021, rue Sainte-Barbe, près de la Place Grenette, spécialisée en littérature italienne en langue originale et traduite en français. Je fais toujours l'éloge des librairies partout en France et aussi à l'étranger. Même si je ne comprends pas la langue, comme à Berlin, je visite toujours ces espaces hautement culturels et civilisationnels. Quand je pense à la période du Covid, j'étais vraiment étonnée que ces commerces ne soient pas considérés comme essentiels, une décision maladroite qui a été réparée par la suite. Les librairies restent malgré tout fragiles et il faut les soutenir en les fréquentant le plus souvent possible et en acquérant aussi de très bons livres !
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
lundi 13 mars 2023
vendredi 10 mars 2023
"Empire of Light", rubrique Cinéma
jeudi 9 mars 2023
"Le temps des féminismes", Michelle Perrot
J'ai choisi pour l'atelier Littérature du jeudi 23 mars une sélection de titres sur les femmes. Pourtant, ce sujet éternellement traité dans la production éditoriale prend une ampleur dès que le mois de mars arrive comme si c'était une rentrée littéraire particulière. Je ne pouvais pas omettre dans ma liste la pétillante Michelle Perrot, d'une élégance discrète quand elle est passée à la Grande Librairie pour parler de son dernier ouvrage, "Le temps des féminismes", publié chez Grasset en janvier dernier. Quand je l'écoute évoquer sa longue vie d'historienne, (elle est née en 1928) on ne peut qu'espérer vieillir comme elle en conservant sa curiosité culturelle intacte et son immense savoir historique. Historienne des voix longtemps muettes, elle a consacré un bel ouvrage à la classe ouvrière, "Mélancolie ouvrière" en 2012. Elle a participé à la grande "Histoire des femmes en Occident", un classique traduit dans le monde entier et universellement apprécié. D'autres titres approfondissent son travail de recherche sur les femmes comme "Les femmes ou les silences de l'histoire" en 1998 et "Histoires de chambres" en 2009. Elle déclare dans un article du Monde qu'elle veut contribuer de façon décisive à "combattre le partage inégal des traces". Pourtant, l'historienne ne dévoile rien d'elle-même comme ses collègues masculins l'ont fait dans des récits "d'égo-histoire" : "Peut-être suis-je devenue historienne pour ne pas parler de moi, voire pour ne pas y penser, parce que je trouvais que le moi, mon moi, n'avait rien d'extraordinaire". Dans son dernier ouvrage, "Le temps des féminismes", élaboré avec le journaliste Eduardo Castillo, elle reste très pudique sur sa vie privée. Les jeunes générations devraient lire ce "catalogue" sur les féminismes de ses origines à nos jours, une synthèse très claire sur la naissance du féminisme jusqu'au mouvement "Metoo". Cette remise en forme des luttes féministes montre l'éclectisme du mouvement, allant des suffragettes d'antan aux écoféministes d'aujourd'hui. Elle revient sur les pionnières : la première bachelière de France, les femmes écrivains, les scientifiques et les artistes. Ce panorama n'exclut pas les interrogations soulevées par le politique : le patriarcat, l'accession à l'égalité, les débats sur le genre, sur le corps, sur l'universalisme ou sur le differentialisme, Des femmes célèbres traversent ce texte : d'Olympe de Gouges à Hubertine Auclert, de Monique Wittig à Simone de Beauvoir. Cet ouvrage offre une bonne approche historique pour comprendre les féminismes du XIXe au XXIe siècle sans tomber dans un dogmatisme archaïque et dans un militantisme agressif.
mercredi 8 mars 2023
Le 8 Mars, Hommage national à Gisèle Halimi
Dans le cadre symbolique de la Journée internationale du droit des femmes, notre Président va rendre un hommage solennel à Gisèle Halimi, disparue en 2020. Cette femme est devenue une icône pour les féministes et sa "panthéonisation" est à l'ordre du jour même si quelques réticences perdurent. L'avocate féministe et anticolonialiste n'avait toujours pas reçu de reconnaissance officielle de la part de l'Etat. D'origine tunisienne, Gisèle Halimi est née en 1927. Elle fait des études de droit à Tunis et devient avocate à partir des années 50. Sa réputation de femme politique engagée à gauche se manifeste lors de sa défense d'une activiste militante algérienne, Djamila Boupacha. Aux côtés de Simone de Beauvoir, elle ose attaquer les méthodes brutales de l'armée française au moment de la Guerre d'Algérie. En 1971, elle signe le "Manifeste des 343" réunissant les femmes déclarant avoir avorté clandestinement. Sa lutte pour la loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) se concrétisera en 1975 grâce à Simone Veil. Une deuxième loi, celle qui définit l'attentat à la pudeur et le viol, sera votée en 1980. Le viol est dorénavant considéré comme un crime alors qu'il était traité comme un délit ! L'avocate, proche de François Mitterrand, devient députée socialiste en 1981. Elle milite pour la parité hommes-femmes en politique et occupera des fonctions à l'UNESCO et à l'ONU. Européenne convaincue, elle voulait étendre les droits des femmes à l'ensemble des citoyennes de chaque pays membre de l'Union européenne. Pour mieux connaître cette féministe emblématique, il suffit de lire ses récits autobiographiques : "Le lait de l'oranger", "Fritna", "Ne vous résignez jamais". Je me demande si la jeunesse d'aujourd'hui connait son itinéraire exemplaire. L'hommage rendu par notre Président se révèle donc nécessaire. Il a annoncé dans son discours l'inscription de l'IVG dans la Constitution pour rendre cette liberté intouchable. Une belle conquête républicaine. Je me souviens d'un slogan très marquant des luttes féministes : "Mon corps m'appartient". On pourrait ajouter : "mon esprit m'appartient, ma vie m'appartient", etc. Cette journée symbole pour parler des femmes et du féminisme dans les médias me semble importante et pour ma part, je pense aux femmes Afghanes, interdites d'école, interdites de vie, victimes d'un patriarcat islamiste odieux et horrible. Restons vigilantes !
mardi 7 mars 2023
Escapade à Biarritz, 2
Chaque fois que je visite une ville, un reflexe me taquine toujours l'esprit : la place de la littérature sous la forme des librairies, des bibliothèques, des centres culturels. Et à Biarritz, où se niche l'âme littéraire ? Evidemment à la Médiathèque, un vaisseau des livres, d'images et du son, un bâtiment tout en bois et en verre ouvert à tous à un prix modique. La mairie propose aussi un parcours fléché sur dix citations éparpillées dans divers quartiers et inscrites sur des lieux totémiques. La première, signée de Sarah Bernhardt, que j'ai aperçue se situe sur la promenade de la Grande Plage : "La vie est courte même pour ceux qui vivent longtemps". La seconde est inscrite sur la façade de la splendide Médiathèque, signée de Victor Hugo : "Savoir, penser, rêver. Tout est là". Slogan humaniste d'un grand Sage de l'humanité. Puis, dans mes balades quotidiennes, j'ai débusqué celle de Debussy sur le kiosque de la Place Sainte-Eugénie : "N'écoute les conseils de personne, sinon du vent qui passe et nous raconte les histoires du monde ". Au Rocher de la Vierge, écoutons cette sentence de Madeleine Vionnet, "Il faut toujours se dépasser pour s'atteindre". Sur la Côtes des Basques, Marguerite Duras, la grande amoureuse des mots, a susurré : "S'il n'y avait ni l'amour, ni la mer, personne n'écrirait des livres". En montant les marches vers les Halles, j'ai lu celle de Louis Guillaume : "Où la voix dira le mot, la vie recommencera". Sur le sol de la Gare de Midi, le théâtre de la ville, une phrase de Romy Schneider à retenir : "L'envie est plus forte que la peur". Et aussi, en langue basque, une langue étrange et unique, cette belle phrase sibylline de Manex Erdozaintzi-Etxart : "Izadian eta Gizadian - Ixiltasuneam bezala elhean - Bihotzek elgarri". Il faut prononcer cette citation et la traduire ensuite : "Dans la nature et l'humanité - comme le silence dans le silence - les cœurs sont nourris". Les deux dernières : "Un secret a toujours la forme d'une oreille" de Jean Cocteau et "La couleur comme les odeurs se mêlent étroitement, effaçant par leur forme, les formes" de Gina Pan. C'est amusant de se déplacer en traquant ces citations bien choisies comme une chasse aux trésors littéraires. Comme j'ai réservé ce billet à ce jeu de lettres, voici ma dernière trouvaille, celle du slogan de la ville en latin : "Aura Sidus Mare adjuvant me" ou en français : "J'ai pour moi les vents, les astres et la mer". Je fais mienne cette maxime que j'ai bien pratiquée en haut de mon balcon sur l'océan. Et ces citations qui jalonnaient mes balades quotidiennes, je les relisais avec un grand plaisir et les apprenaient par cœur !
lundi 6 mars 2023
Escapade à Biarritz, 1
Je viens de passer un séjour à Biarritz avec un froid ensoleillé, inhabituel pour la Côte basque. Car, je ressentais trop le manque de l'océan et je retrouve régulièrement aussi mes racines familiales dans ce si beau coin de France. Ma location provisoire d'un studio au sommet d'un grand immeuble face à la Grande Plage m'a procuré un "sentiment océanique" salvateur et je m'imaginais telle une gardienne de phare face à ce panorama sublime entre l'Hôtel du Palais et le Rocher de la Vierge. Devant mes yeux sans cesse à l'affût, l'océan s'agitait, gigotait, bougeait, se prélassait sur la Grande Plage. Le soir, les couchers de soleil transformaient le paysage en toile de Turner. Je me sentais toute petite face à ce panorama de vagues somptueuses. Regarder l'océan pendant des heures ressemble à un exercice de contemplation, une contemplation de plénitude sereine. Quel délice de déambuler le long des plages mythiques, du Miramar à la Côte des Basques, en passant par le port des pêcheurs ! Dès le matin, je ne croisais que quelques propriétaires de chiens et des sportifs locaux. En me promenant, j'ai discuté avec un pêcheur dans le port où les maisonnettes appelées crampottes n'ont pas changé depuis des décennies. Il venait d'attraper avec son bateau des maquereaux et des aloses. Il m'a offert deux poissons pour mon repas de midi ! Il règne une atmosphère paisible, charmante quelque soit le lieu où l'on se trouve. La beauté de la cité basque apaise et console. Les atouts de Biarritz : un air iodé en permanence, des mouettes dansant le fandango local dans un ciel bleuté, des surfeurs traversant les rues avec leurs belles planches sous le bras comme de bizarres extraterrestres, vouant un culte particulier aux vagues. Dans cette ville si particulière, la nature et la culture se mêlent à merveille et je m'arrêtais souvent dans le Bookstore, la librairie de la Place Clémenceau que je fréquente depuis les années 70. Le matin, sur la Grande Plage, un bulldozer de la mairie ramène le sable en amont car les vagues éloignent cet élément vers le large et sans sable, pas de plage. Ce travail de Sisyphe, éternellement recommencé, montre bien la puissance de l'océan et l'acharnement des humains pour préserver un lieu mouvant. Je sais que Biarritz possède un côté blingbling, un goût du kitsch basque, avec ses boutiques de mode, ses restaurants chichiteux et ses soirées mondaines. Il existe aussi l'énergie vitaliste des vagues, la présence solide des rochers près du rivage, le port confidentiel et caché des pêcheurs, la valse incessante des mouettes rieuses, l'attente des surfeurs et surfeuses en quête d'un bon rouleau, la gentillesse attentive des Biarrots, un air salé et revigorant. Biarritz, une ville élégante, légère, énergisante, ma deuxième Ithaque.
vendredi 24 février 2023
Atelier Littérature, 2
Danièle était particulièrement émue en évoquant un des textes autobiographiques de Colette, "La Treille Muscate", intégré dans un recueil, "Prisons et Paradis", publié en 1932. Les parents de Danièle prenaient leurs vacances près de la résidence de Colette. Cette lecture a donc réactivé des souvenirs familiaux imprégnés de nostalgie heureuse. En 1925, l'écrivaine tombe amoureuse de cette maison dans le golfe de Saint-Tropez et pendant treize ans, elle viendra passer ses étés dans ce paradis enchanteur, accompagnée de son mari, Maurice Goudeket : "Je dormais le mistral dans les cheveux. Des chouettes dialoguaient dans les pins, avant minuit, et le brasier des criquets ne se taisait qu'après elles. Quel songe valut l'heure d'insomnie qui me donnait en partage, à moi seule, avant le lever du jour, la Méditerranée endormie". Pour tous les amoureux de la Provence, ce texte court et lumineux sent la lavande. Odile a beaucoup aimé "La naissance du jour", paru en 1928. Ecrit à la première personne, ce récit romanesque entrelace un bilan (la narratrice a 55 ans) avec des réflexions sur sa mère Sido, un séjour à Saint-Tropez, mais aussi une intrigue amoureuse entre un jeune voisin, Vial, et Hélène, attirée par Vial, une jeune femme peintre, amie de Colette. Vial est amoureux de l'écrivaine mais elle influence le jeune homme pour qu'il se rapproche d'Hélène. A la fin du récit, Colette semble renoncer et prend acte d'une sérénité retrouvée : "Des pêches, oubliées dans une coupe, se rappelèrent à moi par leur parfum suri ; l'une d'elles, où je mordis, rouvrit à ma faim et à ma soif le monde matériel, sphérique, bondé de saveurs". Avec Colette, tout est célébration de la "chair du monde". Régine a présenté un recueil de vingt-deux nouvelles, "La Femme cachée". Nombre d'entre elles ont pour héroïnes des femmes à la recherche de leur identité. Dans un bal masqué, un mari reconnait sa femme qui avait refusé de l'accompagner. Elle le séduit et le provoque. Il ne la reconnaît plus. Régine a préféré la nouvelle, "La main". Une jeune femme découvre soudain le caractère "monstrueux" de la main de l'homme qui dort auprès d'elle. Colette romancière, Colette nouvelliste, essayiste, journaliste, comédienne, mime, artiste, et on peut ajouter esthéticienne un temps, présidente de l'Académie Goncourt, pianiste, et dans sa vie privée, fille, mère, amante, épouse, amie, et encore, jardinière, cuisinière, brodeuse, collectionneuse de sulfures, de livres, d'estampes. Une femme heureuse, une femme malheureuse, un esprit de jeunesse éternelle, une femme d'une créativité exceptionnelle qui proclamait "Toute ma peau a une âme". Pour terminer l'atelier, chacune a relevé un mot particulièrement original. J'ai retenu : apophtegme, bâcleuse, créosote, fredon, simplesse, rossarde, hamadryade, casaquin, bonheur-du-jour, comestiqué, doguine. Pour conclure, il faut lire et relire Colette, notre "star" littéraire la plus photographiée du XXe. Dans l'univers féminin et félin de Colette, j'aime sa prose poétique, ses images fulgurantes, ses rêveries sur la nature et sur les animaux, ses méandres ambigus sur l'amour pluriel, ses personnages touchants, et je savoure au fil des mots son goût de la vie, teinté parfois d'une ironie narquoise et espiègle. Claudine, Renée, Missy, Julie, Annie, Marguerite, Polaire et tant d'autres femmes magnifiques et vivaces traversent avec une beauté sans égale son œuvre multiforme. Pour ma part, mes relectures à quelques décennies de distance m'ont réconciliée et pour longtemps avec cette grande dame des Lettres françaises.