lundi 13 janvier 2020

Mes dix meilleurs récits et essais, 2

Je poursuis ma liste des dix meilleurs récits et essais. En août, j'ai vraiment beaucoup apprécié l'essai de Lydie Salvayre, "Marcher jusqu'au soir". Avec une humeur ironique et joyeuse, l'écrivaine a écrit son journal de bord après avoir accepté de passer une nuit au musée Picasso pour questionner le milieu artistique et ses institutions. Elle évoque aussi son enfance pauvre et son père violent qu'elle redoutait. Un récit attachant et comme j'aime les musées, je me suis retrouvée dans ses interrogations sur l'art. En septembre, je ne pouvais qu'apprécier le livre d'Andrea Marcolongo, jeune auteur helléniste d'un  manifeste pour le grec ancien : "La langue géniale, 9 bonnes raisons d'aimer le grec". Elle récidive son chant d'amour pour la Grèce ancienne avec "La part du héros, le mythe des Argonautes et le courage d'aimer". Que nous dit-elle dans cet ouvrage : il faut savoir larguer les amarres, être héros de sa propre vie, accepter de souffrir pour apprendre, oser sans trahir, avoir le courage d'aimer. Les mythes antiques revisités par Andrea Marcolongo ne cessent de parler aux humains de tous les temps. En octobre, comment ne pas choisir le dernier récit de Sylvain Tesson, "La panthère des neiges" ? Une ode à la nature sauvage, un mea culpa sur sa vie d'agité compulsif avant la rencontre avec sa panthère, un éloge du silence, de l'affût, de la contemplation. Un ouvrage dépaysant, rafraîchissant à lire pour s'évader de l'actualité toujours démoralisante. Une pause sereine au milieu d'une nature où les panthères sont encore reines. En novembre, j'ai lu avec émotion le récit de Riss, le directeur de Charlie Hebdo, "Une minute 49 secondes", le temps de l'attentat où les terroristes islamistes ont assassiné l'équipe du journal. Ce texte autobiographique deviendra un des témoignages les plus forts sur cette déflagration sociétale concernant la liberté d'expression, une des conquêtes les plus belles de la démocratie occidentale. En décembre, j'ai retrouvé avec un grand plaisir Jean Giono dans la biographie d'Emmanuelle Lambert, "Giono furioso". Cet essai très enlevé sur cet écrivain mal connu et un peu oublié aujourd'hui m'a permis de découvrir une de ses œuvres : "Jean le Bleu" que je n'avais pas encore lu… Un pur joyau de style, une Provence rugueuse, un portrait attachant de son père. Mes dix meilleurs récits et essais montrent ma insatiable curiosité pour la littérature, l'art, la marche du monde et les voyages. Je me rends compte que la lecture des récits non fictifs commence presque à empiéter sur les romans… 

jeudi 9 janvier 2020

Mes dix meilleurs récits et essais, 1

En détaillant ma liste de lectures, je me rends compte que je lis de plus en plus d'ouvrages qui ne relèvent pas de la fiction. Dans la journée, je lis plutôt des essais et le soir, je me berce avec un roman. Je renouvelle la forme de mes coups de cœur de janvier à décembre en évoquant des essais, des récits, des ouvrages de référence, de philosophie. En janvier, j'ai beaucoup aimé "Gaspard de la nuit" de la philosophe Elisabeth de Fontenay. Elle évoque son frère handicapé déjà âgé et lui déclare dans ce texte un amour familial, teinté de douleur. La philosophe cherche à déchiffrer ses trop rares messages, tente l'impossible compréhension d'un frère autiste. Un récit rare et émouvant, surprenant de la part de cette grande philosophe, spécialiste de Diderot. En février, j'ai lu avec intérêt la biographie de Laure Adler sur Simone Weil, la philosophe mystique. Pour comprendre un peu mieux la pensée complexe des philosophes, je lis en amont une biographie, une porte d'entrée moins intimidante que leurs textes. En mars, j'ai été conquise par un écrivain peu connu, Jean Mattern, pour "La perte et autres petits bonheurs". Il évoque un archéologue à Pompéi et le mirage de l'amour, Freud, sa propre psychanalyse, ses pertes et ses deuils, un bilan de vie. En avril, je n'hésite pas à proposer mon plus grand coup de cœur de l'année dans la catégorie "essais" : l'ouvrage de Yannick Haenel, "Solitude Caravage". Comme j'aime l'Italie, ce peintre maudit, la création littéraire, la littérature, ce texte m'a vraiment marquée et je le relirai sans aucun doute. En mai, je me suis intéressée au thème de l'effondrement en découvrant "Le mal qui vient" de Pierre-Henri Castel, philosophe, historien des sciences et psychanalyste. Il constate que l'humanité se trouve au pied du mur. La tentation du pire anime déjà ceux qui savent la fin des temps possible. Un essai pessimiste mais peut-être d'une lucidité éclairante. En juin, encore un document sur la collapsologie, "Comment tout peut s'effondrer" de Pablo Servigne. Ce livre analyse tous les indices des faits provoqués par le réchauffement climatique, l'épuisement des énergies fossiles, la disparition des espèces animales, etc. Si le moral est moyen, je conseille de ne pas lire cet ouvrage… En juillet, je me suis réconciliée avec la légèreté d'être en lisant "Venise à double tour" de Jean-Paul Kaufmann. Ce voyage initiatique dans cette ville aquatique et mélancolique met l'accent sur les églises abandonnées, délaissées et oubliées. Cette évocation d'une Venise au bord de l'effondrement rend la cité des Doges encore plus précieuse, plus émouvante, plus désirante. La suite, demain. 

mardi 7 janvier 2020

Mes dix meilleurs romans de 2019, 2

Le mois d'août est toujours un temps fort pour la lecture où j'ai lu une majorité de romans,  j'ai préféré "La salle de bal" d'Anna Hope. Cette romancière anglaise prend la relève littéraire après Doris Lessing, Anita Brookner, Penelope Lively et bien d'autres magiciennes britanniques. Elle raconte le sort de ces pauvres femmes, enfermées dans des asiles pour des raisons dérisoires. Une improbable histoire d'amour naît entre un pensionnaire masculin et l'héroïne du récit. En septembre, la rentrée littéraire est un rendez-vous incontournable pour découvrir les nouveautés qui vont rythmer l'automne jusqu'aux prix. Dans les parutions de la rentrée, j'ai surtout retenu "Les choses humaines" de Karine Tuil qui méritait le prix Goncourt. Après le mouvement "Me Too" qui dénonçait l'harcèlement sexuel après l'affaire Weinstein, l'écrivaine s'est saisie d'un fait divers aux Etats Unis : un viol perpétré par un étudiant qui ne semble pas mesurer la portée criminelle de son acte. Ce roman dense, percutant, social évoque ce sujet délicat et universel. En octobre, j'ai redécouvert Marie-Hélène Lafon avec "Joseph" et "Pays". Son monde paysan du Cantal est décrit avec un style ciselé, aux accents flaubertiens. Son œuvre, influencée par Pierre Michon et par Pierre Bergougnioux, s'installe définitivement dans le panorama de la littérature française. En novembre, je n'ai aucun doute sur mon choix : "Car la nuit approche" de l'écrivaine néerlandaise, Anna Enquist. Ce très beau roman constitue la suite de "Quatuor". Quatre amis musiciens composent un quatuor amical. Ils vont vivre un agression violente traumatisante ensemble. Mais, chaque membre du quatuor ne réagit de la même façon. La "nuit approche" pour un des personnages du groupe, Caroline, qui va chercher en Chine, une raison de survivre. L'irruption de la violence aveugle au sein d'une communauté amicale remet tout en question. En décembre, j'ai vécu une belle surprise en choisissant par hasard "Un monde sans rivage" d'Hélène Gaudy. Une vraie découverte pour ce livre pris par hasard sur la table des nouveautés de la Médiathèque. Grâce à l'imagination fantastique d'Hélène Gaudy, j'ai partagé l'aventure arctique de ces trois scientifiques perdus sur la Banquise. J'ai senti la détresse de ces hommes perdus, seuls au monde, d'un courage surhumain. Ils savaient peut-être qu'ils ne s'en sortiraient pas et pourtant, ils ont lutté pour leur survie. Voila pour mes dix meilleurs romans de l'année dernière. Je n'ai pas respecté la parité hommes-femmes car j'ai proposé huit femmes et deux hommes… Tant mieux, la qualité littéraire change de camp ! La littérature n'est ni égalitaire, ni paritaire… On dit que la majorité des lecteurs sont des femmes et je me suis retrouvée peut-être davantage dans un monde décrit par elles… 

lundi 6 janvier 2020

Mes dix meilleurs romans de 2019, 1

L'an 2019 s'en est allé, bonjour 2020. Le temps des bilans est arrivé. Voila mes dix romans préférés en 2019 dans l'ordre chronologique de janvier à décembre. Je ne préfère pas établir un classement préférentiel car mes coups de cœur ne se mesurent pas d'excellent à médiocre. Les titres que j'indique ont surnagé dans ma mémoire (parfois encombrée par les années…) et m'ont laissé un souvenir indélébile. En janvier, j'ai choisi le roman de Michel Houellebecq, "Serotonine". Même si j'ai préféré "Soumission", cet ouvrage prophétique évoque l'esprit du temps avec la rébellion d'un agriculteur ruiné, la recherche de l'amour, le mal-être du narrateur, la solitude contemporaine, la sexualité tarifiée, la violence sociale. Même si on n'est pas attiré par l'univers un peu glauque de ce grand contemporain, je recommande évidemment la lecture de toute son œuvre. En février, une des nouveautés de la rentrée m'a beaucoup intéressée : "Chien-loup" de Serge Joncour qui se lit d'une traite. Retour à la nature d'urbains fatigués, une légende rurale, un secret familial, des personnages gionesques. En mars, j'ai redécouvert avec admiration les récits autofictionnels de Jean Rouaud avec "Kiosque", "Misère du roman", "Une façon de chanter", "Un peu la guerre". A mes yeux, un écrivain majeur d'aujourd'hui, un Proust des classes modestes, un monde perdu et retrouvé grâce à la fée littérature. En avril, j'ai beaucoup aimé "Une amie de la famille" de Jean Marie Laclavetine. La noyade de la sœur du narrateur a provoqué un séisme familial et cette jeune femme était devenue une amie pour nier sa disparition. Un beau récit sur le deuil et la résilience. En mai, je n'hésite pas à rappeler l'extraordinaire saga d'Elena Ferrante, "L'amie prodigieuse" en quatre tomes et j'ai lu "L'enfant perdu" avec un très grand plaisir et aussi avec nostalgie, le dernier volume. A lire absolument ne serait-ce que pour l'Italie. En juin, "La danse du temps" d'Anne Tyler a confirmé mon intérêt pour cette romancière américaine, spécialiste de beaux portraits féminins en pleine crise existentielle. Elle analyse finement les couples vieillissants, les relations familiales, la classe moyenne américaine. En juillet, j'ai succombé au charme d'une écrivaine italienne, Goliarda Sapienza. J'avais lu le magnifique "L'art de la joie" et j'ai lu ses récits autobiographiques : "L"université de Rebibbia" et "Les certitudes du doute" où elle raconte son passage en prison et le retour à la liberté. La solidarité féminine n'est pas un vain mot pour cette sicilienne volcanique. La suite, demain. 

vendredi 3 janvier 2020

Eloge éternel de la lecture

Comme tous les ans, je reviens sur mes lectures. Je n'ose pas dire le nombre de livres que j'ai lus (une belle centaine et plus…) car je sens que c'est une anomalie dans ce monde contemporain où cette activité n'est pas toujours considérée comme un mode de vie souhaitable. Et pourtant, j'ai appris que les livres poursuivaient leur belle vie tranquille dans les librairies et dans les bibliothèques. Les Français les ont placés en tête des cadeaux offerts à Noël. Ce constat me tient chaud au cœur. Je n'ai jamais raconté la cause profonde de ma passion des livres. Elle est née dans mon enfance assez tardive, vers neuf ans, quand j'ai commencé à dévorer les "illustrés" que j'achetais dans un bureau de tabac, proche du bar-café de mes parents au Boucau, près de Bayonne. Quand je vois la richesse de la littérature jeunesse depuis quarante ans, je suis ravie que les enfants découvrent le plaisir de lire pratiquement dès leur naissance… Mes parents, très occupés par leur travail (un esclavage à l'époque avec quinze heures par jour), ne nous racontaient pas d'histoires pour nous endormir et ne nous lisaient pas des albums, faute de temps. Loin de vivre ce manque comme un traumatisme, je comprenais parfaitement la non-disponibilité parentale et jamais, non jamais, je n'ai voulu leur reprocher leur attitude. Il faut dire qu'à cette époque, je me demande quels étaient les enfants qui ont vraiment bénéficié de cette attention dans les années 50.  Il fallait découvrir par soi-même le goût de lire. Je suis donc tombée dans l'océan de papier quand j'ai souffert d'une maladie (un souffle au cœur) qui m'a bloquée au lit pendant trois mois à l'âge de onze ans. Mon adorable mère a joué un rôle majeur en m'achetant toute la collection verte d'Hachette en particulier tous les Jules Verne. Un livre par jour (pas de télé à l'époque…) et la passion de lire m'a guérie et ne m'a jamais quittée. Le livre de poche, étant né dans les années 50, a permis une démocratisation culturelle extraordinaire. Je les ai dévorés avec gourmandise. Si je les avais gardés, je devrais acheter un château pour tapisser les murs avec tous ces exemplaires… Hélas, ma vie professionnelle de bibliothécaire a impliqué des changements de lieu et n'a pas favorisé l'agrandissement permanent de ma bibliothèque. Je le regrette un peu mais il faut bien faire du vide. Pourtant, chaque ouvrage que j'ai tenu dans mes mains, pouvait à mes yeux se transformer en madeleine de Proust. La mémoire engrange d'innombrables images où la lecture prend toute sa place. J'ai lu tout Balzac quand j'étais dans ma chambre de lycéenne studieuse. J'ai découvert Proust avec une émotion incroyable dans cette petite maison de Salies de Béarn. J'ai dévoré mes écrivaines féministes à Bayonne dans ma librairie entre deux clients. J'ai savouré des recueils de poèmes sur les plages basques. Un lieu, un livre, une émotion. Et on dit que lire n'est pas vivre… Mon éloge éternel et sempiternel de la lecture est peut-être une rengaine,  mais j'assume parfaitement cette passion. En ce début d'année 2020, une deuxième rentrée littéraire prend forme et je me réjouis de découvrir de nouveaux talents littéraires et de poursuivre mon compagnonnage avec les "anciens"... 

jeudi 2 janvier 2020

"Un monde sans rivage"

Hélène Gaudy a publié cet automne un très beau récit, "Un monde sans rivage", aux éditions Actes Sud. L'écrivaine raconte qu'elle est tombée par hasard sur cette histoire dans un musée de Copenhague. En juillet 1897, trois explorateurs s'envolaient dans un ballon à hydrogène pour découvrir et photographier le Pôle Nord. Trois mois plus tard, ils n'ont plus donné de nouvelles. Ils s'appelaient Nils Strinberg, Knut Fraenkel et Salomon August Andrée et entraient dans la légende du pays : "De ces trois hommes, l'absence avait fait des créatures mythiques, pirates fantômes, marins engloutis dont les spectres ne cessaient de sillonner les mers". En 1930, on retrouva par hasard leurs restes, des pellicules photographiques encore exploitables, du matériel divers et un journal tenu par l'un d'entre eux. Cette découverte inouïe a permis de comprendre leur errance sur cet espace sans fin, ce "monde sans rivage". Les corps ont été autopsiés et les scientifiques ont essayé pendant des années de comprendre les raisons de leur échec. A partir des photographies récupérées, l'écrivaine se saisit de cette aventure scientifique fascinante pour raconter ce périple aventureux et dangereux. Les trois hommes deviennent des personnages fictifs et pourtant bien réels. Elle leur invente une vie, un caractère, une mission, des amours, des amitiés. Pourquoi ont-ils erré sans trouver une issue dans ce monde blanc et glacial ? Ils poursuivaient leur projet scientifique en ramassant du plancton, des algues, des feuilles prises dans la glace. Leur passion pour le Pôle Nord réclamait un mental de fer dans ce milieu effrayant où la neige et la glace les engloutissaient sans cesse. Ils se nourrissaient en chassant les ours, marchaient sans cesse, s'abritaient comme ils le pouvaient. Ils étaient trompés par la banquise instable, par le brouillard épais les éloignant de la terre ferme. Ils incarnent à eux trois, l'insatiable curiosité humaine, une raison de vivre (et de mourir) pour la science de l'époque. Cet ouvrage d'une écriture dense, poétique, précise évoque l'épopée humaine avec ses victoires et surtout ses échecs. Hélène Gaudy écrit : "Rien n'a changé depuis leur disparition : il faut percer les mystères, inventer des vies, chercher au fond des mers les boîtes noires englouties, et il faut être nombreux pour le faire, une autre chaîne, qui ne s'élève pas vers le ciel mais creuse dans les profondeurs, une chaîne souterraine, faite de scientifiques, d'internautes, d'écrivains, de curieux qui trouvent dans l'enquête un moyen détourné de fouiller en eux-mêmes, de gratter là où ils ne savaient pas qu'il y avait eu une plaie". Un roman original, d'une belle écriture, d'une dimension universelle et qui comblera les amateurs du Pôle Nord, de l'aventure arctique, des ours blancs et d'une catégorie d'hommes hors du commun. A découvrir sans tarder. 

mercredi 1 janvier 2020

"La part du fils"

Jean-Luc Coatalem s'est longtemps penché dans ses livres sur les destins dits exotiques. Gauguin et Segalen le fascinent car ces artistes sont "dévorés par l'inconnu". Dans sa propre vie, l'ombre de son grand-père a surgi dans sa vie et il raconte cette histoire familiale dans "La part du fils" qui a obtenu le prix Giono. Son récit évoque Paol, cet aïeul disparu sous l'Occupation. Il a été arrêté dans son travail et déporté aussitôt sans motif apparent. Son père, ses oncles et sa famille ne parlaient jamais de cet homme, installant un creux, un vide, un manque. Paol, né en 1894, héros de la Première Guerre Mondiale et ancien officier colonial, s'est installé en Bretagne dans un petit village du Finistère. Son petit-fils mène une enquête exhaustive sur cet homme fantôme et cette absence le hante : "Je ne l'ai pas connu. Parti trop tôt, trop vite, comme si le destin l'avait pressé. Mais il nous reste sa Bretagne à lui qui est devenue la nôtre". Son père, Pierre, avait douze ans quand Paol a été arrêté en 1943. L'écrivain imagine la vie de son grand-père emprisonné à Brest. Il comprend mieux son propre père, tétanisé par cette disparition brutale : "Je comprenais la peine énorme de mon père. Il s'était forgé avec elle, il avait dû composer avec cette déflagration originelle". Cette souffrance paternelle a rebondi sur celle de l'auteur et cette tentative d'éclaircissement devient une thérapie : "Ce poids de mémoire close était devenu le mien. J'en restais meurtri, dépossédé de ma propre histoire. Qu'aurais-je pu faire sinon la remonter, l'éclaircir et la raconter ? Ecrire comme un travail de deuil. Une effraction et une floraison. Une respiration entre deux apnées". Jean-Luc Coatalem reconstruit la vie de son grand-père en Indochine, se demande quels étaient ses goûts, ses lectures, ses rêves. Il est ce petit-fils transformé en "archéologue". Ce défi biographique s'installe dans le récit au fil de son enquête, submergée par l'émotion. Il part à la recherche de la moindre trace que son grand-père a laissée dans le passé. Son enquête minutieuse, obsessionnelle, précise l'emmène dans les Archives départementales où l'arrestation est bien consignée au motif "inconnu". Il s'intéresse à son oncle, Ronan, un résistant de la première heure et au passé sulfureux dans le contre-espionnage. Le narrateur ne néglige aucune piste, recherche des témoins, se rend dans la caserne qui a servi de camp, part en Allemagne visiter le camp de Dora. Ce récit autobiographique redonne vie à ce grand-père magnifique. Le petit-fils découvre la raison de son arrestation et je n'en dévoilerai pas le contenu pour garder le mystère de sa disparition. Dans chaque famille, plane souvent un aïeul injustement inconnu, oublié, mort trop jeune. Jean-Luc Coatalem a offert à cet homme une deuxième vie, littéraire évidemment, mais essentielle pour rendre justice.