L'acteur américain, Paul Dano, est passé derrière la caméra pour réaliser un film intimiste et sensible, "Wildlife". Un jeune adolescent, Joe, observe avec une lucidité d'adulte, l'effondrement de sa famille. Dans ces années 60 aux Etats-Unis, la famille nucléaire idéale commence à se fissurer. Le père de Joe travaille dans un centre de golf. Il se fait licencier car son patron estime qu'il est trop familier avec les clients. Il n'accepte pas ce licenciement injuste, abusif et cet incident le tourmente. Il cherche du travail et commence à s'adonner à l'alcool. La mère s'occupe du foyer, mais elle profite du chômage de son mari pour s'émanciper. Comme le père de Joe se sent humilié, il rejette la proposition du centre de golf qui voulait le reprendre. Il trouve alors le moyen de fuir son foyer en allant combattre les feux de forêt dans la montagne. En abandonnant femme et enfant, il choisit sa liberté. Joe se retrouve seul avec sa mère et comprend que ses parents, en fait, ne se supportent plus. Elle fait la connaissance d'un client à qui elle apprend la natation et noue une relation sexuelle avec cet homme âgé et riche. Joe contemple la conduite maternelle avec un certain effroi. Pour lui, l'enfance se termine dans un certain chaos familial. Son père revient de ses montagnes et sa femme lui annonce qu'elle le quitte. Il va mettre le feu à la maison de l'amant par pure jalousie quand il apprend la trahison de sa femme. Le jeune adolescent oscille entre le père et la mère, toujours digne, toujours compréhensif. La dernière image du film symbolise la déflagration familiale quand Joe réunit ses deux parents dans son atelier de photos pour immortaliser le souvenir de cette famille encore unie pour un instant. Joe accepte cette séparation avec une maturité d'adulte. Ce beau film est tiré d'un roman, "Une saison ardente" du magnifique écrivain, Richard Ford. Les scènes filmées rappellent le peintre Edward Hopper avec ses tableaux sur la solitude. Un film sur l'amour familial et le désamour, aussi…
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
lundi 24 décembre 2018
jeudi 20 décembre 2018
"Fille de révolutionnaires"
Laurence Debray raconte dans ce livre, "Fille de révolutionnaires", son héritage familial, un héritage patrimonial encombrant et embarrassant. Ses parents, célèbres pour leur engagement politique, s'appellent Régis Debray et Elizabeth Burgos. Le père de Laurence a démarré sa carrière en épousant la cause cubaine, la révolution castriste et l'utopie communiste. Son ami mythique, Che Guevara, en fera un guérillero dans la jungle bolivienne. Sa mère, vénézuélienne, est une amie de Fidel Castro et rejoint son compagnon dans les luttes anticapitalistes contre les dictateurs sudaméricains. Régis Debray sera arrêté en Bolivie et restera plus de trois ans en prison. La grand-mère de Laurence soutiendra son fils et le fera libérer en remuant ciel et terre et en s'appuyant sur ses nombreuses relations politiques dont le Général de Gaulle. Dans ces années 60, la légende de ce couple de révolutionnaires marquera la politique française. Laurence Debray relate avec sincérité et avec une dose d'humour acide les liens qu'elle entretient avec ce drôle de père. Les parents de l'auteur ne vivront jamais ensemble et leur fille éprouve souvent un sentiment de solitude. Souvent absent, Régis Debray préfère la politique en tant que conseiller de Mitterrand, son métier d'intellectuel et oublie de bercer sa petite fille. Elle passe son enfance tourbillonnante dans le milieu intello parisien. Sa marraine se nomme Simone Signoret et son parrain, le peintre chilien Matta. A dix ans, elle est envoyée dans un camp de pionniers à Cuba où elle apprend le maniement des armes… Elle est entourée de réfugiés des dictatures d'Amérique du Sud. Les anecdotes sur la vie de ses parents forment une fresque pittoresque et colorée, correspondant à l'un des aspects de notre histoire contemporaine. Comment ces intellectuels ont-ils basculé dans cette utopie révolutionnaire, inspirée de Cuba ? Laurence Debray ne mâche pas ses mots pour fustiger l'aveuglement de tout un pan de la gauche française. La petite Laurence peut compter sur ses grands-parents, surtout la mère de Régis Debray, Janine, une figure tutélaire et charismatique. Elle cultive aussi ses racines vénézuéliennes en se rendant souvent dans le pays de sa mère. Elle décrit les petitesses de son père, sa raideur idéologique, son égocentrisme et son étourderie légendaire. J'ai découvert à travers ces pages une image un peu froissée de cet écrivain brillant et iconoclaste. Laurence Debray, en dévoilant l'intimité de ses parents, règle un peu ses comptes à cause d'une enfance privée d'attentions quotidiennes et d'affection inconditionnelle. Ce récit autobiographique révèle une forte personnalité, celle de l'auteur, qui prend le contrepied de ses parents. Elle a écrit une biographie du Roi Juan Carlos, a travaillé dans une banque et préfère le capitalisme au communisme… Quelle famille ! Un ouvrage percutant, décapant, lucide.
lundi 17 décembre 2018
"Avec toutes mes sympathies"
Olivia de Lamberterie a obtenu le prix Renaudot de l'Essai pour son récit, "Avec toutes mes sympathies". Le livre aborde le douloureux problème du suicide. L'auteur, journaliste littéraire de la revue Elle, raconte le destin de son frère, un frère flamboyant avec lequel elle a tissé une relation quasi fusionnelle. Alex se jette d'un pont à Montréal le 14 octobre 2015. Elle écrit : "Jusqu'à la mort de mon frère, (…), je ne voyais pas la nécessité d'écrire. Le suicide d'Alex m'a transpercé de chagrin, m'a mise aussi dans une colère folle. Parce qu'un suicide, c'est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux". Olivia de Lamberterie raconte la vie de sa famille, son enfance avec ce frère joyeux, espiègle et loufoque. Ce frère avait pourtant tout pour être banalement heureux : il était mariée et père de famille, aimait son travail de publiciste au Canada. Mais, une mélancolie l'étreignait de plus en plus et un passif familial (deux oncles suicidaires) semblait expliquer cette bile noire en lui. La narratrice n'épargne aucun détail de la vie de son frère et les pages consacrées à ses séjours dans les hôpitaux psychiatriques montrent un homme en proie à une dépression sévère. Malgré la présence aimante de sa famille et de sa fratrie, rien ne peut empêcher l'inévitable. Le récit est rythmé par des scènes heureuses à Cadaquès, en Provence où la famille recomposée de la narratrice baigne dans un bonheur sans nuages. Une atmosphère à la Claude Sautet règne dans ce milieu très privilégié. Mais, la conduite suicidaire de son frère plane sur la narratrice comme une ombre malheureuse. Ce livre est un hommage émouvant sur Alexandre et sur l'expérience du deuil. A quarante six ans, cet homme souffrait d'une dépression, nommée dysthymie, qui le vrillait littéralement dans un clair-obscur insupportable. Pour l'auteur, les mots sur cette mort absurde lui procurent une réelle réparation et donne un sens à sa vie. Son frère lui avait donné ce conseil avant de mourir : "Ecris ton livre". La question lancinante que pose Olivia de Lamberterie revient en leit-motiv : "Où vont les morts ?". Alexandre, cet homme sombre et lumineux repose dans les pages de sa sœur, Olivia. Pour toujours. Un beau et tendre récit sur une relation frère et sœur.
vendredi 14 décembre 2018
Atelier Lectures, 4
Je poursuis l'évocation de quelques romans de Philip Roth avec le premier volet de la trilogie sur l'Amérique qui démarre avec "Pastorale américaine", publié en 1997. Le narrateur Zuckerman relate l'histoire de Seymour, parfaite incarnation de la réussite américaine. Fils aimant, père parfait, patron apprécié, Seymour possède tous les atouts du bonheur. Mais, un événement sans précédent va pulvériser cette vie réussie. En 1968, la fille du couple, Merry, commet l'irréparable en posant une bombe provoquant un mort devant la poste locale pour protester contre la guerre du Vietnam. La "pastorale américaine" ressemble à un naufrage total. Comment ce père de famille s'est aveuglé sur l'embrigadement de sa fille terroriste ? Philip Roth analyse cette perte de sens, de repères et malgré l'évidence de ce chaos familial, le personnage central reste le seul à croire à l'innocence de sa fille. Il va revoir sa fille cinq ans après et il comprendra alors qu'elle s'est définitivement égarée. Un roman noir, cruellement lucide. En 2000, paraît "La Tâche", le troisième volet de la trilogie. Coleman Silk, professeur à l'université, rencontre Zuckerman pour lui demander d'écrire son histoire. Son épouse vient de mourir, usée par le scandale que subit son mari, écarté de l'enseignement pour une parole, jugée raciste. Le professeur ne comprend pas sa mise au pilori. Après la mort de sa femme, il se lie avec une femme de ménage qui lui apporte un réconfort appréciable. Mais, ce personnage torturé moralement cache un secret incroyable : il ment depuis sa jeunesse car il s'est déclaré comme un homme blanc alors qu'il est né noir. Il voulait échapper à la discrimination raciale, à la ségrégation qui règne en Amérique à cette époque-là. Il renonce à sa mère et à sa fratrie pour vivre librement son choix terrible. Philip Roth aborde la question du "politiquement correct", du conformisme ambiant et du carcan de l'identité prédéterminée. Encore un chef d'œuvre et un éloge de la liberté individuelle. Philip Roth, avec son scalpel ironique, décrit un destin singulier et tragique. Je termine l'évocation des romans de Philip Roth avec "Patrimoine", un récit autobiographique sur la maladie fatale de son père, atteint d'une tumeur au cerveau. L'écrivain évoque ses parents, leur vie à Newark et leur couple. Ce témoignage très dur sur la maladie et la mort de son père est difficile à lire mais nécessaire pour comprendre l'univers familial de l'écrivain, ses racines qu'il va tout au long de sa vie d'écrivain graver dans le marbre de la littérature. Les lectrices de l'atelier ont découvert et apprécié un écrivain exceptionnel, peut-être le plus important du XXe siècle aux Etats-Unis. Plus on le lit, plus on découvre la profondeur de son œuvre. Il est édité dans la Pléiade et il est devenu aujourd'hui un classique contemporain. A lire sans modération et surtout à relire.
jeudi 13 décembre 2018
Atelier Lectures, 3
Quelques romans de Philip Roth ont donc été lus avec beaucoup d'attention de la part des amies lectrices. "La bête qui meurt" (2004) fait partie du cycle David Kepesh. Homme vieillissant, ce professeur libertin collectionne les conquêtes féminines avec ses étudiantes. Il noue une relation érotique avec une belle cubaine, Consuela. Il la considère comme une œuvre d'art et préfère interrompre cette relation car il est rongé par la jalousie. Après plusieurs années, Consuela atteinte d'un cancer du sein le recontacte pour qu'il photographie son corps avant qu'il ne soit dégradé par la maladie. Philip Roth radiographie les relations amoureuses, le vieillissement, la maladie avec sa plume lapidaire habituelle. Le deuxième roman de Philip Roth, "Indignation" (2008) appartient au cycle "Némésis". Un jeune américain d'origine juive, Marcus, quitte sa famille à Newark pour aller étudier dans l'Ohio lors de la guerre de Corée en 1951. Etudiant modèle, il va se heurter au puritanisme de l'époque. Il découvre la sexualité avec une jeune fille expérimentée en proie à la dépression. Il ne veut pas se plier aux traditions universitaires et attire les foudres du président de l'université. Il finira par fuir ce monde étriqué en s'engageant comme soldat en Corée. Il y perdra sa vie. Ce roman d'apprentissage évoque la fragilité des êtres, le carcan du conformisme, le destin brisé d'un jeune homme vulnérable. Les angoisses prémonitoires du père de Marcus ponctuent ce récit comme le chœur de la tragédie grecque. Une fresque de l'Amérique des années 50 à travers le portrait de Marcus, un jeune homme solitaire, émouvant et égaré dans un monde trop dur. Dans ce cycle "Némésis", Philip Roth arrête donc d'écrire après la publication de "Némésis" en 2010. Dans ce roman, on retrouve un personnage emblématique, Bucky Cantor, jeune professeur de gymnastique. Durant l'été 44, une épidémie de poliomyélite se propage dans le quartier et plusieurs enfants en meurent. Bucky se sent coupable de ne pas intégrer l'armée pour combattre sur le front européen. Sa fiancée le supplie de la rejoindre dans un camp de vacances. Bucky, porteur du virus, accepte mais contamine quelques adolescents. Il quitte le camp pour son quartier. Vingt sept ans après, Bucky est reconnu par un des enfants qu'il soignait. Il se confie à lui et lui relate cet été terrible où il a renoncé à l'amour, au mariage et à une vie normale. Culpabilité, sacrifice de soi, destin brisé, mortification, ce personnage tragique est bouleversant d'humanité. Son dernier roman, le plus émouvant de Philip Roth. La suite, demain.
mercredi 12 décembre 2018
Atelier Lectures, 2
La deuxième partie de l'atelier était consacrée à l'écrivain américain Philip Roth (1933-2018). Avant de relater les romans découverts par les lectrices, quelques éléments biographiques me semblent indispensables pour comprendre son œuvre littéraire. Petit-fils d'immigrés juifs originaires de Galicie (Autriche), Philip Roth grandit à Newark auprès d'un père, agent d'assurances et d'un mère au foyer. Son enfance fut heureuse et il effectue des études universitaires à Chicago. Il sera professeur de lettres dans plusieurs universités jusqu'en 1992. Dès 1959, il publie son premier recueil de nouvelles, "Goodbye, Columbus". Dix ans après, il rencontre le succès avec "Pornoy et son complexe", un roman comique et grinçant sur la sexualité masculine. Il est considéré par la critique comme l'enfant terrible du roman juif-américain. Il partage sa vie avec une comédienne anglaise, Claire Bloom. Il se rend souvent à Prague pour rencontrer Milan Kundera et retrouver les traces de Kafka qu'il adule. Il fait connaître les écrivains de l'Europe de l'Est en Amérique. En 1995, il publie "Le Théâtre de Sabbath", portrait cocasse d'un marionnettiste nihiliste et lubrique. Deux ans après, il entame un tournant dans son œuvre avec "Pastorale américaine", "J'ai épousé un communiste" et "La Tâche". Son double littéraire vient de naître et il se nomme Nathan Zuckerman. Il renouvelle cette formule avec un nouveau cycle de trois romans où le narrateur est son deuxième double, David Kepesch. De 2007 à 2010, il écrit ses plus beaux romans crépusculaires dont le magnifique "Némésis". Il annonce qu'il cesse d'écrire à quatre-vingt ans. Ses influences littéraires prennent leurs racines chez Flaubert, Henry James, Kafka, Saul Bellow, Bernard Malamud. Son œuvre forme une vaste fresque d'une Amérique en proie à ses démons comme l'antisémitisme, le maccarthysme, le politiquement correct, la ségrégation raciale, le poids de l'Histoire, les relations conflictuelles hommes-femmes. Il évoque aussi la maladie, l'angoisse de la mort, le naufrage de la vieillesse. François Busnel résume bien cet écrivain : "Roth est l'un des rares écrivains à avoir vécu une vie d'écrivain au sens strict du terme : très peu de mondanités, des interviews au compte-gouttes. Seule, l'œuvre compte". Philip Roth a répondu à un journaliste qui lui posait une question sur le pouvoir de la littérature : "Très peu. La littérature peut très peu de choses. Et pourtant, elle est bigrement importante". La suite, demain
mardi 11 décembre 2018
Atelier Lectures, 1
Ce mardi, nous étions une bonne dizaine de lectrices toujours aussi motivées pour partager nos coups de cœur du mois. Annette a démarré avec "Salina" de Laurent Gaudé, publié chez Actes Sud. Salina, la mère aux trois fils, est recueillie dans un clan qui la considère comme une étrangère. Son fils raconte cette vie comme une légende. Un roman mythique et puissant, un beau portrait de femme. Véronique a aimé le roman de François-Henri Désérable, "Un certain M.Piekielny". Le narrateur part sur les traces d'un témoin, ce monsieur Piekielny, à Vilnius qui aurait connu le jeune Romain Gary. Pour les amateurs inconditionnels de l'écrivain diplomate. Mylène a pris la parole pour évoquer Karen Blixen et "le festin de Babette". Elle était étonnée d'apprendre que ce livre n'avait pas été apprécié par deux amies lectrices. Elle tenait à réhabiliter cette longue nouvelle qu'elle apprécie tout particulièrement pour sa profondeur, son humanité et son universalité. Mylène nous a donné envie de découvrir ce bijou littéraire, venue du Danemark. Sylvie a présenté le roman d'Emmanuelle Bayamack-Tam, "Arcadie", publié en septembre dernier. Farah, une jeune fille de treize ans, vit dans une communauté libertaire à la frontière franco-Italienne. Le gourou qui se nomme Arcadie prône l'amour libre, le naturisme, le végétarisme. Cette communauté accueille tous les marginaux inadaptés au monde extérieur. Un jour, Farah va cacher un migrant dans cette zone blanche. Mais, le gourou Arcadie ne réagit pas comme prévu. Sylvie a souligné la puissance du style et l'arrière-plan politique du roman. A découvrir sans tarder. Sylvie a aussi apprécié un ouvrage de Julie Ewa, "Les petites filles". Ce thriller dépaysant parle des réseaux d'adoption en Chine, de la mafia, du trafic d'organes et de la politique de l'enfant unique. Régine a terminé les coups de cœur avec le roman de Tanguy Viel, "Article 353 du code pénal". Martial Lazenec jette à la mer un promoteur immobilier. Il est arrêté par la police et il retrace son itinéraire devant le juge : son divorce, son licenciement et l'investissement de sa prime dans un bel appartement. Son geste va-t-il être compris par le juge ? Un roman à découvrir. Régine a aussi résumé le beau roman d'Alice Zeniter, "L'art de perdre", un succès de librairie en 2017. Naima, d'origine algérienne, raconte sa famille sur trois générations avec un secret de famille. Il est question des harkis exilés en France et pourtant si mal accueillis. Un livre émouvant, un éloge de la liberté d'être soi au-delà des racines et des héritages. Voilà pour la partie "coups de cœur" présentés par les lectrices de l'Atelier.
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