mercredi 16 avril 2025

"Ravage" de René Barjavel

 J'ai choisi pour l'Atelier Littérature du jeudi 24 avril quelques romans dystopiques et post-apocalyptiques qui ont marqué la littérature. "Ravage" de René Barjavel appartient à cette catégorie. Ecrit en 1943, l'auteur dénonce les dégâts du progrès scientifique et technique. Cet ouvrage a connu un succès considérable depuis sa sortie (plus d'un million d'exemplaires écoulés) et il est toujours étudié au collège. Le roman démarre par une panne d'électricité en France en 2052. Le personnage principal, François Deschamps, un jeune homme de 22 ans, monte à Paris pour les résultats d'un concours d'entrée dans une école de chimie agricole. Il veut revoir son amie d'enfance, Blanche Rouget, danseuse et comédienne. Celle-ci a rencontré un homme riche, Jérôme Seita, patron d'une radio à succès. Quand il apprend que François est un ami de la jeune fille, il s'arrange pour le disqualifier à son concours. Et Blanche accepter de se marier avec cet homme puissant. Les événements extérieurs se bousculent dans le roman : la guerre entre deux continents sud-américains et surtout une panne d'électricité géante en France. La totalité de la vie sociale et économique ne fonctionne plus. Des matériaux comme le fer "s'amollissent", ce qui entraîne l'arrêt des flux de circulation comme le métro, les automobiles, les ascenseurs, etc. Des troubles ont lieu face à un gouvernement impuissant. La population ne peut plus se nourrir et le chaos s'installe. François récupère Blanche, atteinte d'un mal inconnu, et coordonne un petit groupe pour quitter Paris et fuir en province. Un incendie brûle la capitale en tuant des milliers de victimes. Plus d'eau courante, plus de lumière, de transports. Le choléra s'est déclaré, le pays est dévasté. La petite troupe de survivants traverse le pays dans une insécurité totale. Ils parviennent en Provence dans leur village natal où de très nombreux habitants ont péri. François en chef de clan charismatique  établit une vie communautaire avec des règles strictes. Une nouvelle vie à la campagne sobre et "écologique" avant la lettre. Je ne relate pas la fin du roman pour susciter l'intérêt de le lire. Cette dystopie se lit avec un certain amusement sur les prédictions de René Barjavel : vêtements moulants, agriculture intensive, aliments synthétiques, avions à décollage vertical, objets en plastique, etc. Il dénonce évidemment les outrances et les dégâts d'une modernité technologique aberrante. La vision pessimiste et écologiste d'une société technologique trop artificielle dès 1943 rejoint les mondes cauchemardesques de Wells et d'Aldous Huxley.  Un roman prémonitoire à redécouvrir. 

lundi 14 avril 2025

La lecture en perte de vitesse, une enquête inquiétante

 Une étude du Centre national du Livre (CNL) publiée récemment, a suscité mon inquiétude : "Les Français lisent de moins en moins". Seuls, 45 % de Français déclarent lire tous les jours, sur format papier ou numérique. Je me demande toujours quels sont nos concitoyens qui ne lisent jamais ! Un mystère intégral pour moi. Les 50-64 ans battent des records d'infidélité à nos chers bouquins ou autres supports comme des journaux, des revues, des sites internet, etc. Les lecteurs et lectrices toujours actifs lisent en moyenne 18 livres par an, un chiffre en baisse de quatre points depuis deux ans. Le CNL tente des explications sur ce décrochage et l'ennemi principal de la lecture se nomme sans surprise l'écran ! Plus de trois heures d'écran par jour et seulement trois heures de lecture par semaine... Chez les moins de 25 ans, le déséquilibre s'accentue. La directrice du CNL, Régine Hatchondo, a déclaré : "Il y a eu une utopie Internet, on s'est laissé éblouir".  Elle ajoute : "Il y a désormais un enfermement addictif avec le numérique. On peut parler de drogue, et en cela, de nouvelle guerre de l'opium". Des paroles fortes que l'on entend rarement dans les médias. Le smartphone, ce nouveau doudou universel, accompagne désormais notre quotidien : envoi de messages, visionnage de vidéos, réseaux sociaux, appels téléphoniques, etc. Le multitâche devient la norme de conduite surtout chez les jeunes adultes. Une seule bonne nouvelle, la lecture numérique et les livres audio ont du succès chez les 15-34 ans. Regarder des films et des séries mobilise aussi toutes les générations. Parfois, un film populaire incite la lecture comme le phénomènal "Comte de Monte-Cristo". Nous sommes tous submergés par les images et l'écran, à portée de main, ne demande aucun effort intellectuel. La lecture, par contre, exige une concentration certaine, un environnement silencieux, une attention constante pour comprendre les mots et le message du texte. Comment donner envie de lire ? Par l'exemple. Des parents lecteurs, en général, transmettent l'amour des livres mais, ce n'est pas toujours une garantie totale. Des parents qui lisent des livres à leurs enfants sont des "hussards de la république", comme l'écrivait Charles Péguy en parlant des instituteurs de l'ancien temps. La lecture reprendra un jour des couleurs quand nous serons vraiment tous saturés d'images et d'internet. La communauté des lecteurs et des lectrices perdurera encore longtemps pendant des siècles. Ce monde que Régis Debray qualifie de 'graphospère" ne peut pas disparaître. La lecture reviendra "à la mode", j'en suis persuadée. Rien n'est perdu. 

vendredi 11 avril 2025

Boualem Sansal, notre Voltaire d'aujourd'hui

  Je veux rendre hommage à un grand écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, emprisonné arbitrairement par un gouvernement impitoyable et aveugle aux arguments humanitaires. Accusé d'atteinte à l'intégrité du territoire national, il est emprisonné depuis le 16 novembre 2024 et souffre d'un cancer. J'ai vu récemment un documentaire, tourné en 2010, sur Arte, un reportage très éclairant, très juste sur sa vie et sur son oeuvre. Né en 1949 en Algérie, l'écrivain raconte avec émotion le mariage d'amour entre ses parents mais, le petit garçon n'a rencontré sa mère qu'à l'âge de six ans. Il raconte son pays, déchiré par la guerre d'indépendance, les attentats, la violence, le chaos politique. Ses désillusions sur l'après-guerre se confirment au fil des ans. Ingénieur et économiste de formation, il rejoint la haute fonction publique dans le ministère de l'industrie. Il publie "Le serment des Barbares" en 1999. Sa carrière d'écrivain démarre avec force et il est reconnu aussi bien dans son pays qu'à l'étranger. Mais, il reste très critique sur son pays, sur la corruption des élites et surtout sur l'islamisation de la société. Son cri de rage sur l'asservissement du peuple algérien dérange les autorités. Comme il compare l'islamisme au nazisme, ses romans sont censurés dans son propre pays. Le site Gallimard semble très actif pour le soutenir et organise des débats pour alerter l'opinion publique bien dormante. Un écrivain qui se bat contre tous les obscurantismes ne peut pas croupir en prison. Son courage exemplaire pour sauver la liberté d'expression, la liberté tout court devrait nous encourager à suivre son exemple.  Dans le texte sur le site Gallimard, on peut lire : "Boualem Sansal est une grande voix internationale de la francophonie et de l'universalisme ; son oeuvre a été deux fois récompensée par l'Académie française". Pour soutenir ce grand écrivain, il faut tout simplement lire ses romans saisissants de lucidité, d'humanisme, d'esprit du XVIIIe, le siècle des Lumières. Un ouvrage vient de paraître : "Discours pour le Prix de la paix des libraires et éditeurs allemands" du 16 octobre 2011. J'ai relevé cette citation de Boualem Sansal : "Camus disait : "Ecrire, c'est déjà choisir". Voilà, c'est ce que j'ai fait, j'ai choisi d'écrire. Et j'ai eu raison de le faire". Espèrons qu'il soit libéré le plus tôt possible. 

jeudi 10 avril 2025

"Le sentiment des crépuscules", Clémence Boulouque

Trois "génies" se retrouvent à Londres en juillet 1938 : Sigmund Freud, Stefan Zweig et Dali ! Clemence Boulouque les réunit malicieusement dans son nouveau roman, "Le sentiment des crépuscules", publié chez Laffont. Freud, tout juste exilé de l'Autriche nazie, s'installe à Londres grâce à l'aide précieuse de Marie Bonaparte. Stefan Zweig, ami très proche du psychanalyste, a organisé un rendez-vous sur l'insistance de son ami peintre, le surréaliste Salvador Dali. Accompagné de sa compagne, Gala, il veut offrir une de ses toiles au maître des rêves et de l'inconscient. Un quatrième comparse partage cette rencontre, un Anglais, Edward James, poète et écrivain. Freud, âgé de 82 ans, souffre d'un cancer de la mâchoire. Sa fille Anna est présente dans cette assemblée restreinte. Stefan Zweig, toujours pondéré et modéré, semble gêné par son ami, Dali, imprévisible et surprenant. Il est dans sa trentaine et commence à être célèbre. Face à ses deux grands sages du monde ancien et d'une intelligence lumineuse à la manière d'un Montaigne, le peintre espagnol préfigure le monde nouveau après la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale. Leurs discussions diverses abordent des sujets éclectiques : des escargots à Lorca, de Vienne à l'exil, de Londres à la psychanalyse. Dans un article d'un journal quotidien, l'autrice raconte sa démarche littéraire. Comme personne n'avait évoqué cette rencontre exceptionnelle entre ces trois créateurs, elle a imaginé ce rendez-vous en se basant sur une documentation très pointue. Au crépuscule de leurs vies, les deux protagonistes principaux, Freud et Zweig, allaient mourir, l'un en 1939, vaincu par son cancer et l'autre en 1942, se suicidant avec sa nouvelle compagne, Lotte. Seul, ce jeune homme délirant a toujours "cet appétit du monde, de l'autopromotion". Le peintre espagnol déclare alors : "Je participe à la crétinisation du monde, puisque ce monde est crétin". Clémence Boulouque a voulu "humaniser" ces trois monstres sacrés dans leur destin douloureux. J'ai lu ce roman biographique par curiosité, surtout pour Freud et Zweig, bien plus attachants que Dali à la personnalité narcissique plus proche d'un adolescent que d'un adulte. A découvrir.

mercredi 9 avril 2025

"L' Annonce", Pierre Assouline

 Ce roman récent, "L'Annonce", de Pierre Assouline évoque la tragédie du 7 octobre 2023 en Israël. Une citation de David Grossman rappelle le titre de son livre magnifique, "Femme fuyant l'annonce". Raphaël, un Français juif séfarade, rejoint comme volontaire civil l'armée lors de la guerre du Kippour en octobre 1973 quand la Syrie et l'Egypte ont attaqué Israël. Il se retrouve dans un "moshav", une ferme coopérative, pour remplacer un agriculteur mobilisé où il s'occupe de dindons. Il va rencontrer Esther, une jeune soldate de son âge. Chargée d'annoncer aux familles la mort de leur fils ou de leur fille, Esther remarque ce jeune Français. Ils jouent aux échecs et ils tombent amoureux. Mais, la vie les sépare car Raphaël revient à Paris. Cinquante plus tard, Raphaël retourne en Israël après les attentats du 7 octobre. Il relate la vie des civils, rencontre des manifestants de la Place des Otages, analyse les réactions des parents endeuillés. Dans un hôpital, le passé lui revient en boomerang quand il retrouve Eden, la fille d'Esther. Elle veille sur sa fille, Nuritt, victime d'un infarctus, appelé aussi le "syndrôme du coeur brisé" car, elle-même, annonce aux familles le décès de leur enfant. Raphaël va renouer avec son passé en retrouvant Esther. Pierre Assouline observe les contradictions de ce pays démocratique en proie aussi au chaos politique. Il souligne l'inconscience du pays, ne prévoyant pas cette attaque immonde car il se croyait invincible : "L'hubris, ce satané orgueil israélien qui s'est endormi sur sa réputation de supériorité et d'invincibilité". La deuxième partie du livre dans un pays déchiré révèle l'angoisse du narrateur face à cette guerre éternelle des territoires, du triomphe de la mort et de la violence. Comment témoigner dans ce fracas de l'Histoire ? Par la mémoire : "Ma mémoire est comme un cimetière, pleine de gens et de livres. A ceci près qu'ils ne meurent jamais tout à fait, les uns tant qu'on parle d'eux, les autres tant qu'on les lit".  'L'Annonce" est le deuxième roman français à évoquer le séisme tragique israelo-palestinien après celui de Nathalie Azoulay, "Toutes les vies de Théo". Un bon roman, lucide et réaliste, nuancé et empreint de doute et regrets. A découvrir

mardi 8 avril 2025

"L'autre George Orwell", Jean-Pierre Martin

 La collection "L'un et l'autre" de Gallimard comporte quelques pépites d'or. Il faut souligner que J.-B. Pontalis, écrivain psychanalyste, a dirigé la collection avec le souci de réunir des oeuvres littéraires qui dévoilent "les vies des autres telles que la mémoire des uns les invente". Jean-Pierre Martin évoque dans cet essai les derniers moments du grand écrivain anglais, George Orwell. Comme j'ai découvert récemment son roman emblématique, "1984", j'ai eu envie de mieux connaître sa vie. Le titre de l'ouvrage m'a intriguée, "L'autre George Orwell", publié en 2013, et je me demandais pourquoi ce terme "autre". L'écrivain anglais se sent en marge de la société avec ses positions antifascistes. Il a participé à la Guerre en Espagne du côté républicain et son antistalinisme ne passe pas dans les rangs de la gauche. Les journaux anglais rejettent ses articles et il décide de quitter Londres après la perte de sa femme. Il est atteint de tuberculose et cette maladie le fragilise. En fuyant la ville, il veut se consacrer entièrement à l'écriture de son roman, "1984". Son écart du monde se manifeste dans un lieu improbable et inaccessible, l'île de Jura en Ecosse. Jean-Pierre Martin décrit cette ile ainsi : "Sur fond de silence et de solitude, on perçoit le bruissement de la mer. La ferme est seule en contrebas, plus seule encore que je ne l'imaginais d'après les lettres et les descriptions". Pourquoi cet isolement farouche ? Le narrateur tente une explication : "Une pulsion profonde, une intériorité exigeante, radicale, propulsant assez loin de ce que l'on croit être soi". L'autre Orwell manie la charrue, les outils, façonne son potager, soigne ses nombreux animaux de ferme, se transforme en paysan et en pêcheur-chasseur. Un retour salutaire à la terre et à la mer pour vivre sa liberté et se dispenser d'une société hypocrite et dévoreuse de temps. Il élève son fils Richard avec sa soeur et quelques amis de passage. Il vit retiré du monde mais sa solitude est peuplée de paysages, de cerfs en liberté, de tâches concrètes. Plombier, bûcheron, jardinier, menuisier, pêcheur, chasseur, semeur, planteur, tous ces métiers pratiqués aboutissent aussi à celui d'écrivain car il compose sa symphonie de mots avec "1984". Peut-être, a-t-il passé dans cette île magique les deux meilleures années de sa vie avant que la maladie ne le terrasse définitivement. Ce livre très bien écrit rend hommage à un homme singulier, attachant, une vigie pour nous alerter sur l'horreur de tous les totalitarismes. 

lundi 7 avril 2025

Le salon du Livre ancien à Chambéry

 Samedi, j'ai visité le Salon du Livre ancien, installé au premier étage du Musée des Beaux Arts de Chambéry. Ancienne libraire, j'aime beaucoup humer le parfum suranné des livres anciens et cette balade au coeur des stands me ramenait à mes années de jeunesse quand je m'adonnais au commerce si noble des livres. Ce salon, organisé pour la deuxième année et soutenu par la ville, le département et les papeteries de Vizille, regroupait une dizaine de libraires venus de tous les coins de France. Un catalogue était offert à l'entrée du musée qui présente des ouvrages rares ou surprenants d'un prix conséquent. Seuls, les bibliophiles passionnés peuvent acquérir ces livres exceptionnels. Ce qui m'a frappé en déambulant dans les travées des stands, c'est la vision d'un monde ancien, un monde où la chose imprimée a conservé toute sa valeur symbolique. Je ressentais un sentiment de nostalgie face à ce milieu si poli, si civilisé, si cultivé. Sur cette planète miniature, quelques professionnels courageux tentent de vivre leur passion des livres. Moyenne d'âge des visiteurs : des seniors, évidemment. Aucun jeune dans la salle... Ce petit îlot de résistance, situé pour deux jours dans l'un des lieux culturels les plus importants de la ville, me faisait penser à un trait d'union entre les siècles passés jusqu'àu nôtre, les XXIe siècle. Le livre ancien, trait d'union du passé au présent, heureusement, repose encore dans les bibliothèques patrimoniales qui en prennent soin comme tous ces tableaux dans les musées d'art. Je n'oublie pas la date de naissance du premier ouvrage imprimé de l'histoire : la Bible de Gutenberg en 1455. Si je fais un calcul, le livre imprimé a donc atteint l'âge de 570 ans ! Pas mal pour un objet, comme durée. Un smartphone passe le cap de deux à quatre ans... Avant de quitter ce salon charmant et désuet, j'ai acquis une Pléiade à un prix très abordable pour compléter ma collection. Les oeuvres intimes de Stendhal vont nourrir mon été de lecture. J'ai aussi profité de ma visite pour revoir les peintures du musée, surtout les italiennes. Mais, j'ai un coup de coeur pour une nature morte de Martinius Nellius, peintre hollandais du XVIIe siècle. Cette petite merveille, une vanité vraiment surprenante, est digne des grands musées nationaux. Par quel miracle a-t-elle atteri à Chambéry ? Il faudrait que je mène une enquête... Livres et Musée, un beau couple culturel à préserver pour encore quelques siècles...