Pascale a relu et apprécié "La Douleur" de Marguerite Duras, paru en 1985. L'écrivaine a retrouvé deux cahiers dans les armoires de sa maison à Neauphle-le-Château. Elle écrit qu'elle ne souvenait pas d'avoir rédigé ce journal intime pendant la guerre et ces pages reflètent des événements douloureux : "La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie". Le premier texte du recueil concerne le retour de son mari, Robert Antelme, prisonnier dans les camps de Buchenwald et de Dachau. Ce grand intellectuel a écrit un des ouvrages les plus importants sur les camps de concentration, "L'espèce humaine", paru en 1947. Marguerite Duras relate l'attente, l'angoisse, le chagrin d'avoir perdu les traces de son mari. Elle apprend qu'il est dans un camp de concentration et un de ses amis, le résistant, le commandant Morland va le chercher en Allemagne. Evidemment, cet ami s'appelait François Mitterrand. L'écrivaine raconte avec des détails très précis la longue guérison de son mari qu'elle n'a pas reconnu quand il est rentré. Ce retour à la vie tenait quasi d'un miracle. Marguerite Duras lui annoncera plus tard qu'elle a refait sa vie avec Dionys Mascolo avec lequel elle aura un fils. Un témoignage étonnant dans la production littéraire de l'écrivaine. Danièle a beaucoup aimé "Autobiographie de mon père" de Pierre Pachet. Ce récit de vie représente une expérience littéraire hors du commun. Un fils écrivain se met à la place de son père pour raconter sa vie. J'ai évoqué dans mon blog cet ouvrage et Danièle a retracé la biographie de cet immigré juif d'Odessa, né en 1895, venu en France quand éclate la Première Guerre mondiale. Il se marie, devient dentiste et père modèle mais secret. Comme il n'a pas parlé de son vivant, son fils dévoile la personnalité de cet homme attachant. Un hommage sensible d'un fils à son père. Pascale a aussi lu "Moi, Jean Gabin" de Goliarda Sapienza. Cette autobiographie, un véritable hymne à l'enfance, se déroule à Catane au début des années 30. La petite Goliarda aime le cinéma de son quartier et quand elle voit "Pépé le Moko", elle veut devenir Jean Gabin. Ce livre émouvant, écrit dans les dernières années de Goliarda Sapienza, est un éloge de la liberté et de l'amour de la vie. (La suite, mardi)
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
vendredi 28 mars 2025
jeudi 27 mars 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 1
Nous étions une petite dizaine de lectrices à la Base, cet après-midi pour évoquer les ouvrages de la liste recommandée dans la première heure. J'avais choisi le thème des récits, des autobiographies et des journaux intimes dans la littérature. Odile a démarré la séance avec Chantal Thomas et son "De sable et et neige", disponible en Folio depuis 2022. L'académicienne raconte son enfance à Arcachon où s'enracine son amour de l'océan : "L'océan a une dimension tragique, cela fait partie de sa beauté, de l'effroi de sa beauté. Un pressentiment de perdition". Avec son style chatoyant, elle dresse une fresque sensuelle, intime des paysages et des souvenirs. Son père tient un rôle majeur dans cette exploration sensible de sa mémoire familiale. Un bijou littéraire à découvrir. Véronique et Odile ont choisi "Dans ma peau" de Doris Lessing, une autobiographie qu'elles ont trouvée "extraordinaire". L'écrivaine anglaise commence sa vie en Perse en 1919 entre un père mutilé par la guerre et une mère rigoriste. Elle grandit en Rhodésie où s'éveille sa sensualité et surtout le sentiment de révolte face à l'injustice sociale et à la situation des Noirs dans le pays, une société coloniale ségrégationniste. Doris Lessing rompt avec sa famille et s'installe à Londres, un manuscrit dans sa valise. Deux fois divorcée, non conformiste, derrière la militante et la femme libre, sa vocation d'écrivaine se confirme. Le deuxième tome de ses mémoires, "La Marche dans l'ombre" couvrira les années 1949-1962. Elle obtiendra le Prix Nobel de Littérature en 2007. Une immense écrivaine anglaise un peu trop oubliée de nos jours et à lire et relire. Régine a beaucoup aimé "Armen" de Jean-Pierre Abraham, reparu dans la collection de poche de Payot en 2021. Gardien de phare de Ar-Men, près de l'ïle de Sein, le narrateur de ce journal mêle les éléments marins à son goût de la solitude et des trois livres qu'il emporte avec lui : un album sur Vermeer, des poèmes de Reverdy et un ouvrage sur un monastère cistercien. Il s'active beaucoup dans ce phare pour maintenir un certain ordre mais il lui reste des moments de vide, de rêveries et de peur. Il souhaitait vivre cette expérience unique pour se chercher, se trouver, être à sa place. Régine a trouvé ce texte passionnant que j'ai analysé dans ce blog récemment. (La suite, demain)
mercredi 26 mars 2025
"Les Faits", Philip Roth, 2
L'ironie mordante et flamboyante de Philip Roth se retrouve dans la fin du récit quand il fait intervenir son alter ego romanesque, l'écrivain Nathan Zuckerman. Son double fictif commente sa tentative autobiographique en se moquant de lui : "Tstt, tstt, le revoilà dans ses problèmes de juif, on dirait". L'art littéraire de l'écrivain se manifeste sans cesse dans "l'entrelacement de toute vie avec sa narration et de toute narration avec la vie". A force de mêler le réel à la fiction et vice-versa, Zuckerman lui assène des remarques cinglantes lui conseillant de ne pas publier son texte : "Je fais l'hypothèse que, à force de te métamorphoser dans tes livres, tu n'as plus la moindre idée de qui tu es, ni même de qui tu as été. Aujourd'hui, tu n'est plus qu'un texte ambulant". L'acte d'accusation se poursuit dans des termes peu flatteurs car le double fictif de Roth dénonce le beau rôle qu'il se donne dans sa famille : "ton côté bien élévé, ton côté chic type, ton côté bon petit. Ton manuscrit macère dans le chictypisme". En fait, le contretexte de Zuckerman se transforme en psychanalyse de Philip Roth : "Ce qui te mine est aussi ce qui te nourrit, avec ton talent". Les masques de l'écrivain sont arrachées par ce dialogue quasi socratique car les deux versions de l'identité rothienne se complètent tout en s'affrontant. La question de l'autobiographie pose le problème du sujet, ce "moi" fluctuant avec "ses failles et ses effondrements", "ses glissements, ses métamorphoses". Entre la vie vécue et la vie écrite, les faits réels sont remodelés, repensés, imaginés. Ce projet d'un retour au réel s'avère une mission impossible. Comment se "rendre visible à soi-même ?" Par la vérité autobiographique ou par la fiction mensongère ? Expert en identités multiples, Philip Roth ne peut pas se limiter à un texte nu, insipide et banal sur son passé et sur la naissance de sa vocation d'écrivain. Il provoque ses lecteurs et lectrices en les bousculant constamment, et il ne leur propose pas un scénario autobiographique stable et sécurisant. Bien au contraire, la "transparence d'une personnalité" restera toujours opaque. Lire Philip Roth ressemble à un parcours chaotique mais stimulant pour la pensée. Il interroge le sens de la littérature et surtout "l'énigme de la créativité romanesque".
mardi 25 mars 2025
"Les Faits", Philip Roth, 1
J'ai relu récemment l'autobiographie de Philip Roth, "Les Faits", publiée chez Gallimard en 1990. Ce récit, traduit par Josée Kamoun, sa fidèle traductrice de longue date, est l'un des deux livres autobiographiques de sa production avec l'extraordinaire "Patrimoine" qu'il faut absolument lire. Auteur de 26 romans depuis "Portnoy et son complexe", publié en 1970, l'auteur consignait son quotidien dans des carnets qui formaient la matrice de ses fictions. Dans ce texte percutant, il revient sur son passé, sur sa propre archéologie. Comment est-il devenu un grand écrivain ? Il se met à nu pour analyser ce besoin essentiel d'écrire, le sens de son existence. Tous les lecteurs et lectrices connaissent le double de Philip Roth dans le personnage de Zuckerman qui a longtemps servi de miroir grossissant en écrivain "plus intense", '"plus tonique", "plus divertissant", "Ombre portée de moi-même, une autre espèce de moi, en quelque sorte". Dans "Les Faits", il cherche à dire la vérité, sa vérité, loin du "mentir-vrai" de la fiction. Quand il compose ce récit, il vient de perdre sa mère et une opération chirurgicale l'a amoindri. Son angoisse de vieillir le taraude. Dans sa cinquantaine, il veut rendre hommage à sa famille et s'interroge sur sa personnalité complexe. Il relate sa lumineuse enfance entre une mère aimante et un père courageux, immigrés juifs d'Europe centrale, exemplaires dans leur volonté de s'assimiler à l'identité américaine. Son frère, Sandy, d'un tempérament artiste, a beaucoup compté pour lui. Le père de l'écrivain travaillait dans une société d'assurances et il a gravi les échelons malgre sa judéité, qui présentait un handicap à cette époque. Philip Roth admire ses parents et se considère comme un "bon fils", même s'il révait de les quitter. Très bon élève, il réussit un parcours sans faute jusqu'à l'université de Bucknell en Pennsylvanie dans les années 50. Dans sa jeunesse, il raconte avec son style percutant les actes antisémites que sa communauté de Newark subissait. Il raconte ses flirts nombreux mais un événement va percuter sa vie. Il fait la connaissance d'une femme, Josie, divorcée et mère de deux enfants, plus âgée que lui. Cette femme va le tourmenter pendant dix ans. Mythomane, dépressive, "accidentée de la vie", elle va même simuler une grossesse en remplissant une fiole d'urine prélevée sur une femme enceinte pour se faire épouser. Cette histoire rocambolesque se retrouvera dans "Ma vie d'homme". Philip Roth évoque, évidemment, sa vie sexuelle trépidante, synonyme d'une liberté totale, revendiquée avec sa truculence habituelle. (La suite, demain)
lundi 24 mars 2025
"Toutes les vies de Théo", Nathalie Azoulay
Nathalie Azoulay a intégré dans son dernier roman, "Toutes les vies de Théo", publié chez P.O.L, la tragédie du 7 octobre en Israël. Ce pari risqué, celui d'aborder ce sujet sensible dans la littérature contemporaine, peut déranger car l'écrivaine porte un regard décalé et ironique sur les identités divergentes. Elle se saisit de ce drame atroce pour montrer l'irruption de l'Histoite dans le privé intime des individus. Un couple uni va faire les frais d'une guerre fratricide pourtant loin de chez eux. A vingt cinq ans, Théo, le personnage masculin, tombe amoureux de Léa, d'origine juive, dans une séance d'initiation au tir. Ils vont se marier, ont une petite fille, Noémie. Léa appartient au clan familial très soudé autour de leur culture et de leur religion. Théo se sent très fier d'intégrer ce milieu si différent du sien. Lui-même, catholique breton, fils d'une mère allemande profondèment meurtrie par le nazisme de son pays, se sent investi d'une mission salutaire en soutenant la cause d'Israël et du judaïsme sans toutefois se convertir car Léa n'est pas pratiquante. Il devient critique d'art. Comment s'aimer dans ces différences culturelles et religieuses ? Théo sert de cobaye dans ce couple mixte pour répondre à cette question existentielle. Tout se passe relativement bien jusqu'à la date fatidique du 7 octobre. Ses beaux-parents adorent Théo et acceptent ce gendre enthousiaste pour leur culture. Le 7 octobre, date fatidique, Léa a préparé l'anniversaire de Théo pour ses cinquante ans mais, elle annule tout car l'attentat la choque au plus au point comme la majorité des citoyens. Au fil des jours, elle ne supporte pas l'antisémitisme "d'ambiance" dans ses relations professionnelles et amicales. Elle s'aperçoit que l'unanimité universelle pour condamner ce pogrom ne se produit pas. Léa se plaint de l'absence d'engagement de Théo et leur couple se délite peu à peu d'autant plus qu'il rencontre une jeune libanaise, Maya, artiste originale. Le couple se sépare et Théo succombe devant le charme de sa nouvelle compagne, plus jeune de vingt ans et l'inverse de Léa. Il se passionne pour la culture orientale et surtout pour la cause palestienne. Maya se servira de Théo pour sa célébrité artistique et le consommera à sa guise. Théo, dans ses aveuglements amoureux, ressemble à une girouette, une coquille vide. Nathalie a composé une comédie de moeurs sur un sujet grave. Qui est-il au fond, cet homme amoureux, en bradant sa propre identité ? Ce roman singulier, ultra contemporain sur les problématiques du moment reflète le malaise identitaire des uns et des autres, les dangers du communautarisme qui bouleversent les relations sociales. La politique, les conflits, les drames de l'Histoire peuvent provoquer des ravages, des séismes dans les couples, dans les amitiés, dans la société. Une fracture que l'écrivaine raconte avec ironie, causticité et efficacité. Un roman de qualité à découvrir.
jeudi 20 mars 2025
"Armen", Jean-Pierre Abraham
Dans ma liste concernant les récits de vie pour l'Atelier Littérature du 27 mars, j'ai choisi "Armen" de Jean-Pierre Abraham (1936-2003). Publié en 1967, ce journal de bord est considéré comme un objet littéraire non indentifié. Jeune poète, il est inspiré par la mer, ayant vécu en Bretagne avec sa famille. Il a entrepris des études de lettres à la Sorbonne mais il ne veut pas devenir professeur. L'appel du large le fascine et après une formation sérieuse de gardien de phare, il occupe le poste de gardien au phare d'Ar-Men, situé au large de l'île de Sein et de la pointe du Raz. Vingt jours de travail non-stop et dix jours de repos à terre, voilà le ryhtme de sa vie maritime. Le phare nécessite deux gardiens en service. La relève et le ravitaillement souvent périlleux sont assurés par la Velléda dont le patron se nomme Henri Le Gall. Dans cet espace réduit face à l'immensité océanique, le narrateur décrit sa vie quotidienne très pragmatique, technique et routinière mais trois livres lui apportent les nourritures spirituelles : un album sur Vermeer, un second livre sur un monastère cistercien et un recueil de poèmes de Pierre Reverdy. Cette expérience unique de quelques saisons lui révèle une connaissance approfondie de lui-même. Au milieu des assauts monstrueux du vent et des vagues qui font trembler le phare, il subit une angoisse qu'il ne peut contrôler face aux événements imprévisibles. La mer a envahi le premier étage lors d'un épisode furieux. L'angoisse nocturne, celle des pannes des feux, de la radio, l'angoisse d'affronter les éléments naturels indomptables. Les tempêtes réelles répondent à sa tempête intérieure. Jean-Pierre Abraham s'interroge sur sa vie et sur ce choix d'une ascèse exigeante. Il désire être "habitable à lui-même". Sa recherche d'un accord avec sa propre existence illumine son journal. La présence féminine se niche dans les tableaux de Vermeer dont la "Jeune fille en bleu". Certains passages du texte sont des poèmes en prose : "J'ai tenu ce fil improbable. Veiller, le coeur obscur, veiller encore, vieillir, près d'un reflet, près d'une fragile tempe bleutée". Plus loin, il réaffirme son adhésion à la vie : "Parfois dans le coeur vide, rincé de toute image, s'allume toute seule une autre lueur, comment le dire, la ferveur, peut-être. J'aime violemment cette vie, je veux toucher sa peau, sa vraie peau sans oripeaux. J'ai souvent l'impression que c'est très simple". Dans ce journal intemporel, entre le ciel et la mer, entre les roches et les vagues, un homme se penche sur le sens de sa vie. Un récit trop longtemps oublié qu'il faut lire et relire. La Bretagne, l'océan, la solitude mais aussi la solidarité, la lecture, le travail manuel. "Armen" ou "le lieu où l'on puisse devenir soi-même, s'épanouir, être à sa place, bien dans sa peau". Une lecture iodée !
mercredi 19 mars 2025
"Le Bateau-phare de Blackwater", Colm Toibin
Je poursuis ma découverte de l'excellent écrivain irlandais, Colm Toibin, avec "Le Bateau-phare de Blackwater", publié en 2001 dans la collection 10/18. Le personnage principal, Helen, vit en harmonie avec son mari et ses deux fils. Sa famille est partie sans elle dans le Donegal. Elle veut profiter de cette parenthèse pour souffler mais, elle reçoit la visite d'un ami de son frère, Declan. Paul lui annonce la maladie de ce frère qu'elle aime tendrement. Homosexuel, il est atteint du sida et va mourir. Elle est chargée d'informer leur mère qu'ils n'ont pas vue depuis plusieurs années. Declan veut finir ses jours chez sa grand-mère dans la maison de famille à Wexford, au bord de la mer. La grand-mère et la mère sont des femmes à fort caractère et leur relation semble toujours tendue. Declan arrive dans la maison avec deux de ses plus fidèles amis et ce nouveau clan disparate va devoir composer et vivre ensemble. L'état de santé du jeune homme se dégrade au fil des jours et sa nouvelle famille recomposée prend soin de lui avec une générosité exemplaire. Colm Toibin décrit merveilleusement les conflits familiaux. Lily, la mère, a perdu son mari d'un cancer et elle a choisi l'éloignement de ses enfants qu'elle a confiés à sa mère. Les souvenirs d'enfance remontent chez Helen et cette remontée d'un sentiment d'abandon alimente sa rancoeur contre sa mère qu'elle n'arrive pas à comprendre. Cette femme, désespérée par la mort de son mari, s'est murée dans le silence et s'est investie dans sa vie professionnelle très réussie. Elle habite dans une maison de rêve en bord de mer que ses enfants n'ont jamais vue. Les deux femmes n'approuvent pas la vie sexuelle de Declan mais, devant sa maladie, elles font face et se dévouent. Quelques scènes de la vie commune entre les amis de Declan et les femmes de la famille éclairent le crépuscule du jeune homme qui finira sa vie à l'hôpital. Ce roman de réconciliation se déploie autour de personnages attachants comme celui d'Helen et de son frère, Declan. Les années 80 ont été marquées par la tragédie du sida et Colm Toibin s'empare de ce sujet avec une délicatesse surprenante même s'il décrit avec précision les dégâts physiques du jeune homme d'un courage incroyable. Les rancunes, les non-dits, ne s'envolent pas facilement dans l'esprit de chaque protagoniste mais, l'apaisement dans les relations advient quand la maladie frappe. Le style sobre et sans fioriture de l'écrivain évite la noirceur du sujet et ce roman démontre le talent particulier de Colm Toibin, celui de proposer une analyse psychologique d'une finesse de dentelle.
mardi 11 mars 2025
"1984", George Orwell, 2
Une intrigue amoureuse naît entre Weston et Julia, une collègue du "commissariat aux romans". Leur relation secrète ne dure pas longtemps malgré leurs rencontres secrètes car l'Etat interdit la sexualité. Ils découvrent un cercle de rebelles appelé la Fraternité. A leur tête, Emmanuel Goldstein, l'ennemi de l'Angsoc, qui passe sur les écrans lors des "Deux Minutes de la Haine" quotidienne. Cet ennemi n'a jamais existé et s'avère être une invention pour traquer les réfractaires à la pensée unique. Mais, ils sont trahis par un contact qui s'avère appartenir au Parti. Weston est jeté dans une prison et il est soumis à des mois de manipulation mentale, de la torture permanente. Il finit par craquer et trahit Julia. Sa rééducation dans le droit fil de la Police de la Pensée est accomplie. Il n'est plus qu'une coquille vidée de son humanité, de sentiments et de dignité. George Orwell abandonne son "héros" dans sa béatitude admirative de Big Brother. Tous les ex-criminels finissent exécutés par le Parti. Le dessein final de cette société totalitaire aboutira en 2050 car "toute connaissance de l'ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron plus qu'en versions novlangue. (...) Ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu'ils étaient jusque-là". Les bibliothèques n'existent plus et l'écrivain rappelle les autodafés des nazis : "La chasse aux livres et leur destruction avaient été faites avec autant de soin dans les quartiers prolétaires que partout ailleurs. Il était tout à fait improbable qu'il existât, quelque part dans l'Océania, un exemplaire du livre imprimé avant 1960". Pour ma part, j'ai lu ce roman d'anticipation avec un certain effroi et après les totalitarismes du XXe siècle, le XXIe siècle me semble bien mal parti. George Orwell avait une prémonition glaçante : "Vous désirez une image de l'avenir, imaginez une botte, piétinant un visage humain... Eternellement... ". Pour mieux connaître cet écrivain majeur du siècle dernier, de nombreuses émissions de France Culture sont disponibles en podcast. On peut aussi lire toute l'oeuvre de George Orwell dans la prestigieuse collection de la Pléiade chez Gallimard. "1984", un roman d'une actualité brûlante !
lundi 10 mars 2025
"1984", Georges Orwell, 1
Je n'avais jamais lu ce classique de la littérature anglaise, "1984", de George Orwell. J'avais l'impression de connaître ce texte tellement il sert de référence pour tous les lecteurs et lectrices qui aiment le genre dystopique. Comme le monde vacille en ce moment sur ses bases traditionnelles, ce roman, publié en 1949, conserve une actualité bien plus qu'inquiétante. L'écrivain anglais achève ce livre à la veille de sa disparition, le neuvième de son oeuvre. Le thème majeur décrit les conséquences du totalitarisme, de la surveillance de masse, de l'anéantissement de l'individu. Lui-même, socialiste démocrate, antifranquiste, appartenait à la gauche antistalinienne. L'histoire se déroule dans un futur imaginaire à Londres. Le monde entier est en guerre perpétuelle entre trois blocs géopolitiques tous totalitaires : l'Oceania (l'Occident d'aujourd'hui), l'Eurasia (la Russie) et l'Estasia (la Chine et plus). La Grande Bretagne, province d'Oceania, s'est transformée en dictature, dirigée par Big Brother, un leader soutenu par la police de la Pensée. Dès les premières pages du roman, une cascade d'horreurs surgit pour présenter le modèle du totalitarisme : un télécran permanent sur les individus, aucune intimité, le négationnisme historique, la propagande permanente pour vanter la gloire du leader, la liberté d'expression interdite, la torture et la déportation des rebelles, la sexualité contrôlée, la vérité niée, etc. Le slogan du Parti, lapidaire et cynique, s'affiche partout : "La guerre, c'est la paix. La liberté, c'est l'esclavage. L'ignorance, c'est la force". Le personnage central, Winston Smith, travaille au sein du Ministère de la Vérité ! Il doute, se méfie, n'adhère pas complétement à l'idéologie totalitaire et rêve du passé avant la dictature. Il trouve un cahier dans une papeterie et cet objet si banal en soi déclenche en lui l'envie de raconter le cauchemar d'Oceania. Son journal intime l'aide à traverser cette vie insupportable. Winston Smith occupe un poste stratégique : falsifier le passé et inventer les mensonges du Parti. Ce monde totalitaire possède son propre langage, la novlangue, en se dotant d'un nouveau dictionnaire : "Vous croyez que notre travail principal est d'inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu'à l'os". Mort de la pensée, mort du libre arbitre, mort de la civilisation. Comment résister dans ce monde mortifère ? Le camp du Bien ? Winston Smith garde dans sa mémoire le sentiment des temps anciens, "Des temps où existaient encore l'intimité, l'amour et l'amitié (...) Aujourd'hui, il y avait de la peur, de la haine, de la souffrance, mais il n'y avait aucune dignité dans l'émotion. Il n'y avait aucune profondeur, aucune complexité dans les tristesses". (La suite, demain)
samedi 8 mars 2025
"Mrs Dalloway", Virginia Woolf
En cette journée des Droits des femmes du 8 Mars, je ne pense qu'à l'une d'entre elles, celle qui m'a influencée depuis des dizaines d'années. Je veux parler, non pas de Simone de Beauvoir, mais de Virginia Woolf. J'ai écouté sur France Culture une émission sur les cent ans de "Mrs Dalloway", publié en 1925. J'ai lu ce roman à trois reprises pour m'imprégner de l'univers woolfien. Il ne se passe pas grand chose dans ce texte. L'intrigue est inexistente : le personnage féminin raconte sa journée. Elle doit organiser une réception en l'honneur de son mari. Elle reçoit la visite inopinée d'un ancien amoureux, Peter Walsh et leur rencontre provoque un flux de souvenirs et surtout d'interrogations sur sa vie. Un des invités de la soirée mentionne le suicide d'un soldat, Septimus Warren Smith, revenu du front. Il souffre de trouble de stress post-traumatique et de crises hallucinatoires. Clarissa Dalloway est bouleversée par ce choix du suicide. Virginia Woolf analyse à travers ce chef d'oeuvre les vibrations sensuelles de la vie. Les carillons, le printemps, le flux de Londres, les fleurs, la lumière. Les sons, les images, les sentiments, l'écrivaine tente de "sauver cette partie de la vie, la seule précieuse, ce centre, ce ravissement, que les hommes laissent échapper, cette joie prodigieuse qui pourrait être nôtre". Mais, en arrière-plan, rôdent l'inquiétude, l'angoisse et le vertige du suicide. Ce livre culte sur le temps, sur l'amour, sur les relations sociales représente la quintessence de tous les livres de la grande Virginia. J'ai repris mon Folio pour relire quelques passages. J'avais souligné ces lignes sur le personnage de Peter Walsh : "L'avantage de vieillir (...) c'est tout simplement que les passions demeurent aussi vives qu'auparavant, mais qu'on a acquis, finalement, la faculté qui donne à l'existence sa saveur suprême, la faculté de prendre ces expériences et de les faire tourner, lentement, à la lumière". Plus loin, Virginia Woolf écrit : "La vie à elle seule, chaque seconde, chaque goutte de vie, l'instant présent, là, maintenant au soleil, à Regent's Park, cela suffisait". Essayiste féministe, critique littéraire, romancière, cent ans après, Virginia Woolf n'a jamais été aussi moderne dans ses choix de vie : la cause juste des femmes pour leur indépendance dans "Une chambre à soi", la conquète de son "moi" intime dans son "Journal", son invention du flux de conscience dans tous ces romans novateurs. Virginia Woolf, au fond, comme Marcel Proust, symbolisent la Littérature : "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent, réellement vécue".
vendredi 7 mars 2025
"Ann d'Angleterre", Julia Deck
Prix Médicis en 2024, le récit autobiographique de Julia Deck, "Ann d'Angleterre", publié au Seuil, évoque sa mère, Ann, d'origine anglaise. La narratrice relate son pressentissement : "On y pense ou on n'y pense pas. J'y pense depuis trente ans". En avril 2022, Julia Deck découvre le corps inanimé de sa mère, âgée de 84 ans, dans sa salle de bain. Atteinte d'une hémorragie cérébrale, elle a passé vingt-huit heures toute seule, sur le carrelage. L'ambulance la conduit aux Urgences et elle va rester à l'hôpital pendant six mois. Pour sa fille, cet événement est une catastrophe. Sa mère, pourtant en bonne santé, s'enfonce dans un abîme sans fin. Deux récits s'alternent après ce drame prévisible, celui du passé d'Ann en Angleterre et en France et son présent à l'hôpital. La narratrice affronte ces bouleversements et l'écriture de ce journal intime l'aide à passer ce cap Horn de la vieillesse naufragée : "C'est l'ordinaire des mères et des filles enchaînées par un cordon d'acier". La narratrice raconte avec un certain humour le périple hospitalier de sa mère : urgences, médecins impuissants, soins négligents, manque de personnel, administration inhumaine. Un monde médical à la dérive malgré ses performances techniques évidentes. Les internes "gèrent le flux" et "font tourner les lits". Une assistante sociale n'attend que le placement d'Ann Deck dans une maison de retraite médicalisée. Comme sa mère commence à perdre la mémoire, il est urgent de rassembler les souvenirs pour évoquer sa vie. La biographie maternelle se charge de déminer la violence du présent à l'hôpital. Eleanor Ann, née en 1937, à Billingham, une cité ouvrière, quitte son pays pour tenter l'aventure parisienne. Après des études d'histoire, elle enseigne l'anglais à des employés de Colgate et d'une banque. Sa mère rencontre François et donne naissance à son unique fille, Julia. Femme libre et cultivée, elle "a traversé la guerre, la reconstruction, la Nouvelle Vague, la dolce vita, les swinging sixties". La narratrice ne supporte pas la déchéance physique et intellectuelle de sa mère. Leur relation n'est pas toujours sereine et apaisée. Bien au contraire. Tout l'art de l'écrivaine s'imprègne de l'ambiguité des sentiments familiaux entre amour et exaspération. Un secret de famille effleure le récit concernant une cousine anglaise que sa mère adorait tout particulièrement. Julia Deck dévoile aussi ses périodes dépressives, sa vie d'écrivain entre salons et signatures. La maladie de sa mère se dégrade au fil des jours. Sa mère refuse de partir dans un EHPAD (mot technique déshumanisé), mais le réel s'impose et elle intègre une maison de retraite. L'écrivaine rend un hommage touchant à une femme du XXe siècle, forte et indépendante, une mère responsable de sa vie et de celle de sa fille. Ann et Julia. Un beau récit autobiographique à lire sans hésiter.
jeudi 6 mars 2025
"La Maison du magicien", Emanuele Trevi
J'ai découvert récemment l'écrivain italien, Emanuele Trevi, né à Rome en 1964. Il poursuit sa réflexion sur le rapport qu'il entretient avec les disparus. Son récit précédent, "Deux vies", évoquait l'amitié entre Pia Pera et Rocco Carbone, deux écrivains minés par l'échec. Cet ouvrage a obtenu le prestigieux prix Strega en 2021. Dans "La Maison du magicien", paru l'année dernière chez Philippe Rey, l'auteur dresse le portrait de son père, Mario Trevi, psychanalyste de renom et le mage de l'histoire. Emanuele Trevi a hérité de son appartement et il décide de s'y installer. Cette habitation dans un quartier résidentiel de Rome n'est pas une demeure de charme : "L'usure et la vieillesse avaient répandu sur ces pièces une patine de désolation". Sa propre mère ne cessait de lui dire en définissant l'attitude imprévisible de ce père : "Tu sais comment il est". Le fils Trevi tente l'impossible : il se met à l'affût de cet homme énigmatique par nature. Il se plonge dans ses écrits, dans ses carnets, dans les notes qu'il a déposées en marge de ses livres. Le narrateur découvre une de ses manies originales : il a accumulé des pierres par centaines, polies à la main par ses soins. Des souvenirs d'enfance très drôles illustrent le comportement insaisissable de cet homme secret et de son inattention légendaire, ce qui est paradoxal pour un psychanalyste. D'autres personnages interviennent dans ce texte : une certaine Miss Miller qui a fasciné Jung pour un article qu'elle avait écrit, une femmme fantôme visitant l'appartement et laissant des signes de son passage. D'autres femmes bien vivantes, une femme de ménage péruvienne et sa cousine Paradisa s'emparent de son espace en semant le désordre. Se laissant débordé par toutes ces perturbations, le narrateur sera sauvé par le départ de ces envahisseuses indésirables vers d'autres horizons. Quelles leçons le narrateur peut-il tirer de son enquête sur ce père si absent ? Etre un enfant sans une présence paternelle solide laisse des traces, des traumatismes que le narrateur tente de découvrir. Emanuele Trevi dévoile le passé d'un père d'une grande humanité, distrait et attachant. Le style poétique, fantaisiste de cet écrivain italien ressemble aux pierres polies de son père, des galets cueillis au bord des rivières. Une lecture charmante et originale.
mercredi 5 mars 2025
"Autobiographie de mon père", Pierre Pachet
Dans ma liste de récits autobiographiques de l'Atelier Littérature, j'ai choisi "Autobiographie de mon père" de Pierre Pachet. Qui est Pierre Pachet ? Un écrivain (1937-2016) peu connu du grand public et pourtant, il mériterait plus d'admiration. De parents d'origine russe, il était maître de conférences et il a publié des ouvrages sur la littérature dont "Les baromètres de l'âme" sur le journal intime. De formation hélleniste, il a même traduit "La République" de Platon, publié chez Gallimard. Une partie de son oeuvre est consacrée à l'autobiographie et il a longtemps participé comme critique littéraire dans le bimensuel, "La Quinzaine littéraire" et sur le site "En attendant Nadeau". Dans "Une autobiographie de mon père", publié chez Autrement en 1987, l'écrivain raconte la vie de son père, né en 1895, dans une famille juive de la Russie méridionale. Son entreprise littéraire naît vingt ans après sa mort : "La mort de mon père n'avait pas étranglé sa parole (...) Car elle se trouvait désormais soumise à une tâche nouvelle, exorbitante : celle de se raconter tout au long, de s'engendrer dans une solitude absolue, d'assumer la responsabilité entière de son existence". Il s'appelait Simkha (joie en hébreu) Opatchevsky. Il quitte Odessa en 1905 pour la France où il suit des études de médecine. Il va se contenter de devenir dentiste et pratiquera ce métier sans passion particulière. Etudiant sérieux et besogneux, il a une proposition pour partir en Amérique mais il reste en France. Il se définit comme un homme timide, mélancolique et "méditatif". Il se marie et s'installe son cabinet de dentiste à Paris, puis à Vichy. Naissent ses deux enfants dont Pierre, le biographe de son père. Dans une France occupée, il franchit la ligne de démarcation pour mettre sa famille à l'abri. En 1945, il s'interroge sur son milieu de vie, sur l'expérience de la guerre et du sort atroce des Juifs. Sa santé se détériore, sa vision et sa mémoire se fragilisent. Les pages consacrées à sa fin de vie sont frappantes de vérité et de lucidité. Le fils, Pierre, rend un hommage sobre et sans concession à un homme complexe qu'il essaie de décrire, de comprendre, d'aimer malgré un vie parfois difficile dans les méandres sombres de son identité "d'immigré russe et juif". Cette autobiographie d'une écriture remarquable est à découvrir.
dimanche 2 mars 2025
"Trésor caché", Pascal Quignard, 2
Luigi meurt donc de chagrin car il ne supporte pas la disparition de sa mère. Louise quitte son paradis terrestre d'Ischia et retourne dans sa maison de campagne. Elle retrouve son cercle familial et elle cumule des pertes : son père et son ex-mari. Cette série de deuils au seuil de sa retraite et d'un "certain repli sur soi" rappellent à Louise le décès de sa mère quand elle était enfant. Pascal Quignard évoque avec bonheur l'avancée de l'âge et ce "trésor caché" semble correspondre à l'éloge tout simplement de la vie dans tous ces facettes lumineuses ou sombres. La symbolique de l'eau imprègne les pages : de la mer aux rivières, des lacs aux fleuves, l'auteur ressent une fascination pour cet univers liquide. Ce roman hybride mêle toutes les formes littéraires : conte, aphorismes, légende, histoire amoureuse, journal intime, éloge. L'art de l'écrivain englobe ces libertés de l'écriture sans se conformer à un modèle unique et uniforme : "Parfois les mots sont des hameçons étranges qui piquent ou qui embrochent un bout de vie au fond de la mémoire". Le coeur du roman repose sur le personnage de Louise, un double féminin de Pascal Quignard, à la recherche du bonheur d'être et ce "trésor caché" symbolise toutes les possibilités que la vie donne pour l'apprécier. Quand un journaliste a demandé à l'écrivain un voeu en début d'année, il a répondu l'essentiel : "rester vivant". Dans ce livre qui condense toutes les facettes "quignardiennes", deux éloges m'ont semblé dominants : l'éloge des chats et l'éloge de la vieillesse. Les chats prennent une place importante dans la vie de Louise (et de Pascal Quignard). Farouches, libres, indépendants, calins, intelligents, ils sont omniprésents dans le texte. Il est très rare qu'un écrivain évoque le "vieillissement" sans constater le ravage éventuel physique, moral et intellectuel du cumul des années. Mais, Pascal Quignard ne sombre pas dans ce pessimisme. "L'âge tend une main plus vaste que ne peuvent l'être les poings ou les menottes du premier monde, du premier jour de la naissance, des premières saisons de l'enfance. (...) Seul l'âge, dans le monde externe, constitue le trésor". Il faut se laisser porter par le flux poétique de ce texte entre "la jouissance de la vie et la mélancolie de la perte". Un des meilleurs romans de Pascal Quignard.
samedi 1 mars 2025
"Trésor caché", Pascal Quignard, 1
Dès que j'ai appris la date de sortie d'un dernier Quignard, je suis allée l'acheter chez Garin. "Fan" de cet écrivain quelque peu énigmatique, je le lis et le relis régulièrement. Son roman, "Trésor caché" semble rencontrer un succès auprès d'un public élargi car l'écrivain pourtant farouche à toutes promotions est passé à la Grande Librairie, mais aussi à France inter et France culture. Je le soupçonne aujourd'hui de son envie de quitter sa caverne au bord de sa rivière pour que son oeuvre soit plus visibilisée dans les médias. Les critiques se montrent unanimes sur la qualité de son dernier livre, d'une clarté inhabituelle. L'écrivain n'hésite plus à révèler qu'il a vécu des périodes dépressives dans sa vie et il parvient maintenant à surmonter ses crises. Il préfère comme tout un chacun cultiver le bonheur, choisir la joie à la tristesse. Pascal Quignard raconte donc sa foi retrouvée pour une vie "bonne et belle". J'ai toujours apprécié son indépendance revendiquée et sa liberté d'écriture. Il me fait penser à son illustre collègue, Julien Gracq, d'une discrétion absolue et refusant même le prix Goncourt pour ne pas se compromettre avec le spectacle médiatique que cela implique. Que raconte-t-il dans sa nouvelle fiction ? Son personnage central se nomme Louise, une quinquagénaire, lectrice de manuscrits et vivant dans une maison de campagne avec son chat. Un jour, son chat meurt et elle décide de l'enterrer dans son jardin. En creusant la terre, elle découvre une cassette pleine de pièces d'or et de bijoux, "le trésor caché". Le conte démarre sur cet événement proche de l'enfance. Qui n'a pas rêvé de découvrir un trésor dans son jardin ? Ce cadeau inopiné va lui offrir une vie nouvelle. Elle aime voyager et parcourt le monde mais elle tombe amoureuse de la baie de Naples. Elle rencontre Ludwig ou Luigi, un allemand amoureux de Procida. Louise connaît l'amour avec un grand A, d'un romantisme sensuel flamboyant : "Le bonheur s'avança comme une vague brusque et immense qui, peu à peu, la renversa et l'engloutit". Cette parenthèse enchantée quoique très brève va se refermer quand Luigi perd sa mère adorée à Ischia. Après le deuil d'une mére, un autre événement bouleverse le couple. Ischia, cette île volcanique, étrange et fascinante, va subir un tremblement de terre qui ravage l'île, symbole du couple Louise-Luigi. Pascal Quignard, en moraliste très XVIIe siècle, intègre souvent dans son texte des aphorismes comme celui-ci : "Il est possible que l'amour soit une tendresse pour la solitude de l'autre". Son compagnon plonge alors dans une grande tristesse et il ne s'en remet pas : "Le chagrin illumine étrangement le monde. Le deuil y porte son ombre mais cet ombre, souvent, en souligne, en accuse, en augmente la beauté en même temps que la détresse. (...) C'est ainsi que la mélancolie embellit le présent". (la suite, demain)