Dans ma liste concernant les récits de vie pour l'Atelier Littérature du 27 mars, j'ai choisi "Armen" de Jean-Pierre Abraham (1936-2003). Publié en 1967, ce journal de bord est considéré comme un objet littéraire non indentifié. Jeune poète, il est inspiré par la mer, ayant vécu en Bretagne avec sa famille. Il a entrepris des études de lettres à la Sorbonne mais il ne veut pas devenir professeur. L'appel du large le fascine et après une formation sérieuse de gardien de phare, il occupe le poste de gardien au phare d'Ar-Men, situé au large de l'île de Sein et de la pointe du Raz. Vingt jours de travail non-stop et dix jours de repos à terre, voilà le ryhtme de sa vie maritime. Le phare nécessite deux gardiens en service. La relève et le ravitaillement souvent périlleux sont assurés par la Velléda dont le patron se nomme Henri Le Gall. Dans cet espace réduit face à l'immensité océanique, le narrateur décrit sa vie quotidienne très pragmatique, technique et routinière mais trois livres lui apportent les nourritures spirituelles : un album sur Vermeer, un second livre sur un monastère cistercien et un recueil de poèmes de Pierre Reverdy. Cette expérience unique de quelques saisons lui révèle une connaissance approfondie de lui-même. Au milieu des assauts monstrueux du vent et des vagues qui font trembler le phare, il subit une angoisse qu'il ne peut contrôler face aux événements imprévisibles. La mer a envahi le premier étage lors d'un épisode furieux. L'angoisse nocturne, celle des pannes des feux, de la radio, l'angoisse d'affronter les éléments naturels indomptables. Les tempêtes réelles répondent à sa tempête intérieure. Jean-Pierre Abraham s'interroge sur sa vie et sur ce choix d'une ascèse exigeante. Il désire être "habitable à lui-même". Sa recherche d'un accord avec sa propre existence illumine son journal. La présence féminine se niche dans les tableaux de Vermeer dont la "Jeune fille en bleu". Certains passages du texte sont des poèmes en prose : "J'ai tenu ce fil improbable. Veiller, le coeur obscur, veiller encore, vieillir, près d'un reflet, près d'une fragile tempe bleutée". Plus loin, il réaffirme son adhésion à la vie : "Parfois dans le coeur vide, rincé de toute image, s'allume toute seule une autre lueur, comment le dire, la ferveur, peut-être. J'aime violemment cette vie, je veux toucher sa peau, sa vraie peau sans oripeaux. J'ai souvent l'impression que c'est très simple". Dans ce journal intemporel, entre le ciel et la mer, entre les roches et les vagues, un homme se penche sur le sens de sa vie. Un récit trop longtemps oublié qu'il faut lire et relire. La Bretagne, l'océan, la solitude mais aussi la solidarité, la lecture, le travail manuel. "Armen" ou "le lieu où l'on puisse devenir soi-même, s'épanouir, être à sa place, bien dans sa peau". Une lecture iodée !
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