mercredi 5 février 2025

Ma cabane à livres d'Aix-les-Bains

 Lundi dernier, je me suis baladée comme je le fais régulièrement, au bord du lac. Lors de ma marche bénéfique, je m'arrête devant les cabanes à livres que j'aime bien fouiller. Quand je me suis approchée de la cabane du Jardin vagabond à Aix-les-Bains, j'étais ébahie : devant mes yeux, un amas de ferraille et de livres carbonisés ! Depuis quelques années, je me réjouis de voir ces boîtes à livres où chacun peut déposer des romans, des essais, des documentaires dans un méli-mélo sympathique. Parfois, je trouve des vieux poches, lus dans ma jeunesse ou même des nouveautés. Quels sont donc ces crétins qui ont mis le feu à cette cabane que j'avais prise en photo tellement elle était originale, s'intégrant dans cet espace vert protégé ? Quels sont ces idiots qui n'aiment pas les livres ? Quels sont les mobiles de ces antisociaux ? Mais, pourquoi s'attaquer à cet objet paisible qui ne gêne personne, un abri pour les livres qui n'ont aucune valeur marchande ? Je n'arrive pas à comprendre ces actes gratuits d'incivilité. Des livres dans un jardin public, de la culture en pleine nature, un acquis merveilleux de notre art de vivre. Des questions sans réponses. En juin 2023, des émeutiers ont brûlé quelques médiathèques et des écoles. S'attaquer au savoir, à la connaissance, aux "Lumières" relève d'un comportement inquiétant. Une partie de notre jeunesse semble partir en vrille en laissant leurs pulsions agressives prendre le dessus. Aucun surmoi pour ces jeunes, dépourvus de morale et d'idéal. Je rêve qu'ils approchent ces cabanes à livres et au lieu de prendre une allumette pour flamber ce nid où quelques livres sommeillent, un des protagonistes saisit un de ces beaux objets en papier et il se met à le lire. C'est un essai de Pascal Quignard. Il le feuillete et tombe sur cette citation : "L'humanité doit plus à la lecture qu'aux armes". Alors, ce garçon à la tête en jachère, choisit ce camp, le camp de la culture. Plus jamais de cabanes brûlées pour ne jamais revivre aussi ces autodafés des temps passés dont celui de Berlin. J'étais très émue devant ce mémorial de l'autodafé, appelé "La Bibliothèque engloutie", un monument du sculpteur israélien, Micha Ullman, inaugurée en 1995 et dédiée au souvenir des autodafés de livres perpétrés à Berlin en mai 1933. Cette oeuvre se situe sous le sol de la Bebelplatz. Plus de 20 000 livres ont été brûlés symbolisant pour les nazis, "l'esprit non allemand". La mairie d'Aix-les-Bains va-t-elle réintégrer une nouvelle cabine à livres dans le Jardin vagabond ?  A surveiller. 

mardi 4 février 2025

"Madame Bovary", Gustave Flaubert, 2

 Le sentimentalisme exarcerbé d'Emma Bovary lasse ses conquêtes masculines. Ses achats compulsifs d'étoffes et de colifichets la mettent en danger car le commerçant lui fait crédit et la menace de saisir ses biens. Tout s'effondre pour elle : "Le lendemain fut pour Emma, une journée funèbre. Tout lui parut enveloppé par une atmosphère noire qui flottait confusément sur l'extérieur des choses, et le chagrin s'engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme fait le vent d'hiver dans les châteaux abandonnés". Acculée à rembourser ses dettes, Emma comprend qu'elle ne peut plus faire face. Elle s'empoisonne par désespoir. Charles Bovary meurt de chagrin et la petite Berthe est confiée à une tante. Gustave Flaubert a élaboré avec ce personnage féminin le concept de "bovarysme", passé dans le langage courant. Ce sentiment d'insastifaction, de frustation procure une souffrance "psychique" chez l'héroïne qui désire une vie de passion, alimentée par les effets des lectures romantiques. Elle bute contre un réel qui la blesse sans cesse. Je pense à Clément Rosset et à sa théorie sur "Le réel et son double". J'aurais aimé que ce philosophe analyse le roman de Gustave Flaubert. Quand la réalité ne nous convient pas, chacun s'engouffre dans un double, un ailleurs et Emma se noie dans une idée du "grand amour" qu'aucun partenaire ne lui offre sauf son propre mari, Charles, le seul qui l'a véritablement aimée mais qu'elle néglige et méprise. Gustave Flaubert dénonce évidemment cette attitude mais il aime aussi cette femme quand il a déclaré : "Madame Bovary, c'est moi ! ". Le roman dans son ensemble décrypte aussi la "bêtise" : celle du pharmacien Homais, infatué de sa personne. Les amants d'Emma, Rodolphe et Léon, sont pétris d'égoïsme et de lâcheté. Ce classique intemporel demeure un puissant réquisitoire contre la médiocrité intellectuelle, le conformisme social, les illusions lyriques, la bêtise humaine. L'écrivain a subi un procès pour outrage à la morale et aux bonnes moeurs. Le roman, sous-titré, "Moeurs de province" en hommage à Honoré de Balzac, est inspiré d'un fait divers local, l'histoire d'une jeune épouse d'un officier de santé qui mourut à 26 ans. Et le style de Flaubert, un sommet de la langue française ! 

lundi 3 février 2025

"Madame Bovary", Gustave Flaubert, 1

 Comme je le dis souvent dans ce blog, je retrouve le chemin des classiques avec délectation. Je redécouvre ainsi mes grands écrivains qui m'ont fait aimer la littérature : Flaubert, Stendhal, Balzac et Proust pour citer mes préférés. Le roman de Flaubert, "Madame Bovary", paru en 1857, se savoure avec plus d'intensité après une deuxième lecture. Emma représentait, à mes yeux, le modèle des femmes insastifaites, frustrées, déçues par la goujaterie de leurs amants. Je la trouvais un peu "idiote" de se laisser berner aussi facilement. Aujourd'hui, je la comprends mieux dans son désir d'être heureuse. Son balourd de Charles devient éperdument amoureux d'elle quand il la voit pour la première fois chez le père Rouault. Comme elle s'ennuie dans la ferme familiale, elle accepte de le revoir et finit par se marier avec ce médecin de campagne, loin d'être séduisant. Quand elle rêve de son mariage, elle pense à une cérémonie aux chandelles vers minuit. Evidemment, Charles ne comprend rien aux rêves de princesse de sa femme. Le poison du romantisme s'infiltre dans ses veines car, dans ses jeunes années adolescentes, elle lisait des romans à l'eau de rose où les princesses et les chevaliers peuplaient son imagination : "Elle était l'amoureuse de tous les romans, l'héroïne de tous les drames". La lecture peut aussi jouer un rôle déformant comme le Don Quichotte avalant des romans de chevalerie et se transformant en héros factice devant les moulins à vent. Charles constate que son épouse souffre des "nerfs". A cette époque, le mot dépression ne faisait pas partie du vocabulaire flaubertien. Il reçoit une invitation du marquis d'Andervilliers pour assister à un bal. Emma en sort éblouie par ce monde tellement différent du sien. Charles décide alors de quitter son bourg trop campagnard pour Yonville, une petite ville plus animée. Apparaissent dans le roman des personnage secondaires, hauts en couleurs, dont le stupide Homais, pharmacien herboriste, progressiste et voltairien, le notable de province par excellence qui sait tout sur tout. Emma donne naissance à sa fille, Berthe, mais elle est déçue car elle voulait un garçon. Le réel la contrarie constamment : elle n'éprouve rien pour son mari, ni pour sa fille qu'elle confie à une nourrice. Comme elle veut vivre avec passion, elle se lance dans une aventure amoureuse avec Rodolphe, un hobereau sans foi ni loi qui se moque de cette pauvre Emma, rêvant de fuir sa famille et son milieu petit-bourgeois. Elle se disait : "J'ai un amant, un amant ! Se délectant à cette idée comme à celle d'une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc possèder enfin ces joies de l'amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré". Emma Bovary ou les "Illusions perdues". Gustave Flaubert avait lu et bien lu Balzac !  (La suite, demain)