lundi 30 décembre 2024

Atelier Littérature, les coups de coeur, 2

 Annette a évoqué un essai de Jean Giono, "Pour saluer Melville", publié en 1941 et disponible aujourd'hui dans la collection "L'Imaginaire" chez Gallimard. L'écrivain rend hommage à un "frère", Herman Melville dans ce beau récit, devenu un classique. Il a traduit "Moby Dick" avec Lucien Jacques et il raconte dans son essai que ce vaste et splendide roman l'a accompagné depuis de nombreuses années. Il écrit : "Il me suffisait de m'asseoir, le dos contre le tronc d'un pin, de sortir de ma poche ce livre qui déjà clapotait pour sentir se gonfler sous moi et autour la vie multiple des mers". Annette m'a donné envie de lire cet essai que je n'ai pas encore lu et surtout de relire "Moby Dick", un chef d'oeuvre de la littérature américaine. Geneviève a beaucoup aimé un premier roman sélectionné dans le cadre du Festival de Chambéry, "Camera obscura" de Gwenaëlle Lenoir, publié chez Julliard. Ce roman percutant raconte l'histoire d'un photographe militaire qui voit arriver à l'hôpital des corps torturés. Il photographie ces victimes sans poser des questions car son pays s'abîme dans la terreur. Peu à peu, il comprend qu'il est le seul témoin de cette barbarie institutionelle. Ce pays ressemble à la Syrie. Cet homme ordinaire devient l'archiviste de l'horreur et il lui faut un courage exceptionnel pour témoigner contre un état totalitaire. L'autrice s'est inspirée d'un militaire hospitalier qui vit caché quelque part en Europe. Tout est vrai dans ce roman qui, parfois, semble difficile à lire. La littérature sert aussi à dénoncer la noirceur de l'âme humaine et des régimes politiques dictatoriaux. Danièle a lu et apprécié un roman de Béatrice Commengé, "Ne jamais arriver", publié chez Verdier. La narratrice évoque l'île, "l'Insula Ovidiu", un port lointain de la Mer Noire où fut relégué Ovide par Auguste à l'aube du premier millénaire. Ce lieu "ovidien" l'a plongée dans une rêverie heureuse mais quand elle doit entreprendre son voyage, au seuil de l'année 2020, l'épidémie du Covid l'empêche de partir... Récit de voyage à la rencontre d'un poète et récit autobiographique d'une grande douceur. Pour l'écrivaine, "le livre est peut-être, avant tout, un désir de solitude et de calme bienvenu", écrit une lectrice sur ce beau texte qui donne envie de découvrir, Ovide,  le poète latin  des "Métamorphoses" et de "L'art d'aimer". Danièle, connaissant ma passion de l'Antiquité greco-romaine m'a très gentiment offert l'ouvrage et je l'en remercie encore. Voilà pour les coups de coeur de décembre. Nous nous retrouverons le jeudi 16 décembre à la Base pour le premier atelier de 2025 ! 

vendredi 27 décembre 2024

Atelier Littérature, les coups de coeur, 1

 Agnès a démarré la séquence, "coups de coeur", avec "Les Dames de guerre" de Laurent Guillaume, paru cette année chez Robert Laffont. En septembre 53, la rédaction de Life magazine envoie en Indochine une journaliste, Elizabeth Cole, afin de remplacer le reporter de guerre, mort pendant le conflit. Devenu correspondante de guerre, la journalisre réalise son rêve professionnel. Mais, elle ne s'attendait pas à vivre une aventure pareille quand elle enquête sur la mort de son collègue au coeur d'un nid d'espions, d'escrocs, de tragiquants d'armes. L'arrière-plan historique du roman a beaucoup intéressé Agnès qui nous a donné envie de lire ce roman documentaire, mais aussi un roman d'espionnage "addictif", une plongée sur les terres asiatiques en temps de guerre avec une héroïne attachante. Véronique a présenté un récit de vie de Lidia Maksymowicz, "La petite fille qui ne savait pas haïr", paru en Poche. La famille de Lidia Maksymowicz, catholiques d'origine biélorusse, est déportée au camp d'Auschwitz-Birkenau en 1943. La petite Lidia n'a que trois ans et l'horrible Mengele la remarque pour ses expériences. Heureusement, Lidia survit et elle est confiée à une famille polonaise après la disparition de ses parents. Elle grandit dans cette famille mais elle pense à sa mère qui a peut-être survécu à cet enfer. Un miracle a lieu quand elles se retrouveront sur un quai de gare à Moscou en 1963. Un témoignage émouvant à découvrir avec une jeune femme, Lidia, qui renonce à la haine, car "Haïr, c'est souffrir encore plus". Odile a lu et apprécié "Les Impatientes" de Djaïli Amadou Amal, paru en 2020 et prix Goncourt des Lycéens. Ce roman raconte le destin de trois femmes au Cameroun, subissant leur sort dans des mariages forcés, des viols conjugaux et des violences intolérables. Ces femmes "impatientes" veulent se libérer de ce joug ancestral et patriarcal. Un roman dénonçant la polygamie dans un pays musulman et l'autrice a bien du courage de décrire ces situations invraisemblables. Elle s'est affirmée en militante féministe dans l'association "Femmes du Sahel". 

jeudi 26 décembre 2024

Atelier Littérature, 3

Régine et Danièle ont bien aimé "La Lectrice disparue" de Sigridur Hagalin Björnsdottir, (le résumé de l'intrigue est dans ce blog). Les deux personnages principaux, Edda, la soeur en fuite et Einar, son frère à sa recherche forment un duo improbable. L'une a la passion de lire, l'autre souffre de dyslexie. Paradoxalement, cette différence frappante renforce leur relation frère-soeur. Ils finiront par se retrouver à New York et se dévoileront leurs secrets, longtemps occultés. Un roman islandais tout à fait singulier. Régine m'a envoyé cette citation :  "Nous devons reprogrammer notre cerveau pour acquérir ces facultés (lire et écrire). C'est là un point important : notre cerveau abrite des zones qui nous permettent de parler et d'écouter, de nous rappeler des choses et d'en imaginer, de traiter les informations visuelles, mais aucune n'est dévolue à la lecture. Lorsque nous apprenons à lire, le cerveau doit fabriquer de nouvelles connexions entre ces zones, et en réalité, il crée une nouvelle zone cérébrale". Ce roman original et intrigant pose des questions sur la lecture sur le plan neurologique. Odile était absente ce jeudi mais elle m'a envoyé un message pour le livre qu'elle avait choisi, "La librairie sur la colline" d'Alba Donati. Pour elle, cette "escapade toscane et littéraire est une belle ode à la littérature et aux librairies indépendantes. C'est toute une ambiance, un lieu de vie, de rencontres. On choisit un livre dans un décor où se mêlent littérature et nature. C'est plein de poésie". Personne n'a lu le récit autobiographique d'Agnès Desarthe, "Comment j'ai appris à lire", publié en 2014. L'écrivaine raconte son enfance de "non-lectrice" et son rejet de la lecture correspond à un esprit rebelle où elle refusait le monde des livres, trop conforme à une identité qu'elle ne ressentait pas. Après des études de lettres anglaises, elle réussit à devenir traductrice et quand elle découvre quelques écrivains dont le merveilleux Singer, si proche de son univers personnel, elle tombe dans les bras de la littérature. Cette enquête sur ce phénomène d'un désir entravé ressemble à une auto-analyse sincère et intéressante. Elle écrit : "A présent que lire est devenu mon occupation principale, mon obsession, mon plus grand plaisir, ma plus fiable ressource, je sais que le métier que j'ai choisi, le métier d'écrire, n'a servi et ne sert qu'une cause : accèder enfin et encore à la lecture, qui est à la fois le lieu de l'altérité apaisée et celui de la résolution, jamais achevée, de l'énigme que constitue pour chacun sa propre histoire". Jolie définition de la lecture, à méditer. 

lundi 23 décembre 2024

Atelier Littérature, 2

Annette a beaucoup apprécié le roman d'anticipation de Ray Bradbury, "Farenheit 451", paru en 1955 chez Denoël. Cette dystopie remarquable raconte l'histoire du pompier Guy Montag qui, au fil des jours, prend conscience de l'importance des livres dans une société totalitaire, ennemie de la pensée et de la liberté. La lecture est bannie car elle représente une source de questionnement et de réflexion, antisociale. Le pompier en question est chargé de brûler les livres déténus par la population récaciltrante. Il est interdit de les posséder. Bradbury décrit avec une prémonition inouï notre société actuelle avec le triomphe de l'écran et de l'intelligence artificielle : "La scolarité est écourtée, la discipline se relâche, la philosophie, l'histoire, les langues sont abandonnées, l'anglais et l'orthographe de plus en plus négligés, et finalement presque ignorés. On vit dans l'immédiat. Pourquoi apprendre quoi que ce soit quand il suffit d'appuyer sur des boutons ?". Evidemment, l'intrigue du roman est foisonnante et il faut lire ce livre pour suivre le héros principal qui finit par se révolter. Il rejoint des "marginaux" qui ont la capacité de retenir par coeur le contenu d'un livre après une seule lecture. Ils se déclarent comme des "couvertures de livres". Un beau roman de science-fiction sur l'absolue nécessité de conserver la civilisation de l'écrit. d'affirmer avec conviction la place majeure des livres dans toute société libre et démocratique. Geneviève a lu "Mais la vie continue" de notre regretté Bernard Pivot. Un texte agréable, plaisant, d'un octogénaire sage, bienveillant et malicieux qui donne des conseils pour bien vieillir : "La bonne humeur, le rire, le persiflage, l'autodérision sont des huiles bienfaisantes dont je puis démontrer qu'elles allongent la vie, mais qui, c'est évident, rendent celle-ci plus légère, moins angoissant". Dans cet ouvrage, il n'évoque pas le thème de la lecture mais cet homme-livre qui en dévorait cinq à dix par semaine a glorifié la lecture, un besoin vital pour ce passeur de mots, charmant et populaire. Son "Apostrophes" a marqué des générations entières ! Nostalgie d'une époque révolue ! On se souvient encore de la célèbre dictée qui mettait à l'honneur notre langue française, une initiative inimaginable de nos jours... 

vendredi 20 décembre 2024

Atelier Littérature, 1

 Le dernier Atelier Littérature 2024 s'est tenu à la Base ce jeudi 19 décembre et malgré quelques absentes, nous étions heureuses de nous retrouver autour d'une table pour partager notre amour de la lecture. Justement, la lecture, cet acte si simple d'aspect, se révèle bien plus complexe en vérité. J'avais proposé une liste d'ouvrages sur ce thème en décembre. J'ai présenté la bibliographie de janvier sur notre si belle capitale, Paris, qui appartient à nous tous et toutes et pas seulement aux Parisiens et Parisiennes. La cité si décriée parfois mais aussi célébrée par sa beauté architecturale méritait un atelier surtout après l'ouverture de la grandiose cathédrale, Notre-Dame-de-Paris. Entre décembre et janvier, ces lectures nous transporteront sur les bords de la Seine. Agnès a démarré la séance avec "Le Liseur" de Bernhard Schlink, paru en 1995 chez Gallimard. Notre amie lectrice a découvert ce roman avec intérêt même si ce n'est pas une lecture facile. L'histoire d'amour de ce jeune adolescent de quinze ans pour une trentenaire peut déjà déranger d'autant plus que le personnage d'Hanna est une ancienne gardienne d'un camp de concentration... La lecture demeure un leit-motiv tout au long du récit car l'amante du garçon vit dans la honte de son analphabétisme, plus grave à ses yeux que son engagement auprès des nazis. L'écrivain allemand pose le problème de la culpabilité des générations impliquées dans le nazisme. Hanna finira par se suicider en prison avant sa libération. Véronique et Danièle ont choisi "Les Chats éraflés" de Camille Goudeau, publié en Folio en 2023. Nos deux amies lectrices ont bien aimé ce premier roman. Soizic, vingt-deux ans, quitte sa Touraine et ses grands-parents alcooliques. Elle s'installe à Paris et son cousin lui propose de devenir bouquiniste sur les quais de la Seine. Entre les livres, les passants et les "égarés", sa vie va changer, surtout en recherchant sa mère à Paris, une mère qui avait abandonné Soizic. Un excellent premier roman et attendons son deuxième ouvrage pour confirmer son talent. Odile a présenté "Dehors la tempête" de Clémentine Mélois, paru en livre de poche en 2022. L'écrivaine raconte ses lectures passionnelles et car, pour elle, "Tout commence par la lecture". Odile a beaucoup aimé cet éloge des livres, de la littérature et de la lecture. Un livre plaisant, enthousiaste qui donne envie de comparer sa propre bibliothèque à celle de Clémentine Mélois.  

mercredi 18 décembre 2024

"Le Liseur", Bernhard Schlink, 2

 Bernhard Schlink justifie le sujet délicat de son roman ainsi : "J'ai écrit un livre sur ma génération, sur le rapport qu'elle entretient avec la génération de ses parents et la façon dont elle appréhende les actes de ces derniers". Tout au long du texte, une tension permanente persiste entre l'histoire personnelle du narrateur et celle de cette femme-bourreau, analphabète honteuse, mais qui semble toujours nier la réalité de ses actes atroces dans le camp de concentration. Hannah Arendt dénonçait cette attitude dans l'expression, "banalité du mal", en suivant le procès d'Eichmann, un "banal fonctionnaire" parmi des milliers d'autres, obéissant aveuglèment aux ordres supérieurs des nazis. L'obsession du jeune Michael pour sauver cette femme par la lecture à voix haute est une "mission" qui la sortirait de son trou noir, de son aveuglement sur le mal absolu que représente le totalitarisme nazi, une idéologie barbare. Pourtant, la puissance du savoir et de la culture n'a pas évité cette grande catastrophe du XXe siècle. Le personnage féminin semble glacial et inaccessible et dans une scène du roman, elle peut aussi avoir des gestes violents envers son jeune amant. Seuls les moments de lecture lui apportent une atmosphère paisible. Grâce à ce "liseur" généreux et compatissant, elle pourrait accéder à une ouverture au monde et surtout retrouver la dignité. Le geste ultime d'Hanna, son suicide par pendaison, peut s'interpréter comme une prise de conscience d'un passé trop lourd à supporter. Les livres ont peut-être déclencher en elle des remords de son adhésion aveugle à la pire période de son pays. Ce roman a été adapté au cinéma par Stephen Daldry en 2008. Hanna était interprété par Kate Winslet. La notion de culpabilité demeure le sujet central du roman : Hanna, coupable de sa banalité et de son vide existentiel, Michael, coupable par sa fascination sexuelle pour une femme étrange, la société, coupable de ne pas éduquer ses citoyens. Le narrateur écrit : "La souffrance que me causait mon amour pour Hanna était d'une certaine façon le destin de ma génération, le destin allemand auquel je pouvais me soustraire plus difficilement". Un roman allemand important à découvrir ou à relire qui n'a rien perdu de son actualité trente ans après sa parution. 

mardi 17 décembre 2024

"Le liseur", Bernhard Schlink, 1

 Ce roman de Bernhard Schlink, "Le Liseur", paru en 1995 chez Gallimard dans la collection "Du Monde entier", n'a pas perdu sa force et sa densité. Je l'ai relu récemment pour l'Atelier Littérature du 19 décembre. Et à ma deuxième lecture, j'ai été plus intéressée par la thématique de la Shoah et comment cette tragédie a marqué les générations postérieures à l'événement en Allemagne. Un adolescent, Michael Berg, rencontre par hasard une femme plus âgée que lui. Hanna Schmitz a trente cinq ans et travaille comme conductrice de tramway dans une ville allemande. Il est attiré par cette femme mystérieuse et discrète qui l'initie à la sexualité. La lecture à voix haute tient une place importante dans leur liaison clandestine. Elle lui demande de lui lire des textes et Michael se prête volontiers à ce jeu. Imprévisible et indifférente, elle disparait de la vie du jeune Michael, six mois après le début de leur relation amoureuse. Sept ans après, le jeune homme, étudiant en droit, retrouve Hanna sur les bancs d'un tribunal. Ce séisme le bouleverse. Son ancienne amante est accusée d'un crime lors de l'évacuation du camp d'Auschwitz. En fait, cette femme secrète a toujours gardé le silence sur son passé horrible où elle était gardienne du camp nazi. Ses collègues nazies lui imputent le crime et Hanna ne se défend pas. Michael comprend alors son mutisme d'antan et prend conscience de son analphabétisme. Dans le camp, elle choisissait des prisonnières pour qu'elles lui lisent des livres. Hanna part en prison et Michael, loyal envers elle, lui envoie des cassettes qui contiennent des textes qu'il enregistre. Hannah enprunte les livres à la bibliothèque et peu à peu, elle apprend enfin à lire. Dix-huit ans passent ainsi dans cette prison. Michael se marie, a un enfant et divorce, mais il garde un lien même ténu avec cette femme dont il a certainement pitié. La directrice de prison appelle Michael pour lui annoncer sa libération et il accepte de s'occuper d'elle en lui trouvant un logement. Mais, quand il vient la chercher, il apprend son suicide et elle a légué quelques milliers de marks à la personne à une prisonnière du camp, une survivante qui a témoigné lors de son procès. Cet héritage est refusé par cette femme qui donne l'argent à une association juive. (La suite, demain)

lundi 16 décembre 2024

"La Lectrice disparue", Sigridur Hagalin Björnsdottir

Sigridur Hagalin Björnsdottir, écrivaine islandaise, est journaliste et dirige le service des informations de la télévision publique dans son pays. Dans son roman, "La Lectrice disparue", paru en 2024 dans la collection Babel chez Actes Sud, une jeune bloguese, Edda, s'enfuit de chez elle sans donner aucune explication. Elle abandonne son mari et son bébé de trois jours. La police mène une enquête et découvre sa présence à New York. Einar, son frère fusionnel, ne comprend pas l'attitude de sa soeur et il accepte de partir à sa recherche. Ce frère, pêcheur, fou amoureux de la nature immense islandaise, va découvrir une cité américaine aux antipodes de son pays natal. Pourquoi cette fratrie est-elle aussi unie ? Leurs mères respectives vivent ensemble pour les élever car les enfants ont le même père, un père cinéaste la plupart du temps absent de leurs vies. Cet homme fantasque et original a séduit Julia, la mère d'Edda et il a trompé Julia avec Ragneidur, enceinte d'Einar. Les deux femmes se rencontrent et décident de partager leur appartement pour élever leurs progénitures. Les deux enfants sont profondément différents. Le garçon est dysléxique et la fille dévore les livres. Elle lui lit beaucoup d'histoires et possède une mémoire exceptionnelle. La lecture l'isole des autres et son frère au contraire entretient des rapports aux autres.  Ils semblent former la même personne et trouvent ensemble un équilibre. Le roman se présente sous plusieurs points de vue : celui des deux mères, d'Einar à New-York, de sa soeur. L'autrice aborde plusieurs sujets : la crainte du numérique, la perte de l'écrit, des mots, des légendes, des contes, la complexité des relations familiales, les réseaux sociaux. Le frère finira par retrouver sa soeur et il lui avouera des secrets du passé. Il faut lire ce roman original et dense pour comprendre la fuite d'Eddar aux Etats-Unis. Entre l'Islande des années 90 et le New-York d'aujourd'hui, ce roman-thriller aborde le problème majeur de l'influence de la lecture sur l'éducation tout au long de la vie et sur son éventuelle disparition dans un monde connecté. 

jeudi 12 décembre 2024

"La Bella estate", film italien de Laura Luchetti

 J'ai vu récemment un film de Laura Luchetti, "La Bella estate", tiré d'un roman de Cesare Pavese. Je m'intéresse à cet écrivain italien que j'ai redécouvert grâce au délicat roman de Pierre Adrian, "Hôtel Roma", publié en septembre 2024. La cinéaste choisit d'adapter le roman de cet écrivain "qu'elle adore, qui parle si bien de la jeunesse, de cet âge où tout est possible et où tout est efffrayant".  L'histoire se déroule dans l'Italie fasciste de Mussolini à Turin en 1938. Ginia, une jeune fille timide et timorée, travaille dans une maison de la haute couture. Elle vit avec son frère, Severino, étudiant en droit qui, lui aussi, effectue des petits travaux pour survivre. Tous les deux se retrouvent avec des amis à la campagne quand Ginia rencontre une jeune femme qui plonge d'une barque pour les rejoindre sur la plage. Amelia représente aux yeux de Ginia la femme libre, audacieuse, moderne d'une classe sociale différente. Elle est la muse des peintres de Turin et elle introduit sa jeune amie dans le milieu bohème turinois. Dans cette société conformiste, Ginia découvre, grâce à sa nouvelle amie, la liberté : elle rencontre un peintre avec lequel elle entame une relation amoureuse. Sa fascination pour Amélia, qui défie sans cesse les normes, s'amplifie au fil de leurs rencontres amicales. La réalisatrice dépeint avec finesse et délicatesse l'éveil d'une jeune femme à l'amitié amoureuse, sentiment interdit à cette époque corsetée par une morale rigide. En fait, Amalia, malgré son esprit de révolte, ressent un malaise d'être et se sent attirée par la simplicité et par l'innocence candide de Giana. Ce jeu de miroir dans ce duo féminin révèle la difficulté d'aimer et de vivre. Cesare Pavese met en scène dans son oeuvre l'ambiguïté des sentiments et des comportements. Le film semble fidèle au monde pavesien. La scène finale d'un bal où elles osent danser ensemble révèle leur attirance réciproque. Ce film sensible et d'une facture classique sans fioritures raconte une époque trouble en Italie et malgré la tragédie historique du fascisme, les jeunes gens tentaient de vivre et d'aimer, une façon de résister ! 

mardi 10 décembre 2024

"La librairie sur la colline", Alba Donati

 Pour marquer la fin de l'année 2024, j'ai proposé à l'Atelier Littéraire le thème de la lecture dans les romans. J'ai choisi sur les huit titres, "La librairie sur la colline" d'Alba Donati, publié en 2022 aux éditions du Globe. En 2019, Alba Donati, la cinquantaine, poétesse et critique littéraire, veut retrouver son village natal en Toscane. Elle quitte Florence et ouvre une librairie à Lucignana, un tout petit village toscan avec ses 180 habitants. Ce projet fou et irréel se concrétise quand elle installe sa boutique de livres dans sa maison de famille. Sous forme de journal de bord, la narratrice raconte son aventure de libraire : "Le fait est que, pour moi, cet endroit perdu est le centre du monde parce que je le regarde avec les yeux d'une fillette qui a gravi des marches branlantes et vécu dans des maisons glaciales, par des hivers glaciaux ; une fillette qui a réparé les choses cassées avec les moyens dont elle disposait". Cette librairie devient le centre du village, un lieu de vie, un cercle de rencontres. Pourtant, la libraire si sympathique et si motivée affronte des événements indésirables : l'empêchement de l'ouverture avec la Covid, un début d'incendie, l'éloignement de son commerce, loin des villes. Alba décrit son quotidien, ses expériences, ses soucis comme ses bonheurs. Ellle décore sa librairie, intègre un café dans ses murs, aménage un jardin où rêver avec un livre. Le succès arrive et les citadins affluent dans ce village si serein dans la belle campagne toscane. Entraide, solidarité, amitié autour des livres, cette librairie ne vend pas que des ouvrages en papier. Elle propose des confitures d'écrivains, des collants littéraires, des objets divers qui célèbrent la littérature. Pourquoi ouvrir cette librairie dans un coin perdu ? Alba Donati répond : "Parce que j'avais besoin de respirer, parce que j'étais une fillette malheureuse, parce que j'étais une fillette curieuse, (...) parce que j'ai eu des institutrices et des professeurs extraordinaires, parce que je me suis sauvée". A la fin de chaque chapitre, elle énumère les titres de livres commandés par ses clients et j'ai remarqué ses goûts certainement pour certains auteurs comme Colette, Virginia Woolf, Jane Austen sans oublier les écrivains italiens cités de nombreuses fois. Son havre de paix, baptisé "Sopra la Penna", dédié à la littérature, ressemble au jardin anglais de Monk's House, la maison de campagne de Virginia Woolf. Ce récit autobiographique se lit avec un grand plaisir et comme j'ai vécu aussi l'expérience passionnante d'avoir créé ma propre librairie à Bayonne dans les années 70, j'ai retrouvé mes souvenirs en lisant "La librairie sur la colline" et cerise sur le gâteau, la Toscane, une région que j'apprécie tout particulièrement ! 

lundi 9 décembre 2024

Atelier Littérature, coups de coeur, 2

 Odile a présenté "Agrafe" de Maryline Desbiolles, publié en 2024. La jeune Emma, une jeune fille vive et rebelle, adore courir dans les collines. Sa vie bascule quand elle se fait mordre par un chien énorme qui lui lacère la jambe lors d'une rencontre avec un ami. Le péroné ou l'agrafe est abîmé et elle est obligée de suivre de nombreuses séances de rééducation à l'hôpital. Elle sait bien qu'elle ne pourra plus détaler dans la nature. Elle se souvient d'avoir entendu cette phrase quand le chien l'a attaquée : "Mon chien n'aime pas les Arabes". Maryline Desbiolles introduit alors dans son roman les blessures de la guerre d'Algérie, toujours aussi douloureuses. Même boiteuse, elle vivra avec sa cicatrice comme un trophée, ne cessant jamais d'aller de l'avant. Une écrivaine à suivre. Danièle a montré "13 à table", un recueil de nouvelles au profit des Restos du coeur. Quatorze auteurs ont illustré la solidarité qui est le socle de la générosité. Danièle a bien aimé la nouvelle de Sandrine Collette. Un livre acheté à six euros permet d'offrir cinq repas. Une bonne action à la veille de Noël. Geneviève a présenté un écrivain "coup de coeur" en la personne d'Emile Zola qu'elle relit depuis quelques semaines. J'étais contente que notre lectrice amie évoque la saga des Rougon-Macquart, un ensemble de vingt romans, publiés entre 1870 et 1893. Le sous-titre parle de lui-même : "Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire". Inspiré de la Comédie humaine de Balzac, l'écrivain naturaliste voulait étudier "l'influence du milieu et les tares héréditaires d'une famille, originaire de Plassans, sur cinq générations". Il dépeint la société française dans ses grandes transformations qui se produisent : urbanisme parisien, naissance des grands magasins, révolution des déplacements avec les chemins de fer, apparition du syndicalisme. Les romans de Zola semblent plus faciles à lire que ceux de Balzac car plus proches du XXe siècle et de nos avancées sociales. Dans mon prochain atelier de janvier, j'ai glissé un Emile Zola dans ma liste de lectures ! Je dévoilerai le thème de janvier dans la rencontre du jeudi 19 décembre. 

vendredi 6 décembre 2024

Atelier Littérature, coups de coeur, 1

 Régine a démarré la séquence "coups de coeur" avec le récit, "Le gardien de Téhéran" de Stéphanie Perez, publié chez Pocket en 2024. L'autrice, journaliste à France Télévision, a longtemps travaillé en Iran et elle raconte l'histoire du gardien du musée de Téhéran, un homme seul face à la tyrannie des religieux fanatiques. Il a réussi un pari fou : sauver 300 oeuvres d'art moderne, le trésor de l'impératrice. Ce gardien, Cyrus Farzadi, raconte ses souvenirs et à travers ces confidences, il évoque la splendeur et la décadence de son pays, l'Iran, tombé dans les mains d'obscurantistes islamistes. Un récit basé sur le réel, qui se lit comme un roman. Régine a cité un deuxième coup de coeur avec "Le roitelet", de Jean-François Beauchemin, publié en Folio. Le frère du narrateur souffre de schizophrénie : "Mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l'or et la lumière de l'esprit s'échappaient par le haut de la tête". Ce roman sensible et délicat relate avec pudeur une relation unique entre deux frères dont l'un est atteint d'un handicap mental irrémédiable. Mylène a découvert avec un très grand plaisir de lecture le roman de Colm Toibin, "Brooklyn", paru en 2012. Dans les années 50, Ellis Lacey s'expatrie pour travailler dans un commerce à New-York. Elle n'a pas le choix de rester en Irlande et le roman traite de l'exil, d'une nouvelle vie, de liberté, d'espoir et de nostalgie. Elle reviendra chez sa mère et sur sa terre natale pour enterrer sa soeur aînée. Mais, elle a goûté à sa liberté et elle repartira en Amérique. Ce beau et profond roman doit se lire avant la suite de l'histoire, publié en 2024, "Long Island". A lire sans modération. J'étais heureuse du choix de Mylène car Colm Toibin m'avait déjà beaucoup intéressée avec sa biographie romancée sur Thomas Mann, "Le magicien". J'ai évoqué son roman dans mon blog et je me réjouis d'avance de lire "Long Island" cet hiver. Pascale a beaucoup aimé le livre de Sarah Kaminsky, "Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire", publié en livre de poche. A 17 ans, le jeune Adolfo devient l'expert en faux papiers de la Résistance à Paris. Pendant trente ans, il exécutera ce travail clandestin au service des rescapés des camps, mais aussi des militants du FNL, des révolutionnaires d'Amérique du Sud, etc. La fille de ce héros politique de l'ombre a écrit un témoignage sur son père, un homme engagé pour la justice. 

jeudi 5 décembre 2024

Atelier Littérature, Paul Auster, 3

 Avant d'évoquer "Chronique d'hiver", parue en 2012 et lue par Danièle, j'ai relu "L'invention de la solitude", éditée en 1982. Cet ouvrage comprend deux parties : "Portrait d'un homme invisible" et "Le Livre de la mémoire". Paul Auster vient de perdre son père et il écrit un portrait de cet homme invisible, Samuel Auster : "De son vivant déjà, il était absent, et ses proches avaient appris depuis longtemps à accepter cette absence, à y voir une manifestation fondamentale de son être". L'auteur dresse un portrait attachant de ce père si paradoxal et si complexe à ses yeux d'enfant et d'adulte : "Je pensais : mon père est parti. Si je ne fais pas quelque chose, vite, sa vie entière va disparaître avec lui". Il reconstruit la vie de son père à partir des objets qu'il a laissés derrière lui et il s'intéresse au destin de ses grands-parents. Une des clés de compréhension de la personnalité de son père réside dans le passé de son enfance quand sa mère a tué son père qui voulait la quitter pour une femme plus jeune. Cette mère autoritaire et quelque peu déséquilibrée a été acquittée à son procès. Ce lourd passé a certainement traumatisé Samuel Auster. Ce récit autobiographique émouvant se lit plus facilement que le second texte, un essai critique beaucoup plus théorique sur la littérature. Il évoque ses écrivains préférés, des solitaires dans leur chambre comme Hoderlin, Montaigne et même mon écrivain préféré, Pascal Quignard ! Quarante ans après "L'Invention de la solitude", il écrit "Chronique d'hiver" et pose sur sa vie, un regard de sexagénaire dans une méditation sur "la fuite du temps sous l'angle du compagnonnage que tout individu entretient avec son propre corps". Danièle a beaucoup aimé ce récit sincère. L'écrivain se met à distance en se tutoyant et parle de sensations, de jouissance, de souffrance, de l'art de mûrir et de vieillir'. Il revient sur l'histoire de son corps, de ses accidents, de ses maladies. Ce texte autobiographique dépasse évidemment les limites de son corps pour revenir sur sa jeunesse à Paris, sur ses premiers émois amoureux et surtout sur sa femme, Siri Hustvedt. Cet "homme-cicatrice", hanté par le hasard du destin, convoque à nouveau ses parents, son amour du baseball et de l'Europe. Un texte puzzle à lire pour comprendre l'homme Auster qui se confond avec l'écrivain Auster. Les romans de cet écrivain américain ne sont pas toujours faciles à lire mais son univers romanesque montre une imagination fertile et fantaisiste. Ses récits autobiographiques dévoilent un homme attachant, généreux, profond. Un grand écrivain qui aurait évidemment dû recevoir recevoir le Prix Nobel de Littérature ! 

mardi 3 décembre 2024

Atelier Littéraire, Paul Auster, 2

 Régine a bien aimé "Brooklyn Follies", publié en 2005. Nathan Glass, un sexagénaire, décide de revenir à Brooklyn car sa femme l'a quitté. Il est atteint d'un cancer des poumons et il cherche un "endroit calme pour mourir". Il retrouve son neveu, Tom, qu'il n'avait pas vu depuis longtemps. Ces deux hommes déprimés entretiennent une relation solidaire dans leur vision de la vie. Mais, un jour, Lucy, la nièce de Tom apparaît et leur vie va changer. Tout l'univers de Paul Auster se retrouve dans ce beau roman : la ville de New-York, la famille, le deuil, les livres, les problèmes financiers et les difficultés de vivre. Paul Auster a écrit : "Je veux parler de bonheur et de bien-être, de ces instants rares et inattendus où la voix intérieure se tait et où l'on se sent à l'unisson avec le monde". J'ajoute aussi cette citation particulièrement lumineuse que Régine a lue lors de son intervention : "La lecture était ma liberté et mon réconfort, ma consolation, mon stimulant favori : lire pour le pur plaisir de lire, pour ce beau calme qui vous entoure quand vous entendez dans votre tête résonner les mots d'un auteur". Mylène a beaucoup apprécié le dernier roman de l'auteur, "Baumgartner", publié en mars 2024. Ancien professeur de philosophie, Sy Baumgartner, veuf inconsolable de soixante-dix ans, se souvient de son passé et ses pensées surgissent en lui comme des vaguelettes lointaines dans le "passé distant que l'on distingue à peine, vacillant à l'extrémité la plus lointaine de la mémoire, et par fragments lilliputiens, tout lui revient". Il plonge alors dans les souvenirs de sa jeunesse à Newark, de sa rencontre avec Anna, une poétesse en herbe et à leur quarante ans de bonheur conjugal jusqu'à sa disparition. Son présent diminué, amputé de la présence de sa chère épouse, se déroule dans une solitude ardue, rompue par une étudiante qui se passionne pour la poésie d'Anna. Un roman sensible, profond, attachant sur l'amour et sur la perte. A lire absolument, résolument. Un dernier cadeau romanesque de Paul Auster. A lire sans tarder. A mon avis, un des meilleurs livres de Paul Auster, un livre-mémoire, un livre-confidence, son testament littéraire. Odile, la première pour l'ancienneté de sa présence à l'Atelier, n'est pas rentrée facilement dans l'oeuvre austérienne. Elle s'est efforcée de lire "Excursions dans la zone intérieure" où l'écrivain américain revisite son enfance, peuplé d'objets divers, de héros de romans, de cinéma. Les rêveries et les fantasmes de ce jeune garçon n'ont pas convaincu notre amie lectrice. (La suite demain)

lundi 2 décembre 2024

Atelier Littérature, Paul Auster, 1

 Nous nous sommes réunies le jeudi 21 novembre autour de Paul Auster en première partie de l'Atelier et nous avons ensuite évoqué quelques coups de coeur. Odile, une amie lectrice assidue, a montré sa passion pour Paul Auster car elle a lu pratiquement toutes ses oeuvres. Elle a même choisi un titre que je n'avais pas mis sur la liste tellement ce roman de plus de mille pages me semblait impossible à lire en un mois. Il s'agit de "4 3 2 1", publié chez Actes Sud en 2018. Dans ce texte dense et passionnant, l'auteur raconte quatre versions différentes de la vie du même protagoniste. Archie Ferguson, le héros du livre, grandit avec les mêmes parents juifs de la classe moyenne dans les quatre versions et il conserve les mêmes amis et la même amoureuse, Amy Schneiderman. Les quatre destins prennent des chemins divergents et les relations entre les personnages diffèrent d'une version à l'autre. L'arrière-plan du roman évoque les événements historiques dans les années 50 et 60 : la guerre du Vietnam, les luttes pour les droits civiques, la saga Kennedy, les émeutes de Newark. Ce roman "gigogne", "sophistiqué dans la forme", rappele les obsessions de l'écrivain américain : "bifurcations du destin, jeux vertigineux de l'identité et du hasard". Bravo à Odile d'avoir lu ces 1096 pages ! Pour découvrir cette magnifique création littéraire, il faut donc se donner du temps à soi... Ce n'est pas toujours facile quand d'autres écrivains nous attendent avec impatience... Pascale a lu "Mr Vertigo", publié en 1994. Même si elle n'apprécie pas la fantaisie dans les romans, elle a bien apprécié Walt, le personnage principal, un jeune orphelin élevé par un oncle méchant. A 9 ans, il est recueilli par un maître, Maître Yéhudi, qui lui promet de lui apprendre à voler. Il va rencontrer Madame Sioux, une femme indienne et Esope, fils d'une esclave morte en couches. Il va se passer beaucoup d'événements pour le jeune Walt. Va-t-il réussir à voler ? Il faut lire ce roman baroque et loufoque pour le savoir. Geneviève a lu "La nuit de l'oracle", publié en 2004. Très difficile à résumer, elle a trouvé ce roman un peu complexe dans sa construction mais malgré cette difficulté de lecture, elle l'a trouvé intéressant. Les personnages "créent une mise en abîme : l'auteur prend un écrivain pour personnage principal, qui lui-même prend un éditeur comme pilier du livre qu'il va écrire". Paul Auster interroge le mystère de la création littéraire. (La suite, demain)

mercredi 27 novembre 2024

Le goût des musées, Paris, le Petit Palais

 Le Petit Palais, face au Grand Palais, est sorti de terre en 1900 pour l'Exposition universelle de Paris. Il est ensuite devenu le musée des Beaux-arts en 1902 pour abriter les riches collections de la ville de Paris. Pendant plus de vingt ans ont été nécessaires pour décorer les salles immenses de l'édifice. J'ai donc vu récemment deux belles expositions temporaires : celle consacrée à Jusepe de Ribera et l'autre à un peintre suédois, Bruno Liljefors. Je connaissais un peu Ribera (1591-1652), peintre espagnol du qui fit toute sa carrière en Italie. Les critiques le qualifient d'héritier du Caravage. Ses tableaux révèlent un réalisme cru dans une "gestuelle théâtrale". L'utilisation du clair-obscur amplifie un "ténébrisme extrême". Baudelaire et Manet admiraient cet artiste torturé. Plus d'une centaine de peintures, dessins et estampes, venus du monde entier, montrent la dimension baroque et audacieuse de ce peintre italo-espagnol. Une redécouverte pour moi : des scènes mythologiques et religieuses, des anges protecteurs, des natures mortes et même des paysages étonnants. Un deuxième peintre d'un univers complétement différent a attiré mon attention. Il s'agit de Bruno Liljefors, un artiste suédois incontournable de la peinture scandinave de la fin du XIXe siècle. Les peintures sont dédiées à la nature et aux animaux qui la peuplent. Passionné par le monde vivant, il dessine à merveille des tétras, des balbuzards, des chardonnerets, etc. Les oiseaux le passionnent en particulier. Ses recherches picturales sont basées sur le traitement de la lumière et de l'atmosphère. Cette ambiance hivernale, neigeuse et naturelle m'a rappelé mon séjour à Stockholm, une ville fabuleuse, un joyau de l'Europe du Nord. Les collections permanentes du Petit Palais sont aussi très intéressantes. Ce musée possède un jardin, un havre de paix, organisé autour de trois bassins, pavés de mosaïques aux tesselles bleues et dorées. Après une longue visite, un café-restaurant accueille le public visiteur. J'avais envie de raconter dans ce blog mes musées parisiens préférés. Je peux citer évidemment le plus beau, le plus grandiose, le plus riche : le Louvre, un monde en soi, la planète de l'art mondial, un lieu magique. Paris, même si la ville est parfois invivable, offre tout de même une offre culturelle exceptionnelle dans sa gamme de musées. Un chiffre astronomique : 62 musées ! Qui dit mieux ? 

lundi 25 novembre 2024

Le goût des musées, Paris, l'Orangerie

 Le musée national de l'Orangerie est situé dans le jardin des Tuileries, du côté de la place de la Concorde. Rattaché depuis 2010 au musée d'Orsay, il présente exclusivement des peintres impressionnistes et postimpressionnistes. Construit en 1852 comme une serre, l'édifice servait à stocker les orangers du jardin des Tuileries. Evidemment, les touristes se précipitent tous vers les "Nymphéas" de Claude Monet et Clemenceau sera l'artisan de l'installation des huit tableaux dans deux salles ovales, soit au total, 91 mètres linéaires de nymphéas. Si je le visite une fois par an, j'ai surtout une bonne raison : retrouver les quinze tableaux de Paul Cézanne que j'admire beaucoup. Mais, j'ai appris que tous ces tableaux partent pour deux ans en... Asie ! Je me suis donc contentée de l'exposition Heinz Berggruen, un marchand et sa collection : Picasso, Klee, Matisse, Giacometti du musée d'art moderne de Berlin. Ce marchand d'art a fui l'Allemagne en 1936 en raison des persécutions nazies. Il ouvre une galerie à Paris et constitue une collection d'art moderne qu'il lègue à l'Etat allemand. Ce mécène a rencontré Picasso par l'entremise de poète Tristan Tzara et dans l'exposition, les nombreuses facettes du peintre espagnol sautent aux yeux : figuratif, cubiste et même surréaliste parfois dans ses portraits de femme. J'ai remarqué aussi les sculptures de Giacometti, des silhouettes filiformes en proie à une solitude existentielle qui se croisent sans se rencontrer. Je n'ai pas oublié de revoir Modigliani, Derain, Matisse, etc. J'ai quitté ce beau musée à la nuit tombée en profitant de l'ouverture en nocturne du vendredi. J'ai traversé le jardin des tuileries avec ses lampadaires et ses arbres illuminés. La foule des touristes avait déserté ce lieu magique en fin de journée et j'avais l'impression que les statues se réveillaient et marchaient vers moi. Paris provoque parfois des mirages fantasmatiques : voir Louis XIV déambuler dans les allées, ou Marie-Antoinette, et Diderot, et Voltaire. Je ressens le même phénomène quand je traverse le jardin du Palais royal car j'imagine ma chère Colette humant les massifs de fleurs et discutant avec son ami, Jean Cocteau. Paris était le paradis des écrivains et aujourd'hui ? 

vendredi 22 novembre 2024

Le goût des musées, Paris, le Centre Pompidou

 Le centre national d'art et de culture Georges Pompidou, appelé plus familièrement, le centre Pompidou ou Beaubourg, va bientôt fermer ses portes pendant cinq ans pour des travaux de rénovation. Ce musée contemporain a vu le jour en 1977 et attire toujours des millions de visiteurs, dont dix mille par jour. Cet édifice au visage industriel frappe toujours les visiteurs mais j'avoue que je préfère une architecture plus traditionnelle comme le Louvre. Tous les supports culturels cohabitent : les livres avec sa bibliothèque publique d'information, les arts plastiques, la musique, le spectacle vivant, le cinéma. Cette année, Beaubourg a fêté les cent ans du surréalisme avec plus de deux cents oeuvres exposées. Et comme ce mouvement artistique séduit les amateurs d'art, les touristes et les curieux, il fallait attendre plus d'une heure pour entrer dans les salles. Je n'apprécie guère ces files d'attente souvent épuisantes. J'ai préféré délaisser cette exposition pour retrouver la collection permanente du musée national d'Art moderne (MNAM) bien plus passionnante que l'exposition surréaliste. La collection est la deuxième plus grande du monde après celle de New York. Le fonds initial provient du musée du Luxembourg et beaucoup d'artistes ont fait des donations. J'ai donc retrouvé avec plaisir Picasso, Braque, Matisse, Chagall, etc. Comme le musée s'enrichit sans cesse, j'ai vu une salle entière consacrée à Anselm Kiefer, toujours aussi spectaculaire avec des sous-marins dans une vitrine géante. L'artiste Penone a aussi réalisé une oeuvre vraiment originale, "Respirare l'ombra", dans une salle tapissée d'une "myriade de feuilles de laurier enserrées sous des panneaux de grillage métallique. La salle s'imprègne de leur odeur tenace". Au centre, deux sculptures en bronze représentent l'élement humain. Pour comprendre l'univers de cet artiste italien, le site internet du Centre Pompidou propose des vidéos pour mieux comprendre ce type d'oeuvres. En me baladant dans cet espace muséal immense, j'ai remarqué des statues cycladiques de la Grèce antique que j'aime beaucoup avec des statues du XXe ou comment l'art antique a influencé les artistes modernes. A Beaubourg, l'art sous toutes ses formes règne partout et quand on prend l'escalator jusqu'au 6e étage, Paris est là sous nos yeux, de Montmartre à Notre Dame, de la Tour Effel aux toits en zinc, un autre chef d'oeuvre de toutes les générations ayant vécu et vivant dans cette ville balzacienne par excellence.

mercredi 20 novembre 2024

Le goût des musées, Paris, la Bourse du Commerce

 Quand je pénètre dans la Bourse du Commerce de la Fondation Pinault, ouverte en 2021. j'ai l'impression d'entrer sur une place centrale ronde, la Rotonde, sous une verrière impressionnante. Ancienne halle au blé, la Bourse du commerce a été couverte par une spectaculaire coupole de métal et de verre en 1812. Cet édifice est devenu la Bourse en 1889. Dans ce cercle enchanté, des vitrines longent la salle principale et des salles d'exposition complètent le dispositif muséal. Au sous-sol, le Studio, est consacré aux oeuvres vidéos et sonores. Un auditorium programme des conférences, des rencontres et des concerts. Restauré et transformé par l'architecte japonais Tadao Ando, ce bâtiment emblématique de l'univers parisien présente une collection permanente et surtout des expositions temporaires souvent très originales. Depuis le 9 octobre jusqu'au 20 janvier, Pinault Collection propose un panorama sur l'Arte Povera. Plus de 250 oeuvres historiques des années 60 racontent la saga incroyable de ce mouvement artistique venu d'Italie. Les artistes exposés ont conquis un public international mais sont souvent peu connus du grand public : Anselmo, Boetti, Calzolari, Fabro, Kounellis, Paolini, Pistoletto et le plus célèbre d'entre eux, Penone. Il suffit de se laisser captiver par les paysages composés par ces créateurs tellement surprenants dans chaque salle arpentée. Je parlerai surtout de leur démarche poétique : une fusion entre la nature et la culture. L'arbre de bronze de Guiseppe Penone avec ses pierres massives figurant des nuages sur les hautes branches accueille les visiteurs sur la place de la Bourse du Commerce. Tubes de construction, tas de charbon, conteneur en fer, piles de vêtements, pommes de terre sur le sol, matelas sur les murs, tous ces objets usuels et courants composent un univers renouvelé : "L'Arte povera exprime un état d'esprit partagé autour du fait qu'une oeuvre d'art peut appréhender le réel en l'appauvrissant qu'elle peut comprendre le monde en réduisant à l'essentiel l'expérience que nous en avons". Ce mouvement d'avant-garde en Italie dans les années 60 voulait défier la société de consommation, privilégiant l'usage de matériaux simples, naturels et de récupération. J'ai surtout apprécié la salle consacrée à Penone avec son culte des troncs d'arbre, des sculptures vivantes symbolisant un hymne à la nature. Un musée contemporain à visiter pour comprendre les enjeux d'un art singulier et prémonitoire même si certaines pièces artistiques demeurent un mystère total. 

mardi 19 novembre 2024

Le goût des musées, Paris, le Musée Jacquemart-André

 Le beau musée Jacquemart-André, situé au 158, boulevard Haussmann, est une propriété de l'Institut de France. Cet hôtel particulier du XIXe siècle appartenait à Edouard André, un héritier de l'une des plus grandes fortunes du Second Empire. Il épousa Nélie Jacquemart, une jeune artiste peintre qui l'aida à constituer une collection impressionnante. Comme elle aimait l'Italie, la peinture italienne, des primitifs au XVe siècle est magnifiquement représentée. Je ne me lasse pas d'admirer un Ucello, des Boticelli, un Giovanni Bellini, un Carpaccio, des Mantegna, etc. Un petit Louvre en soi. J'ai aussi admiré trois Rembrandt. Se balader dans les différentes salles demeure un vrai plaisir : du vestibule au salon des peintures, du cabinet de travail au salon de musique, du fumoir au musée italien en passant par la galerie des Musiciens. Ce lieu charmant, à taille humaine, propose aussi une salle de restaurant. Tous les ans, le musée organise une exposition prestigieuse. Je me souviens encore de l'exposition sur Turner, sur la collection Alana, sur Botticelli. En cette rentrée d'automne et après sa fermeture pour des travaux de rénovation, j'ai vu l'exceptionnelle collection d'art de la famille Borghèse, conservée à Rome. J'ai eu l'astuce de réserver dès la première heure de visite à 10h du matin pour éviter la foule des visiteurs. Devant mes yeux, le tableau du Caravage, "Garçon avec un panier de fruits", peint en 1593, et Raphaël, Leonard de Vinci, Lorenzo Lotto, Titien, Parmesan, Véronèse et d'autres génies italiens. Dans ces moments d'admiration, j'étais à Rome, dans la galerie Borghèse et j'étais aussi à Paris, un sentiment d'ubiquité délicieux. La scénographie des tableaux évoque le baroque luxueux des Borghèse. Dans le fumoir, j'ai discuté avec une visiteuse parisienne d'une élégance et d'une gentillesse étonnantes. Elle m'a raconté sa passion de ce musée qu'elle visite souvent et m'a conseillé de découvrir celui de Nissim de Camondo, près du parc Monceau. J'ai suivi son conseil mais j'ai trouvé porte close car le musée est fermé pour deux ans. Je le visiterai donc en 2026. Jacquemart-André, un bijou de musée incontournable à Paris !

lundi 18 novembre 2024

Le goût des musées, Paris, le Musée d'Orsay

 Monter à Paris se résume pour moi au goût des musées, ces lieux d'art et de culture que j'aime fréquenter régulièrement. Le musée d'Orsay, situé dans le 7e arrondissement de Paris, le long de la rive gauche de la Seine, est installé dans l'ancienne gare d'Orsay, construite en 1898. Le Président Giscard d'Estaing a pris une très bonne décision en créant cet espace en 1986 pour présenter les collections de l'art occidental de 1848 à 1914 dans toutes ses formes : peinture, sculpture, arts décoratifs, art graphique, photographie et architecture. Quelques chiffres vertigineux : plus de 1000 toiles impressionnistes, des centaines de sculptures, de dessins, de photos, un voyage impressionnant dans les XIX siècle ! Et des noms d'artistes iconiques : Van Gogh, Manet, Cézanne, Courbet, Renoir, Bonnard, Degas, Rodin, etc. Je connais bien ce musée à l'architecture époustouflante et malgré une fréquentation maximale quotidienne, il est possible de se frayer un chemin vers les chefs d'oeuvre que j'admire, surtout Cézanne, Bonnard, Vuilliard, Van Gogh, Suzanne Valadon. J'ai donc vu récemment deux belles expositions : Caillebotte et Harriet Backer. Chez Gustave Caillebotte, une foule dense, autour de dix personnes par tableau mais il faut s'armer de patience pour observer quelques toiles urbaines de cet artiste parisien. Il peint le Paris haussmanien qui m'a fait penser au monde de Proust mais il n'oublie pas les ouvriers dont "Les raboteurs de parquet", ses frères, ses amis régatiers, sa compagne, des hommes nus dans leur toilette, son amour des jardins. J'avais regardé en amont un excellent documentaire sur ce peintre singulier, ce qui m'a permis de mieux apprécier sa démarche artistique. Il meurt à l'âge de 45 ans d'une hémorragie cérébrale en 1894. J'ai éprouvé un beau coup de coeur pour l'exposition sur Harriet Backer que je ne connaissais pas. Cette peintre norvégienne du XIXe siècle utilise des couleurs vives et lumineuses dans ses toiles des scènes d'intérieur, influencées par la peinture hollandaise. Inspirée aussi par les débuts de l'impressionnisme, elle pratique le plein air pour ses tableaux champêtres. La peinture de Harriet Backer respire la délicatesse, l'intériorité, la simplicité et la sérénité. Avant de quitter le musée, je suis allée voir "mon Hammershoi", un peintre danois subtil et profond. Son unique tableau à Orsay se cache dans une petite salle désertée par les visiteurs... Même dans la foule, je peux me faufiler dans des salles vides pour profiter en tête en tête des peintres parfois célèbres, d'autres moins connus comme les Nabis. Orsay, un musée riche, fabuleux et fascinant aussi pour sa structure architecturale. Le site internet du musée propose des conférences, des commentaires, des analyses de l'art du XIXe siècle. 

mercredi 13 novembre 2024

"Ilaria ou la conquête de la désobéissance", Gabriella Zalapi

 Jeune écrivaine italienne, Gabriella Zalapi a écrit un roman fort attachant, "Ilaria ou la conquête de la désobéissance", publié chez Zoé en 2024. Un père de famille au bord de la rupture avec sa femme emmène dans sa cavale, sa petite fille de huit ans, Ilaria. Dans sa BMW, la radio diffuse des flashes d'information concernant les attentats terroristes des années 80 en Italie. La petite fille se pose beaucoup de questions sur ce père imprévisible qui s'adonne à l'alcool. Sa maman et sa soeur résident en Suisse et ne donnent pas de nouvelles. Ilaria se sent abandonnée et ne comprend pas ce tour d'Italie qui défile sous ses yeux ébahis. Au début, elle se croit en vacances et les premiers temps de sa cavale ne l'inquiètent pas trop. Son père lui offre des cahiers et des crayons, un ours en peluche, des glaces. D'hôtel en hôtel, d'aire d'autoroute aux bars, son père aime bavarder au gré des rencontres. Dans ses étapes successives, il harcèle sa femme au téléphone pour la supplier de ne pas rompre. Fulvio, le père, devient de plus en plus nerveux et Ilaria de plus en plus inquiète car elle n'a jamais sa mère au téléphone. L'argent commence à manquer. Ils sont accueillis chez des amis en Toscane où Ilaria vit une parenthèse heureuse avec les filles du couple. Puis, Ilaria entre dans un internat pour quelques semaines où elle est complétement délaissée par son père. Un jour, il vient la chercher pour rejoindre la Sicile chez sa grand-mère paternelle. Celle-ci la confie à son tour à une amie qui va s'occuper de la petite fille. Sa mère réussit à lui faire parvenir un colis avec un billet froissé où est écrit son numéro de téléphone. La délivrance est proche... Il faut lire ce drame à hauteur d'enfant dans un texte au style dépouillé, simple et efficace. La petite Ilaria est une victime innocente de ces innombrables séparations des parents. Heureusement, l'histoire se termine bien.  Dans un article du Monde des Livres, Gabriella Zalapi avoue qu'elle a vécu un événement de ce genre : "Ce sont bien des faits vécus, tissés d'évenements fictionnels, mais j'ai surtout voulu rester du côté de la lumière, car, si j'avais raconté simplement ma vérité, ce texte aurait été insupportable".  A découvrir. 

mardi 12 novembre 2024

"Les sept maisons d'Anna Freud", Isabelle Pandazopoulos

 Je vais régulièrement en librairie et comme j'avais mis à l'honneur la psychanalyse et ses relations avec la littérature dans l'atelier d'octobre, un titre m'a tout de suite accrochée, "Les sept maisons d'Anna Freud" d'Isabelle Pandazopoulos chez Actes Sud. Ce roman largement biographique explore la personnalité attachante de la fille de Freud, Anna, la cadette dans une fratrie de six enfants. La petite fille semblait bien insupportable et capricieuse, "Le petit diable noir des Freud". Anna était jalouse de sa soeur Sophie, une enfant rayonnante et heureuse. La première scène du livre se déroule à Londres en 1946. Anna souffre de la tuberculose et une infirmière vient la sauver car Martha, sa mère, lui demande d'endosser l'identité de sa fille pour éloigner la mort. La dame de compagnie reçoit les confidences d'Anna. Dans la société viennoise, la situation des femmes n'était pas facile. Elles vivaient sous la tutelle des pères ou des maris. La relation d'Anna avec son père ne s'est pas construite sans soubresauts, ni malentendus. Mais l'obstination de la jeune fille pour intégrer le mouvement psychanalytique montre sa force de caractère, son intelligence et sa culture. Une amie va l'initier : Lou Andréas Salomé, écrivaine et psychanalyste, amante de Rilke. Anna fait la connaissance d'une américaine, en instance de divorce et cette rencontre va déterminer sa vie amoureuse qu'elle cachera toujours à ses parents. A cette époque, il n'était pas facile de se déclarer homosexuelle. La jeune femme se passionne pour la psychanalyse des enfants et avec sa compagne, Dorothy, elle fonde une école pour les aider. Anna traverse la montée du nazisme et apprend l'autodafé des livres de son père à Berlin. La psychanalyse était détestée par le régime nazi et Freud a fui Vienne en 1938 avec l'aide de Marie Bonaparte pour se réfugier à Londres avec sa famille. Isabelle Pandazopoulos raconte, avec un grand talent narratif, la vie de la tribu familiale entre Vienne et Londres. La Grande Histoire se mêle à leurs vies privées et Anna se transforme en héroïne dans ce monde en folie. Elle protège ses parents à Londres et les scènes de famille autour de Freud, atteint d'un cancer horrible à la machoire, montrent un amour et une solidarité sans faille surtout quand les drames surgissent comme la mort de Sophie, la soeur d'Anna, victime de la grippe espagnole. Les quatre soeurs de Freud ont disparu dans les camps de concentration. Freud n'a pas réussi à les sauver car elles voulaient rester à Vienne. Anna deviendra l'héritière légale des archives et de l'oeuvre de son père. Elle vivra jusqu'en 1982 à Londres : "Elle ne regrettait rien. Sinon cette joie intense, intacte, à vivre, à penser, à vibrer à ses côtés, une ombre heureuse, un plaisir qu'elle éprouvait encore et qu'elle entretiendrait jusqu'à son dernier souffle". Un premier roman biographique d'une intensité palpable, rien d'étonnant quand il s'agit d'Anna Freud et d'un père génial ! 

lundi 11 novembre 2024

"Que ce soit doux pour les vivants", Lydia Flem

 En ces jours de novembre où on pense davantage à nos chers disparus, j'ai lu le nouveau livre de Lydia Flem, "Que ce soit doux pour les vivants", publié en septembre dans la collection "La librairie du XXIe siècle" au Seuil. Après son ouvrage le plus connu, "Comment j'ai vidé la maison de mes parents", publié en 2004, l'écrivaine revient sur la notion du deuil d'autant plus qu'elle a récemment perdu son mari, Maurice Olender, éditeur et directeur de la collection du Seuil. Il aurait prononcé cette phrase sur la douceur, devenue le titre du livre. Lydia Flem pose la question suivante : "Que font les vivants avec les morts ?", en ajoutant que ces derniers peuvent aussi jouer un rôle majeur dans notre vision de la vie. Le titre du livre évoque le sentiment du "doux deuil", "ce deuil long, ce deuil sans fin, nimbé de tendresse". Pour Victor Hugo qu'elle cite, "les morts sont des invisible, mais non des absents". Son mari continue de l'habiter car il lui avait demandé d'écrire un ouvrage sur le deuil en résonance avec la mort de ses parents en 2004. L'écrivaine déclare aussi : "Ce n'est pas parce qu'une personne meurt que l'amour qu'on éprouve pour elle disparaît". Cette idée contredit souvent l'expression de "tourner la page", s'arracher par devoir à la douleur de la perte et ne plus évoquer nos disparus. En fait, la menace d'un oubli total guette tous ceux et celles qui ont perdu leurs proches. Les lieux, les objets, les archives, les photographies se transmettent de génération en génération et grâce à ces traces indélébiles, les vivants et les morts se mêlent intimement. Le temps n'est plus linéaire : "Le temps fait des boucles, avance en se déportant sur le côté. Il ne se déroule pas selon une flèche orientée entre passé et futur. Chaque nuit explore hier et demain, parfois, ils se confondent". Pour illustrer sa pensée, elle s'appuie sur la photographe Moira Ricci et sur une étudiante, Mathilde, qui photographie les archives de l'autrice. Des souvenirs personnels apportent aussi une touche intimiste au récit, à ce "doux" récit sur la disparition définitive de nos proches qu'on aime toujours autant, si ce n'est plus encore. Parler d'eux, posséder des objets souvenirs, permettent de "prolonger leur présence-absence". Ce texte sensible et lumineux ne peut qu'émouvoir les lecteurs et lectrices qui vivent l'expérience d'un deuil. Psychanalyste, écrivaine, photographe, membre de l'Académie royale de Belgique, Lydia Flem nous offre un récit magnifique sur la vie des vivants et sur la suvie des morts dans notre esprit.  

vendredi 8 novembre 2024

"Seul dans le noir", Paul Auster

 Attirée par le titre du roman, "Seul dans le noir" de Paul Auster, j'ai eu la curiosité de le découvrir. Ce livre a été publié en 2009 toujours chez son fidèle éditeur, Actes Sud, et traduit par sa traductrice préférée, Christine Le Boeuf. Un pur texte austérien où la solitude revient au premier plan dans ce texte : "Seul dans le noir, je tourne et retourne le monde dans ma tête tout en m'efforçant de venir à bout d'une insomnie, une de plus, une nuit blanche de plus dans le grand désert américain". L'homme qui parle ainsi s'appelle August Brill, âgé de 72 ans, critique littéraire, veuf. Il vit chez sa fille, Miriam, divorcée, et sa petite fille, Katya, cohabite avec eux. Son compagnon a été tué lors de la guerre d'Irak. Trois destins brisés par la perte et par le deuil. Immobilisé par un accident, le retraité contre son gré se sent seul malgré la présence de sa fille. Paul Auster résume le sentiment de solitude : "Comme tout cela va vite. Hier enfant, aujourd'hui vieillard, et d'alors à maintenant, combien de battements de coeur, combien de respirations, combien de mots prononcés et entendus ? Touchez-moi, quelqu'un. Posez la main sur mon visage et parlez-moi". Il passe ses journées avec sa petite fille très malheureuse et ils regardent des films classiques en les commentant. Pour tromper son ennui et surtout le malheur, il imagine alors un alter ego, Owen Brick au temps d'une guerre de Secession dans les années 2000. Le roman se situe sur deux niveaux : la vraie vie d'August et la vie imaginaire de son personnage. La magie de l'univers austérien s'intègre dans ce récit linéaire. Le caporal Brick, vêtu d'un uniforme militaire, doit remplir un contrat : éliminer l'écrivain August Brill. L'univers parallèle fonctionne à merveille même si parfois, les pistes romanesques se brouillent un peu. L'espoir est là pourtant, à travers le cinéma, l'écriture, l'imagination. Le monde romanesque de Paul Auster s'avère souvent étrange, un peu surréaliste et en filigrane, propose une lecture de la réalité politique parfois chaotique dans un pays en guerre civile. Ce roman propose une "méditation politico-historique" sur les Etats-Unis en guerre perpétuelle selon lui. L'écrivain américain n'a jamais caché son engagement envers la paix et la concorde. Il avait écrit un essai sur la circulation des armes dans son pays en déplorant cette tradition mortifère. Un des ouvrages les plus denses de Paul Auster. 

jeudi 7 novembre 2024

"Brooklyn", Colm Toibin

 J'avais remarqué dans la rentrée littéraire de septembre la parution d'un roman, "Long Island" de l'écrivain irlandais, Colm Toibin. J'ai appris que ce livre était la suite de "Brooklyn", paru en 2011 chez Robert Laffont dans la collection "Pavillons". J'ai donc emprunté ce roman toujours remarquablement traduit par Anna Gibson. L'écrivain évoque l'exil douloureux d'une jeune Irlandaise, contrainte d'émigrer aux Etats-Unis dans les années 50. La jeune Eilis vit près de Dublin avec sa mère et avec sa soeur. Rose, sa soeur aînée, a la chance d'occuper un emploi de bureau alors qu'Eilis ne trouve pas de travail. Une épicière acariâtre l'embauche seulement le dimanche. Un jour, un prêtre irlandais de son village, venu de New York, persuade la mère de la jeune fille d'influencer sa fille pour s'exiler en Amérique. Cette proposition ébranle Eilis car elle n'a aucune envie de quitter sa communauté villageoise, et surtout sa famille. Au fond, elle n'a pas le choix à cause de la pauvreté de sa mère. Elle reçoit un billet pour traverser l'océan et s'embarque en troisième classe avec un mal de mer épouvantable. La nostalgie vrille le coeur de notre héroïne si courageuse. Elle est prise en charge par le prêtre qui lui trouve une pension de famille et un travail dans un grand magasin. Cette terre inconnue, cette ville gigantesque intimident et effrayent la jeune fille. L'écrivain possède l'art du détail dans ses descriptions sur le désarroi d'Eilis qui, au fil du temps, finit par s'adapter à sa nouvelle vie. Même les personnages secondaires sont traités avec une précision de peintre figuratif. A travers le personnage principal, il analyse le sentiment de l'exil, un sentiment d'étrangeté. Eilis se sent perdue, solitaire dans cette masse d'individus à New York. Mais, elle prend enfin son destin en mains en prenant des cours de comptabilité le soir pour obtenir un meilleur poste et surtout, lors d'un bal, organisé par le prêtre, elle rencontre un jeune homme d'origine italienne qui la présente à sa famille. Cette relation amoureuse la rend plus forte et son mal du pays s'estompe. Son amoureux lui propose le mariage qu'elle accepte. Mais, elle doit partir en Irlande car sa soeur est morte subitement. Va-t-elle rester dans son pays natal pour sa mère ou reviendra-t-elle à New York ? Il faut lire ce beau roman psychologique pour connaître sa décision... Un roman attachant, profond à découvrir avant de lire "Long Island". 

mercredi 6 novembre 2024

"Un autre m'attend ailleurs", Christophe Bigot

 Un roman de la rentrée littéraire a attiré mon attention : "Un autre m'attend ailleurs" de Christophe Bigot, publié chez La Martinière. Le personnage principal s'appelle tout simplement Marguerite Yourcenar et comme j'aime beaucoup cette écrivaine, j'ai eu la curiosité de découvrir cette histoire romanesque. L'auteur évoque le dernier amour de Marguerite Yourcenar à la fin de sa vie après le décès de sa fidèle compagne, Grâce Frick. Elle entame une relation quelque peu scandaleuse pour son entourage car elle s'est entichée d'un jeune photographe américain, Jerry Wilson, homosexuel et leur différence d'âge, presque trente ans, n'a pas effrayé la grande dame des lettres françaises. Cette histoire romanesque lui rappelait son amour impossible et douloureux avec André Fraigneau, lui aussi homosexuel qui avait rejetté Marguerite dans sa jeunesse. Devenue une gloire internationale de la littérature, honorée par l'Académie française, l'écrivaine, pourtant un peu exilée dans sa presqu'ile à Petite-Plaisance, reçoit sans cesse des sollicitations d'interviews, d'émissions télévisuelles et d'articles de presse. Une équipe de télévision de FR3 vient la filmer et elle découvre alors ce jeune homme si beau, si brillant, un Antinous à elle. Le souvenir d'Hadrien ne la quitte jamais. Elle l'invite à nouveau dans sa résidence et il organise pour elle ses voyages qu'elle adore : Paris, l'Egypte, San Francisco, le Japon. Pour lui, elle fait le régime, devient coquette, s'imagine devenir son amante. Au fil du temps, la personnalité de Jerry se dévoile : inquiétant, sombre, et il s'adonne à la drogue. Il lui impose un amant de passage. Il finit par contracter le sida et mourra de cette maladie du XXe siècle. Cette épisode méconnue dans la biographie de l'écrivaine se lit avec beaucoup d'intérêt. On y croise Claude Gallimard, d'Ormesson, Pivot, Matthieu Galey. Je ne rélève, heureusement, aucun jugement moral de la part de Christophe Bigot. Bien au contraire, il éprouve une empathie totale pour ce couple improbable et pathétique. A la veille de sa mort, Marguerite Yourcenar n'oubliait pas l'amour, la passion des voyages, de la littérature. Cette femme n'était pas sculptée dans le marbre de la célébrité littéraire. C'était aussi un femme, vivante, une amoureuse de la vie. Un roman biographique à découvrir ! 

mardi 5 novembre 2024

"Le voyage d'Anna Blum", Paul Auster

 L'atelier Littérature de novembre est consacré à Paul Auster. J'ai lu depuis les années 80 ses romans et essais, tous publiés dans l'excellente maison d'édition, Actes Sud. Ce grand écrivain américain, disparu le 30 avril 2024, a publié son dernier roman en 2024, "Baumgartner" dont j'ai parlé dans ce blog qu'il faut absolument découvrir. J'ai choisi pour l'Atelier quelques unes de ses publications et j'ai lu récemment "Le voyage d'Anna Blum", sorti en France en 1989. Le sous-titre résume davantage ce roman dystopique, "Au pays des choses dernières". Je ne lis pratiquement pas d'ouvrages de science-fiction mais le thème de l'apocalypse a retenu mon attention. Paul Auster raconte un monde atroce en voie de disparition. Les humains errent dans but, sans repères, ni valeurs morales et ils sont prêts à s'entretuer pour manger et pour s'habiller. Ces ombres errantes, ces zombies se déchirent entre eux mais quelques êtres résistent et témoignent de cet effondrement civilisationnel. Paul Auster situe ce pays aux Etats-Unis sans préciser de date. Un personnage émouvant résiste et veut conserver son humanité : Anna Blume. Elle rédige un journal intime, une sorte de longue lettre, qu'elle adresse à son frère qui a disparu lors de ces événements absurdes. Entre "les chasseurs d'objets" et les "ramasseurs d'ordures", la mort règne dans ce pays maudit car le suicide est une libération. Elle rencontre une femme qui lui vient enfin en aide en l'acceptant chez elle. Sa vie commence à changer même si le compagnon de cette femme la rejette. Un jour, elle rencontre un homme avec qui elle va partager sa vie, une survie de lutte permanente : "Un pas, puis un autre pas, puis encore un autre : telle est la règle d'or. Si tu ne peux même pas arriver à faire ça, alors autant te coucher tout de suite sur place". Dans ces ténèbres qui règnent, seule Anna et son compagnon apportent une lumière à ce roman noir, désespérant et désespéré. Ce récit glaçant de science-fiction apocalytique trace à travers le tecte austérien "le fantasme de la fuite", de la frontière libératrice dans un monde totalitaire. Paul Auster évoque le "danger de l'aliénations, du renoncement". Anna Blume ressemble à une Antigone américaine qui lutte pour sa survie. Il ne reste plus qu'à s'échapper de ce monde absurde et la fin du roman se termine par une interrogation : va-t-elle réussir à se sauver ? Ce roman complexe et parfois déprimant ne se lit pas avec un plaisir continu mais, cette dystopie semble nous prévenir sur la précarité de notre monde en proie aux plus graves dangers de disparaître. L'écrivain l'a écrit avec une prémonition redoutable, quarante ans avant le changement climatique, les guerres actuelles, la drogue conquérante, le terrorisme islamiste, etc. Un signal d'alerte à écouter pour se doter d'un courage sans limite.  

lundi 4 novembre 2024

Escapade dans les Pouilles, Bari

Mon séjour s'est donc achevé à Bari, chef-lieu des Pouilles avec ses 375 000 habitants. J'ai vécu un incident désagréable avec la location de la voiture quand un jeune employé peu sympathique a relévé une légère égratignure sur le parechoc arrière. Au total, une facture de quelques centaines d'euros ! Heureusement, j'avais une assurance tous risques ! Dommage de terminer mon séjour sur cette note désagréable dans les Pouilles. Mais, quand on voyage, il faut s'attendre à vivre quelques contrariétés en conservant sa bonne humeur... J'avais loué un appartement vue mer près du port de Bari et encore une mauvaise surprise sur l'état minimaliste du lieu : aucun équipement d'agrément comme des draps de dessus, etc. Le côté spartiate de la décoration ne correspondait pas à l'accueil italien... Heureusement, la ville m'a quand même réservé de bonnes surprises. Le vieux quartier tout proche du port est un labyrinthe de rues occupant un promontoire entre les deux ports. J'ai visité le Duomo, la basilique orthodoxe de San Nicola, un édifice du XIe siècle, lieu de pélerinage majeur car elle renferme les reliques de Saint Nicolas. J'ai poussé la porte d'un musée archéologique privé, le Palais Cimi où j'ai admiré quelques pièces remarquables. J'ai remarqué la quiétude du port alors que la ville souffre d'une réputation un peu négative comme toutes les métropoles. Les barques bleues et rouges formaient un décor méditerranéen typique et quelques pêcheurs vendaient leurs produits en particulier des poulpes. La mer Adriatique d'un bleu profond me faisait penser à une toile de Nicolas de Staël. Je ne pouvais pas manquer ma glace à la noisette de l'après-midi pour me rafraîchir tellement l'été régnait encore dans les Pouilles. Le lendemain, j'ai profité de ma dernière journée pour visiter le très beau musée archéologique de la ville, installé dans un monastère magnifique. Plus tard, j'ai réservé quelques heures à la Pinacothèque départementale Corrado Giaquinto où j'ai surtout remarqué un Bellini, un de mes peintres préférés de Venise, un Chirico et un Morandi. Mon séjour italien m'a réservé de belles surprises : des paysages marins de toute beauté, des villes anciennes extraordinaires comme Matera, des masserias dépaysantes, des belles églises romanes et gothiques, des musées archéologiques, la cuisine italienne, la gentillesse de nos hôtes, la vie vibrante d'une Italie méridionale très expressive. Une région attachante où la nature et la culture forment un duo de charme !  

vendredi 1 novembre 2024

Escapade dans les Pouilles, une masseria modèle, Donnapaola Modern Farm à Altamura

Après Matera et avant de terminer mon séjour à Bari, je me suis arrêtée dans une masseria vraiment exceptionnelle, la Donnapaola Moderne Farm à Altamura. Pourtant, j'ai éprouvé une petite angoisse pour accèder à mon hôtel en pleine nature dans le Parc national des Murge. Loin des sites touristiques fréquentés, la masseria propose un concept de "slow life", la vie lente, une pause bénéfique, nimbée d'un silence impressionnant. Notre voiture a emprunté des chemins en terre bordés de murets en pierre sèche sur une dizaine de kilomètres. Quand j'ai aperçu les premières vaches en liberte, je les ai confondues avec des buffles... Ces vaches d'une race particulière se baladent partout et je n'étais pas du tout rassurée ! J'ai compris qu'elles étaient inoffensives mais je m'en méfiais un peu. Angela, l'hôtesse du lieu, nous a bien expliqué le projet de la ferme, basé sur le monde animal et végétal en toute harmonie. Les responsables de la masseria revendiquent la beauté des Pouilles authentiques en liant l'art, la culture et la nature. J'ai rejoint ma chambre d'un décor chic campagnard où les meubles en bois, les serviettes, les objets étaient à la fois simples et esthétiques. Ces chambres d'hôte en pleine forêt de chênes était un havre de paix. Le soir, Angela nous attendait pour nous offrir un dîner apéritif avec des spécialités succulentes des Pouilles. Le lendemain matin, après un petit-déjeuner gourmand, elle nous a proposé une visite de la ferme : l'étable avec sa centaine de vaches et  la laiterie. Il semblerait que les produits laitiers sont particulièrement excellents car les vaches mâchent les herbes aromatiques du domaine et cette alimentation produit un lait unique. Dans un avenir proche, la ferme acceuillera des chevaux et des volailles. J'étais au coeur de ces 270 hectares où se cotoient des chênes, des plantes sauvages, des plantes médecinales, des oliviers. Les bovins "podoliens" broutent toutes ces herbes avec un bonheur certain.  C'est la première fois que je vivais dans cette ambiance particulière où la nature est protégée et préservée. Cette parenthèse enchantée était la bienvenue après cinq jours de visites et avant l'étape de Bari. Je me souviendrai longtemps de cette étape originale, reposante et innovante !

mardi 29 octobre 2024

Escapade dans le Basilicate, Metapunto et Matera

 Avant de visiter Matera, je me suis arrêtée à Metapunto au bord de la mer Ionienne dans la région du Basilicate. Un temple grec du Ve siècle av. J.-C. se dresse dans un champ isolé qu'aucun touriste ne semble bien connaître. Les quinze colonnes doriques de ce temple donnent une idée de la richesse économique et culturelle de la région dans les siècles avant l'époque romaine. Dédiée à la déesse Héra, il mesure 34 mètres de long sur 34 mètres de large. J'ai appris dans le guide du Routard que Pythagore, le célèbre mathématicien grec, a séjourné dans ce site. La solitude du lieu apporte un supplément d'âme et j'admirais ces colonnes qui ont traversé les siècles. Je ressentais un sentiment d'appartenance à la culture européenne qui prend sa source première dans la Grèce antique. A quelques centaines de mètres de ce temple en bon état, j'ai visité aussi le parc archéologique où demeurent encore quelques ruines de temples sans colonnes, un théâtre et des murets d'habitations. Au loin, une colonie d'aigrettes occupaient le lieu et je les observais avec curiosité. Je partageais avec elles seules ce lieu étrange et abandonné. Le musée attenant était fermé pour travaux de rénovation. Cette étape archéologique m'a permis de voir un site très peu connu. Je voulais surtout voir Matera, cette ville maudite selon Carlo Levi, un écrivain italien dénonçant l'extrême pauvreté des habitants dans le roman, "Le Christ s'est arrêté à Eboli" dans les années 50. Qualifiée de "honte nationale", elle s'est transformée en haut lieu du tourisme mondial. Les habitations troglodytes ne sont plus des maisons insalubres. Dans le passé, ces grottes abritaient dix à douze personnes avec les animaux domestiques. Ces quartiers, les sassi, ont été abandonnés puis réhabilités. 4 000 personnes vivent aujourd'hui dans ces habitats, inscrits dans le patrimoine de l'UNESCO. J'ai déambulé dans ce labyrinthe avec, hélàs, beaucoup, beaucoup de touristes comme moi. La beauté minérale de la ville saute aux yeux. Comme dans toutes les villes italiennes, j'ai visité des églises et le musée archéologique national, Domenico Ridola. Mais, il faut une sacrée santé pour arpenter Matera, composée de collines, de rues en pente, de ruelles, d'escaliers. Heureusement, des belvèdères permettent de tres belles vues sur la ville. Je garderai dans ma mémoire voyageuse des images fortes dont celle des églises rupestres, encastrées dans la roche. Un peintre pointilliste pourrait se saisir de ce paysage urbain, unique au monde.  

lundi 28 octobre 2024

Escapade dans les Pouilles, Tarente

 Après Lecce, élégante et raffinée, je suis partie à Tarente, une ville importante avec ses 190 000 habitants. L'antique cité de Taras, colonie grecque, a été fondée par des exilés spartiates ! Sa position stratégique lui permet d'abriter un port, un arsenal militaire et un complexe industriel. J'ai loué des chambres d'hôte dans un appartement sur la mer, près du centre ancien, la cita vecchia, établi sur une île rectangulaire, reliée à la ville moderne par un pont tournant, le Ponte Girevole, inauguré en 1887. J'ai vu les traces de la Grèce antique dans le quartier ancien. Deux colonnes doriques se trouvent sur la piazza Castello, et elles campent depuis deux mille ans près d'une église. Elles appartenaient à un temple de Poséidon. Un édifice aussi très important attire l'oeil : le Château aragonais, à la pointe du chenal d'accès à la rade, construit à la fin du XVe siècle. J'ai lu dans mon guide une légende mythologique sur Tarente : des araignées géantes vivaient dans la cité (la tarentule). Les habitants ont essayé de s'en débarasser et quand ces sales bestioles les piquaient, ils dansaient la tarentelle pour lutter contre la douleur. Heureusement, je n'ai pas rencontré ces araignées mythologiques ! J'ai traversé les ruelles du vieux quartier avec son lot de vieux immeubles. Le linge pendait aux fenêtres, les vespas nous frôlaient. J'ai assisté à la sortie d'un mariage avec des Italiens fort élégants dans leur tenue. Je me croyais à Naples au temps de la saga romanesque d'Elena Ferrante, "L'amie prodigieuse". Une Italie éternelle, populaire, vivante, bruyante, vibrionnante ! J'ai dégusté un risotto al mare, une spécialité succulente de la ville et j'ai consacré mon après-midi au Musée archéologique national de Tarente, dit aussi MArTA. Situé dans le couvent des Alcantarini, il a été souvent restauré et abrite des collections très importantes, du Paléolithique au Moyen Age. La période de la Grande Grèce m'a vraiment intéressée : de magnifiques cratères à motifs rouges, assiettes de poissons, vases de libation, coupes laconniennes, vases grecs, des figurines de terre cuite, des bijoux en or uniques tellement ils sont sophistiqués, des statues en marbre, des mosaïques romaines, etc. Un très beau musée archéologique que j'étais heureuse de découvrir. J'ai passé la fin de journée en dégustant un excellent "gelato" à la "nocciola" devant la mer ionienne et j'ai assisté à un très beau coucher de soleil ! Tarente, une étape étonnante où peu de touristes s'arrêtent. Pourtant, elle mérite un détour. Une ville authentique, loin de l'exploitation touristique. 

vendredi 25 octobre 2024

Escapade dans les Pouilles, Lecce

 J'ai poursuivi ma route pour visiter Lecce, célèbre pour l'empreinte baroque de ses bâtiments. Certains la surnomment la Florence du Sud ou l'Athènes des Pouilles. Dès mon arrivée dans la ville, il faut trouver un parking ! Parfois, cette recherche s'avère difficile mais quand on trouve une place payante pour la journéee, y compris la nuit, c'est un soulagement d'abandonner son véhicule de location. J'ai tout de suite remarqué l'harmonie architecturale du centre ancien grâce à la pierre calcaire locale, appelée "pierre de Lecce". Située au centre de la péninsule du Salento, Lecce est l'une des villes les plus importantes des Pouilles avec ses 96 000 habitants. Grecque à l'origine, puis romaine, Lecce a traversé une terrible épidémie de peste au XVIIe siècle avec plusieurs milliers de victimes. Un miracle de saint Oronce aurait arrêté la peste. Une colonne de Sant'Oronzo se dresse sur la place centrale. Le baroque se manifeste dans toute la ville dès les XVIe et XVIIe siècles : palais, églises, places. La piazza del Duomo m'a vraiment évoqué un décor de théâtre mettant en valeur la pierre locale au grain fin et doré. J'ai visité le musée civique de la ville qui proposait une exposition contemporaine sur le tissage. Le musée provincial Castromediano, un musée archéologique important, présente des vases messapiens et attiques de toute beauté. J'avais devant mes yeux tous les objets trouvés dans les fouilles d'Egnazia, de Canosa et des environs : bijoux, pièces de monnaie, objets du quotidien, poteries, etc. J'ai toujours aimé arpenté les musées archéologiques et j'ai remarqué que j'étais souvent seule dans ces espaces pourtant essentiels pour la mémoire de l'humanité. Pourquoi ce manque de curiosité ? Pourquoi cette désertion du public ? Je n'ai croisé aucun touriste dans ces musées. Suis-je autant décalée d'admirer ces vases grecs, ces mosaïques romaines ? Je prie à ma façon les dieux grecs et romains pour que ces musées perdurent dans le temps... Le soir, j'ai découvert la Basilique Santa Croce où une chorale masculine répétait des chants grégoriens. Un moment de grâce dans cette journée marathon. Lecce, une étape esthétique et charmante dans cette région attachante. 

jeudi 24 octobre 2024

Escapade dans les Pouilles, Egnazia et Ostuni

Après Polignano a Mare, j'ai visité le jeudi matin, le site archéologique d'Egnazia. Je ne manque jamais un site ancien tellement l'Antiquité gréco-romaine me passionne. J'ai vu sur ce lieu des archéologues accroupis sur le sol et le grattant avec précaution. Je me disais que j'aurais bien choisi ce métier pour trouver même un minuscule tesson d'une poterie trois fois millénaire. La ville, citée par des auteurs classiques, avait une position géographique stratégique entre l'Occident et l'Orient. Habitée par les Lapyges, puis par les Messapiens et les Romains, vers la fin du VIe siècle av. J.-C., il ne reste plus grand chose sur le terrain. Les archéologues ne connaissent pas les raisons de son abandon. Mais, les traces des murs révèlent l'habitat, des échoppes, des thermes, un théâtre, un temple et des rues pavées dont la voie de Trajan qui reliait Bénévent à Brindisi. Situées en bord de mer, ces ruines dégagent une mélancolie sur le vertige du temps. Le musée archéologique du nom de son directeur, Giuseppe Andreassi, est situé à l'extérieur des murs d'enceinte de l'ancienne Gnathia. Ce musée est une vraie merveille et même si sa dimension reste modeste, il propose un parcours sans faute pour connaître l'histoire des peuples anciens : poteries, jarres, objets de la vie quotidienne, vases grecs, bijoux, etc. Une mosaïque romaine, celle des Trois Grâces, montre trois femmes joyeuses et espiègles, un éloge de la jeunesse insouciante. Une pièce unique a attiré mon attention : un banquet en terre cuite lors d'une cérémonie funèbre.  Au sous-sol, un aquarium géant montre les relations maritimes d'Egnazia avec le reste du monde : amphores, vestiges de bateaux, prolongés par un système de vidéo interactive et immersif. Ce fut pour moi une découverte vraiment étonnante. Après cette étape archéologique, j'ai repris la route pour Ostuni, une antique cité messapienne, citée par Pline. Son passé byzantin, angevin et aragonais lui a donné une identité plurielle avec, en son centre ancien, une superbe cathédrale du XVe siècle. J'ai déjeuné dans un excellent restaurant sur un des remparts de la vieille ville où j'ai profité d'une vue magnifique sur la mer au loin. Le musée civique était fermé pour travaux. Mais, j'ai gardé un souvenir d'une blancheur toute grecque d'Ostuni. Plus loin, je me suis arrêtée à Ceglie Messapica où j'ai visité un petit musée archéologique assez intéressant. J'ai cherché en vain un autre musée, celui consacré à Emilio Notte, un peintre italien du mouvement futuriste, originaire du village. Mystère autour de ce musée ! C'est le charme de l'Italie, celui de l'imprévu, de l'illusion, de l'éphèmère. Le guide du Routard devrait vérifier ses sources. Dans les chambres d'hôte de Carovigno, il fallait être très douée en informatique pour ouvrir les portes de nos chambres. Aucun accueil, la modernité déshumanisée sévit aussi dans les Pouilles ! C'est bien dommage de se priver de ces contacts humains même superficiels et brefs, surtout quand on aime entendre parler la langue italienne... 

mercredi 23 octobre 2024

Escapade dans les Pouilles, Polignano a Mare

 J'aime l'Italie depuis de nombreuses années quand j'ai découvert la Toscane dans les années 80. Je me souviens encore de mes premières impressions à Lucques. J'étais sous le charme en arpentant cette ville, le modèle de la cité italienne avec son centre ancien, ses places, ses églises, ses ruelles, nimbée d'une lueur ocre jaune. Un charme venu des temps anciens du Moyen Age, de la Renaissance jusqu'à nos jours. Ce patrimoine architectural me semble unique au monde. J'explore donc ce pays deux fois par an et je retourne parfois à Rome et à Venise pour faire des provisions de beauté. Cette année, j'ai découvert la région des Pouilles : de Bari à Lecce, de Tarente à Matera, de Matera à Bari en passant par des étapes surprenantes. J'ai eu de la chance avec un soleil d'automne permanent. Dès que j'ai mis les pieds dans l'aéroport de Bari, je me suis sentie dans un pays connu. J'aime entendre la langue italienne que j'essaie d'apprendre en solo et je reconnais souvent le sens des phrases que je saisis dans une conversation. Après avoir pris ma voiture de location, j'ai pris la direction de Polignano a Mare, petite cité balnéaire  de 20 000 habitants. Je me croyais dans les Cyclades avec toutes les maisons blanches sur les falaises. Mon premier geste, le plus urgent pour moi, c'était de voir la mer, la mer Adriatique d'un bleu profond. Je ressens toujours la nostalgie de la mer car j'ai vécu au bord de l'océan atlantique pendant mes trois première décennies. J'ai marché, pieds nus, sur le sable blond de la plage et dans l'eau. Une cérémonie rituelle pour démarrer mon escapade. Le soir, j'ai dormi dans une masseria magnifique en plein milieu de champs d'oliviers. Ces oliviers de quelques centaines d'années formaient des sculptures vivantes et je pensais au mouvement artistique de l'Arte povera exploitant les richesses simples de la nature. Un musée d'art contemporain présentait des oeuvres surprenantes et portait le nom d'un grand artiste, Pino Pascali. La masseria del Crocifisso, véritable havre de paix et de calme, rappellait la culture ancienne des Pouilles où ces fermes historiques datent du XVIe siècle et du XVIIe. Les propriétaires terriens cultvaient le blé et l'olivier, élevaient des troupeaux et conservaient le sel. Ces lieux magiques hébergent maintenant des touristes, amoureux d'une nature éminemment civilisée. J'étais entourée de grenadiers, d'oliviers, de bougainvilliers, de lauriers-roses. Le soir, notre hôte nous a concocté un très bon repas succulent : des pâtes, évidemment !  

mardi 22 octobre 2024

Atelier Littérature, 3

 Après notre séance "psychanalyse", nous avons évoqué les coups de coeur du mois. Annette a parlé d'un très bon roman, "Les guerriers de l'hiver" d'Oliver Norek, publié chez Michel Lafon. Ce roman historique évoque l'invasion de la Finlande par l'Union soviétique le 30 novembre 1939. Le personnage principal, Simo Häyhä, apprend le tir de précision à la chasse avec son père. Ce jeune homme est appelé à la guerre d'hiver où il se retrouve face à une armée gigantesque. Les Finlandais possèdent peu de matériels (pas de tanks, de canons, d'avions). Simo et ses amis vont défendre leur territoire avec une motivation patriotique que les soldats russes ne semblent pas éprouver. Ces soldats héroiques détenaient le Sisu : "Le Sisu est l'âme de la Finlande. Il dit le courage, la force intérieure, la tenacité, la résistance, la détermination. Une vie austère, dans un environnement hostile, a forgé leur mental d'un acier qui nous résiste aujourd'hui". Ce roman a été sélectionné pour les prix littéraires de novembre. Les lecteurs, fidèles de l'écrivain, ont évidemment plébescité son dernier roman. Pascale a choisi comme coup de coeur un roman d'Anna Seghers (1900-1983), "La Septième Croix", publié en 1942 et disponible en Poche. Dans les années 1930, sept opposants au nazisme s'enfuient d'un camp. Un formidable appareil policier est mis en branle pour les retrouver et sept croix sont dressées. Combien de fugitifs seront capturés ? Il faut découvrir ce roman sur la montée du totalitarisme nazi, écrit par une écrivaine allemande, membre du Parti communiste de son pays. Elle s'est exilée en France et au Mexique. Elle retourne à Berlin en 1947. Geneviève a évoqué son dernier coup de coeur, "Le Magicien", formidable biographie romanesque sur l'écrivain allemand, Thomas Mann. Le biographe se nomme Colm Toibin, grand écrivain irlandais. Odile a choisi "Houris" de Kamel Daoud. Elle a analysé le roman qui se déroule dans une Algérie des années 90 où la guerre civile a provoqué des milliers de victimes. Nous avions déjà parlé de ce livre en septembre. Il figure dans les listes des prix littéraires et obtiendra peut-être le Graal, le prix Goncourt ! Nous nous retrouverons le jeudi 21 novembre à la Base pour Paul Auster et pour les coups de coeur que j'espère plus nombreux... 

lundi 21 octobre 2024

Atelier Littérature, 2

 Pascale et Régine ont lu le même ouvrage, "Sigmund Freud : La guérison par l'esprit" de Stefan Zweig, publié en 1932 et disponible en 2010 en Livre de Poche. Elles ont été unanimes pour déclarer que cet essai les avait vraiment intéressées tant l'écrivain autrichien raconte avec son talent indiscutable l'aventure de la psychanalyse et celle de son fondateur originel, Sigmund Freud. Ces deux intellectuels fondamentaux partagaient des passions communes : la littérature, la psychologie, Vienne, leur culture juive. Ces deux hommes se complétaient à merveille : l'un, Freud, admirait la créativité littéraire de Zweig, et l'autre éprouvait une fascination envers son ami savant. Ils s'écrivaient des centaines de lettres et l'écrivain autrichien a prononcé l'éloge funèbre de Freud à Londres. Cet ouvrage pédagogique dans le bon sens du terme précise avec une grande clarté la valeur et la portée de l'oeuvre freudienne. Nos deux lectrices ont apprécié ce livre très bien écrit qui définit les clés essentielles sur l'homme Freud et sa théorie. Mais, avec Zweig, on peut s'attendre à une extension de sa réflexion sur les pouvoirs de la pensée, sur l'esprit de l'époque avec ses doutes et ses espoirs. Ils ont fui tous les deux la folie meurtrière du nazisme en s'exilant, l'un à Londres, l'autre au Brésil. L'écrivain est le plus grand témoin complice de l'oeuvre freudienne avec la découverte de l'Inconscient, du rôle révélateur des rêves, de la sexualité, de l'agressivité, pulsion de mort. Stefan Zweig apporte aussi une touche philosophique quand il décrit "l'antagonisme entre la civilisation et l'instinct". S'il n'y a qu'un livre à lire sur le génie de Freud, il faut choisir celui-ci ! Régine a aussi découvert "Panique" de Lydia Flem. L'écrivaine psychanalyste définit ce moment, la panique, comme un "coup de fouet. Elle jette à l'écart de soi, loin des mots, de la raison, hors du sens. Les sentiments n'existent plus, elle occupe toute la place. Nue comme le fil d'une lame. (...) C'est un écartèlement de tout l'être, une dépossession de soi, la sensation d'une mort imminente". Le texte relate des exemples de panique dans une journée mais malgré l'intérêt de ce sujet, notre amie lectrice n'a pas ressenti une adhésion totale à cette "Panique", publié en 2014. Certains titres ont été choisis, d'autres n'ont pas attiré l'intérêt des lectrices. Mais, j'ai voulu mettre à l'honneur la relation profonde entre la littérature et la psychanalyse, deux phénomènes essentiels pour sonder notre "âme" ! 

vendredi 18 octobre 2024

Atelier Littérature, 1

Le jeudi 17 octobre, nous étions autour d'une table à la Base du centre Malraux pour parler "littérature et psychanalyse". Odile et Agnès ont choisi "Le Détective de Freud" d'Olivier Barde-Capuçon, publié en 2010. Nos deux lectrices ont beaucoup apprécié ce roman "freudien" qui se passe à Paris en 1911. Le docteur du Barrail est missionné par Freud lui-même pour enquêter sur la mort mystérieuse d'un confrère. Aidé par Max Engel, un drôle de détective marxiste et Carl Jung, le jeune homme sonde les esprits, surtout les trois femmes de l'entourage du disparu. Ces troublantes héroïnes jouent un rôle majeur. Odile et Agnès ont surtout aimé l'arrière-plan historique de la Belle Epoque et de l'apparition d'une nouvelle science humaine, la psychanalyse. Un très bon roman divertissant,  classé comme un roman noir dans la collection Babel d'Actes Sud. Une porte d'entrée originale et ludique pour comprendre l'univers de la psychanalyse. Geneviève a commenté le roman de Sarah Chiche, "Saturne", publié en 2021 en livre de poche. Ce texte autofictionnel, imbibé de psychanalyse, raconte la famille de la narratrice. Harry, son père, meurt à 34 ans dans des circontances tragiques. Issu d'une grande lignée de médecins contraints à l'exil au moment de l'indépendance de l'Algérie, Harry et son frère, Armand, ont bâti un empire médical en France. Mais, la passion de Harry pour une femme à la beauté "incendiaire", fera voler en éclats cette famille et leur empire économique. Comme le soulignait Geneviève, ce roman particulier se lit bien mais au fond, sans un intérêt profond. Véronique a lu "La petite robe de Paul" de Philippe Grimbert, publié en 2001 chez Grasset. Paul, la cinquantaine, marié, achète une petite robe blanche qu'il a aperçue dans une vitrine. Cette acquisition compulsive va entraîner une déflagration dans ce couple. Il la cache dans son placard sous un costume. Sa femme voulant donner des vieux vêtements découvre alors cette petite robe. Elle se pose mille questions sur cette robe. A-t-il une deuxième vie ? Un enfant caché ? Cet achat mystèrieux fissure l'harmonie du couple les précipitant au bord du gouffre. On ne peut pas vivre avec les mensonges, des secrets cachés, des souffrances refoulées, semble dire l'écrivain psychanalyste. Ce couple va revivre les moments les plus douloureux de leur existence pour retrouver un équilibre serein. (La suite, lundi)

mardi 8 octobre 2024

"Avant", Jean-Bertrand Pontalis

 Psychanalyste réputé et écrivain, Jean-Bertrand Pontalis (1924-2013) possède un art incroyable de mettre à la portée des lecteurs-lectrices la psychanalyse sans jargon spécialisé et sans ostentation. Son style d'une simplicité raffinée se confirme dans cet ouvrage, "Avant", publié en 2012. Ce recueil de textes parfois hétéroclites pose la question existentielle du temps, de son passage inéluctable : "Quand il nous arrive de dire, "c'était mieux avant", sommes-nous des passéistes en proie à la nostalgie d'une enfance lointaine, d'une jeunesse révolue, d'une époque antérieure à la nôtre où nous avons l'illusion qu'il faisait bon vivre ? A moins que cet avant ne soit un hors-temps échappant au temps des horloges et des calendriers. Je me refuse à découper le temps. Nous avons, j'ai tous les âges". Cette citation résume la démarche de l'écrivain, une démarche intime, intérieure, hors d'une temporalité tyrannique. Chacun d'entre nous songe souvent à son enfance mythique, à sa jeunesse insouciante et le psychanalyste parle de "l'infans" en nous, "cet être d'avant le langage", ce passé inconnu, la plage de l'inconscient. Le premier chapitre intitulé, "Avant", rappelle le texte fabuleux de Georges Perec, "Je me souviens". Le rôle de la mémoire sélective joue une partition essentielle dans notre vie psychique. Il revendique la méthode du fragment dans ses écrits divers. Ses références littéraires et philosophiques représentent un régal de l'esprit, de Roland Barthes à Proust, de Georges Perec à Borges, de Rousseau à Chateaubriand. Un des passages les plus intéressants concerne ce phénomène de la mémoire que le psychanalyse définit comme un "inconscient" : "L'Inconscient ne devrait-il pas s'appeler Mémoire ? Une Mémoire Zeilos, hors-temps, (...) indifférente au calendrier. Et la cure psychanalytique qui, via le transfert, ne cesse d'entremêler le passé et le présent, serait-elle autre chose qu'un dévoilement progressif, qu'une aléthéia, la levée du voile de Léthé, l'oubli ? Une magie lente, disait Freud". Car, le nom de Freud revient souvent sous la plume enchantée de Pontalis. Des articles m'ont particulièrement intéressée notamment sur Ulysse, sur le peintre Caspar David Friedrich, sur une nouvelle de Balzac. Evidemment, il est question aussi de la culture psychanalytique quand il cite Lacan, Winnicott, Breuer, etc. Ce texte patchwork, tissé de souvenirs, d'aphorismes, de références, se lit sans difficultés. J.-B. Pontalis, un médiateur idéal de la psychanalyse et de la littérature que j'ai choisi dans ma liste pour l'Atelier d'octobre. 

lundi 7 octobre 2024

"La Vie des spectres", Patrice Jean

 Patrice Jean, un écrivain talentueux, vient de publier son dernier roman, "La vie des spectres", publié au Cherche Midi. Quand je lis du "Patrice Jean", je sais que je rentre dans le domaine du grinçant, de l'ironie, d'un certain désarroi, et surtout du politiquement incorrect. Le regard impitoyable de l'auteur me fait souvent sourire. Son héros principal, Jean Dulac, travaille pour un journal local dans sa ville de Nantes. Il était chargé des critiques de théâtre et son rédacteur en chef lui demande de réaliser des portraits de personnalités locales. L'humour dévastateur de l'auteur se niche dans ces articles loufoques. Jean renacle devant tant de mauvaise foi des personnalités superficielles qu'il rencontre. Son "mauvais esprit" se manifeste dans un article qu'il écrit sur une surveillante, victime de clichés sensibles sur les réseaux sociaux. Des lycéens dont son fils ont diffusé ces photos. Comme cet homme persiste dans un esprit critique corrosif, sa femme et son fils le boycottent et lui demandent de quitter le foyer familial. Le voilà un peu dépité de se retrouver isolé de tous tellement il ne colle plus au consensus général, celui de la bienveillance fraternelle. Il loge dans un ancien appartement de sa mère et il finit par dialoguer avec un ami disparu. Ce héros découvre la bêtise environnante, surtout celle d'une jeunesse en pleine dérive, dogmatique et intolérante, refusant la moindre autorité. Ce romantique désabusé fait penser à l'univers de Houellebecq ou à celui de Flaubert, le grand pourfendeur de l'hypocrisie sociale, de la médiocrité des élites, de la lâcheté collective. Jean Dulac sera exclu de la société, car il refuse de "jouer le jeu". Dans un précedent roman, "L'Homme surnuméraire", il imaginait un jeune homme embauché pour réécrire les classiques de la littérature française pour supprimer les passages offensants pour les minorités. Patrice Jean est un écrivain en colère contre le conformisme social, les faux semblants, la bêtise des réseaux sociaux, le narcissisme triomphant. Evidemment, il ne rayonne pas d'optimisme quand il dénonce avec humour les travers d'une société en crise morale et politique. Il ressemble à Milan Kundera pour qui les "notions de droite ou de gauche lui sont parfaitement étrangères. Seule compte la littérature".  Patrice Jean écrit dans son roman : "Existe-t-il un seul être humain, depuis l'ère quaternaire, qui ait mesuré, dans toute sa vérité, le degré d'indifférence dont il était universellement l'objet ?". J'ai pensé à une filiation littéraire car son père spirituel ressemblerait à Marcel Aymé, sarcastique, ironique sur les travers inévitables de la société contemporaine. A découvrir.