Je reviens sur le thème de la nostalgie avec cette anthologie, "Le Goût de la nostalgie", éditée au Mercure de France, en 2015. Cette collection, "Le goût de", propose des dizaines de titres avec un dominante sur les voyages sans oublier les loisirs et d'autres sujets parfois étonnants. Ces petits ouvrages adorables peuvent s'offrir avec plaisir. Que ce soit sur le thé ou la lenteur, les livres et les bibliothèques, les sports, les sentiments, les animaux, la cuisine, chacun trouvera sa passion commentée. J'en possède évidemment quelques uns dont celui de la lecture, d'Athènes, de Lisbonne, etc. L'introduction du volume présente la notion de nostalgie : "L'écriture peut retenir ce qui fut jadis le présent et raviver les couleurs du passé pour le ramener au devant de la scène". Elle cite Patrick Modiano, le chantre de la nostalgie, qui a déclaré lors de la remise du Prix Nobel de la Littérature en 2014 : "C'est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme des icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan". La nostalgie peut naître à tous moments de la vie : l'enfance perdue, pays perdu, amours perdus, années perdues. Ce sentiment de la perte est traité constamment par la littérature. Quel remède pour amortir ces moments de nostalgie ? Un grand philosophe, Vladimir Jankélévitch, a donné un conseil : "Ne ratez pas votre matinée de Printemps", seul antidote à la nostalgie. Dans cette anthologie, les textes sont organisés en cinq chapitres : temps perdu, pays perdu, perdre son pays, c'est perdre son passé, jouissance de la fugacité. Une trentaine d'écrivains évoquent ce sentiment : de Pessoa à Kundera, de Colette à Alain-Fournier, de Tchekhov à Georges Perec, etc. Ce petit livre sympathique donne de très bonnes idées de lecture. Ulysse, le grand nostalgique de son île et surtout de Pénélope, est bien revenu chez lui après vingt ans d'exil, entre la guerre de Troie et ses vagabondages d'île en île. La nostalgie selon Homère, une énergie vitale. Un sentiment universel sur la condition humaine.
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
jeudi 26 juin 2025
mardi 24 juin 2025
Thomas Mann sur Arte
Je regarde de temps en temps Arte pour ses documentaires sur l'art et sur la littérature. J'avais remarqué que la chaîne culturelle franco-allemande proposait des émissions sur l'écrivain allemand, Thomas Mann pour célébrer les 150 ans de sa naissance. Né le 6 juin 1875 à Lübeck, il meurt à Zurich en 1955. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1929, il est considéré comme l'un des plus grands écrivains européens de la première moitié du XXe siècle. Son premier roman, "Les Buddenbrook", paru en 1901, lui apporte dès l'âge de 26 ans une notoriété solide et sa "Montagne magique", publiée en 1924, confirme son génie littéraire. J'avais lu ce grand livre trop jeune et je me fais un devoir et une joie de le rédécouvrir dans les mois prochains. Avant de relire "La Montagne magique" pour mieux comprendre ce chef d'oeuvre, je vais découvrir "Le Buddenbrook" cet été. Evidemment, comme j'adore Venise, j'ai lu et relu "Mort à Venise". Cet écrivain est aussi un grand intellectuel, farouche défenseur des valeurs démocratiques. Il fuit les nazis dès 1933, part en Suisse, puis aux Etats-Unis et retourne à Zurich à partir de 1952. Arte propose l'adaptation des Buddenbrook en deux parties. Je regarderai ce films après ma lecture du roman car je veux garder la primauté au livre. Ensuite, d'autres émissions concernent, en particulier, sa maison d'été à Nida en Lithuanie où il a passé trois étés avec sa grande famille. Une autre émission rappelle sa biographie : ''Thomas Mann forever". Pour aborder son oeuvre, regarder tous ces reportages de très grande qualité donne vraiment envie de le lire ou le relire. Pour saluer cet écrivain allemand, il faut absolument découvrir la biographie littéraire de Colm Toibin, "Le Magicien", paru récemment en Livre de Poche. Une magistrale biographie romancée comme celle du "Maître" sur Henry James. Dans "Mort à Venise", j'ai trouvé cette citation : "Car la beauté, elle est aimable et visible à la fois ; elle est la seule forme de l'immatériel que nous puissions percevoir par les sens et que nos sens puissent supporter". Je suis encore étonnée que Thomas Mann ne figure pas dans le "Panthéon de la Littérature mondiale", je veux parler de la Pléiade. Il semblerait que les droits d'auteur serait un obstacle à cette intégration.
lundi 23 juin 2025
"Café Excelsior", Philippe Claudel
Quand j'avais proposé le thème de la nostalgie pour l'Atelier Littérature du 26 mai, je ne me doutais pas que je vivrais un incident "amnésique", une irruption intempestive d'oubli dans ma mémoire immédiate heureusement bénine selon les médecins des urgences. Par contre, cet incident technique dans mes neurones a provoqué un oubli de cinq heures intégrant la totalité des commentaires durant les deux heures de l'Atelier. Malgré des notes prises, je ne peux malheureusement pas évoquer les lectures de la liste bibliographique et les coups de coeur. Mais, dans cette liste sur la nostalgie, j'ai découvert quelques titres dont "Le Café Excelsior" de Philippe Claudel, publié en 2007 dans le Livre de Poche. Dès les premières pages, le décor est planté : "Mon grand-père tenait le Café de l'Excelsior, un bistro étriqué dont les mauvaises chaises et les quatre tables de pin rongées par les coups d'éponge composaient un décor en demi-teintes violines". Plus loin, ce petit café de province "formait une enclave oubliée contre laquelle les rumeurs du monde et ses agitations, paraissaient se rompre à la façon des hautes vagues sur l'étrave d'un navire". Le narrateur, âgé de huit ans, est confié à son grand-père après la mort tragique de ses parents. Les quelques clients esseulés du café, "des astres mélancoliques" viennent se réchauffer le coeur loin des leurs soucis quotidiens. Ils forment une nouvelle famille et le petit garçon mènera une vie heureuse et comblée. L'enfant illumine le quotidien du grand-père et le vieil homme goûte à nouveau au plaisir de l'enfance retrouvée. Mais, l'administration ne l'entend pas ainsi et le petit-fils à l'âge de onze ans est placé dans une famille d'accueil. Ce roman court et servi par une belle écriture m'a d'autant plus intéressée que j'ai moi-même passé mon enfance dans un bar que tenait mes parents. Je conserve précieusement quelques souvenirs très attachants concerant des clients qui fréquentaient ce bar, des "astres mélancoliques" qui se réfugiaient dans ce bar pour trouver un peu de chaleur humaine en noyant leurs soucis permanents dans quelques verres de vin, des "chopines de blanc et de rouge". La plume poétique de Philippe Claudel m'a replongée dans cet univers si intime et la littérature ravive souvent les souvenirs enfouis dans la mémoire. Merci à Philippe Claudel pour ce bain nostalgique dans ma propre enfance. Ce bar au Boucau, près de Bayonne, se nommait "Chez Germain", le prénom de mon père... Ah, la nostalgie, une douce rêverie qui permet de revivre des moments heureux du passé.
jeudi 19 juin 2025
"Mémoires de Sabine, épouse d'Hadrien", Nynke Smits
Un de mes livres préférés, "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, m'a marquée à tout jamais dans ma vie de lectrice passionnée. Cette fascination m'a ouvert la porte magique de l'Antiquité, des Grecs anciens et des Romains. Ce chef d'oeuvre, publié en 1951, conserve une éternelle actualité. J'ai donc découvert un roman historique, "Mémoires de Sabine, épouse d'Hadrien", de Nynke Smits, traduit du néerlandais et publié l'année dernière. L'auteur est une grande spécialiste des langues anciennes et connaît évidemment à merveille le monde antique. Sabine (85-136 ap. J.-C.), impératrice, s'est mariée avec Hadrien à l'âge de quinze ans. L'Impératrice écrit son journal intime et relate sa vie bien singulière avec un époux hors-norme. Il n'a jamais voulu avotr d'enfant avec elle de crainte d'avoir un fils qui ne correspondait pas à son idéal. Elle accompagne Hadrien dans les contrées lointaines en Britannia, en Grèce, en Egypte et en Ibérie, le pays de son mari. Dans ces différentes escapades, elle rapporte des oeuvres d'art et des copies de manuscrits. Hadrien ne la voit guère mais, il la respecte et la protège. Alors qu'il est parti dans les marges de l'Empire, Sabine fuit Rome et se refugie dans une petite ferme de la Villa Hadriana. Le portrait d'Hadrien s'affine au fil des pages : c'est un homme brutal et autoritaire, loin de l'image de Marguerite Yourcenar. L'empereur tombe fou amoureux d'un jeune homme, Antinous, qu'il va déeifier à sa mort par noyade en Egypte. Des personnages historiques apparaissent dans ce roman historique : Suetone, des consuls, des neveux d'Hadrien. Sabine s'est liée à Julia, son amante et poétesse grecque. Pour mieux suivre l'identité des personnages, des pages à la fin du livre éclairent le lecteur-trice ainsi qu'un arbre généalogique. J'ai bien apprécié ce roman reportage, évidemment très documenté sur la vie à Rome entre les esclaves, le peuple et l'élite impériale. Un des neveux d'Hadrien fomentera un complot contre Hadrien qui sera déjoué. Marguerite Yourcenar écrivait le journal intime d'Hadrien, un homme à plusieurs facettes. Nynke Smits a choisi le point de vue féminin et à cette époque-là, c'était un malheur de naître femme ! Evidemment, je préfère mon Hadrien de Yourcenar surtout pour l'écriture somptueuse dans ce roman historique exceptionnel. Mais, j'ai lu avec intérêt le destin de Sabine, une femme courageuse et stoïque !
mercredi 18 juin 2025
"Ecouter les eaux vives", Emmanuelle Favier, 2
Au retour de sa mission, sa hiérarchie la convoque pour lui annoncer la mort de son père. Il s'est noyé mais, Adrian, soupçonne qu'il s'est suicidé. Elle est envoyée à Brest pour une visite diplomatique afin d'échanger des informations sur la guerre acoustique. Au seuil d'une nouvelle vie, hors d'un sous-marin protecteur, le personnage féminin change de registre. Au lieu d'observer la mer, de l'écouter, elle va se découvrir, explorer ses "eaux vives", ses envies et ses désirs enfouis en elle. La mort de son père la "libère" en quelque sorte. Elle quitte l'Ecosse pour la Bretagne et fait la connaissance d'un jeune homme, Arthur, qui va la présenter à Abel, un homme aveugle de naissance, et vivant dans une solitude volontaire avec son chat, Miel, comme un Robinson breton. Cet homme cultivé aime passionnément le poète espagnol, Antonio Machado et son ami, Arthur, lui lit des poèmes du poète espagnol. Il refuse de voir son père Paol, directeur de la station biologique de Roscoff, car il l'accuse de la mort de sa mère des suites d'un cancer. Adrian tombe follement amoureuse de cet homme singulier et mystérieux. Au fond, elle épouse l'obscurité d'Abel, homme torturé par son angoisse existentielle. La relation fusionelle qu'elle entretient avec Abel ressemble à une submersion dans les abysses du sexe. Elle entretient en même temps une relation amicale avec Arthur qui l'initie à la plongée, des moments de respiration pour elle. Je ne dévoilerai pas la fin de ce roman atypique, rempli d'embruns bretons, de paysages sauvages, de l'Ecosse à la Bretagne. Adrian a passé sa vie dans un sous-marin qui demande un contrôle total de son corps et de son esprit. Cette période de temps, voué à la maîtrise de soi, est suivie par un éclatement total de ses "pulsions" de vie, de l'éros selon Freud. Abel représente cette renaissance, un appel à la vie et à la liberté, mais cette relation va les précipiter dans un trou béant. Pour ma part, j'ai préféré la première partie du roman quand l'héroïne écoute la mer. L'écrivaine reconstitue avec une précision chirurgicale la vie à bord d'un sous-marin, surtout du côté d'une femme soldat. L'histoire d'amour entre Adrian et Abel m'a semblé excessive et trop passionnelle. Emmanuelle Favier possède un souffle romanesque évident et puissant. J'ai aussi apprécié son écriture ciselée et riche, un phénomène assez rare dans l'univers littéraire contemporain. A découvrir.
mardi 17 juin 2025
"Ecouter les eaux vives", Emmanuelle Favier, 1
J'avais lu quelques romans d'Emmanuelle Favier dont "Virginia", un hommage à Virginia Woolf, très intéressant à lire. J'ai remarqué son style très travaillé, les sujets originaux qu'elle aborde souvent et son dernier livre, "Ecouter les eaux vives", paru chez Albin Michel en janvier 2025, ne m'a pas déçue. Le personnage central, Adrian Ramsay, est une jeune femme écossaise d'une quarantaine d'années qui pratique un métier dit masculin, sous-marinière dans la Royal Navy. Plus précisèment, Oreille d'or : "Adrian écoutait les symptômes de la mer comme le médecin écoutait le coeur des marins, de sa capacité de concentration, de sa facilité à mobiliser les ressources de sa mémoire mais aussi de sa résistance à la pression psychologique, dépendait la sûreté de l'équipage. Elle avait acquis ces compétences au prix de nombreuses formations et d'innombrables tests, qui lui avaient permis d'obtenir son statut d'analyste en guerre acoustique". Son métier d'expert dans un sous-marin, porteur de missiles nucléaires, consiste à "écouter la mer", c'est à dire, analyser tous les bruits environnants, détecter des anomalies, deviner les cris des mammifères marins. Un métier vraiment très particulier où l'intuition et la mémoire auditive jouent un rôle majeur. L'héroïne se transforme en phare des abysses. Son père aveugle demeure sa seule relation humaine. Se lover dans ce ventre d'acier, se nicher dans ce mastodonte des mers. Ces deux phénomènes ressemblent au ventre d'une mère quand le bébé nage dans le liquide amniotique. L'écrivaine raconte avec son talent d'écriture la vie quotidienne dans un sous-marin, un quotidien rythmé par une cadence militaire où chacun reste à sa place. L'espace étriqué et restreint d'un sous-marin provoque une promiscuité difficile à vivre. Il faut savoir que les femmes n'évoluent presque jamais dans ce milieu masculin. Son rapport aux hommes se résume par quelques rencontres hasardeuses et sans lendemain entre deux missions. Au fond, sa vie de sous-marinière lui suffit et lui donne la sensation "d'une matrice dont la grande respiration métallique la ramenait à l'origine de tour". (la suite, demain)
lundi 16 juin 2025
"Son vrai nom est Elizabeth", Adèle Yon
Dans l'actualité littéraire du moment, un livre a retenu mon attention : "Son vrai nom est Elizabeth" d'Adèle Yon. Née en 1994, la jeune femme a déjà à son actif un parcours professionnel surprennant : normalienne, enseignante, écrivaine et même chef de cuisine ! Elle a entrepris un travail de recherche universitaire sur la question du "double féminin fantôme" au cinéma ("Rebecca" d'Alfred Hitchcock et "Obsession" de Brian De Palma). Ce travail déclenche une puissante réflexion sur la nécéssité de se confronter à ce double pour devenir elle-même. La jeune femme découvre que ce double féminin s'incarne dans sa propre famille : une aïeule, jugée "folle", a été hospitalisée pendant de nombreuses années. Ce drame de la "folie" inquiète la narratrice. Cette maladie peut-elle se manifester dans les gènes d'une filiation féminine ? Cette arrière-grand-mère, Elizabeth, dite Betsy, est née en 1916, fut diagnostiquée schizophrène et internée entre 1950 et 1967 à l'hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais dans le Loiret. Dans cet établissement, elle va subir des électrochocs et surtout, une effroyable lobotomie qui lui laissera deux trous dans la tête. Adèle Yon va mener une enquête exhaustive en recherchant des témoignages familiaux (une soeur, un frère, sa fille, sa petite-fille), élargissant sa quête autour de la correspondance entre Betsy et son mari. Elle va même intérroger des soignants de cet hôpital. Un portrait de Betsy se dégage au milieu de ce document d'archives administratives et de témoignages privés. Née dans une famille catholique, où le non-dit domine dans les relations familiales, elle rencontre un jeune homme sérieux mais, psycho-rigide. Il lui fera six enfants non désirés et la traitera comme un "rebut de la famille", une "non-personne". Cet homme, sûr de lui et autoritaire, ne ressentira aucune empathie ni aucune compassion pour son épouse. L'arrière-petite-fille dénonce dans son ouvrage la cruauté de cet homme, l'indifférence du clan, la mise à mort de cette femme, dite "folle", écartée de ses enfants sans la moindre interrogation. Ce livre "hybride", récit intime, enquête journalistique, essai, documentaire, ne se lit pas facilement. Il percute le lecteur, dérange, implique une attention parfois éprouvante sur cette femme si malheureuse et si émouvante. La vraie Betsy, le double de la Betsy malade, qui est-elle vraiment ? Adèle Yon tente l'impossible en recomposant le portrait de cette femme complexe, victime d'un silence assassin et d'un système patriarcal archaïque. Un récit de vie troublant, à lire avec précaution. De la part de la narratrice, un témoignage d'amour familial sur une aïeule incomprise et maltraitée par les siens et par la société de cette époque.
vendredi 13 juin 2025
"Journal, Les années d'exil : 1949-1967", Sandor Marai, 2
Sandor Marai déclarait que son journal intime "s'empare de tout, aspire tout (...) C'est ma seule planche de salut". Sa situation matérielle à New York s'améliore car il devient collaborateur de Radio Free Europe. Il vit ce deuxième exil avec un regret de son Naples, si attachant. Il monte dans un paquebot pour atteindre l'Amérique. Quand il découvre New York, il écrit : "New York m'a fait penser à Venise. Quand on y arrive un matin de printemps, c'est une autre Venise, non pas celle du Settecento, mais celle de l'ère nucléaire". Tout est gigantesque à ses yeux : les gratte-ciels, les arbres, la chaleur : "Il y a quelque chose d'insensé dans cette démesure". Il découvre cette ville "monstrueuse" avec fascination et commence à voyager dans le pays pour tâter sa réalité en notant le problème des afro-américains, du maccarthysme, de la misère dans les rues newyorkaises. Les événements politiques des années 50 surgissent au fil du récit autobiographique : la répression de 1956 en Hongrie, la guerre d'Indochine, Il lit des écrivains américains : Faulkner, Hemingway qu'il admire. Mais, il pense qu'il repartira en Italie. Sa force intérieure se mesure à un quotidien, nourri de livres et d'écriture : "Ecrire, lire, avec force, oui, écrire, lire avec persévérance". Malgré son isolement social, l'écrivain jouit de sa solitude et déclare : "Je vis chaque jour avec un grand bonheur et beaucoup de curiosité, même si je ne bouge pas de chez moi et ne fais rien". Il ne parvient pas à se sentir chez lui en Amérique, ce qu'il ressentait à Naples : "Toutefois, il est très difficile d'atteindre l'Amérique à cause des Américains". Il partage ses découvertes du bord de l'océan, des musées, des zoos avec son fils adoptif, Janos, qui, lui, devient un petit Américain modèle. Le journal fourmille d'anecdotes sur son quotidien, sur les romans qu'il compose, sur sa famille, sur la littérature mondiale. Une mosaîque d'impressions, de sensations, de commentaires. Un témoignage précieux, unique dans son genre. Un journal à lire pour bien connaître ce grand écrivain hongrois. Le tome 3 du journal m'attend cet été. Sandor Marai représente la quintessence d'un honnête homme littéraire comme Stefan Zweig et Thomas Mann. Ils ont offert à leurs lecteurs leurs mondes intérieurs, une attitude généreuse et parfois risquée. Un grand plaisir de lecture.
jeudi 12 juin 2025
"Journal : Les années d'exil, 1949-1967", Sandor Marai, 1
J'avais découvert le Journal de Sandor Marai, le premier tome, "Les années hongroises, 1943-1949", paru en Livre de Poche en 2021. Témoin d'une époque historique couvrant les années de la Guerre et de l'arrivée des Soviétiques à Budapest, l'écrivain racontait aussi sa vie quotidienne, ses lectures, son oeuvre littéraire, ses relations familiales. Un critique a écrit que ce journal lui permettait de confirmer que "sa seule façon d'être au monde était l'écriture". Le deuxième tome concerne les années 1949-1967 quand il a quitté Budapest après l'arrivée de l'Armée rouge. Il s'installe près de Naples, première et lumineuse étape de son exil. Ecrivain polyglotte, il parle français, allemand et apprend l'anglais. Dans ce journal patchwork, il évoque son quotidien à Naples mais aussi la matrice de ses romans, ses nombreuses lectures, les anecdotes familiales, son passé en Hongrie, ses escapades en Allemagne, en Suisse et en France. La marche du monde le passionne et il cite souvent des événements politiques de cet époque. Il se retrouve dans une situation financière précaire qui le tourmente dans son texte. Ses commentaires sur Naples sont particulièrement savoureux. En tant qu'amoureuse de l'histoire littéraire, j'apprécie ses diverses critiques sur les écrivains de prédilection : Gide, Valéry, Proust, Colette, etc. Il cite même Carson Mac Cullers, une écrivaine américaine peu connue. Son flair littéraire, son immense culture écléctique, sa curiosité insatiable forcent l'admiration tout autant que sa prose limpide et efficace. Ses réflexions sur la mer rejoignent son sentiment d'une patrie perdue : "La véritable patrie est là, dans la mer, dans le monde. L'autre est un bon souvenir dont on ne peut, ni ne doit se libérer. De patrie, il n'y a qu'une seule : l'infini". Il vit à Naples de 1948 à 1952 et il a adoré cette période, une parenthèse enchantée dans son parcours d'exilé. Il écrit dans son journal le 9 juillet 1950 : "J'ai décidé d'émigrer en Amérique". Il rend un hommage vibrant à l'Italie car son départ approche : "En Italie, j'aime tout. Il y a plus d'équilibre, plus d'humanité ici. C'est un foyer, un jardin féerique, un eden..."
mercredi 11 juin 2025
"Un air de famille", Alessandro Piperno
Alessandro Piperno, l'un des plus grands écrivains italiens de sa génération, vient d'écrire "Un air de famille", publié chez Liana Levi. Ce professeur enseigne la littérature française à l'université et il est l'auteur d'essais et de six romans, dont certains ont obtenu des prix littéraires prestigieux. Il dirige aussi l'équivalent de la Pléiade, "I Meridiani" et écrit des articles pour le Corriere delle Sera. La presse spécialisée le compare souvent à Philip Roth. Sa famille appartient depuis toujours à la communauté juive de Rome. Inlassablement, l'écrivain romain décrit les péripéties familiales : "Ah, la famille ! En effet, c'est mon refrain, mon idée fixe". Dans son dernier roman, il met en scène un professeur, Mr Sacerdoti, célibaire endurci, ne cachant pas sa détestation des enfants, "petites brutes égoïstes, bruyantes, cruelles et vulgaires". Or, ce professeur hérite, par un pur hasard du destin, d'un garçonnet de huit ans, Noah, orphelin et d'origine anglaise. Les parents sont morts dans un accident de montagne. Il se voit désigné comme tuteur de ce lointain petit-cousin alors qu'il ne l'a jamais rencontré. Les personnages dans les romans de cet écrivain ne sont jamais des héros car ils ont un tempérament du côté de la faiblesse, même de la lâcheté. Le professeur, avant la prise en charge de ce garçon, a traversé une tempête médiatique. Il a cité dans un cours des phrases de Flaubert, teintées de misogynie. Et voilà qu'une collègue ambitieuse et intolérante, d'un féminisme caricatural, le dénonce de véhiculer des idées rétrogrades. Alors, sa mise à mort dans les réseaux sociaux lui tombe dessus. Couvert d'opprobre, il est obligé de démissionner, de quitter son poste. Ce fait de société rappelle le roman de Philip Roth, "La Tâche". En plein marasme psychologique, le narrateur s'enferme dans une spirale infernale. Alessandro Piperno manie l'ironie et constate comme son héros négatif que les temps sont difficiles pour les écrivains politiquement "incorrects". Après cette déchéance sociale, le professeur voit sa vie complètement chamboulée par la venue de ce petit-cousin. Cette deuxième partie du livre, plus sérieuse et plus profonde que ses déboires à l'université, pose la question de la filiation, du lien avec un enfant, de la famille, du temps qui passe, de la solitude, de la responsabilté. Le professeur a connu aussi un drame familial et la disparition tragique de ses parents rappelle celle des parents de Noah. Une complicité affectueuse entre eux se révèle parfois compliquée, mais peu à peu naissante. Mais, un héritage va mettre fin à leur association familiale. Noah va rejoindre une deuxième famille intéressée à Londres. Un roman drôle, moderne, attachant. Un écrivain italien à découvrir.
lundi 9 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 5
J'ai réservé mon dernier billet sur une visite essentielle à ne surtout pas éviter malgré l'affluence excessive de ce lieu incontournable : le Musée des Offices. Mais comment visiter les dizaines de salles sans se bousculer, se gêner, se faufiler devant une dizaine de touristes squattant chaque tableau célèbre ? Mes conseils s'avèrent assez simples : prendre une réservation deux mois avant la date de la visite un jour de semaine et jamais le week-end, choisir le créneau matinal vers 9h du matin et arriver dès 8h devant le musée. A ces conditions, j'ai évité la foule car le musée attire plus de 5 millions de visiteurs par an après les musées du Vatican. J'ai mille fois mieux apprécié les collections extraordinaires des Offices. Par contre, j'ai préparé le parcours en notant le numéro des salles où se nichent les peintres que je voulais revoir. Munie de mon carnet de notes, j'ai effectué un parcours sans faute, un marathon esthétique de premier ordre. Ouverts au public en 1765, les 12 000 m2 offrent la plus belle collection au monde de la peinture italienne et européenne. Ces chefs d'oeuvre proviennent des collections Médicis, des dons du monde religieux, des legs, etc. Je me suis donnée des priorités, un menu pantagruélique : Raphaël, Botticelli, Caravage, Léonard de Vinci, Uccelo, Titien, Bronzino, Pontormo, Rubens, Dürer, Lippi, et tant d'autres génies. J'ai vécu un éblouissement permanent pendant les trois heures de déambulation dans les salles et les couloirs des Offices. Je ne peux pas citer tous les tableaux mais je vais en choisir cinq qui m'ont vraiment enchantée. Je me suis rendue compte que le thème de l'Annonciation était traité par de nombreux peintres de la Renaissance. J'ai donc retenu évidemment celle de Leonard de Vinci, d'une beauté renversante. Léonard avait à peine une vingtaine d'années quand il peint ce chef d'oeuvre. Mon deuxième coup de coeur, le sublime Raphaël et sa "Vierge au chardonneret", une représentation de l'amour maternel où la mélancolie de Marie se lit dans son regard. Troisième coup de coeur, le "Bacchus" du Caravage, un tableau sensuel, ironique de ce génie de la peinture italienne. Quatrième coup de coeur, un "Ange musicien" de Rosso Fiorentino, un adorable tableau, un hommage à la musique. Cinquième coup de coeur : une autre Annonciation, celle de Botticelli, d'une finesse et d'une délicatesse remplies d'émotion. Mon escapade toscane s'est donc terminée en beauté !
jeudi 5 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 4
J'ai terminé ma journée de lundi en visitant le Bargello, le Musée national de la Sculpture, à deux pas de l'appartement. Ce palais, construit en 1255, était le siège de la police, puis s'est transformé en tribunal (Conseil de Justice et des Juges de la Roue !) sous le règne des Médicis. On exécutait les condamnés dans ce lieu et pendant trois siècles, ce palais abritait une prison. Au XIXe siècle, le bâtiment restauré devient le premier musée national italien lorsque Florence est la capitale du pays. Reconnaissable avec sa tour crénelée de 60 mètres de haut qui surplombait la terrasse de l'appartement, j'ai eu la chance de parcourir cet immense édifice avec très peu de touristes. Dès que j'ai pénétré dans la cour, dotée de portiques et d'arcs en plein cintre sur des piliers spectaculaires, j'ai ressenti le poids de l'Histoire florentine. Armoiries sur les murs, fresques sur les banières, je plongeais directement dans la bulle temporelle du Moyen Age et j'apercevais quelques Médicis dans les salles... Dans cette forêt de marbre et de bronze, j'ai remarqué un adorable "Petit pêcheur" de Vincenzo Gemito, le célèbre "David" de Donatello, le "Bacchus ivre" de Michel Ange, et tant d'autres sculptures de la Renaissance. Il faut bien s'informer avant de visiter ce musée pour choisir quelques oeuvres essentielles. Sinon, ce genre de musée peut intimider les visiteurs néophytes ou lasser les plus motivés. Un musée labyrinthe à découvrir ne serait-ce que pour son architecture impressionnante. Un petit musée peu connu a attiré mon intérêt, le musee Horne, près de l'Arno, installé dans un palazzo du XVe. Un esthète anglais, Herbert Percy Horne, a racheté ce palais pour en faire un musée. Je me suis baladée dans les différentes salles, avec les meubles d'époque et les tableaux sur les murs. J'ai admiré une petite toile de Signorelli, un Giotto magnifique, un Lippi, et d'autres merveilles de la peinture italienne. Un musée vraiment passionnant à découvrir. Comme le dit le Routard, "une visite reposante, loin des foules".
mercredi 4 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 3
Après le Musée Archéologique, j'ai découvert un musée original que je ne connaissais pas. Il s'agit du Museo degli Innocenti, le musée des Innocents, ouvert en 2016, qui combine un bâtiment à l'architecture Renaissance (1415), une collection d'art incroyable et une place à part dans l'histoire de Florence. Cet ancien orphelinat, le premier en Europe, depuis le 15e siècle, a accueilli des milliers d'enfants. Quand je suis rentrée dans cet édifice patrimonial, j'ai été émue par une salle où sont conservés, dans des tiroirs sous verre, les objets que les mères ou les parents laissaient à leurs enfants abandonnés. Ces objets (bouts de tissu, croix, médailles) dont un médaillon coupé en deux parties devaient permettre de les reconnaître plus tard en cas de remords. Combien de destins brisés dès l'enfance ? Que sont devenus Alberto, Giuseppina, et tant d'autres enfants perdus ? Des adultes orphelins ou abondonnés ont apporté leurs témoignages dans des vidéos que l'on peut visionner. Un moment d'émotions dans ce musée original, pétri d'une humanité profonde. Au troisième étage, une galerie de peinture propose des tableaux de grands artistes de la Renaissance dont un "Vierge à l'enfant" de Sandro Botticelli, toujours aussi sublime et un "Adoration des mages" de Dominico Ghirlandaio. Après cette découverte émouvante, j'ai revu avec un grand plaisir une église magnifique, la Chiesa Santa Maria Novella, édifiée par les Dominicains à partir du XIIIe siècle. Deux cloîtres, des chapelles, un Christ en croix de Giotto, des fresques de Masaccio, de Filippino Lippi, une remarquable chapelle des Espagnols, en deux mots, un éblouissement permanent. Un lieu sacré et un musée incontournable de Florence. J'ai déjeuné dans une trattoria formidable, baptisée "100 poveri", populaire, loin du tourisme de masse où j'ai dégusté mon plat préféré en Italie, les linguine à la vongole ! J'ai aussi revu le musée Novecento, plus de 300 oeuvres de l'art italien moderne et contemporain. J'ai apprécié de revoir des Morandi et des Chirico qui dégagent une certaine mélancolie. Les Italiens ne sont pas toujours des "joyeux lurons méridoniaux". Je pense à Cesare Pavese en particulier. Encore une journée consacrée à l'art et à la beauté. Quel pays !
mardi 3 juin 2025
Escapade toscane, Florence, 2
Le lundi, j'ai démarré ma journée en visitant un des joyaux de Florence : le Musée Archéologique National, installé dans un palais du XVIIe siècle. Même si ce n'était pas la première fois que je le visitais, j'ai retrouvé la magie de l'archéologie autour de "mes" Etrusques, qui au fil des jours, m'avaient complètement adoptée. Le musée a été inauguré en 1870 et fut transféré dans son emplacement actuel dix ans plus tard. La superbe collection des vases grecs est présentée dans les vitrines d'une grande salle et proviennent des tombes étrusques dont le vase François, découvert en 1844 à Chiusi. Ce grand cratère à figures noires impressionne avec sa série de récits mythologiques. Grâce aux écrans tactiles (une révolution dans un musée archéologique), les amoureux de cet art si singulier peuvent suivre les explications sur les images des vases. Kouroi, sculptures, fragments, mosaïques romaines, monnaies diverses, vaisselles, statuettes votives, bustes en marbre de quelques philosophes grecs, un paradis à mes yeux tant j'aime l'archéologie. J'ai remarqué une sculpture étrusque très réputée et très surprenante, la Chimère d'Arezzo en bronze assez imposante qui représente un animal mythique, un monstre à trois têtes avec une gueule de lion, une tête de serpent et une tête de chèvre. Une deuxième pièce m'a aussi fascinée : le Sarcophage des Amazones, d'inspiration hellénistique, du IVe siècle av. J.-C. découvert à Tarquinia en 1869. Restauré récemment, ce sarcophage en albâtre calcaire, venu de Grèce probablement, présente des scènes mythologiques sur les audacieuses Amazones, un sujet récurrent dans l'art grec. J'étais presque seule avec ma famille dans ce musée exceptionnel alors que des milliers de touristes se bousculaient devant le Duomo. Evidemment, je profite de cette situation mais j'avais envie d'aller les chercher pour leur suggérer que l'art antique mérite aussi toute leur attention admirative. Je suis partie avec une réserve d'images et de sensations dans ma tête et quand je revois dans les livres ou sur internet les trésors de ce musée, je me dis que je ne rêve pas, je les ai vus avec mes yeux et ce contact concret, réel, sans filtre et sans support, demeure une expérience irremplaçable. Un des plus beaux musées archéologiques d'Italie et d'Europe.
lundi 2 juin 2025
Escapade en Toscane, Florence, 1
A Florence, j'ai loué un appartement dans le centre historique, près du musée du Bargello, à trois rues du Duomo et de la Piazza della Signoria. Je connaissais la cité l'ayant visité à trois reprises depuis les années 80. J'ai toujours constaté que cette destination attirait un monde fou presque autant que sa soeur italienne, Venise. Il semblerait que 15 millions de touristes par an visitent Florence ! Comme j'ai parcouru la Toscance pendant cinq jours, il me semblait évident de finir mon escapade dans sa capitale car je voulais revoir un de mes musées préférés : les Offices. Quand je suis arrivée à Florence le dimanche, évidemment j'ai retrouvé l'ambiance survoltée des milliers de touristes tous agglutinés autour du Duomo avec une file d'attente très importante. Je pense qu'il fallait attendre deux bonnes heures et j'admire la patience incommensurable de ces touristes venus du monde entier. J'ai rejoint l'appartement que j'avais loué et j'ai vécu un moment de grâce quand j'ai profité de la terrasse avec, comme horizon sublime, le haut du Duomo, du Bargello et du Palazzo Vecchio. Pas un bruit, du silence à peine griffé des cris d'oiseaux, des hirondelles au-dessus de ma tête. Et le son des cloches, un son tellement familier , un souvenir d'enfance. Je suis ressortie pour me balader du côté de l'Arno pour revoir le Ponte Vecchio, aussi célèbre que le Rialto de Venise. Ce pont de pierre, le plus ancien d'Europe, date de 1345. Des inondations ont marqué la ville en mars dernier mais je n'ai vu aucune conséquence de ces crues inhabituelles. J'observais ce grand fleuve si majestueux sur lequel batifolaient quelques barques avec des rameurs. Quand on se retrouve dans un décor mille et mille fois photographié, filmé, louangé, le syndrome de Stendhal (trouble physique et mental devant trop de beauté en même temps) se déclenche devant une telle beauté architecturale harmonieuse et hors du temps contemporain. Plus tard, j'ai traversé la Piazza della Signoria, avec le Palazzo Vecchio, le palais du gouvernement de la ville pendant des siècles. La Loggia des Lanzi abrite une collection de sculptures, des chefs d'oeuvre de la Renaissance dont le Perseo de Cellini. J'aime tout particulièrement la Fontaine de Neptune, oeuvre de Bartolomeo Ammannatin, qui date de 1565. La statue de Neptune en marbre blanc de Carrare ressemble à Cosme Ier de Médicis pour honorer la puissance maritime de Florence. Chevaux marins, saryres, dieux fluviaux forment un ensemble "maniériste" flamboyant. Mes retrouvailles avec la cité des Médicis commençaient bien dès mon arrivée.