La collection "L'un et l'autre" de Gallimard comporte quelques pépites d'or. Il faut souligner que J.-B. Pontalis, écrivain psychanalyste, a dirigé la collection avec le souci de réunir des oeuvres littéraires qui dévoilent "les vies des autres telles que la mémoire des uns les invente". Jean-Pierre Martin évoque dans cet essai les derniers moments du grand écrivain anglais, George Orwell. Comme j'ai découvert récemment son roman emblématique, "1984", j'ai eu envie de mieux connaître sa vie. Le titre de l'ouvrage m'a intriguée, "L'autre George Orwell", publié en 2013, et je me demandais pourquoi ce terme "autre". L'écrivain anglais se sent en marge de la société avec ses positions antifascistes. Il a participé à la Guerre en Espagne du côté républicain et son antistalinisme ne passe pas dans les rangs de la gauche. Les journaux anglais rejettent ses articles et il décide de quitter Londres après la perte de sa femme. Il est atteint de tuberculose et cette maladie le fragilise. En fuyant la ville, il veut se consacrer entièrement à l'écriture de son roman, "1984". Son écart du monde se manifeste dans un lieu improbable et inaccessible, l'île de Jura en Ecosse. Jean-Pierre Martin décrit cette ile ainsi : "Sur fond de silence et de solitude, on perçoit le bruissement de la mer. La ferme est seule en contrebas, plus seule encore que je ne l'imaginais d'après les lettres et les descriptions". Pourquoi cet isolement farouche ? Le narrateur tente une explication : "Une pulsion profonde, une intériorité exigeante, radicale, propulsant assez loin de ce que l'on croit être soi". L'autre Orwell manie la charrue, les outils, façonne son potager, soigne ses nombreux animaux de ferme, se transforme en paysan et en pêcheur-chasseur. Un retour salutaire à la terre et à la mer pour vivre sa liberté et se dispenser d'une société hypocrite et dévoreuse de temps. Il élève son fils Richard avec sa soeur et quelques amis de passage. Il vit retiré du monde mais sa solitude est peuplée de paysages, de cerfs en liberté, de tâches concrètes. Plombier, bûcheron, jardinier, menuisier, pêcheur, chasseur, semeur, planteur, tous ces métiers pratiqués aboutissent aussi à celui d'écrivain car il compose sa symphonie de mots avec "1984". Peut-être, a-t-il passé dans cette île magique les deux meilleures années de sa vie avant que la maladie ne le terrasse définitivement. Ce livre très bien écrit rend hommage à un homme singulier, attachant, une vigie pour nous alerter sur l'horreur de tous les totalitarismes.
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
mardi 8 avril 2025
lundi 7 avril 2025
Le salon du Livre ancien à Chambéry
Samedi, j'ai visité le Salon du Livre ancien, installé au premier étage du Musée des Beaux Arts de Chambéry. Ancienne libraire, j'aime beaucoup humer le parfum suranné des livres anciens et cette balade au coeur des stands me ramenait à mes années de jeunesse quand je m'adonnais au commerce si noble des livres. Ce salon, organisé pour la deuxième année et soutenu par la ville, le département et les papeteries de Vizille, regroupait une dizaine de libraires venus de tous les coins de France. Un catalogue était offert à l'entrée du musée qui présente des ouvrages rares ou surprenants d'un prix conséquent. Seuls, les bibliophiles passionnés peuvent acquérir ces livres exceptionnels. Ce qui m'a frappé en déambulant dans les travées des stands, c'est la vision d'un monde ancien, un monde où la chose imprimée a conservé toute sa valeur symbolique. Je ressentais un sentiment de nostalgie face à ce milieu si poli, si civilisé, si cultivé. Sur cette planète miniature, quelques professionnels courageux tentent de vivre leur passion des livres. Moyenne d'âge des visiteurs : des seniors, évidemment. Aucun jeune dans la salle... Ce petit îlot de résistance, situé pour deux jours dans l'un des lieux culturels les plus importants de la ville, me faisait penser à un trait d'union entre les siècles passés jusqu'àu nôtre, les XXIe siècle. Le livre ancien, trait d'union du passé au présent, heureusement, repose encore dans les bibliothèques patrimoniales qui en prennent soin comme tous ces tableaux dans les musées d'art. Je n'oublie pas la date de naissance du premier ouvrage imprimé de l'histoire : la Bible de Gutenberg en 1455. Si je fais un calcul, le livre imprimé a donc atteint l'âge de 570 ans ! Pas mal pour un objet, comme durée. Un smartphone passe le cap de deux à quatre ans... Avant de quitter ce salon charmant et désuet, j'ai acquis une Pléiade à un prix très abordable pour compléter ma collection. Les oeuvres intimes de Stendhal vont nourrir mon été de lecture. J'ai aussi profité de ma visite pour revoir les peintures du musée, surtout les italiennes. Mais, j'ai un coup de coeur pour une nature morte de Martinius Nellius, peintre hollandais du XVIIe siècle. Cette petite merveille, une vanité vraiment surprenante, est digne des grands musées nationaux. Par quel miracle a-t-elle atteri à Chambéry ? Il faudrait que je mène une enquête... Livres et Musée, un beau couple culturel à préserver pour encore quelques siècles...
vendredi 4 avril 2025
Rubrique cinéma, "Parthenope", Paolo Sorrentino
Je ne pouvais pas rater le film de Paolo Sorrentino, "Parthenope", un hymne à Naples et à sa folie. Parthenope (nom d'une sirène qui voulait séduire Ulysse) symbolise la Beauté dans toutes ses dimensions et le réalisateur raconte la vie de cette jeune fille des années 50 à nos jours. Née dans une famille de la bourgeoisie napolitaine, elle vit dans un décor baroque et un oncle armateur lui offre même un carrosse de Versailles ! Après l'adolescence, elle s'intéresse à l'anthropologie et suit des études jusqu'au doctorat. Un de ses professeurs est subjugué par son intelligence et par sa culture. Leur relation maître-élève sera sa boussole intellectuelle. Sur le plan familial, Parthenope est adorée par ses parents et surtout par son frère. Il est amoureux d'elle et cet inceste non consommé le ménera au suicide. La jeune fille attire les convoitises de tous les hommes qui l'entourent : un amoureux malheureux et jaloux, un écrivain alcoolique, un cardinal lubrique, un milliardaire harceleur, des admirateurs éblouis par sa beauté. Mais, l'héroïne préfère sa liberté, son indépendance à tout autre choix. Défilent sous nos yeux ébahis des paysages merveilleux : le Vésuve, la mer, Capri, Naples, les plages, le soleil, la foule, le bruit, l'agitation permanente. Ces napolitains, saturés de vie et de folie, jouent une partition comique et tragique, dans un opéra polyphonique. Je connais Naples et j'ai retrouvé dans ce film l'essence de cette ville bouillante, bouillonnante, virevoltante. Mais, derrière cette effervescence se cache une mélancolie permanente que Parthenope illustre avec sa beauté insaississable et lointaine. Au fond, sa solitude se manifeste constamment dans ses relations avortées. Paolo Sorrentino, napolitain d'origine, restitue l'âme de la ville dans son chaos permanent. La jeune fille accepte un poste de professeur d'université à Trente, dans le Nord du pays. Quarante plus tard, elle revient à Naples, la déesse-sirène s'est transformée en femme assagie, sérieuse et apaisée loin du chaos éblouissant de sa jeunesse. La performance de Céleste Dalla Porta, la comédienne d'une très grande beauté, apporte au film un atout majeur. Un film à voir surtout par les amoureux-amoureuses de Naples et de l'Italie comme moi !
jeudi 3 avril 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 2
Régine a présenté son grand coup de coeur avec un roman biographique, "Articque solaire", de Sophie Van der Linden, paru en 2024 chez Denoël. Depuis trente ans, Anna, le personnage principal du roman, passe l'hiver dans les îles Lofoten pour peindre les paysages en captant les variations de lumières : "J'ai peint tête en l'air, le regard fixé sur ces déploiements, et vécu une apothéose quand les roses et les mauves ont fait leur entrée en scène". Mariée à un célèbre architecte, elle se soustrait à la bonne société suédoise pour vivre sa peinture. Elle espère réaliser un tableau exceptionnel pour être enfin reconnue. L'autrice s'est inspirée de l'oeuvre d'Anna Boberg (1864-1935) et s'est glissée dans sa vie intérieure pour sonder ses attentes et ses ambitions. Rien que l'évocation des îles Lofoten fait déjà rêver, alors, si, en plus, une femme peintre s'intègre dans ce décor magique, les amies lectrices vont se précipiter pour lire ce roman venu du Nord de l'Europe. Mylène a bien aimé le roman de Naomi Krupitsky, "La Famille", disponible en Folio. Brooklyn, les années 30, Sofia et Antonia, voisines et amies inséparables, ont un point commun : leurs pères travaillent pour Tommy Fianzo, parrain de la mafia locale. Elles observent la vie de leurs mères soumises aux hommes du clan et se jurent de ne pas épouser des hommes oeuvrant pour la "Famille". Quand Antonia perd son père, leur amitié se fragilise et leurs rêves divergent. L'une choisira le chemin des études quand l'autre amie optera pour une vie plus facile. Ce premier roman est une histoire d'amitié féminine et aussi une exploration subtile de la mafia new-yorkaise. Une jeune romancière à suivre, dorénavant. Odile a choisi comme coup de coeur, "Les Mangeurs de nuit" de Marie Charrel, paru en Livre de Poche. Hannah, une fille d'immigrés japonais, est une Nisei. A la fois canadienne et asiatique, elle ne comprend pas que les autres enfants la traitent de "sale jaune". Jack, lui, est un creekwalker. Il veille sur la forêt et aime les légendes autochtones. Des années 20 à l'après-guerre, l'autrice raconte la rencontre de ces deux exclus dans une nature époustouflante. Une ode à la nature et à la fraternité. Voila le panorama des coups de coeur de mars. En avril, nous nous retrouverons le jeudi 24 avril autour des romans dystopiques.
mercredi 2 avril 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur, 1
Après la séance sur les récits et autobiographies, nous avons abordé les coups de coeur du mois. Odile a évoqué un roman, "Ultramarins" de Mariette Navaro, publié l'année dernière chez Quidam Editeur. A bord d'un cargo de marchandises, l'équipage décide de s'offrir une baignade en plein océan Atlantique. Seule, la capitaine du cargo ne participe pas à cette escapade surprenante et inhabituelle. Cette brèche dans un quotidien routinier est-elle le signe d'une révolte ? D'une dérive passagère ? Odile nous a donné envie de découvrir ce livre qualifié par un crique "d'étonnant, poétique, métaphysique". Danièle a présenté deux coups de coeur. Le premier concerne "Haïm, à la lumière d'un violon", de Gérard Garutti, publié en 2015 chez Robert Laffont. L'auteur raconte l'histoire vraie de Haïm Lipsky, qui a traversé le siècle et survécu à la Shoah grâce à son violon. Ce récit a ému Danièle, qui aime tout particulièrement la musique. Ce violon illumine les Ténèbres que cet homme traverse dans sa vie. Un hymne à la vie et à l'art. Elle a aussi choisi une nouveauté, celle de Marianne Alphant, "L'Atelier des poussières", publié chez P.O.L Quelle drôle d'idée de s'intéresser à la poussière ? L'écrivaine écrit : "Quark et suie, petits corps subtils, raclures d'atomes en pleine vitesse, poudre à priser ou de perlimpinpin, poudre Legras pour les crises d'asthme". Elle "convoque les figures de cet asservissement : valets, femmes de ménage, serviteurs". Dans ce récit original et drôle, on y croise les valets de la littérature comme Scapin ou Figaro, Sganarelle ou Cosette mais aussi les serviteurs des philosophes comme Hegel et Kant. Un éloge des humbles et des modestes. Agrégée de philosophie, Marianna Alphant est aussi critique littéraire et historienne d'art. Ses ouvrages sur Pascal, "Pascal : Tombeau pour un ordre" et sur Monet, "Monet : Cathédrale de Rouen" sont devenus des références. (La suite, demain)
mardi 1 avril 2025
Atelier Littérature, récits et autobiographies, 3
Odile a choisi le journal intime de Sandor Marai, "Journal-Les Années hongroises 1943-1948", publié au Livre de Poche. Longtemps inédit en France, ce texte éclaire l'homme et l'oeuvre que l'on compare à Stefan Zweig. Ecrivain de romans passionnants, chroniqueur, il fut aussi le témoin d'une époque sombre dans son pays. Le journal retrace la situation politique de la Hongrie sous le joug des Allemands et ensuite, sous celui des Soviétiques. Il raconte la déportation et l'extermination des Juifs de son pays, la vie politique chaotique, la fragilité de la civilisation : "Thé, viandes froides, journaux. Le refuge tiède de la civilisation. Et la conscience que ce bonheur est plus fragile encore que la tasse de thé en verre que tu portes à tes lèvres". Sandor Marai donne une place essentielle à sa vie intellectuelle très riche avec un amour total des livres et de la littérature. Tout grand écrivain est aussi un immense lecteur. Il se situe comme un citoyen ouvert, un bourgeois éclairé, aimant son pays et surtout sa langue tout en critiquant ses compatriotes lâches et veules. Il finira par s'exiler en Suisse et en Italie n'emportant que cinq livres dont l'Odyssée alors qu'il en possédait 5 000 ! Odile a trouvé ce livre très intéressant. Il faut redécouvrir cet écrivain européen de premier ordre. Odile, la deuxième amie lectrice, a présenté "Les Faits, autobiographie d'un écrivain". Elle a beaucoup aimé ce récit provoquant, profond, décalé de Philip Roth. Où se situe la vérité de cet écrivain caméléon, aussi happé par la fiction que par le réel ? L'écrivain américain propose des souvenirs d'enfance et de sa jeunesse, considérés comme la matrice de sa vocation d'écrivain : sa famille et son milieu juif à Newark, son éducation et sa formation à l'identité américaine, ses relations mouvementées avec les femmes, ses études de lettres à l'université. Un texte autobiographique essentiel dans l'oeuvre de l'écrivain à découvrir pour tous les amateurs-amatrices de son univers romanesque exceptionnel et unique dans le monde de la littérature !