lundi 30 septembre 2019

Athènes, 2

J'ai consacré deux journées à visiter l'Acropole et les deux musées les plus importants d'Athènes. J'ai choisi de partir dès 9h, mais déjà, des grappes de touristes foulaient le pavé antique. De toutes façons, le site majeur d'Athènes est un "incontournable" du tourisme mondial. Un chiffre parle de lui même : 33 millions de visiteurs par an ! Peut-être faut-il se promener sur l'Acropole en plein mois de janvier ? Malgré la foule, j'ai revu toujours avec la même curiosité les vestiges de la Grèce antique en pensant à la déesse Athéna. Pourtant, mon regard percevait la grandeur de cette civilisation, ce "miracle grec", berceau de notre culture européenne. Toutes les nationalités se croisent sur ce plateau de 300 mètres de long sur 150 mètres de large et à une hauteur de 156m. Il faut faire preuve d'imagination pour s'isoler dans des coins moins fréquentés pour retrouver les couleurs et les sensations de nos racines antiques. Périclès a permis la construction du Parthénon, des Propylées, le temple d'Athéna Niké et l'Odéon sous la supervision du grand sculpteur Phidias. J'aime particulièrement l'Erechthéion où les Cariatides portent le toit du temple. Cette perspective architecturale exceptionnelle montre la beauté classique de l'art grec. Périclès a financé les bâtiments grâce aux mines d'argent de Laurion et au trésor de Délos. La mythologie raconte la naissance du sanctuaire dédié à Athéna, victorieuse d'un défi avec Poséidon qui proposa une source d'eau salée alors qu'elle offrait un olivier. L'olivier a gagné et Athéna, fille de Zeus et de Métis, est devenue la déesse préférée des Athéniens. Son rôle dans l'Odyssée a magnifié sa présence en Grèce où elle symbolise la sagesse mais aussi la guerre avec son casque et sa lance. Elle protège les artisans, les artistes et les maîtres d'école. Je la considère comme une des premières féministes de l'Antiquité à l'égal des Amazones. Beaucoup d'objets artisanaux représentent la déesse bien plus importante que ses parents divins. Quand je me tiens aussi devant le théâtre de Dionysos, je m'imagine assister au spectacle. La voix des comédiens et le son de la flûte racontent Eschyle, Euripide et Sophocle. Le soir, je me suis souvent promenée sur la promenade archéologique, débarrassé de ces touristes éphémères (tous ceux qui débarquent de leurs bateaux de croisière) et dans la douceur de la nuit tiède, un panorama unique au monde se présente devant mes yeux éblouis : le Parthénon, l'Odéon, les Propylées s'illuminent et nous éclairent de leur splendeur millénaire… Athéna rode dans les parages ! Comme elle est invisible, j'ai senti son souffle dans l'air… 

samedi 28 septembre 2019

Athènes, 1

Je suis restée dix jours à Athènes avec un jour d'escapade à Egine. Je commence à connaître un peu la ville, car cela faisait la quatrième fois que je la visitais. La vie quotidienne des Athéniens s'est un peu améliorée depuis deux ans mais la ville respire encore la crise économique endémique depuis dix ans : magasins fermés, chômage des jeunes, retraités maltraités, etc. Malgré  ces problèmes sociaux, j'ai donc revu avec plaisir tous les sites archéologiques de la vieille dame antique : l'Acropole, l'Agora grecque, l'agora romaine, la Bibliothèque d'Hadrien, l'Olympion, le Kéramikos. Il faut beaucoup marcher pour retrouver les traces magiques de la Grèce antique. Je profite encore d'une bonne santé pour revoir ces lieux sacrés. J'ai arpenté avec une curiosité renouvelée les musées de l'Acropole, le National archéologique, les Arts cycladiques, le Benaki, le Kanellopoulos et ceux des sites visités. Je suis rentrée dans les églises byzantines. J'ai souri devant le cérémonial des Evzones (les gardes républicains du Président) et j'ai mieux respiré dans le jardin public. J'ai fréquenté de bons restaurants populaires et d'autres plus chics. J'ai pris des taxis, le métro, le bus, des ferries, et je me suis servie de mes jambes pour traverser les quartiers. Comme dans ce blog, j'avais déjà évoqué Athènes, je vais relater mes nouvelles découvertes. Dès mon arrivée, je suis tombée sur un chauffeur de taxi plutôt bizarre qui ne comprenait pas l'adresse de l'appartement loué. Il se conduisait comme un malotru bougon, ce qui m'a beaucoup étonnée. Je pense que ces travailleurs, esclaves de leur voiture, souffrent d'une lassitude immense par rapport aux dizaines de milliers de touristes qui envahissent la ville dans la haute saison (d'avril à novembre). Il nous a tout de même conduits  dans la rue proche de l'appartement loué, situé prés de la promenade aux pieds de l'Acropole. Ce qui frappe le plus quand on arrive au cœur de la ville, ce sont les tags qui couvrent les murs des immeubles, les panneaux des chantiers, le mobilier urbain. Tout se dévoile dans ces messages cryptés : déclarations anarchistes, féministes, communistes, dénonciations sur le tourisme de masse, visages, animaux, etc. Les jeunes graffeurs ne chôment pas la nuit pour s'exprimer. Comme l'architecture du XXe siècle ne ressemble qu'à une succession d'immeubles en béton avec leurs stores baissés et leurs climatiseurs, les tags n'abiment pas le patrimoine classé. La ville a accueilli des centaines de milliers de réfugiés, venus de Turquie dans les années 30 et 40 % des Grecs vivent dans l'agglomération de la capitale, exode rural oblige. J'avoue quand même ma préférence pour la ville antique d'Héraclès à celle du Premier Ministre d'aujourd'hui, Kyriakos Mitsotakis… 

mardi 17 septembre 2019

La Grèce en lectures

Comme je pars mercredi à Athènes, j'ai passé du temps à lire et à relire mes guides sur la ville et surtout à feuilleter des ouvrages sur l'art grec que je ne peux pas emporter dans ma valise… Quel plaisir de me replonger dans ces illustrations sur les temples, sur les sculptures, sur les vases, sur les statuettes en bronze et en terre cuite ! Mon goût de toute la culture grecque antique ne se fane pas, bien au contraire. Apprendre le grec ancien avait déjà confirmé ma passion pour la langue parlée par Homère, Platon, Socrate sans oublier Sophocle, Euripide et tant d'autres génies littéraires. Cet après-midi, tout en me promenant, j'écoutais en podcast les quatre épisodes des Chemins de la philosophie d'Adèle Van Reeth sur Homère. Pierre Bergounioux était l'invité de la deuxième émission et il évoquait Ulysse et quelques épisodes de l'Odyssée. Il remarquait qu'Homère avait inventé le premier roman d'amour et d'aventures de la littérature mondiale, un roman basé sur un homme, Ulysse, doué de raison, d'intelligence (aux mille ruses) et de fidélité pour Pénélope. J'ai écouté religieusement cette saga ultraconnue mais toujours aussi fascinante. J'aime ce mélange de merveilleux de la culture grecque où dieux et déesses ressemblent aux humains et où les humains se transforment en demi-dieux. Poséidon poursuit Ulysse de sa colère tandis qu'Athéna le protège et l'aide à surmonter les épreuves. Cette œuvre fondatrice a traversé quasi trente siècles : quel héritage fabuleux ! J'ai relu la délicieuse Jacqueline de Romilly, "Une certaine idée de la Grèce" paru chez De Fallois en 2003. Alexandre Grandazzi interroge en sept chapitres l'Académicienne helléniste. Elle évoque son cher Thucydide, la tragédie grecque et Homère. Elle se raconte aussi et parle de son émerveillement pour "ce petit pays qui a inventé la littérature, l'art, la philosophie et la politique, le miracle grec".  Ces entretiens montrent une femme attachante, simple et passionnée comme si elle vivait avec Périclès au Ve siècle avant J.-C... Lire avant de partir, c'est déjà voyager. Je me documente avant, je m'imprègne de l'atmosphère antique, je me vois sur l'Acropole, dans l'agora grecque, dans cette ville blanche, taguée, fourmillante, orientale avec ses millions d'habitants, concentrés sur cet espace en bord de mer. Dans ma valise, j'emporte trois livres de poche : "L'art grec", "La pensée chatoyante" de Piero Citati et un roman d'Eugénia Fakinou, "La septième dépouille". Je connais bien la ville et Egine, mais je ne peux pas m'empêcher d'y retourner tellement j'aime ce pays si accueillant, si lumineux, si beau !

lundi 16 septembre 2019

"Elsa Morante, une vie pour la littérature"

René de Ceccatty, italophile de renom, s'est donné une tache difficile : écrire une biographie d'Elsa Morante (1912-1985). Pour passer un bel été en lectures, j'ai proposé à mes lectrices amies trois grandes dames de la littérature italienne : Elena Ferrante, Goliarda Sapienza et Elsa Morante. Je voulais faire connaître cette écrivaine peu lue aujourd'hui. J'espère que certaines de mes lectrices ont choisi Elsa Morante. Je l'ai lue dans les années 80 et son roman emblématique, "La Storia" m'avait particulièrement marquée et touchée. En 2018, le traducteur de Pasolini et de Moravia, René de Ceccatty propose un ouvrage de quatre cents pages sur Elsa Morante. Pourtant, l'écrivaine ne voulait pas que l'on dissèque sa vie. Pour elle, seuls ses romans se suffisent à eux-mêmes. L'écrivaine, secrète et solitaire, est née en 1912 d'une mère institutrice et d'un père employé des postes. Elle sera reconnue plus tard par son beau-père éducateur. Elevée dans un quartier populaire de Rome, sa vocation d'écriture se manifeste dès l'âge de dix ans. Trois ans plus tard, elle publie des récits pour enfants et à dix-huit ans, elle quitte le foyer familial et devient journaliste. En 1941, elle rencontre Alberto Moravia, l'épouse et le suit dans l'exil décrété par les fascistes. En 1948, son premier roman, "Mensonge et sortilège" obtient le prix Viareggio. Elsa Morante adore voyager : l'Espagne, l'URSS, la Chine, les Etats-Unis. Elle se lie avec un jeune peintre homosexuel qui se suicidera en 1962. Elle va travailler sur le scénario d'un film de Pasolini, son grand ami. Son couple bat de l'aile depuis longtemps et même s'ils se séparent, ils ne divorceront pas. Sa vie amoureuse n'est pas simple car elle est souvent attirée par des homosexuels. Elle écrit "L'île d'Arturo" en 1957 et en 1974, elle compose son grand chef d'œuvre, "La Storia", best-seller mondial, adapté au cinéma par Luigi Comencini. Son dernier roman, "Aracoeli" reçoit le prix Médicis étranger en 1984. Malade des suites d'une fracture au fémur, elle meurt en 1985. Cette biographie montre une vie de femme qui aime par dessus tout la littérature. Ses œuvres baroques, exaltantes, ténébreuses décrivent un monde où les femmes sont souvent maltraitées par la vie comme la mère courage de la Storia, violée par un soldat allemand. Un point commun avec Elena Ferrante. René de Ceccatty décrit aussi l'intelligentsia romaine, d'une ébullition intellectuelle indéniable. Moravia-Morante, ce couple me fait penser à Sartre-Beauvoir. Mais, Elsa n'était pas Simone… Elle préférait écrire des histoires d'amour, des histoires familiales, des histoires de vie. Une grande dame italienne, trop oubliée. Cette biographie a le mérite de réveiller l'intérêt pour ses romans tumultueux et émouvants. 

samedi 14 septembre 2019

"Venise à double tour"

Un nouveau Jean-Paul Kauffmann et sur Venise en plus… Encore un achat coup de cœur deux jours après sa sortie. Pour ouvrir ce délicieux récit, j'ai attendu une plage de temps tranquille et cet été, je l'ai enfin lu avec un plaisir gourmand comme un dessert glacé en pleine canicule. Déjà, j'apprécie de plus en plus cet écrivain reporter, ce journaliste littéraire qui saisit des lieux (Kerguelen, les Landes, la Marne), des moments de la grande Histoire (Napoléon à Saint-Hélène),  un artiste (Delacroix), un écrivain (Raymond Guérin). Sa méthode d'enquêteur se révèle toujours fascinante et éclairante. "Venise à double tour" m'a enchantée car je connais et j'aime cette ville unique au monde même si des centaines de milliers de touristes (dont moi) arpentent ce coin de terre sur la mer, avec son armada de gondoles et de vaporetti, ses vols de pigeons et de mouettes, ses monuments-sculptures, ses musées et ses palais, et je ressens toujours un sentiment océanique de tangage permanent sur les canaux et dans les ruelles. Une cité de pierre et d'eau, fantasmatique et fantomatique. Le récit évoque les ouvrages d'admiration des écrivains-visiteurs : Goethe, Musset, Morand, Lacan, Sartre, et bien d'autres confères. Ses amis lui disent que tout a été dit, écrit sur la cité lacustre. Mais, le narrateur s'obstine et s'installe à Venise pour découvrir les églises fermées depuis des années. Il en compte une quarantaine qui semblent inaccessibles. Hugo Pratt lui confie lors d'un séjour :  "Il ne faut surtout pas les nommer. La Venise fabuleuse est là. Ce sont des lieux d'ombre et de silence. Ils doivent le rester". Ces églises appartiennent à plusieurs institutions :  des ordres religieux, le Grand Vicaire de Venise, des associations caritatives. Il lui faudra des mois pour démêler les ficelles de ce labyrinthe administratif opaque et secret et une patience sans fin pour nouer des relations, des contacts téléphoniques, des rendez-vous rapides, des rencontres. Le narrateur espère enfin que, grâce à ses recherches, telle église va ouvrir ses portes puis, déception, les portes restent closes. Le grand Vicaire se récuse, puis décide de lui accorder la visite de quatre églises. Le récit rebondit sans cesse dans cette quête et cette enquête sur ces espaces spirituels qui gardent leurs secrets : "C'était donc cela, ma quête des églises fermées. Entrevoir un édifice brisé, hors d'état, si affreusement mutilé qu'il était impossible d'imaginer son état d'avant. Une grange, un entrepôt, certainement pas une église". Les Vénitiens possèdent tellement de trésors qu'ils n'ont pas les subventions nécessaires pour rénover ces édifices sacrés. Mais, cette image d'une Venise en décrépitude convient bien à l'auteur : "Le temps a fait son œuvre. Pourquoi tricher ? La ville se laisse envieillir, émouvante dans son délabrement, étalant ses rides, ses pattes d'oie, ses fragrances douteuses". Au bout de quelques mois, plusieurs visites auront lieu et il constatera les dégâts du temps sur ces espaces fragiles. Ce récit d'une érudition passionnante enchantera tous les amoureux(ses) de Venise et dès la dernière page fermée, j'avais envie de repartir sur les traces de Kauffmann, ne serait-ce que pour voir les façades de ces églises oubliées. Lors de mon dernier séjour à Venise, j'avais visité une bonne quinzaine de ces édifices magnifiques, de véritables musées que les touristes de passage n'ont pas le temps de voir… Tant mieux, si ces trésors secrets perdurent ! Un de ses meilleurs livres, ce "Venise à double tour"... 

vendredi 13 septembre 2019

"Virginia"

Je ne connaissais pas Emmanuelle Favier dont son premier roman, "Le courage qu'il faut aux rivières" avait été remarqué. Poète et nouvelliste, elle signe dans cette rentrée littéraire une très belle biographie poétique sur Virginia Woolf (1882-1941). Comme cette écrivaine anglaise de génie me passionne depuis des décennies, je me suis précipitée pour lire ce texte de dévotion à l'égard de la sublime Virginia. Dès les premières lignes, le style singulier d'Emmanuel Favier s'impose : "Virginia Stephen, dont nous seuls savons qu'elle deviendra Virginia Woolf - nous qui savons tout ce qui suit, la langue liquide, la légende, l'amour tronqué, et pourtant le plus grand bonheur possible, le succès, les craintes et les pages et les pages et les masses d'eau sans fond, l'eau médiévale et barbare". La petite Virginia vit au sein d'une famille que l'on dirait aujourd'hui recomposée. Son père, devenu veuf, se marie avec Julia, elle aussi veuve. Le récit démarre en 1875 et se termine en 1904 à la mort de Leslie Stephen quand Virginia atteint ses 26 ans. La petite fille est éduquée par ses parents dans une ambiance intellectuelle de la haute société. Son père est chargé de la Bibliographie nationale, une charge impressionnante. Sa mère Julia, une très belle femme, aura quatre enfants avec Leslie Stephen : Vanessa, Thoby, Virginia et Adrian. Julia posera même pour plusieurs peintres tellement sa beauté était légendaire. Ce couple exceptionnel reçoit des intellectuels, des écrivains comme Henry James, des artistes et la petite fille s'imprègne de cette atmosphère culturelle, un terreau fabuleux pour sa future œuvre. La biographe inspirée évoque souvent l'immense bibliothèque de son père où Virginia va se nourrir très tôt. Elle ne lit pas en dilettante mais, elle dévore les classiques, apprend le grec ancien, se passionne pour Sophocle, Homère, découvre les grands auteurs de son époque. La lecture devient son refuge surtout qu'elle a perdu sa mère brutalement d'une grippe à l'âge de douze ans. Ce deuil sera toujours une blessure ouverte pour Virginia. L'auteure raconte avec des détails précis, profonds, poétiques,  les fondations intellectuelles et sensorielles de l'écrivaine anglaise. Pourtant appartenir au sexe féminin n'était pas drôle au début du XXe siècle : pas d'école pour les filles, pas d'université. Virginia observe cet enfermement féminin, envie ses frères qui partent à l'université, se crée son propre monde. Sans nommer les titres des ouvrages, l'auteure raconte la matrice des romans en particulier, les vacances à St Ives en Cornouailles se retrouvant dans "Vers le phare". Ce récit halluciné se lit comme un roman, celui d'une petite fille qui va devenir une écrivaine géniale. Ce travail littéraire de psycho-généalogie réussit à incarner, à donner de la chair à Virginia, réputée pour son intellectualisme. Un pari risqué et audacieux, un pari réussi. Tel un peintre impressionniste où l'émotion affleure au fil des pages, la biographe compose une sonate sensuelle, écrite avec ferveur et admiration. Une fois le livre refermé, j'avais envie de relire Virginia, de la retrouver. Virginia Woolf ou le réel réenchanté, elle fait partie des grandes "stars" de ma vie en littérature, à l'égal de Marguerite Yourcenar.  

jeudi 12 septembre 2019

"La part du héros"

"La part du héros", écrit par Andréa Marcolongo, porte le sous-titre : "Le mythe des Argonautes et le courage d'aimer". L'écrivaine italienne avait publié en 2016, "La langue géniale", éditée aux Belles Lettres où elle démontrait la beauté du grec ancien et prouvait l'influence profonde du monde grec dans notre culture européenne. Cette jeune professeur, helléniste, formée à Milan,  est tombée amoureuse du grec ancien dès l'âge de 13 ans. Sa mère meurt un an après et la jeune adolescente se refugie dans l'apprentissage de la langue : "Le grec était son refuge. Une arme pour se construire. Pour se reconstruire." Elle s'obstine dans cette passion après une jeunesse voyageuse. Elle revendique l'héritage de Jacqueline de Romilly et de Marguerite Yourcenar. Son rêve s'accomplit : elle devient professeure de grec.  Son livre a déclenché un engouement étonnant pour le grec ancien, ce qui m'a évidemment réjouie quand je l'avais lu. La presse l'a baptisée "l'Athéna grecque". Cet ouvrage savant s'est tout de même vendu à plus de 300 000 exemplaires et vient de sortir en livre de poche. Dans ce deuxième essai, "La part du héros", elle s'approprie la légende des Argonautes pour illustrer ses réflexions philosophiques, linguistiques, intimistes. On connaît mieux l'Iliade et l'Odyssée d'Homère que l'histoire de la nef Argo, écrite par Apollonios de Rhodes, (3e siècle avant J.C.), poète épique. En exil à Rhodes, il revient à Alexandrie pour diriger la Bibliothèque en succédant à Zenodote. Son œuvre principale, "Les Argonautiques", composée en 250 av. J.C. évoque en quatre chants la construction du navire Argo, les adieux de Jason, les aventures avec une nymphe, la rencontre avec Médée, la victoire de Jason sur les taureaux d'airain, la conquête de la Toison d'Or, la fuite de Médée et le retour du navire en Grèce. Il vaut mieux s'informer sur ce poème avant de lire l'ouvrage d'Andrea Marcolongo. Le récit entremêle les péripéties des marins sur la nef avec des comparaisons sur notre monde contemporain. Comment cinquante gaillards solidaires sont arrivés à accomplir un exploit impossible ? Ils ont conquis la Toison d'Or, symbole de la volonté d'être. Garder le cap, ne jamais baisser les voiles, apprendre de l'épreuve, ne jamais renoncer, atteindre son but : toutes ces expressions se retrouvent sous la plume alerte, érudite, lumineuse d'Andrea Marcolongo, férue d'étymologie. J'ai remarqué son hommage pour les professeurs, véritables héros grecs, pour elle. Dans la vie, ce n'est pas la victoire qui compte. Jason nous apprend qu'il suffit de se relever surtout après une chute. Dans un entretien qu'elle a donné au Monde des Livres, elle déclare : "C'est ça Jason. (…) Comprendre que nous sommes tous en voyage, premiers et uniques responsables de nos actions et de nos choix". L'essayiste italienne porte deux tatouages : l'un en grec, "Pathei mathos", souffrir pour apprendre, et un second en latin, "Ferox invictaque", fière et invaincue. Elle nous conseille de "prendre la mer, nous dépasser, devenir des héros grecs !" Programme alléchant mais pas toujours facile à réaliser… Ce livre se lit avec un bonheur certain pour tous les amoureux(ses) de la culture grecque antique.

mercredi 11 septembre 2019

"Pour l'amour des livres"

Quand j'ai vu ce titre en librairie, je n'ai pas résisté à l'appel de ce récit de Michel Le Bris, publié chez Grasset. L'écrivain se retrouve à l'hôpital et constate que sa vue est brouillée. Le voilà dans l'incapacité de lire et d'écrire : "L'évidence m'avait écrasé : sans lire, sans me lire, je ne pourrais plus écrire. En somme, j'étais mort. Pas physiquement, peut-être, ou pas encore, mais comme écrivain. Et que serait une vie pour moi, sans le pouvoir d'écrire ?". Il se sent diminué, handicapé sans ses yeux, mais le médecin lui annonce que sa vue reviendra vite. Soulagé par cette heureuse annonce, il décide d'écrire "Pour l'amour des livres", une ode magnifique à la littérature, "une déclaration d'amour", "un message d'espérance". Pour l'écrivain, la littérature sert à "nous reconduire à nos mondes intérieurs, dans le temps long de la lecture et le silence gagné sur le brouhaha ordinaire, jusqu'à nous faire approcher le mystère même du langage, qui nous relie aux autres, au monde et à nous-mêmes". Le petit Michel, enfant unique solitaire, issu d'un milieu très modeste en Bretagne, découvre avec émerveillement son premier coup de cœur, "La Guerre du feu" de J.H. Rosny aîné. Son instituteur remarque son talent d'écriture et lui permet de composer des textes en toute liberté. Cette rencontre avec cet enseignant magistral provoquera sa vocation d'écrivain. Puis, dans une bibliothèque, il se passionne pour les écrivains aventuriers, explorateurs, pionniers dont il gardera toute sa vie une empreinte indélébile. Son récit autobiographique met l'accent sur sa gratitude envers sa mère, ses instituteurs, ses professeurs qui l'ont toujours aidé à dévorer les livres. Il raconte aussi sa vie de militant en 1968, ses activités éditoriales, ses amitiés avec des confrères, son Festival des Etonnants Voyageurs de Saint Malo, créé en 1990. Il rend un hommage à ses écrivains préférés : Guillevic, Victor Hugo, Melville, Bruce Chatwin, Paul Theroux, Joseph Conrad. Il consacre de nombreuses pages à son mentor, Stevenson, celui qui l'a le plus influencé. Michel Le Bris compose une élégie de gratitude pour ces passeurs de mots et ces créateurs de mondes. Dans sa dernière page, il résume son beau projet : "J'ai voulu ce livre comme un acte de remerciement. Pour dire simplement ce que je dois au livre. (…) Plus nécessaire que jamais, face au brouhaha du monde : il est en chacun de nous un royaume, une dimension d'éternité, qui nous fait humains et nous fait libres. Tel est notre grand message : que, tous, nous sommes plus grands que nous". Très belle conclusion… 

mardi 10 septembre 2019

"Les choses humaines"

Les romans de Karine Tuil s'inscrivent dans notre époque, une époque ultra-contemporaine. Son dernier livre d'une densité incroyable décrypte les rouages du pouvoir et de l'argent dans notre société où tout se consomme vite, surtout le sexe.  Alexandre Farel, fils de Jean Farel, journaliste star de la télévision et de Claire, essayiste féministe, est accusé de viol. Leur monde doré, protégé, prétentieux s'effondre comme un château de cartes. L'écrivaine s'inspire librement de l'affaire de Stanford aux Etats-Unis, où un étudiant, accusé d'un viol sur une étudiante, a bénéficié d'une peine minimale. Alexandre est un garçon brillant, doué, voué à un avenir flamboyant car il est accepté dans une université américaine. Son père, Jean Farrel, avide de pouvoir médiatique, lutte contre son propre âge, qui le mène inévitablement vers la sortie. Ce personnage éminemment creux, interviewer célèbre des hommes et des femmes politiques, voit son influence en danger avec cette nouvelle stupéfiante : son fils au banc des accusés. Sa femme Claire ne cohabite  plus avec lui car elle a rencontré un professeur avec lequel elle vit une grande passion. Le drame va éclater quand Alexandre rencontre la fille du compagnon de Claire. La jeune fille très timide participe à une fête alcoolisée et "cannabisée". Tout s'enchaîne avec un jeu débile entre garçons où ils doivent rapporter un slip féminin pour gagner… La jeune fille se laisse abuser dans cette ambiance festive et quand elle suit Alexandre, celui-ci la force à avoir une relation sexuelle. La jeune fille porte plainte dès le lendemain au commissariat. Quand démarre le procès, les points de vue s'entremêlent : où est la vérité ? De quel côté ? Les arguments fusent en faveur du garçon, parfois de la victime. Claire, la féministe, ne peut pas croire que son petit soit cet homme brutal et primaire. Jean fuit son fils même s'il use de son influence médiatique pour arranger l'affaire. Le personnage paternel concentre à lui seul le pouvoir insupportable qu'il exerce sur les femmes autour de lui, sur son fils pour sa course à la performance, sur sa maîtresse, sur sa femme. Cet homme d'origine modeste, imbu de sa réussite sociale, patriarcal devient père à 70 ans pour prouver sa virilité. Alexandre sera libéré avec un sursis et créera une star-up. Tout rentre dans l'ordre dans ce monde puissant et cynique. Karine Tuil tient en haleine son lecteur(trice) tout au long de son roman qui dénonce les lâchetés masculines, la place du sexe dans la société, les pouvoirs abusifs, les réseaux sociaux, les ambitions démesurées : les "Choses humaines".  Heureusement, les mouvements de protestation comme "meeto" après l'affaire Weinstein prennent enfin racine dans la société. Un très bon roman "balzacien" de cette rentrée littéraire, d'un féminisme que j'apprécie beaucoup. 

lundi 9 septembre 2019

"Jour de courage"

Brigitte Giraud vient d'écrire son onzième roman, "Jour de courage", publié chez Flammarion. Dès que j'ai ouvert le livre, j'ai lu les deux citations qui résument le sujet du roman. La première est signée de Louis Calaferte : "Le plus dur est de faire le saut", la deuxième confirme ce choix radical : "Il ne suffit pas simplement d'être, on doit également agir". Livio, 17 ans, lycéen en Terminale, a décidé de parler. Il prend le prétexte d'un exposé, demandé par son professeur d'histoire, pour dire sa vérité. Le thème du cours porte sur les autodafés dans le nazisme et il choisit le destin incroyable d'un médecin juif-allemand, Magnus Hirschfeld, un des premiers sexologues, adepte de l'égalité hommes-femmes, et des droits des homosexuels. Le secret de Livio est d'emblée dévoilé à la première page : "Il avait décidé de bousculer chacun et de rompre avec son image de garçon convenable qui lui collait à la peau. On ne l'avait jamais vu si déterminé, si libre". Le récit se déroule sur deux plans : l'exposé historique sur ce médecin allemand et sa vie intime avec ses proches. Livio avance sans faillir. Il sait qu'il prend des risques dans ce lycée, auprès de ses collègues lycéens et surtout de sa meilleure amie, Camille. Cette jeune fille admire et aime Livio. Il n'a jamais avoué à Camille qu'il préférait les garçons, un tabou absolu. Il n'a jamais avoué à son père qu'il était différent car ce père crie "pédales" quand il regarde un match de foot. Sa mère aussi ne remarque rien, ne voit pas que son fils voudrait partager son secret. Dans cette classe, il se lance et raconte avec précision l'autodafé de 1933 où les nazis ont brûlé des milliers d'ouvrages dont la bibliothéque du médecin. Plus il avance dans son exposé, plus il se dévoile. Il évoque le premier film allemand, coécrit par le médecin qui parlait de l'homosexualité en 1919. Livio sidère sa classe avec cet exposé original, audacieux, risqué. Son enseignante l'encourage à poursuivre la présentation de l'autodafé qui s'est déroulé à Berlin. A cet emplacement, un artiste, Micha Ullmann a créé une "Bibliothèque engloutie" sous la Bebelplatz. A la fin de l'exposé, Livio quitte le lycée et choisit sa liberté parce qu'il se sent incompris, nié dans sa différence. Je regrette l'issue radicale du roman quand le jeune homme disparaît sans laisser des traces pour le retrouver. Peut-être vivra-t-il enfin son homosexualité sans se sentir jugé, critiqué, moqué car hélas, la bêtise humaine n'est pas encore éradiquée dans la société. Un roman utile, sensible, fort et un portrait attachant. Une belle pépite de la rentrée littéraire.

samedi 7 septembre 2019

Des bonbons géants à Chambéry

Quand on se promène dans les rues de Chambéry, quelques sculptures particulières frappent les yeux : des bonbons géants… Quelle drôle d'idée ! J'ai donc remarqué à divers endroits des bonbons rouges, des bonbons argentés à la gare, des multicolores devant la Cathédrale, des bleus, Place de la Métropole, etc. L'artiste s'appelle Laurence Jenkell. Elle vit et travaille à Vallauris dans les Alpes Maritimes. Les Chambériens ont beaucoup de chance de voir les Bonbons car ils ont été exposés à Londres, New York, Dubaï jusqu'à Pékin… J'ai lu la petite plaquette consacrée à cette artiste contemporaine "autodidacte" (faut-il être diplômée d'un doctorat pour créer ?). Le maire semble très fier de l'accueillir pour sa renommée internationale… Il déplore le fait que beaucoup de Savoyards ont oublié l'importance de notre capitale régionale "si belle et si attractive"... J'avoue que j'ai souri en lisant la présentation de l'exposition estivale. Les œuvres portent aussi des titres : "Wrapping Bonbon rouge", "Les amoureux", "Du côté de chez Swann", "Up and Down", etc. Je croyais que Laurence Jenkell était française… Encore l'usage de l'anglais, on n'en sortira jamais. Notre langue française se meurt à petits feux. Que veulent raconter ces gourmandises géantes ? Notre maire, toujours disert, toujours enthousiaste, veut croire que ces bonbons, ces objets étonnants,  vont remonter le moral des troupes chambériennes. Il imagine les familles qui, en se baladant, vont "se régaler" et replonger dans l'enfance… Notre édile parle de "véritable ode à la naïveté et aux bonheurs simples", et ces sculptures exposées vont apporter de la gaité dans la ville… Notre ville s'est-elle transformée en Dysneyland : tout est beau, tout est gentil, la ville du bonheur, pourquoi pas ? Suis-je la seule citoyenne à me poser des questions (et je m'abstiens de parler du coût de l'opération pour embellir la cité des Ducs de Savoie). Cette initiative artistique se double d'une opération touristique : qu'il fait donc bon vivre à Chambéry, nos élus nous offrent des bonbons ! Quelle chance ! Quelle joie ! Pour ma part, j'estime que ces gourmandises m'ont semblé un peu superflus dans l'espace urbain. L'architecture et les montagnes donnent déjà un certain charme italien à Chambéry. Et pour ma part, ces sculptures ne me touchent pas particulièrement. Je préfère l'art non naïf, qui dérange, qui questionne, qui bouscule, qui inquiète, un art contemporain qui raconte nos angoisses, nos peurs… Les Bonbons de Laurence Jenkell sont certes amusants, ludiques mais, je me demande s'ils ont rempli leur mission : rendre le sourire à tous les passants. Je n'ai pas trop remarqué ce phénomène, dommage…  

vendredi 6 septembre 2019

"Une joie féroce"

Sorg Chalandon vient de publier "Une joie féroce" aux éditions Grasset. Cet écrivain, journaliste au Canard enchaîné, a écrit huit romans qui ont été primés dés leur parution. Il prévient d'emblée ses lecteurs(trices) : "Sur mon carnet bleu, j'ai écrit : "C'est l'histoire de quatre femmes. Elles se sont aventurées au plus loin. Jusqu'au plus obscur, au plus dangereux, au plus dément. Ensemble, elles ont détruit le pavillon des cancéreuses pour élever une joyeuse citadelle".  Cette histoire rocambolesque évoque la cavale de ces quatre personnages féminins : Jeanne, la libraire, Brigitte, la patronne d'une crêperie, Assia, sa compagne, et Mélodie, une jeune femme un peu mystérieuse. Elles se sont rencontrées à l'hôpital car trois d'entre elles sont atteintes d'un cancer. Dès la première page, elles s'apprêtent à commettre un braquage dans une bijouterie. Puis, ce fait divers disparaît pour laisser place à leur histoire propre, sept mois avant. Jeanne travaille dans une librairie à Paris et se fait baptiser "Jeanne Pardon" car elle s'excuse sans cesse. Son mari, Matt, ne supporte pas la maladie de sa femme d'autant plus qu'ils ont perdu leur fils cinq ans avant. Cet homme peu sympathique au fond préfère se choisir et fuit avec une lâcheté lamentable sa compagne malade. Jeanne commence sa thérapie, seule sans soutien. Brigitte la remarque et l'aide à vivre ces moments pénibles. Peu à peu, Jeanne intègre l'appartement des filles qui, par solidarité, la prennent en charge. Auprès de ces combattantes du "K", Jeanne reprend confiance et se bat contre le cancer du sein. Quand Mélody leur annonce que sa petite fille est détenue par son mari russe. Elle avoue qu'avec une somme d'argent, elle pourrait récupérer l'enfant. Jeanne apprend le passé de chacune d'entre elles. Elles ont fait de la prison. Cette découverte n'empêche pas Jeanne de participer au plan fou, élaboré par Brigitte. La bande de ces filles rebelles va commettre le braquage de la bijouterie en jouant la comédie d'une saoudienne voilée en quête de bijoux, offerts par son "prince"... Je ne dévoile pas la fin de l'intrigue, ce serait dommage. Ce roman loufoque et politiquement incorrect peut réjouir ou déplaire selon l'humeur des lecteurs(trices). Sorj Chalandon décrit avec justesse les soins médicaux de ces femmes rompues par la maladie et décrypte la solidarité féminine avec leurs envies de se venger de leur malchance. Cette "joie féroce" se lit avec un plaisir certain même si cette bande de Pieds Nickelés au féminin semble peu crédible… 

jeudi 5 septembre 2019

La rentrée littéraire

Dès la fin du mois d'août, la presse révèle le chiffre des romans qui vont paraître à la rentrée. Encore un nombre effarant : 524 titres mais selon les spécialistes, l'année dernière, c'était encore pire avec 567. Une autre distinction me semble intéressante à ajouter : les romans français passent de 381 à 336 dont 86 premiers romans et les livres traduits restent stables. Qui peut dévorer cette quantité astronomique ? Personne ! Quelques libraires, des critiques littéraires, des passionné(e)s ardents de littérature vont certainement en lire quelques dizaines en les feuilletant et en les abandonnant dès la dixième page. A quoi bon persévérer quand le roman tombe des mains ? Quand je lis la presse littéraire, je remarque vite qu'une cinquantaine d'ouvrages va apparaître dans les choix des journalistes spécialisés. Et dans ces cinquante romans, je retiens pour ma part les écrivains que je lis régulièrement. Je délaisse depuis des années (j'ai peut-être tort) Amélie Nothomb tellement sa présence à la rentrée devient une manie éditoriale. J'ai commencé à lire des nouveautés dès la semaine dernière en les réservant en amont à la Médiathèque de Chambery et j'ai deviné les préférences des lecteurs(trices) sur certains titres. Quand je suis en cinquième position pour un roman, ce titre va avoir du succès. Je me souviens de l'attente pour la saga d'Elena Ferrante : dix à quinze réservations… Il vaut mieux aller en librairie si l'envie est trop pressante pour découvrir une nouveauté. J'aime beaucoup cette période de l'année car la rentrée littéraire ouvre la saison automnale. Je m'en suis rendue compte avec mes hortensias déjà fanés et un peu carbonisés par le soleil déraisonnable de l'été. La rentrée littéraire ressemble à la madeleine de Proust, un parfum d'éternité pour une lectrice comme moi. Les nouveautés représentaient un des moments les plus intenses dans ma vie de libraire où je déballais les cartons avec une curiosité fiévreuse. Quand j'étais bibliothécaire, je partais dans les librairies pour acquérir les ouvrages sur les conseils avisés des professionnels. Notre revue "Livres-hebdo" qui existe toujours devenait un guide précieux. Je plongeais donc avec délices dans cet océan de papier, la rentrée annonçant la vague d'équinoxe, la Belharra, la vague géante du côté de Socoa… Depuis des dizaines d'années, le mois de septembre apporte sa moisson nouvelle de romans et d'essais. Ce phénomène éditorial donne à l'année une couleur particulière, un cérémonial rassurant dans ce monde voué sans cesse au changement perpétuel, perturbant et mouvant. Au moins, la rentrée littéraire revient comme les vendanges automnales, et reviendra, je l'espère, jusqu'à la fin des temps… Pour le bonheur des amoureux de la lecture ! 

mercredi 4 septembre 2019

Rubrique cinéma

Hier, je suis allée voir "Frankie" du réalisateur américain, Ira Sachs, avec dans le rôle principal, Isabelle Huppert. J'aime bien cette grande actrice qui ne se laisse jamais piéger par le cinéma commercial. Frankie, star française internationale, entre en scène comme une diva, vêtue d'un peignoir doré, avec des lunettes sophistiquées. Elle se déshabille et plonge dans la piscine de l'hôtel de luxe. Cette femme célèbre et admirée semble aller au mieux dans cette première image. Mais, on apprend vite qu'elle est atteinte d'un cancer en rechute fatale. Comme elle sait que le corps médical lui a donné quelques mois à vivre, elle a invité ses proches dans le Sud du Portugal, à Sintra. Cette cérémonie des adieux provoque des remous au sein de la famille recomposée. Elle a convoqué son premier mari, son fils, son second mari, sa belle-fille, une amie. Les personnages défilent dans un choral autour de l'actrice sans qu'elle tienne en fait le premier rôle. Ils ont tous une situation familiale en  crise : son fils semble perdu, seul, déprimé, sa belle-fille veut divorcer, sa meilleure amie refuse de se marier, son premier mari regrette sa rupture avec elle, son mari est abattu de chagrin. Frankie, paradoxalement, ne se mêle plus de leurs tourments. Elle vit sa future disparition avec un courage stoïque et une distance nécessaire. Des scènes montrent la vulnérabilité de Frankie quand elle est reconnue par une admiratrice qui fête ses 88 ans, âge qu'elle n'atteindra pas. Sa relation chaotique avec son fils ne s'arrange guère quand elle lui annonce que son appartement parisien est légué à une fondation. Ce film ressemble à du Tchekhov au goût américain, un Woody Allen sans l'humour. La dernière scène se passe sur une corniche au bord de l'océan dans une apothéose d'un coucher de soleil. Le rideau va se baisser pour Frankie qui met en scène sa propre mort. Ce film tout en subtilité, parsemé de non-dits, de secrets, de rancœurs, dresse un portrait attachant d'une femme au sommet de son art et de sa carrière, mais elle vit au bord d'un gouffre.  Isabelle Huppert interprète à merveille l'actrice fataliste. Un bon film à voir si on est une admiratrice de la comédienne et du Portugal… 

mardi 3 septembre 2019

"Plus haut que la mer"

Francesca Mélandri, scénariste pour la télévision et le cinéma, avait été remarquée avec son premier roman, "Eva dort", publié en 2012, chez Gallimard dans l'excellente collection "Du monde entier". Dans son deuxième roman, "Plus haut que la mer", un homme et une femme se croisent dans un bateau pour rejoindre une Ile-prison de haute sécurité. Ce lieu sauvage, entouré par la mer, ressemble plus à un petit paradis qu'à un enfer. Les détenus sont confinés dans cet espace avec des règles rigides et ancestrales. Paolo vient rendre visite à son fils, Luisa à son mari. Ils sont tous les deux meurtris par la vie et se retrouvent dans une solitude douloureuse. Le mari de Luisa est devenu violent au fil des années. Emprisonné, il a tué un gardien de prison. Luisa élève ses cinq enfants dans un village de montagne et cette visite lui demande beaucoup d'énergie. Elle, femme battue, éprouve "un indicible et obscur soulagement" de voir son "homme" soit incarcéré. Paolo, ancien professeur d'histoire et de philosophie, se sent coupable car il a éduqué son fils "à ne pas se contenter du monde tel qu'il était, à le vouloir plus juste". Son fils a basculé dans le terrorisme d'extrême gauche. Il a tout sacrifié à sa cause en participant à trois assassinats. Il ne comprend pas ce fils violent et radicalisé. Pourtant, son fils était un petit garçon adorable : "C'était un enfant d'une réelle beauté et en y repensant, Paolo éprouvait une douleur diffuse".  Paolo, pour s'infliger une peine supplémentaire, garde une photo d'une petite fille qui a perdu son père dans un attentat, provoqué par son fils. Il cherche néanmoins à renouer un lien avec ce fils si étrangement étranger. Les deux visiteurs vont se découvrir peu à peu car une tempête va les obliger à rester sur l'île toute la nuit. Un gardien, Pierfrancesco, les prend en charge et malgré l'interdiction du règlement, il les invite chez lui pour partager un repas modeste. Un lien affectif se crée entre les deux visiteurs et le gardien, qui malgré son métier plus que difficile, conserve toute son humanité. Ils quitteront l'île, transformés par ces deux jours d'isolement où ils ont compris qu'ils n'étaient pas seuls à souffrir. L'écrivaine italienne possède un art particulier, un mélange de sensibilité et de réalisme pour fouiller les âmes de ses personnages entre leurs doutes, leurs peurs et leurs espoirs dans le contexte violent du milieu carcéral. Dans ce roman intimiste, affleure le drame des années de plomb en Italie, une saison sombre et tragique. Francesca Meandri montre les conséquences collatérales de ce mouvement sur la vie des familles concernées. Un roman subtil, sensible, émouvant. A découvrir sans tarder. Je l'avais choisi pour le thème de la mer dans l'atelier lectures de juin et j'avais écrit quelques lignes. Je l'ai lu cet été et j'avais envie d'en reparler… 

lundi 2 septembre 2019

Mes cabanes à livres

J'aime bien me balader, été comme hiver, du côté du lac du Bourget. Non seulement, ce lieu enchanteur, tout près de chez moi, m'attire par sa beauté naturelle mais comme je suis toujours dans ma tête, envahie par mon goût des livres, j'effectue ma promenade physique, doublée d'une découverte livresque. Je parle des cabanes à livres que je visite deux à trois fois par mois sur le secteur d'Aix les Bains et sur le Bourget du Lac. Evidemment, j'utilise aussi la cabine téléphonique de Bassens, située sur un parking et je vais aussi voir le stand des Halles de Chambéry sans oublier les chariots d'ouvrages à la Médiathèque. Dans un article du Monde, paru le 17 août, le journaliste évoque l'engouement croissant des livres vagabonds, déposés dans de nombreuses boîtes à livres sur tout le territoire. Ces dépôts prennent toutes les couleurs, ressemblent à des maisonnettes, à des vieilles cabines désaffectées. J'ai même vu à Stockholm un grand frigidaire repeint, objet insolite dans un parc. Ce dispositif en libre-service permet à tous les lecteurs d'emprunter, de rendre, de donner. Quand je m'approche d'une boîte, je me sens comme une exploratrice fiévreuse : que vais-je trouver aujourd'hui ? Je remarque souvent des pêcheurs à l'affût et si leur bout de canne bouge, il relève le fil. Je ressens cet esprit d'attente et d'espoir. J'imagine ces ouvrages comme des poissons, cachés dans le flot de papier. Dans ce fouillis, il faut soulever, déranger, déplacer les piles pour enfin ferrer ma proie. Hier, ma pêche s'est révélée fructueuse : un guide bleu Hachette des années 80 sur Rome, avec des textes vraiment très intéressants, un roman de Malaparte, "Kaputt" dont je venais de lire un ouvrage sur lui, un livre de classe de 6e sur l'Antiquité. Parfois, je repars bredouille… Le phénomène des boîtes à livres remonte en 1991 en Autriche où deux artistes ont installé leur première bibliothèque à Graz et plusieurs suivront à Berlin et à Mayence. En Bretagne, les livres nichent dans un ancien lavoir à Morlaix, dans un pigeonnier à Cancale, et on dénombre aujourd'hui en France, plus de 4000 mini-bibliothèques vagabondes dont une quinzaine les gares franciliennes. Ces boîtes à livres font-elles concurrence aux librairies et aux bibliothèques publiques ? En  aucun cas, ce vagabondage des livres symbolise l'échange non marchand, le don gratuit où les lecteurs(trices) butinent en toute liberté… Une aubaine !